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Bundesgericht 
Tribunal fédéral 
Tribunale federale 
Tribunal federal 
 
 
 
 
1B_203/2021  
 
 
Arrêt du 19 juillet 2021  
 
Ire Cour de droit public  
 
Composition 
MM. les Juges fédéraux Kneubühler, Président, 
Chaix et Merz. 
Greffière : Mme Tornay Schaller. 
 
Participants à la procédure 
A.________, 
représenté par Me Jonathan Cohen, avocat, 
recourant, 
 
contre  
 
Ministère public d u canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy. 
 
Objet 
Procédure pénale; disjonction de procédures, 
 
recours contre l'arrêt de la Cour de justice du canton de Genève, Chambre pénale de recours, du 19 mars 2021 (ACPR/185/2021 - P/22383/2018). 
 
 
Faits :  
 
A.  
En novembre 2018, le Ministère public du canton de Genève (ci-après: le Ministère public) a ouvert une procédure pénale contre A.________ pour infractions à la loi fédérale du 3 octobre 1951 sur les stupéfiants et les substances psychotropes (LStup; RS 812.121), sous la référence P_1. Il lui est notamment reproché d'avoir participé à un trafic de stupéfiants et d'avoir vendu 75 grammes d'héroïne à un policier en civil et détenu une quantité de 30.5 grammes d'héroïne prête à être vendue. Il est aussi soupçonné d'une infraction à l'art. 285 al. 1 ch. 1 CP pour avoir asséné un coup de poing sur la tempe droite de l'inspecteur de police B.________ le 5 novembre 2018, alors que les policiers s'étaient annoncés et voulaient procéder à son interpellation dans le parc de V.________ (avant de prendre la fuite, obligeant les policiers à se mettre à sa poursuite). 
 
Lors de son audition par le Ministère public le 6 novembre 2018, A.________ a déposé plainte pénale contre la police, au motif qu'il avait été volontairement heurté par une voiture de police lors de sa fuite, puis frappé à plusieurs reprises par les policiers, une fois menotté, avant et pendant son transport dans le véhicule puis dans un appartement dans lequel il aurait été conduit avant d'être emmené au poste de police. 
 
Cette plainte a entraîné l'ouverture de la procédure P/22383/2018, transmise à l'Inspection générale des services (IGS) pour complément d'enquête (art. 309 al. 2 CPP). L'IGS a rendu son rapport le 3 mars 2020 après avoir entendu 12 policiers, soit 2 en qualité de prévenus et 10 en qualité de personnes appelées à donner des renseignements. Entendu par l'IGS, B.________ a admis que lui et ses collègues n'avaient pas été directement au poste de police mais s'étaient d'abord rendu avec A.________ dans un appartement sis à l'avenue X à T.________. La mention selon laquelle A.________ aurait été emmené dans un appartement ne figurait pas dans le rapport d'arrestation du 5 novembre 2018. L'Inspection générale des services a constaté que A.________ avait été conduit dans un logement à T.________, sur lequel une observation policière avait été préalablement mise en place; sur place, les policiers avaient perquisitionné ce logement et procédé à l'arrestation de ses deux occupants. Dans son rapport, l'IGS a mis en évidence des irr égularités liées à la perquisition de l'appartement dans lequel A.________ avait été emmené: alors qu'elle avait été dans un premier temps ordonnée en lien avec l'arrestation de A.________, cette perquisition avait été traitée dans le cadre d'une procédure distincte, la procédure P_2 dirigée contre les occupants de l'appartement. 
 
Dans le cadre de la procédure P/22383/2018, les 10 mars et 13 octobre 2020, le Ministère public a mis en prévention notamment trois policiers pour abus d'autorité, lésions corporelles simples et faux dans les titres commis dans l'exercice de fonctions publiques. Il était précisé à cet égard que l'instruction porterait sur les circonstances de la perquisition d'un appartement à T.________ ainsi que sur le contenu, en rapport avec cette perquisition, du rapport d'arrestation de A.________ du 5 novembre 2018, du rapport d'arrestation des occupants de l'appartement de T.________ et de l'autorisation de perquisition signée par un occupant de l'appartement le 5 novembre 2018. 
 
Le 13 octobre 2020, le Ministère public a rendu un avis de prochaine clôture dans ladite procédure et a informé les parties qu'une ordonnance de classement partiel serait rendue s'agissant des mauvais traitements dont A.________ affirmait avoir fait l'objet. Il leur a imparti un délai au 13 novembre 2020 pour présenter leurs éventuelles réquisitions de preuves. Dans ce délai, A.________ a sollicité l'audition contradictoire de l'auteur du rapport de l'IGS, des trois prévenus, de l'auteur du rapport d'expertise relatif à ses lésions traumatiques et de l'interprète lors de son audition devant la police. 
 
B.  
Par ordonnance du 14 janvier 2021, le Ministère public a disjoint de la procédure P/22383/2018 les faits en lien avec les aspects formels liés à la perquisition de l'appartement de T.________, désormais instruits sous le numéro de référence P_3. Il a considéré que A.________ n'avait pas déposé plainte en relation avec la perquisition de l'appartement précité et qu'il n'était pas lésé par les éventuelles infractions commises en relation avec cette perquisition. 
 
Par arrêt du 19 mars 2021, la Chambre pénale de recours de la Cour de justice du canton de Genève (ci-après: la Cour de justice) a rejeté le recours interjeté contre l'ordonnance du 14 janvier 2021 par le prévenu. 
 
C.  
Agissant par la voie du recours en matière pénale, A.________ demande principalement au Tribunal fédéral d'annuler l'arrêt du 19 mars 2021 et de le réformer en ce sens que l'ordonnance de disjonction du 14 janvier 2021 est annulée et que l'ensemble des faits objet de la procédure P/22383/2018 continueront d'être instruits sous une seule et même cause. Il conclut subsidiairement au renvoi de la cause à l'instance précédente pour nouvelle décision au sens des considérants. Il requiert aussi l'assistance judiciaire. 
 
La Cour de justice renonce à se déterminer. Le Ministère public conclut au rejet du recours. Le recourant a répliqué par courrier du 2 juin 2021. 
 
D.  
Par ordonnance du 10 mai 2021, le Juge présidant de la Ire Cour de droit public a admis la requête d'effet suspensif, présentée par le recourant. 
 
 
Considérant en droit :  
 
1.  
La voie du recours en matière pénale (art. 78 al. 1 LTF) est ouverte contre une décision prise en dernière instance cantonale (art. 80 al. 1 LTF) qui confirme la disjonction de procédures pénales. Le recourant a participé à la procédure de recours cantonale et a un intérêt juridiquement protégé à obtenir l'annulation de la décision attaquée (art. 81 al. 1 let. a et b ch. 1 LTF). Le recours a en outre été déposé en temps utile (art. 100 al. 1 LTF). 
 
1.1. La décision attaquée ne met pas fin à la procédure pénale et revêt un caractère incident. S'agissant d'une décision qui n'entre pas dans le champ d'application de l'art. 92 LTF, elle ne peut faire l'objet d'un recours en matière pénale au Tribunal fédéral que si elle est susceptible de causer un préjudice irréparable (art. 93 al. 1 let. a LTF) ou si l'admission du recours peut conduire immédiatement à une décision finale qui permet d'éviter une procédure probatoire longue et coûteuse (art. 93 al. 1 let. b LTF). Cette dernière hypothèse n'entre pas en considération en l'espèce. Quant à l'art. 93 al. 1 let. a LTF, il suppose, en matière pénale, que le recourant soit exposé à un dommage de nature juridique, qui ne puisse pas être réparé ultérieurement par un jugement final ou une autre décision qui lui serait favorable (ATF 143 IV 175 consid. 2.3). Il incombe au recourant d'alléguer et d'établir la possibilité que la décision incidente lui cause un tel dommage, à moins que celui-ci ne fasse d'emblée aucun doute (ATF 141 IV 284 consid. 2.3).  
 
Lorsque la disjonction des procédures peut entraîner d'importants inconvénients procéduraux (perte de la qualité de partie) et eu égard à la pratique du Tribunal fédéral en lien avec l'art. 93 al. 1 let. a LTF, il convient, non pas de renvoyer le prévenu en cas de disjonction (respectivement de refus de joindre des causes) à la procédure de recours contre la décision finale, mais d'admettre en principe l'existence d'un préjudice irréparable au sens de cette disposition (arrêt 1B_524/2020 du 28 décembre 2020 consid. 1.3, destiné à publication). 
 
1.2. La question de savoir si la perte des droits de partie dans le cas concret peut effectivement avoir un préjudice irréparable sur la partie concernée ou, exceptionnellement, s'il n'y a pas de menace de préjudice irréparable, est une question importante tant pour la recevabilité du recours que pour le fond. Ces faits dits à double pertinence sont en principe examinés dans le cadre du fond de l'affaire. Pour la recevabilité, il suffit qu'ils soient allégués de manière concluante ou avec une certaine vraisemblance (arrêt 1B_524/2020 du 28 décembre 2020 consid. 1.4, destiné à publication). Tel est le cas en l'espèce puisque le recourant expose qu'il se verrait privé de la faculté d'exercer ses droits de partie dans le cadre de la nouvelle procédure disjointe dès lors que le Ministère public semble estimer qu'il ne revêt pas la qualité de partie plaignante en ce qui concerne ces faits. La condition de l'art. 93 al. 1 let. a LTF est ainsi remplie.  
 
2.  
Le recourant soutient que la disjonction des procédures ne repose sur aucun motif objectif propre à justifier une dérogation au principe de l'unité de la procédure. Il se plaint d'une violation de l'art. 13 CEDH et des art. 29 et 30 CPP
 
2.1. Conformément à l'art. 13 CEDH, toute personne dont les droits et libertés reconnus dans cette convention ont été violés, a droit à l'octroi d'un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l'exercice de leurs fonctions officielles.  
Aux termes de l'art. 29 al. 1 let. b CPP, les infractions sont notamment poursuivies et jugées conjointement lorsqu'il y a plusieurs coauteurs ou participation. Le principe de l'unité de la procédure tend à éviter les jugements contradictoires et sert l'économie de la procédure (ATF 138 IV 214 consid. 3.2; 138 IV 29 consid. 3.2). 
 
Selon l'art. 30 CPP, la disjonction peut être ordonnée si des raisons objectives le justifient. Elle doit rester l'exception (ATF 144 IV 97 consid. 3.3). Elle doit avant tout servir à garantir la rapidité de la procédure et à éviter un retard inutile (ATF 138 IV 214 consid. 3.2). Des procédures pourront être disjointes, par exemple, lorsque plusieurs faits sont reprochés à un auteur et que seule une partie de ceux-ci sont en état d'être jugés, la prescription s'approchant (ATF 138 IV 214 consid. 3.2). Des raisons d'organisation des autorités de poursuite pénale ne suffisent pas (ATF 138 IV 214 consid. 3.2). 
 
2.2. En l'espèce, la Cour de justice a considéré que quand bien même la perquisition de l'appartement avait fait suite à l'interpellation du recourant, les faits reprochés aux policiers ne s'inscrivaient pas dans le même complexe de faits. Elle a estimé que le fait que le recourant avait été apparemment amené dans l'appartement susvisé - où il dit avoir subi des violences policières - ne faisait pas de lui un lésé direct sous l'angle de l'art. 317 CP, dite infraction tendant à préserver la confiance des citoyens dans l'exactitude d'un titre, le crédit spécial dont jouissent les actes officiels de l'Etat ainsi que l'intérêt de ce dernier à une gestion fiable par ses fonctionnaires.  
 
La cour cantonale a ajouté que le fait que cette infraction avait été révélée dans le cadre d'un rapport de l'IGS à la suite de la plainte du recourant pour maltraitances policières n'y changeait rien, tout comme le fait que l'infraction de faux dans les titres accréditerait ses accusations s'agissant des violences subies. 
 
Pour l'instance précédente, la décision de la disjonction se justifiait d'autant plus que l'instruction de la procédure diligentée à la suite de la plainte du recourant semblait terminée, le Ministère public ayant rendu un avis de prochaine clôture. Enfin, les juges cantonaux ont relevé que la disjonction ordonnée n'était pas de nature à entraver l'éventuelle exécution des actes d'instruction sollicités par le recourant, qui portaient exclusivement sur les violences policières dénoncées et non pas sur le volet de l'enquête consacré à la perquisition de l'appartement. 
 
2.3. Pour le recourant au contraire, les faits reprochés aux policiers seraient indissociables et s'inscriraient dans le contexte d'une seule et même opération de police (soit son exécution sur le terrain et son traitement administratif) menée au cours de la même journée du 5 novembre 2018; les auteurs et éventuels témoins seraient identiques; les circonstances de l'interpellation du recourant, celles de la perquisition de l'appartement ainsi que le contenu des rapports y relatifs seraient intrinsèquement liés. Le recourant prétend que d'éventuelles irrégularités dans le traitement administratif de l'opération policière auraient pu avoir pour but de cacher le véritable déroulement des faits sur le terrain. Il soutient que le contenu des rapports d'arrestation aurait un impact direct sur l'enquête portant sur les mauvais traitements qu'il dénonce puisqu'il est établi que le rapport d'arrestation tait des faits importants, ce qui le léserait.  
 
Ces éléments sont toutefois insuffisants à rendre la disjonction des procédures contraire à l'art. 30 CPP dans la mesure où les éléments de fait mis en évidence par l'enquête de l'IGS seront dûment examinés en lien avec les mauvais traitements dont se plaint le recourant. S'ajoute à cela que l'art. 30 CPP est une norme potestative qui laisse un pouvoir d'appréciation au ministère public, pour autant que cette appréciation soit fondée sur des raisons objectives. Or en l'occurrence, la disjonction repose sur une raison objective: elle vise à permettre une instruction rapide et complète de la plainte du recourant. En effet, l'instruction de la procédure diligentée à la suite de la plainte du recourant pour violences policières semble terminée, le Ministère public ayant rendu un avis de prochaine clôture le 13 octobre 2020 et ayant informé les parties qu'une ordonnance de classement partiel serait rendue s'agissant des mauvais traitements dont le recourant affirme avoir fait l'objet. Cette procédure n'a pas à être ralentie par les actes rendus nécessaires par la découverte des informalités affectant la perquisition de l'appartement susmentionné. 
 
Le recourant soutient enfin qu'il peut être lésé par une éventuelle infraction à l'art. 317 CP: en tant que personne concernée par le rapport d'arrestation, il serait directement lésé par d'éventuelles inexactitudes dans le contenu de ce rapport; en tant que justiciable ayant fait l'objet d'une arrestation, il figurerait au premier rang des citoyens dont la confiance dans l'exactitude d'un titre est protégée par l'art. 317 CP. Le recourant ne peut toutefois être qualifié de lésé au sens de l'art. 115 CPP par les éventuelles irrégularités liées à la perquisition de l'appartement. En effet, on entend par lésé au sens de l'art. 115 al. 1 CPP toute personne dont les droits ont été touchés directement par une infraction. Lorsque l'infraction protège en première ligne l'intérêt collectif, les particuliers ne sont considérés comme lésés que s'ils sont atteints dans leurs droits par l'infraction décrite et que cette atteinte est la conséquence directe du comportement répréhensible (ATF 145 IV 491 consid. 2.3.1 et l'arrêt cité). Pour être directement touché, le lésé doit ainsi subir une atteinte en rapport de causalité directe avec l'infraction poursuivie (ATF 141 IV 454 consid. 2.3.1; arrêt 1B_446/2020 du 27 avril 2021 consid. 3.1 destiné à publication et les arrêts cités). 
 
Or en l'espèce, les droits du recourant n'ont pas été touchés directement par l'infraction de l'art. 317 CP (faux dans les titres commis dans l'exercice de fonctions publiques). Le recourant ne démontre pas le lien de causalité entre l'atteinte subie (mauvais traitements opérés par des policiers) et l'infraction de l'art. 317 CP
 
Par conséquent, la Cour de justice n'a pas violé les art. 29 et 30 CPP ainsi que l'art. 13 CEDH en confirmant la disjonction litigieuse des procédures pénales. 
 
3.  
Il s'ensuit que le recours est rejeté. 
 
Le recourant a demandé l'octroi de l'assistance judiciaire (art. 64 al. 1 LTF). Comme le recourant est dans le besoin et que le recours n'était pas d'emblée dénué de chances de succès, cette requête doit être admise. Il y a lieu de désigner Me Jonathan Cohen en tant qu'avocat d'office du recourant et de lui allouer une indemnité à titre d'honoraires, qui seront supportés par la caisse du Tribunal fédéral. Il n'est pas perçu de frais judiciaires (art. 64 al. 1 LTF), ni alloué de dépens (art. 68 al. 3 LTF). 
 
 
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :  
 
1.  
Le recours est rejeté. 
 
2.  
La requête d'assistance judiciaire est admise. Me Jonathan Cohen est désigné comme avocat d'office du recourant et une indemnité de 1'500 fr. lui est allouée à titre d'honoraires, à payer par la caisse du Tribunal fédéral. 
 
3.  
Il n'est pas perçu de frais judiciaires. 
 
4.  
Le présent arrêt est communiqué au mandataire du recourant, au Ministère public du canton de Genève et à la Cour de justice du canton de Genève, Chambre pénale de recours. 
 
 
Lausanne, le 19 juillet 2021 
 
Au nom de la Ire Cour de droit public 
du Tribunal fédéral suisse 
 
Le Président : Kneubühler 
 
La Greffière : Tornay Schaller