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Bundesgericht 
Tribunal fédéral 
Tribunale federale 
Tribunal federal 
 
                 
 
 
1B_200/2020  
 
 
Arrêt du 16 juin 2020  
 
Ire Cour de droit public  
 
Composition 
MM. les Juges fédéraux Chaix, Président, 
Fonjallaz et Kneubühler. 
Greffier : M. Kurz. 
 
Participants à la procédure 
A.________, 
représenté par Me Cédric Kurth, avocat, 
Etude Saint-Yves, 
recourant, 
 
contre  
 
Ministère public de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy. 
 
Objet 
Détention provisoire, 
 
recours contre l'arrêt de la Cour de justice 
de la République et canton de Genève, 
Chambre pénale de recours, du 22 avril 2020 (ACPR/239/2020 - P/21690/2014). 
 
 
Faits :  
 
A.   
A.________, ressortissant suisse né en 1986, se trouve en détention provisoire à Genève depuis le 8 juillet 2019 sous la prévention de dénonciation calomnieuse, faux dans les certificats et dans les titres, appropriation illégitime, tentative de contrainte, obtention frauduleuse d'une prestation et escroquerie. Il lui est en particulier reproché d'avoir ouvert de très nombreux comptes bancaires sur la base de faux documents, d'avoir touché des prestations indues, allocations d'impotent et remboursements de caisses maladie également grâce à de faux documents. Il fait l'objet d'une condamnation par défaut prononcée en 2013 pour des infractions similaires. Le Tribunal des mesures de contrainte (Tmc) a régulièrement prolongé la détention provisoire, précisant dans une décision du 24 décembre 2019, qu'il y avait lieu de suivre l'évolution de la procédure "notamment quant à la détermination du Ministère public sur les vérifications à l'étranger". Le 2 mars 2020, une procédure relative à une plainte déposée par une assurance maladie a été jointe. Par décision du 24 mars 2020, le Tmc a, à la requête du Ministère public, accordé une nouvelle prolongation de la détention jusqu'au 24 juin 2020, considérant que les risques de fuite, de collusion et de réitération demeuraient et que l'instruction se poursuivait avec diligence. 
 
B.   
Par arrêt du 22 avril 2020, la Chambre pénale de recours de la Cour de justice genevoise a confirmé cette décision, considérant que celle-ci était suffisamment motivée et que l'instruction était menée avec suffisamment de diligence, même si le recourant n'était pas entendu toutes les semaines comme il le désirait. La pandémie de Covid-19 ne justifiait pas une libération. Il existait un risque de collusion, le prévenu ayant déjà déployé des moyens intenses pour entraver l'instruction; il pouvait ainsi tenter d'influencer les trois témoins qui restaient à entendre et bloquer l'instruction par la production de faux documents. Aucune mesure de substitution n'était propre à prévenir ce risque. La durée de la détention provisoire ne dépassait pas celle de la peine susceptible d'être prononcée, compte tenu de la gravité des infractions et de leur nombre. Le Ministère public n'indiquait certes que dans sa réponse au recours les actes d'instruction qui étaient encore envisagés; il s'était aussi dispensé des explications exigées précédemment sur les vérifications à l'étranger. En outre, il avait annulé sans explication l'audience prévue le 1 er avril 2020. Une prolongation de trois mois pouvait néanmoins être accordée pour autant que les trois témoins soient entendus et qu'un rapport de police, même incomplet, soit versé à la procédure pour étayer les charges retenues jusqu'ici.  
 
C.   
A.________ forme un recours en matière pénale par lequel il demande l'annulation de l'arrêt cantonal et le renvoi de la cause à la Chambre pénale de recours afin qu'elle prononce sa mise en liberté immédiate assortie de mesures de substitution, sous suite de frais et d'indemnité, y compris pour les jours de détention exécutés depuis la décision du Tmc. Subsidiairement, il conclut à la réduction des frais de procédure de recours (900 fr.) mis à sa charge. Après avoir tenté en vain de l'obtenir avant le dépôt du recours, il requiert l'octroi de l'assistance judiciaire. 
La cour cantonale se réfère à son arrêt, sans plus d'observations. Le Ministère public conclut à l'irrecevabilité du recours. 
En réplique, le recourant reprend les allégués de son recours et en conteste le caractère appellatoire. Il relève que l'infraction de dénonciation calomnieuse n'a fait l'objet d'aucune plainte et que les autres infractions ne seraient pas d'une gravité suffisante pour justifier son maintien en détention. 
 
 
Considérant en droit :  
 
1.   
Le recours en matière pénale (art. 78 al. 1 LTF) est ouvert contre une décision relative à la détention provisoire au sens des art. 212 ss CPP. Selon l'art. 81 al. 1 let. a et b ch. 1 LTF, le recourant, prévenu détenu, a qualité pour recourir. Le recours a été formé en temps utile (art. 100 al. 1 LTF) contre une décision rendue par une autorité statuant en tant que dernière instance cantonale (art. 80 LTF) et les conclusions présentées sont recevables au regard de l'art. 107 al. 2 LTF
 
1.1. La motivation du recours, exigée par l'art. 42 al. 1 LTF, doit exposer succinctement en quoi la décision attaquée viole le droit (art. 42 al. 2 LTF). Selon la jurisprudence, pour répondre à cette exigence, la partie recourante est tenue de discuter au moins sommairement les considérants de l'arrêt entrepris (ATF 140 III 86 consid. 2 p. 88 ss et 115 consid. 2 p. 116 s.; 134 II 244 consid. 2.1 p. 245 s.); en particulier, la motivation doit être topique, c'est-à-dire se rapporter à la question juridique tranchée par l'autorité cantonale (ATF 123 V 335; arrêt 6B_970/2017 du 17 octobre 2017 consid. 4).42 LTF  
 
1.2. Le recourant consacre les douze premières pages de son recours à un rappel des faits, des décisions intervenues et des motifs invoqués par les parties et les instances précédentes. Cela ne constitue pas une motivation suffisante. Dans les pages qui suivent, le recourant se plaint de ce que la demande de prolongation soumise au Tmc ne mentionnait pas la nécessité d'entendre trois témoins et d'obtenir une analyse de la brigade financière, le résultat des ordres de dépôt ainsi qu'un rapport de la brigade de criminalité informatique. La cour cantonale n'a pas manqué de relever que les actes d'instruction n'étaient pas mentionnés dans la demande de prolongation de la détention, mais seulement dans la réponse au recours, ce qui n'était pas admissible. Il n'en demeure pas moins que les motifs de la demande de prolongation ressortaient à tout le moins du dossier soumis à la cour cantonale et ont été portés à connaissance du recourant. Celui-ci n'indique pas en quoi il y aurait violation du droit (notamment du droit d'être entendu) sur ce point.  
Ce n'est que dans les deux ultimes pages de son écriture que le recourant conteste l'existence d'un risque de collusion en relevant que les notaires et les médecins encore appelés à déposer ne seraient pas susceptibles d'être influencés. Les auditions en question n'auraient d'ailleurs rien apporté. Par ailleurs, les locaux du recourant ont déjà été perquisitionnés et son matériel informatique a été saisi. Le recourant conteste également lapidairement l'existence de risques de fuite et de réitération, mais ceux-ci n'ont pas été examinés dans l'arrêt attaqué. Enfin, le recourant se plaint d'une violation du principe de célérité, mais sans détailler aucunement ce grief, ce qui le rend également irrecevable. Le recourant conclut subsidiairement à une réduction du montant des frais de la procédure de recours, mais ne soulève aucune motivation à l'appui de cette conclusion. Il n'y a donc pas lieu d'entrer en matière sur ce point également. 
En définitive, seule l'existence d'un risque de collusion paraît faire l'objet d'une motivation suffisante, de sorte qu'il y a lieu d'entrer en matière sur ce point. 
 
2.   
Une mesure de détention provisoire n'est compatible avec la liberté personnelle garantie aux art. 10 al. 2 Cst. et 5 CEDH que si elle repose sur une base légale (art. 31 al. 1 et art. 36 al. 1 Cst.), soit en l'espèce l'art. 221 CPP. Elle doit en outre correspondre à un intérêt public et respecter le principe de la proportionnalité (art. 36 al. 2 et 3 Cst.). Pour que tel soit le cas, la privation de liberté doit être justifiée par un risque de fuite ou par un danger de collusion ou de réitération (art. 221 al. 1 let. a, b et c CPP). Préalablement à ces conditions, il doit exister des charges suffisantes, soit de sérieux soupçons de culpabilité, à l'égard de l'intéressé (art. 221 al. 1 CPP). 
 
2.1. Pour retenir l'existence d'un risque de collusion au sens de l'art. 221 al. 1 let. b CPP, l'autorité doit démontrer que les circonstances particulières du cas d'espèce font apparaître un danger concret et sérieux de manoeuvres propres à entraver la manifestation de la vérité, en indiquant, au moins dans les grandes lignes et sous réserve des opérations à conserver secrètes, quels actes d'instruction elle doit encore effectuer et en quoi la libération du prévenu en compromettrait l'accomplissement. Dans cet examen, entrent en ligne de compte les caractéristiques personnelles du détenu, son rôle dans l'infraction ainsi que ses relations avec les personnes qui l'accusent. Entrent aussi en considération la nature et l'importance des déclarations, respectivement des moyens de preuves susceptibles d'être menacés, la gravité des infractions en cause et le stade de la procédure (ATF 137 IV 122 consid. 4.2 p. 127 s.; 132 I 21 consid. 3.2 p. 23 s. et les références citées). Plus l'instruction se trouve à un stade avancé et les faits sont établis avec précision, plus les exigences relatives à la preuve de l'existence d'un risque de collusion sont élevées (ATF 137 IV 122 consid. 4.2 p. 128; 132 I 21 consid. 3.2.2 p. 24).  
 
2.2. Outre les infractions de dénonciation calomnieuse à l'égard du propriétaire de son logement et du Procureur général notamment, poursuivies d'office, le recourant se voit reprocher de très nombreuses falsifications de documents - y compris quant à sa propre identité -, dans le but d'obtenir toutes sortes de prestations indues. Le rapport d'expertise psychiatrique établi en 2010 relève une tendance à la manipulation et au mensonge pouvant aller jusqu'à la mythomanie. Cette tendance à la falsification s'étend d'ailleurs aux autorités de poursuite et aux instances judiciaires appelées à statuer à son sujet. En particulier, le recourant a produit des certificats médicaux destinés à tromper les autorités judiciaires qui lui adressaient des citations à comparaître, faisant état d'hospitalisations à l'étranger ou constituant des certificats médicaux de complaisance; le recourant a été jusqu'à produire un faux certificat de décès afin de se soustraire à une procédure devant le Tribunal de police, ainsi qu'un faux certificat devant le Tribunal des baux. Il a également dérobé un dossier pénal original qu'il était venu consulter auprès de la Cour de justice. Par ailleurs, l'arrêt attaqué fait état d'une tendance du recourant à multiplier les démarches destinées à compliquer, voire à bloquer l'instruction, en refusant notamment systématiquement la levée du secret médical des témoins et de l'expert.  
Même s'il ne l'a fait qu'au stade de la procédure de recours cantonale, le Ministère public a finalement détaillé les actes d'instruction qu'il entendait réaliser durant la prolongation requise de la détention. Il s'agit de l'audition d'un médecin (sous réserve de la levée de son secret médical) et de notaires, ainsi que de l'expert psychiatre (dès le dépôt de son rapport). Les rapports des Brigades financière et informatique étaient aussi attendus. Comme le relève la cour cantonale, on conçoit difficilement que le recourant influence directement les déclarations du médecin et des notaires. Toutefois, il est possible qu'il tente de brouiller leurs souvenirs d'une manière ou d'une autre, et surtout qu'il essaie à nouveau de ralentir ou de bloquer l'instruction en créant des faux documents dans le but de contredire les charges accumulées contre lui, ce qui nécessiterait sans cesse de nouvelles mesures d'instruction. 
Compte tenu des pratiques du recourant sortant de l'ordinaire, il y a lieu d'admettre dans ces circonstances particulières un risque de collusion concret et élevé à ce stade de la procédure. 
 
3.   
Le recourant évoque enfin le principe de la proportionnalité en relevant que les faits qui lui sont reprochés ne sont pas des actes de violence, qu'il se trouve en détention depuis onze mois et que l'enquête ne respecterait pas le principe de célérité, le Ministère public refusant de l'entendre plus d'une fois par mois et ayant annulé une audience sans raison. A supposer qu'il soit suffisamment motivé, le grief devrait être écarté. 
 
3.1. Le principe de proportionnalité impose d'examiner les possibilités de mettre en oeuvre d'autres solutions moins dommageables que la détention (règle de la nécessité; cf. art. 36 Cst. et 212 al. 2 let. c CPP). Cette exigence est concrétisée par l'art. 237 al. 1 CPP, qui prévoit que le tribunal compétent ordonne une ou plusieurs mesures moins sévères en lieu et place de la détention si ces mesures permettent d'atteindre le même but que la détention. Par ailleurs, en vertu des art. 31 al. 3 Cst. et 5 par. 3 CEDH, toute personne qui est mise en détention provisoire a le droit d'être jugée dans un délai raisonnable ou d'être libérée pendant la procédure pénale. L'art. 212 al. 3 CPP prévoit en particulier que la détention provisoire ne doit pas durer plus longtemps que la peine privative de liberté prévisible.  
 
3.2. Le recourant préconise des mesures de substitution, sans toutefois en indiquer la nature. Il apparaît que le risque de perturber ou de bloquer l'instruction, notamment par la création de faux documents, n'est pas susceptible d'être prévenu par l'une des mesures prévues à l'art. 237 al. 2 CPP. Compte tenu du nombre et de la gravité des infractions (y compris celle de dénonciation calomnieuse) commises sur plus d'une décennie, ainsi que des antécédents du recourant, la durée de la détention déjà subie ne se rapproche pas encore de celle d'une éventuelle peine privative de liberté qui pourrait être prononcée. L'instruction n'a pas connu de retard inadmissible, même si le recourant n'a pas été entendu aussi souvent qu'il le souhaiterait. La cour cantonale n'a d'ailleurs pas méconnu le principe de proportionnalité puisqu'elle a, à juste titre, limité la prolongation de la détention à trois mois et soumis une nouvelle demande de prolongation à des conditions précises.  
 
4.   
Sur le vu de ce qui précède, le recours est rejeté, dans la mesure où il est recevable. Le recourant a demandé l'octroi de l'assistance judiciaire. Les conditions y relatives étant réunies, cette requête doit être admise. Il y a donc lieu de désigner Me Cédric Kurth en tant qu'avocat d'office du recourant et de lui allouer une indemnité à titre d'honoraires, qui seront supportés par la caisse du Tribunal fédéral. Il n'est pas perçu de frais judiciaires (art. 64 al. 1 LTF). 
 
 
 Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :  
 
1.   
Le recours est rejeté dans la mesure où il est recevable. 
 
2.   
La demande d'assistance judiciaire est admise; Me Cédric Kurth est désigné comme avocat d'office du recourant et une indemnité de 1500 fr. lui est allouée à titre d'honoraires, à payer par la caisse du Tribunal fédéral. Il n'est pas perçu de frais judiciaires. 
 
3.   
Le présent arrêt est communiqué au mandataire du recourant, au Ministère public de la République et canton de Genève et à la Cour de justice de la République et canton de Genève, Chambre pénale de recours. 
 
 
Lausanne, le 16 juin 2020 
Au nom de la Ire Cour de droit public 
du Tribunal fédéral suisse 
 
Le Président : Chaix 
 
Le Greffier : Kurz