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Bundesgericht 
Tribunal fédéral 
Tribunale federale 
Tribunal federal 
 
 
 
 
1B_302/2022  
 
 
Arrêt du 7 septembre 2022  
 
Ire Cour de droit public  
 
Composition 
Mme et MM. les Juges fédéraux Jametti, Juge présidant, Chaix et Pont Veuthey, Juge suppléante. 
Greffière : Mme Corti. 
 
Participants à la procédure 
A.________, 
représenté par Me Patrik Gruber, avocat, 
recourant, 
 
contre  
 
Fabien Gasser, Procureur général auprès du Ministère public de l'Etat de 
intimé. 
 
Objet 
Procédure pénale; récusation, 
 
recours contre l'arrêt de la Chambre pénale du Tribunal cantonal de l'Etat de Fribourg du 16 mai 2022 
(502 2022 93). 
 
 
Faits :  
 
A.  
Dans le cadre de la parution de l'ouvrage " YYY " rédigé par A.________, le Procureur général du Ministère public fribourgeois Fabien Gasser (ci-après: le Procureur général) a ouvert une instruction pénale pour instigation à violation du secret de fonction et ordonné diverses mesures de contrainte. 
 
B.  
Le 8 avril 2022, A.________ a demandé la récusation du Procureur général, l'annulation de tous les actes d'instruction entrepris et la transmission de l'affaire à un procureur d'un autre canton. Le Procureur général a conclu au rejet de la demande. 
Par arrêt du 16 mai 2022, la Chambre pénale du Tribunal cantonal de l'Etat de Fribourg (ci-après: le Tribunal cantonal) a rejeté la demande de récusation et déclaré sans objet les autres conclusions. 
 
C.  
Agissant par la voie du recours en matière pénale, A.________ demande au Tribunal fédéral d'annuler l'arrêt cantonal, de prononcer la récusation du Procureur général Fabien Gasser et d'annuler tous les actes d'instruction entrepris par ce dernier dans la procédure pénale référencée sous PG F 22 5 ainsi que de confier l'affaire à un procureur d'un autre canton. 
Invités à se déterminer, le Procureur général conclut au rejet du recours et l'autorité précédente ne formule pas d'observations. 
 
 
Considérant en droit :  
 
1.  
Conformément aux art. 78 et 92 al. 1 LTF, une décision relative à la récusation d'un magistrat pénal peut faire immédiatement l'objet d'un recours en matière pénale. Le recourant, auteur de la demande de récusation rejetée, a qualité pour recourir (art. 81 al. 1 LTF). Pour le surplus, le recours a été interjeté en temps utile (art. 100 al. 1 LTF) contre une décision rendue par une autorité cantonale statuant en tant qu'instance unique (art. 80 al. 2 LTF et 59 al. 1 let. b CPP). Il y a donc lieu d'entrer en matière. 
 
2.  
Invoquant une violation des art. 56 let. a et f CPP et un établissement arbitraire des faits, le recourant reproche à l'autorité précédente d'avoir écarté l'apparence de partialité du Procureur général, lequel aurait un intérêt personnel dans la procédure et nourrirait depuis plusieurs années un rapport d'inimitié envers lui. 
 
2.1. Un magistrat est récusable pour l'un des motifs prévus aux art. 56 let. a à e CPP, notamment lorsqu'il a un intérêt personnel dans l'affaire (cf. let. a). La notion d'intérêt personnel va au-delà de l'implication directe dans l'affaire, notamment en tant que partie (MOREILLON/PAREIN-REYMOND, Petit commentaire, Code de procédure, 2e éd. 2016, n° 5 ad art. 56 CPP; voir arrêt 1B_167/2022 du 10 août 2022 consid. 4.1.1); il peut ainsi y avoir, plus généralement, un intérêt personnel indirect chaque fois que l'issue de la cause est susceptible de déployer des effets réflexes positifs ou négatifs sur la situation personnelle ou juridique de l'intéressé (JEAN-MARC VERNIORY, in Commentaire romand, Code de procédure pénale suisse, 2e éd. 2019, n° 13 ad art. 56 CPP; voir ATF 140 III 221 consid. 4.2 et arrêt 1B_167/2022 du 10 août 2022 consid. 4.1.1).  
Un magistrat est aussi récusable, selon l'art. 56 let. f CPP, lorsque d'autres motifs, notamment un rapport d'amitié étroit ou d'inimitié avec une partie ou son conseil, sont de nature à le rendre suspect de prévention. Cette disposition a la portée d'une clause générale recouvrant tous les motifs de récusation non expressément prévus aux lettres précédentes de l'art. 56 CPP. Elle correspond à la garantie d'un tribunal indépendant et impartial instituée par les art. 30 al. 1 Cst. et 6 par. 1 CEDH (ATF 143 IV 69 consid 3.2). Elle concrétise aussi les droits déduits de l'art. 29 al. 1 Cst. garantissant l'équité du procès et assure au justiciable cette protection lorsque d'autres autorités ou organes que des tribunaux sont concernés (ATF 141 IV 178 consid. 3.2.2). Elle n'impose pas la récusation seulement lorsqu'une prévention effective du magistrat est établie, car une disposition interne de sa part ne peut guère être prouvée. Il suffit que les circonstances donnent l'apparence de la prévention et fassent redouter une activité partiale du magistrat. Seules les circonstances constatées objectivement doivent être prises en considération. Les impressions purement individuelles d'une des parties au procès ne sont pas décisives (ATF 144 I 159 consid. 4.3; 143 IV 69 consid. 3.2; arrêt 1B_25/2022 du 18 mai 2022 consid. 2.2). L'impartialité subjective d'un magistrat se présume jusqu'à preuve du contraire (ATF 136 III 605 consid. 3.2.1). 
La jurisprudence n'admet que restrictivement un cas de récusation lorsqu'un magistrat est pris à partie, pénalement ou non. En effet, le seul dépôt d'une plainte ou dénonciation pénale contre un juge ou un procureur ne suffit pas pour provoquer un motif de récusation. Si tel était le cas, il suffirait à tout justiciable de déposer une plainte contre le magistrat en charge de la cause dans laquelle il est impliqué pour interrompre l'instruction de celle-ci et faire obstacle à l'avancement de la procédure. Selon la jurisprudence, dans de telles circonstances, le défaut d'impartialité du magistrat ne devrait être envisagé que si celui-ci répondait à la dénonciation formée contre lui en déposant une plainte pénale assortie de conclusions civiles en réparation du tort moral ou réagissait d'une autre manière propre à établir qu'il n'est plus en mesure de prendre la distance nécessaire par rapport à la plainte (arrêts 1B_368/2021 du 22 septembre 2021 consid. 2.1; 1B_137/2021 du 15 avril 2021 consid. 2.2 et les arrêts cités; voir aussi ATF 134 I 20 consid. 4.3.2). A fortiori les mêmes principes prévalent lorsque le magistrat fait l'objet non pas d'une plainte ou d'une dénonciation pénale de la part de l'auteur de la demande de récusation, mais d'une dénonciation à l'autorité de surveillance des magistrats. Inversement, n'est pas non plus récusable le magistrat qui dénonce à l'autorité disciplinaire - pour des motifs soutenables - le comportement d'un avocat contraire aux règles de déontologie (arrêt 1B_118/2021 du 13 juillet 2021 consid. 4.1). 
 
2.2. Selon l'art. 61 CPP, le ministère public est l'autorité investie de la direction de la procédure jusqu'à la mise en accusation. A ce titre, il doit veiller au bon déroulement et à la légalité de la procédure (art. 62 al. 1 CPP). Durant l'instruction il doit établir, d'office et avec un soin égal, les faits à charge et à décharge (art. 6 CPP); il doit statuer sur les réquisitions de preuves et peut rendre des décisions quant à la suite de la procédure (classement ou mise en accusation), voire rendre une ordonnance pénale pour laquelle il assume une fonction juridictionnelle. Dans ce cadre, le ministère public est tenu à une certaine impartialité même s'il peut être amené, provisoirement du moins, à adopter une attitude plus orientée à l'égard du prévenu ou à faire état de ses convictions à un moment donné de l'enquête. Tout en disposant, dans le cadre de ses investigations, d'une certaine liberté, le magistrat reste tenu à un devoir de réserve. Il doit s'abstenir de tout procédé déloyal, instruire tant à charge qu'à décharge et ne point avantager une partie au détriment d'une autre (ATF 141 IV 178 consid. 3.2.2; 138 IV 142 consid. 2.2.1).  
 
Des décisions ou des actes de procédure qui se révèlent par la suite erronés ne fondent pas en soi une apparence objective de prévention; seules des erreurs particulièrement lourdes ou répétées, constitutives de violations graves des devoirs du magistrat, peuvent fonder une suspicion de partialité, pour autant que les circonstances dénotent que la personne en cause est prévenue ou justifient à tout le moins objectivement l'apparence de prévention. En effet, la fonction judiciaire oblige à se déterminer rapidement sur des éléments souvent contestés et délicats. Il appartient en outre aux juridictions de recours normalement compétentes de constater et de redresser les erreurs éventuellement commises dans ce cadre. La procédure de récusation n'a donc pas pour objet de permettre aux parties de contester la manière dont est menée l'instruction et de remettre en cause les différentes décisions incidentes prises notamment par la direction de la procédure (ATF 143 IV 69 consid. 3.2). 
 
2.3. Dans l'arrêt attaqué, le Tribunal cantonal a écarté l'existence d'un intérêt personnel (direct ou indirect) au sens de l'art. 56 let. a CPP. Il a rappelé que, selon la jurisprudence, un magistrat est censé être capable de prendre le recul nécessaire par rapport aux reproches qu'une partie élève contre lui et de se prononcer de façon impartiale sur la contestation dont il est saisi. L'autorité précédente a relevé qu'en l'espèce il ne ressortait ni du dossier ni des pièces produites que tel ne serait pas le cas, tant sous l'angle des propos tenus et du ton utilisé que des opérations entreprises ou ordonnées par le Procureur général. Les passages du livre cités par le recourant - respectivement dans lesquels le magistrat serait " attaqué " - ne faisaient pas partie de ceux que le magistrat intimé avait qualifiés de litigieux, respectivement qui méritaient des approfondissements sous l'angle pénal.  
Le Tribunal cantonal a aussi nié l'existence d'un rapport d'inimitié au sens de l'art. 56 let. f CPP. Il a constaté que le recourant ne contestait pas n'avoir eu aucune interaction avec le Procureur général depuis plus de 15 ans; concernant deux articles parus en 2007 et 2014 dans le journal " XXX ", il a souligné que le fait de prendre à partie un magistrat, même dans la presse, ne constituait pas, en principe et à lui seul, un motif de récusation; il en allait de même de la la lettre du 10 mars 2006 - qui s'inscrivait dans le contexte de procédures opposant des journalistes à des magistrats de l'ordre judiciaire fribourgeois - par laquelle le magistrat avait réagi à une écriture de l'ancien avocat du recourant: ce courrier s'adressait avant tout, voire exclusivement, au mandataire et concernait sa façon d'exercer le mandat, en particulier s'agissant des termes qu'il utilisait. 
 
2.4.  
 
2.4.1. Le recourant estime que l'apparence de partialité du Procureur général serait manifeste: le magistrat intimé était saisi d'une affaire de violation présumée du secret de fonction en lien avec le livre rédigé par le recourant, ouvrage dans lequel il était cité personnellement à de nombreuses reprises, l'impliquant ainsi personnellement au sens de l'art 56 let. a CPP; dans cet écrit, le Procureur général était aussi mis en cause dans l'affaire qu'il avait diligentée à l'encontre de la conseillère d'Etat B.________ pour violation du secret de fonction, affaire dans laquelle il s'était finalement récusé en raison de révélations de la presse sur la liaison qu'il entretenait avec la Vice-Chancelière de l'Etat de Fribourg. Les mandats de séquestre et perquisitions " totalement surdimensionnés " étaient la preuve qu'il n'était plus capable d'instruire cette cause d'une manière neutre et indépendante au sens des art. 4 CPP et 30 Cst.  
Les critiques du recourant ne permettent pas de remettre en cause l'appréciation de l'instance précédente sur ce point. L'intimé est certes décrit de manière peu élogieuse dans l'ouvrage en question; néanmoins, les passages mentionnés dans l'arrêt attaqué restent des affirmations générales et subjectives (cf. notamment " Précisons que dans le petit monde judiciaire fribourgeois, le procureur ne passe pas pour une lumière ") ou constituent désormais des faits notoires (" Après avoir mis en cause B.________, il a été éclaboussé par la mise à jour d'une relation qu'il entretenait avec la vice-chancelière... qui assistait à certaines séances du Conseil d'État [...]"). On ne discerne pas, dans les explications du recourant, en quoi le Procureur général aurait un intérêt personnel direct ou indirect dans la présente instruction propre à en compromettre l'issue ou à mettre en doute son impartialité s'il devait la traiter (cf. ATF 140 III 221 consid. 4.2; arrêt 1B_616/2021 du 4 janvier 2022 consid. 2). En effet, comme l'a justement relevé l'autorité précédente, les passages litigieux ne sont pas concernés par les soupçons de violation du secret de fonction de sorte que les spéculations et hypothèses du recourant ne sont pas suffisantes pour faire apparaître une apparence de prévention. 
Par ailleurs, comme l'a rappelé à juste titre le Tribunal cantonal, la situation d'espèce s'apparente à celle où une partie dépose plainte pénale contre un magistrat: dans un tel cas, la jurisprudence retient que - sauf circonstances supplémentaires - le dépôt d'une plainte n'est pas suffisant pour obtenir la récusation du magistrat (cf. supra consid. 2.1). En l'occurrence, à teneur des constatations cantonales, il n'y pas d'éléments permettant d'établir que le Procureur général ne serait pas en mesure de prendre la distance nécessaire par rapport à l'instruction. Partant, le grief doit être écarté.  
 
2.4.2. Le recourant voit encore un motif de récusation dans le fait que le Procureur général se trouverait, depuis de nombreuses années, dans un rapport d'inimitié envers lui au sens de l'art. 56 let. f CPP: dans le passé, le magistrat intimé avait notamment, par le biais d'une lettre envoyée à titre privé le 10 mars 2006, fait pression sur l'ancien avocat du recourant afin de discréditer ce dernier; il n'avait ainsi pas su faire la distinction entre ses intérêts privés et professionnels, ce qui amenait à douter de son impartialité.  
En l'espèce, comme relevé par le Tribunal cantonal, le recourant ne conteste pas qu'il n'a eu aucune interaction avec le Procureur général depuis plus de 15 ans. Le courrier du 10 mars 2006 avait d'ailleurs été adressé au conseil d'alors du recourant (et non au recourant lui-même) et concernait, comme souligné par l'autorité précédente, sa façon d'exercer le mandat. Dans de telles conditions, et en particulier en raison de l'écoulement du temps, le Tribunal cantonal pouvait retenir, sans violer le droit fédéral, l'absence d'apparence d'inimitié du magistrat intimé envers le recourant au sens de l'art. 56 let. f CPP. 
 
2.5. En définitive, on ne distingue pas dans les allégués du recourant d'éléments concrets permettant objectivement de retenir une apparence de prévention du magistrat intimé. Dans ces conditions, il y a lieu de constater que la garantie du juge impartial a été respectée, de sorte que c'est à bon droit que le Tribunal cantonal a rejeté la demande de récusation.  
 
2.6. Le recourant requiert aussi l'annulation de tous les actes d'instruction entrepris par le Procureur général et la transmission de l'affaire à un procureur d'un autre canton. En l'absence d'une quelconque motivation, ces conclusions sont irrecevables (cf. art. 42 al. 2 LTF).  
 
3.  
Le recours doit par conséquent être rejeté dans la mesure où il est recevable, aux frais du recourant qui succombe (art. 65 et 66 al. 1 LTF). 
 
 
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :  
 
1.  
Le recours est rejeté, dans la mesure où il est recevable. 
 
2.  
Les frais judiciaires, arrêtés à 2'000 fr., sont mis à la charge du recourant. 
 
3.  
Le présent arrêt est communiqué aux parties et à la Chambre pénale du Tribunal cantonal de l'Etat de Fribourg. 
 
 
Lausanne, le 7 septembre 2022 
 
Au nom de la Ire Cour de droit public 
du Tribunal fédéral suisse 
 
La Juge présidant : Jametti 
 
La Greffière : Corti