Wichtiger Hinweis:
Diese Website wird in älteren Versionen von Netscape ohne graphische Elemente dargestellt. Die Funktionalität der Website ist aber trotzdem gewährleistet. Wenn Sie diese Website regelmässig benutzen, empfehlen wir Ihnen, auf Ihrem Computer einen aktuellen Browser zu installieren.
 
 
Bundesgericht 
Tribunal fédéral 
Tribunale federale 
Tribunal federal 
 
                 
 
 
1B_608/2019  
 
 
Arrêt du 11 juin 2020  
 
Ire Cour de droit public  
 
Composition 
MM. et Mme les Juges fédéraux Chaix, Président, 
Fonjallaz et Jametti, 
Greffière : Mme Tornay Schaller. 
 
Participants à la procédure 
A.________, 
représenté par Me Olivier Peter, avocat, 
recourant, 
 
contre  
 
Direction de la Prison de Champ-Dollon, 
intimée. 
 
Objet 
Conditions de la détention provisoire; régime alimentaire, 
 
recours contre l'arrêt de la Chambre administrative de la Cour de justice du canton de Genève, 1ère section, du 3 décembre 2019 (ATA/1747/2019 A/3015/2019-PRISON). 
 
 
Faits :  
 
A.   
A.________ a été détenu à la prison genevoise de Champ-Dollon du 30 novembre 2018 au 24 octobre 2019 (rectification d'office: art. 105 al. 2 LTF). 
Le 12 août 2019, A.________ a requis la mise à disposition d'un régime équilibré et intégralement végane. Par courrier du 15 août 2019, la Direction de la prison s'est référée à sa réponse du 22 mai 2019: plusieurs mesures avaient été mises en place afin que le prénommé puisse bénéficier d'un régime alimentaire au plus proche de ses croyances; A.________, qui avait pu rencontrer le chef de cuisine afin de lui apporter certaines informations complémentaires, s'était montré peu collaborant face à la démarche bienveillante de l'établissement; le porte-parole de l'Office cantonal de la détention avait confirmé que les repas végétariens proposés à la prison étaient compatibles avec des repas véganes, hormis deux plats, décrits, que la prison tentait d'adapter dans la mesure de ses moyens; l'intéressé bénéficiait de rations supplémentaires de fruits, légumes, crudités et féculents; par ailleurs, quatorze produits véganes étaient disponibles à l'épicerie de la prison. 
Le 20 août 2019, A.________ a fait valoir qu'il avait des problèmes de santé découlant du caractère inadapté de l'alimentation proposée. Il a sollicité la notification d'une décision relative à sa demande de changement de régime alimentaire formulée le 12 août 2019. 
Le 21 août 2019, A.________ a interjeté recours auprès de la Chambre administrative de la Cour de justice du canton de Genève (ci-après: la Cour de justice) contre la "décision de refus de mise à disposition d'un régime alimentaire végane" prononcée le 15 août 2019. Il a notamment requis une indemnité pour tort moral de 3'000 francs. Par arrêt du 3 décembre 2019, la Cour de justice a déclaré le recours irrecevable, faute de décision attaquable au sens de l'art. 4 de la loi genevoise sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA; RS/GE E 5 10) et faute d'intérêt actuel. 
 
B.   
Agissant par la voie du recours en matière pénale, A.________ demande principalement au Tribunal fédéral d'annuler l'arrêt du 3 décembre 2019, de constater les violations du droit à un recours effectif et de sa liberté de croyance et d'opinion ainsi que de lui octroyer une indemnité de 3'000 francs à titre de tort moral. Il conclut subsidiairement au renvoi de la cause à l'instance précédente pour nouvelle décision au sens des considérants. Il requiert aussi l'assistance judiciaire. 
La Cour de justice s'en rapporte à justice quant à la recevabilité du recours et persiste dans les considérants et le dispositif de son arrêt. La Direction de la prison de Champ-Dollon conclut principalement à l'irrecevabilité du recours et subsidiairement à son rejet. Le recourant a répliqué. 
 
 
Considérant en droit :  
 
1.   
Le recours est dirigé contre une décision d'irrecevabilité prise en dernière instance cantonale; sur le fond, la contestation porte sur les conditions de la détention provisoire, qui font partie des décisions rendues en matière pénale au sens de l'art. 78 al. 1 LTF (arrêt 1B_369/2013 du 26 février 2014 consid. 1, non publié in ATF 140 I 125). Le recours en matière pénale, au sens de l'art. 78 al. 1 LTF, est donc en principe ouvert. Le recourant est directement touché par le prononcé d'irrecevabilité de l'arrêt attaqué et dispose d'un intérêt juridique à en obtenir l'annulation (art. 81 al. 1 LTF). Son recours a en outre été déposé en temps utile (art. 100 al. 1 LTF). 
Le recourant ne saurait prendre des conclusions allant au-delà de l'objet du litige. Or, en l'espèce, les juges cantonaux ont refusé d'entrer en matière sur le recours. Seule la question de la recevabilité du recours cantonal peut donc être portée devant le Tribunal fédéral qui n'a, à ce stade, pas à examiner le fond de la contestation. En cas d'admission du recours, la cause devrait être renvoyée à l'instance précédente pour qu'elle entre en matière sur le recours et statue au fond. Les conclusions tendant à la constatation de la violation de la liberté de croyance et d'opinion et à l'octroi d'une indemnité de 3'000 francs à titre de tort moral sont donc irrecevables. Il en va de même des griefs portant sur la violation de la liberté d'opinion et de croyance. 
 
2.   
Le recourant se plaint d'une appréciation arbitraire des faits pertinents (art. 97 al. 1 LTF) et d'une violation de son droit d'être entendu (art. 29 al. 2 Cst.). 
 
2.1. Le Tribunal fédéral statue en principe sur la base des faits établis par l'autorité précédente (art. 105 al. 1 LTF), sous réserve des cas prévus à l'art. 105 al. 2 LTF (ATF 142 I 155 consid. 4.4.3 p. 156). Le recourant ne peut critiquer les constatations de fait ressortant de la décision attaquée que si celles-ci ont été effectuées en violation du droit au sens de l'art. 95 LTF ou de manière manifestement inexacte, c'est-à-dire arbitraire, et si la correction du vice est susceptible d'influer sur le sort de la cause (art. 97 al. 1 LTF; ATF 142 II 355 consid. 6 p. 358). Conformément à l'art. 106 al. 2 LTF, le recourant doit expliquer de manière circonstanciée en quoi ces conditions seraient réalisées. Les faits et les critiques invoqués de manière appellatoire sont irrecevables (ATF 141 IV 369 consid. 6.3 p. 375).  
 
2.2. En l'occurrence, le recourant reproche à la cour cantonale d'avoir retenu qu'"aucun élément du dossier ne laisse à penser qu'il serait susceptible d'être incarcéré à nouveau". Il explique qu'il a été condamné, le 8 novembre 2019, à une peine privative de liberté ferme de 12 mois, sous déduction des 345 jours passés en détention préventive. Il fait valoir que si l'exécution du solde de la peine est suspendue en raison de l'appel qu'il a déposé contre le jugement de première instance, il existe une décision judiciaire exigeant qu'il soit à nouveau incarcéré pour au moins 20 jours.  
Ce complément de l'état de fait n'est cependant pas susceptible d'avoir une incidence sur l'issue du litige. En effet, la cour cantonale a déclaré le recours irrecevable pour deux motifs, l'absence de décision au sens de l'art. 4 LPA d'une part et le défaut d'intérêt actuel d'autre part. Dès lors que la motivation relative à l'absence de décision doit être confirmée (cf. infra consid. 3.3), ce constat scelle le sort du recours sans qu'il y ait lieu d'examiner les critiques soulevées par le recourant relatives à la motivation complémentaire tirée de l'absence d'intérêt actuel. 
Mal fondé, le grief de l'établissement arbitraire et incomplet des faits doit être rejeté. Pour les mêmes motifs, il en va de même de la critique relative à la violation du droit d'être entendu en lien avec le renseignement donné par l'Office cantonal de la détention - selon lequel le recourant ne serait plus détenu depuis le 8 novembre 2019 -. 
 
3.   
Le recourant soutient que le courrier du 15 août 2019 constitue matériellement une décision au sens de l'art. 4 LPA. Il ne fait cependant pas valoir une application arbitraire du droit cantonal. Il se plaint uniquement d'une violation du droit à un recours effectif (art. 13 CEDH et 30 Cst.). Il soutient que le constat d'irrecevabilité le prive de la possibilité de faire examiner le fond de son recours, à savoir la violation de la liberté de conscience (art. 9 CEDH). 
 
3.1. A teneur de l'art. 4 al. 1 LPA, sont considérées comme des décisions "les mesures individuelles et concrètes prises par l'autorité dans les cas d'espèce, fondées sur le droit public fédéral, cantonal, communal et ayant pour objet de créer, de modifier ou d'annuler des droits ou des obligations (let. a), de constater l'existence, l'inexistence ou l'étendue de droits, d'obligations ou de faits (let. b) ou de rejeter ou de déclarer irrecevables des demandes tendant à créer, modifier, annuler ou constater des droits ou des obligations (let. c) ".  
L'art. 4 LPA définit la notion de décision de la même manière que l'art. 5 al. 1 de la loi fédérale sur la procédure administrative (PA; RS 172.021). La notion de décision implique donc un rapport juridique obligatoire et contraignant entre l'autorité et l'administré (arrêt 1C_471/2019 du 11 février 2020 consid. 3.1 et les références citées). 
En revanche, de simples déclarations, comme des opinions, des communications, des prises de position, des recommandations et des renseignements n'entrent pas dans la catégorie des décisions, faute de caractère juridique contraignant (arrêt 1C_593/2016 du 11 septembre 2017 consid. 2.2; 8C_220/2011 du 2 mars 2012 consid. 4.1.2 in SJ 2013 I 18 consid. 4). Pour déterminer s'il y a ou non décision, il y a lieu de considérer les caractéristiques matérielles de l'acte. Un acte peut ainsi être qualifié de décision (matérielle), si, par son contenu, il en a le caractère, même s'il n'est pas intitulé comme tel et ne présente pas certains éléments formels typiques d'une décision, telle l'indication des voies de droit (arrêt 1C_361/2019 du 7 janvier 2020 consid. 3.1.2 et les arrêts cités). 
 
3.2. En l'espèce, il ressort du courrier de la Direction de la prison du 15 août 2019 que les repas végétariens proposés à la prison sont compatibles avec des repas véganes, hormis deux plats, décrits, que la prison tente d'adapter dans la mesure de ses moyens; l'intéressé bénéficie en outre de rations supplémentaires de fruits, légumes, crudités et féculents; par ailleurs, quatorze produits véganes sont disponibles à l'épicerie de la prison. Ce courrier a ainsi la portée d'une information ou d'un rappel à l'attention de l'intéressé des informations déjà données en mai 2019 relatives aux efforts fournis par l'établissement aux fins de respecter son régime alimentaire végane. Il ne constitue pas un refus de fournir un régime végane au recourant. ll ne crée donc aucun rapport juridique contraignant. Il n'y a pas application, au travers du courrier du 15 août 2019, de normes de droit public. La Cour de justice pouvait dès lors considérer sans arbitraire que ladite communication ne constituait pas une décision sujette à recours au sens de l'art. 4 al. 1 LPA.  
Le recourant semble d'ailleurs en avoir conscience puisqu'il a sollicité, le 20 août 2019, que la prison prononce une décision de "refus de changement de régime alimentaire". 
 
3.3. Quant à la violation alléguée de l'art. 13 CEDH, la Cour européenne des droits de l'homme estime que le grief tiré de l'art. 13 CEDH est absorbé par l'art. 6 par. 1 CEDH (arrêt de la Cour européenne des droits de l'homme,  Tabbane contre Suisse du 1er mars 2016, note 28). Les art. 6 (droit à un procès équitable) et 13 CEDH (droit à un recours effectif) n'offrent en principe pas de protection plus étendue que les art. 29 et 29a Cst., ce que le recourant ne prétend d'ailleurs pas (ATF 130 I 312 consid. 1.1 p. 317; arrêt 2C_684/2015 du 24 février 2017 consid. 6.1 et les arrêts cités).  
Or, les garanties d'accès à la justice ancrées aux art. 29, 29a et 30 Cst. ne s'opposent pas à ce qu'une voie de droit soit assortie des conditions de recevabilité usuelles (ATF 143 I 344 consid. 8.2 p. 351; 136 I 323 consid. 4.3 p. 328). En effet, ces garanties n'empêchent pas l'autorité saisie d'un recours de refuser d'entrer en matière sur celui-ci, lorsqu'il ne satisfait pas aux exigences formelles posées. Le grief tombe donc à faux. 
 
4.   
Il s'ensuit que le recours doit être rejeté. 
Le recours étant d'emblée dénué de chance de succès, la requête d'assistance judiciaire doit être rejetée (art. 64 al. 1 LTF). Il peut toutefois, à titre exceptionnel, être renoncé à la perception de frais judiciaires (art. 66 al. 1 2ème phrase LTF). Il n'est pas alloué de dépens (art. 68 al. 3 LTF). 
 
 
 Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :  
 
1.   
Le recours est rejeté. 
 
2.   
La requête d'assistance judiciaire est rejetée. 
 
3.   
Il n'est pas perçu de frais judiciaires. 
 
4.   
Le présent arrêt est communiqué au mandataire du recourant, à la prison de Champ-Dollon et à la Chambre administrative de la Cour de justice du canton de Genève, 1ère section. 
 
 
Lausanne, le 11 juin 2020 
 
Au nom de la Ire Cour de droit public 
du Tribunal fédéral suisse 
 
Le Président : Chaix 
 
La Greffière : Tornay Schaller