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Bundesgericht 
Tribunal fédéral 
Tribunale federale 
Tribunal federal 
 
                 
 
 
4A_321/2020  
 
 
Arrêt du 26 novembre 2020  
 
Ire Cour de droit civil  
 
Composition 
Mmes les Juges fédérales 
Kiss, présidente, Niquille et May Canellas. 
Greffière: Monti. 
 
Participants à la procédure 
1. A1.________, 
2. A3.________, 
3. A4.________, 
représentées par Me Xavier-Romain Rahm, 
recourantes, 
 
contre  
 
Z.________ SA, 
représentée par Me Philippe Rossy, 
intimée. 
 
Objet 
contrat d'entreprise; prescription, 
 
recours contre l'arrêt rendu le 11 mai 2020 par la Cour d'appel civile du Tribunal cantonal du canton de Vaud 
(n° 172; PT16.019507-190725). 
 
 
Faits :  
 
A.  
 
A.a. A1.________ et son époux A2.________ ont fait ériger un chalet sur une parcelle dont le second nommé était propriétaire dans la commune vaudoise de xxx. Le 4 mai 2000, ils ont conclu avec la société Z.________ SA (ci-après: l'entreprise de menuiserie, ou l'entreprise) un contrat portant sur des travaux de menuiserie au niveau de l'aménagement intérieur dudit chalet. Ces travaux se sont achevés à la mi-décembre 2000. La facture finale établie par l'entreprise le 22 février 2001 recensait quatre catégories principales de travaux ("revêtement bois, portes", "armoires", "agencement de salles de bains" et "agencement du bureau"). Elle s'élevait à 140'738 fr. 10, montant qui a été payé.  
 
A.b. Le 26 décembre 2006, ce chalet - qui était devenu le domicile principal des époux - a été détruit par un incendie. Seul le sous-bassement en béton armé ainsi qu'une ou deux portes ont pu être récupérés.  
 
A.c. En 2007, aux fins de reconstruire leur chalet, A1.________ et A2.________ ont fait appel à l'architecte qui avait dirigé le premier chantier. L'intéressé a repris contact avec l'entreprise de menuiserie qui avait donné satisfaction et lui a confié les travaux relatifs à l'aménagement intérieur en bois.  
Les travaux ont débuté en 2007. L'entreprise de menuiserie est intervenue quelque six à huit mois après l'ouverture du chantier, qui a tout d'abord été consacré à la pose de la charpente. Elle s'est fondée sur les plans de construction du chalet réalisé en 2000, mais a dû tenir compte des modifications requises par le couple; elle a en particulier dû créer une lucarne et une salle de bains ne figurant pas sur les plans en question. Les portes ont en outre dû être mises aux normes anti-feu. Les ouvrages commandés auprès d'elle ont été créés sur mesure, selon des plans spécifiques et des besoins établis pour le chalet du couple. 
Les travaux de reconstruction ont pris fin en 2008. Le nouveau chalet avait une surface de 448 m² et un volume de 1354 m³. 
 
A.d. Entre décembre 2007 et juin 2008, le couple a versé 130'000 fr. à l'entreprise de menuiserie. Un litige a surgi lorsque celle-ci leur a adressé, par courrier du 12 novembre 2012, une facture finale de 214'314 fr. 50 (TVA incluse), laissant subsister un solde de 84'314 fr. 50 après déduction des acomptes de 130'000 fr. Le 15 juillet 2013, l'entreprise a établi une facture rectifiée ascendant à 202'438 fr. 60 (le solde dû étant ainsi de 72'438 fr. 60). A une date inconnue, elle a encore modifié ce total pour le porter à 202'514 fr. 50. Le solde impayé s'élevait dès lors à 72'514 fr. 50. Le couple a refusé tout paiement supplémentaire, nonobstant divers rappels et sommations.  
A la requête de l'entreprise de menuiserie, l'office des poursuites a notifié à chaque époux, le 31 août 2015, un commandement de payer la somme de 76'514 fr. 50 (incluant 4'000 fr. pour les frais d'intervention d 'un agent d'affaires). Les deux poursuivis ont signifié leur opposition totale. 
 
B.  
 
B.a. Le 3 novembre 2015, l'entreprise de menuiserie a assigné les époux A.________ en conciliation devant le Tribunal civil de l'arrondissement de l'Est vaudois. Elle a ensuite déposé une demande le 27 avril 2016, à l'issue de laquelle elle concluait à ce que les défendeurs soient condamnés solidairement à lui verser 77'174 fr. 30 (dont 4'659 fr. 80 pour les honoraires définitifs de l'agent d'affaires) et à la mainlevée définitive des oppositions formées dans les poursuites en cours.  
Dans leur réponse, les défendeurs ont excipé de la prescription et ont conclu au rejet intégral de la demande. 
Un expert judiciaire a été mandaté; il a attesté de la qualité et de la bienfacture des réalisations de l'entreprise de menuiserie, confirmé qu'elle avait agi dans les règles de l'art et conclu qu'elle pouvait facturer 202'438 fr. 60 pour ses travaux. 
Plusieurs témoins ont été entendus, dont l'architecte directeur des travaux. 
Par jugement du 19 décembre 2018, le Tribunal d'arrondissement a rejeté l'exception de prescription et dit que les époux défendeurs devaient solidairement payer à l'entreprise demanderesse la somme de 74'497 fr. 70, intérêts en sus (soit un solde impayé de 72'514 fr. 50 pour les travaux de menuiserie, plus 1'983 fr. 20 pour les frais de défense avant procès). Le Tribunal a en outre prononcé la mainlevée définitive des oppositions formées dans les poursuites en cours. 
 
B.b. Les défendeurs ont interjeté appel au Tribunal cantonal vaudois.  
A2.________ est décédé le 20 septembre 2019. Consécutivement, le juge délégué a suspendu le procès. Il a ultérieurement informé les parties que les trois héritières du défunt lui étaient substituées (soit son épouse A1.________ et ses deux filles A3.________ et A4.________); la procédure pouvait ainsi reprendre. 
Par arrêt du 11 mai 2020, le tribunal supérieur a très partiellement admis l'appel et réformé le jugement attaqué en ce sens que les trois défenderesses précitées devaient solidairement payer à l'entreprise demanderesse la somme de 74'421 fr. 80, intérêts en sus (soit un solde impayé de 72'438 fr. 60 pour des travaux chiffrés à 202'438 fr. 60 selon l'expert, plus 1'983 fr. 20 pour les frais de défense avant procès). Les motifs de cette décision seront évoqués dans les considérants du présent arrêt dans la mesure nécessaire à la discussion des griefs. 
 
C.   
Les trois défenderesses ont saisi le Tribunal fédéral d'un recours en matière civile à l'issue duquel elles ont conclu au rejet de la demande intentée par l'entreprise de menuiserie. 
Par ordonnance présidentielle du 2 juillet 2020, il a été fait droit à leur requête d'effet suspensif, à défaut d'opposition émanant de l'autorité précédente ou de l'intimée. 
Sur le fond, l'autorité d'appel s'est référée à son arrêt, tandis que l'intimée a requis le rejet du recours. 
 
 
Considérant en droit :  
 
1.   
Les conditions de recevabilité du recours en matière civile sont réalisées sur le principe, notamment celles afférentes à la valeur litigieuse minimale de 30'000 fr. (art. 74 al. 1 let. b LTF) et au délai de recours (art. 100 al. 1 LTF). 
 
2.  
 
2.1. Le recours peut être formé pour violation du droit fédéral (art. 95 let. a LTF). Le Tribunal fédéral applique le droit d'office (art. 106 al. 1 LTF). Eu égard, toutefois, à l'exigence de motivation qu'impose l'art. 42 al. 2 LTF, sous peine d'irrecevabilité (art. 108 al. 1 let. b LTF), il n'examine d'ordinaire que les griefs invoqués, sauf en cas d'erreurs juridiques manifestes (ATF 140 III 115 consid. 2 p. 116). Une exigence de motivation accrue prévaut pour la violation des droits constitutionnels tels que la prohibition de l'arbitraire (art. 9 Cst.). Conformément au principe d'allégation (art. 106 al. 2 LTF), le recourant doit indiquer quel droit constitutionnel a été violé, en expliquant de façon circonstanciée en quoi consiste la violation (ATF 134 II 244 consid. 2.2; 133 II 396 consid. 3.2).  
 
2.2. Le Tribunal fédéral statue sur la base des faits établis par l'autorité précédente (art. 105 al. 1 LTF). Il ne peut rectifier ou compléter les constatations de l'autorité précédente que si elles sont manifestement inexactes ou découlent d'une violation du droit au sens de l'art. 95 LTF (art. 105 al. 2 LTF). "Manifestement inexactes" signifie ici "arbitraires" (ATF 140 III 115 consid. 2 p. 117; 135 III 397 consid. 1.5). Encore faut-il que la correction du vice soit susceptible d'influer sur le sort de la cause (art. 97 al. 1 LTF).  
La critique de l'état de fait retenu est soumise au principe de l'allégation (ATF 140 III 264 consid. 2.3 p. 266). La partie qui entend attaquer les faits constatés par l'autorité précédente doit expliquer clairement et de manière circonstanciée en quoi ces conditions seraient réalisées (ATF 140 III 16 consid. 1.3.1 p. 18 et les références). Si elle souhaite obtenir un complètement de l'état de fait, elle doit démontrer, par des références précises aux allégués topiques et aux pièces du dossier, qu'elle a présenté aux autorités précédentes les faits juridiquement pertinents et les moyens de preuve adéquats dans le respect des règles de procédure (ATF 140 III 86 consid. 2 p. 90). 
 
3.   
Selon les faits souverainement établis par la cour cantonale, les époux A.________, dans le cadre de la reconstruction intégrale de leur chalet, ont fait appel à l'entreprise de menuiserie qui avait oeuvré sur le premier chalet et lui ont confié les travaux relatifs à l'aménagement intérieur en bois. Ces travaux se sont déroulés entre 2007 et 2008. L'entreprise leur a adressé une facture finale le 12 novembre 2012 - rectifiée à deux reprises (cf. let A.d  supra) - que le couple a contestée, avant d'être mis aux poursuites en août 2015 pour le paiement du solde. A ce stade, la contestation ne porte plus que sur la prescription de la créance que fait valoir l'entreprise de menuiserie. Les recourantes soutiennent que cette créance était prescrite bien avant que l'entreprise intimée ne fasse valoir ses droits par des poursuites (art. 135 ch. 2 CO), puisqu'il s'agirait d'une action d'un artisan pour son travail selon l'art. 128 ch. 3 CO. La cour cantonale aurait omis arbitrairement de tenir compte de certains faits pour fonder son jugement et aurait violé le droit fédéral en considérant à tort que la créance était soumise à la prescription décennale de l'art. 127 CO.  
 
4.   
Aux termes de l'art. 127 CO, toutes les actions se prescrivent par dix ans, lorsque le droit civil fédéral n'en dispose pas autrement. 
L'une des exceptions légales concerne les actions des artisans pour leur travail, lesquelles se prescrivent par cinq ans selon l'art. 128 ch. 3 CO
 
4.1. Contrairement à ce que pourrait faire accroire la lettre de l'art. 128 ch. 3 CO dans sa teneur française, c'est bien la nature du travail (Handwerksarbeit/lavori d'artigiani) et non la qualité de celui qui l'effectue (petit artisan ou gros entrepreneur) qui est déterminante pour l'application de cette disposition (ATF 116 II 428 consid. 1a p. 429; 132 III 61 consid. 6.3 p. 62; 123 III 120 consid. 2a p. 122).  
La jurisprudence fédérale évoque souvent la difficulté de distinguer si l'on a affaire ou non à un travail artisanal, avant de tendre les fils qui devraient servir de trame au raisonnement. 
Le travail de l'artisan se démarque par la nature spécifique et l'ampleur réduite de l'activité fournie. Il s'agit d'un travail manuel, exécuté avec ou sans outils, où l'élément manuel revêt une importance supérieure (ou au moins égale) à celle des autres prestations qui supposeront notamment l'emploi de machines, des travaux d'organisation et des tâches administratives (ATF 123 III 120 consid. 2a p. 122; arrêt 4A_247/2010 du 12 octobre 2010 consid. 2). Le travail artisanal se distingue par la prédominance de l'activité manuelle, du métier, de la technique, du tour de main, d'une part, sur la production en série, l'élément intellectuel ou scientifique, l'esprit d'organisation et les tâches administratives, d'autre part (ATF 109 II 112 consid. 2c; arrêt C.540/1985 du 4 mars 1986 consid. 2, rés. in SJ 1986 p. 554). Ce travail dépend de l'activité manuelle de celui qui l'accomplit, plutôt que de l'engagement de moyens techniques. L'utilisation de machines rentre rarement dans ce concept, qui s'oppose en outre à la livraison d'objets construits industriellement en série. Cette acception est réservée aux travaux qui, non seulement, ne nécessitent pas l'emploi de technologies spéciales, mais qui n'impliquent pas non plus de recourir à des mesures de planification (en matière de personnel ou de délais) et de coordination avec d'autres corps de métiers, et peuvent donc être effectués sans moyens administratifs particuliers (ATF 123 III 120 consid. 2b; arrêt 4C.32/2006 du 4 mai 2006 consid. 4.1, in SJ 2006 I 545; ATF 132 III 61 consid. 6.3). L'art. 128 ch. 3 CO ne s'applique qu'en présence de travaux manuels typiques, traditionnels et accomplis dans un cadre restreint (ATF 123 III 120 consid. 2b  in fine).  
 
4.2. A été qualifiée d'activité artisanale l'installation complète de l'électricité dans une grande villa; la nécessité de contrôler le travail déjà fait par d'autres entreprises et, au besoin, de le refaire, était de nature à renforcer l'importance de l'activité manuelle et du savoir-faire individuel des ouvriers (arrêt précité 4A_247/2010 consid. 2). Ont également été reconnus comme artisanaux des travaux de gypserie ou de peinture, l'exécution de cadres avec des baguettes préfabriquées coupées à la longueur requise, l'exécution de batteries pour animaux, la pose d'installations sanitaires et des travaux de ferblanterie, des travaux de transformation et de ventilation de W.-C., le montage d'une antenne collective ainsi que des travaux de nettoyage ou de jardinage (cf. ATF 123 III 120 consid. 2a).  
Le Tribunal fédéral a en revanche exclu de cette catégorie des tâches variées - appréhendées dans leur ensemble - de maçonnerie, carrelage, plomberie, gypserie, pose de papiers peints, de menuiserie et de déblaiement, visant à réaménager complètement un appartement et nécessitant une activité de planification et de coordination, de nature administrative (arrêt précité 4C.32/2006 consid. 4.2 et 4.3). Tout en concédant que la pose de carrelages constitue en soi un travail artisanal, l'autorité de céans a exclu de retenir cette notion pour une activité déployée dans plus de 100 pièces d'eau et impliquant des tâches de planification, d'organisation et d'administration qui allaient largement au-delà de ce qu'un artisan assume traditionnellement (ATF 123 III 120 consid. 2b). Elle a aussi dénié tout caractère artisanal à des travaux tels que la fourniture et l'installation d'ascenseurs produits par un procédé mécanique industriel (arrêt 4C.318/1991 du 12 février 1992 consid. 3), l'édification d'une maison entière, aussi modeste soit-elle, dans la mesure où une telle activité nécessitait un important apport intellectuel, organisationnel et administratif, indispensable à l'édification rationnelle d'une construction immobilière (ATF 109 II 112 consid. 2c p. 116; cf. aussi arrêt précité C.540/1985 consid. 2), ou encore l'aménagement d'un intérieur, impliquant non seulement de fabriquer et monter du mobilier, mais aussi d'établir des plans et de prendre des mesures d'organisation et de planification notables (arrêt 4C.416/1995 du 20 mai 1996 consid. 2b). 
L'utilisation de matériaux préformatés n'exclut pas le caractère artisanal d'une prestation; celui qui coupe des barres à une longueur donnée afin de réaliser des cadres de tableaux réalise un travail artisanal, aussi bien que le menuisier qui conçoit des tablettes sur la base de planches de bois pour réaliser une bibliothèque intégrée à une paroi. En revanche, lorsque l'entreprise se borne à livrer des éléments de série tels que des fenêtres, portes ou autres et à les monter dans un lieu donné, il ne saurait plus être question de travail artisanal: le montage apparaît comme une simple prestation accessoire par rapport à la livraison de produits prêts à être posés; ce n'est plus la prestation de travail manuel qui s'impose au premier plan, mais bien la vente de produits industriels (ATF 116 II 428 consid. 1a). 
 
4.3. L'intention du législateur, lorsqu'il a introduit ce régime de prescription quinquennale en 1881, était de soumettre à une brève prescription les créances découlant de certains contrats synallagmatiques dans lesquels il était usuel de s'exécuter rapidement, sans passer de contrat écrit ni conserver longtemps une quittance; le fait de tarder à recourir aux tribunaux portait à admettre que le créancier avait été satisfait selon l'usage (ATF 132 III 61 consid. 6.1; 109 II 112 consid. 2a p. 113; 98 II 184 consid. 3b p. 186; Message du 27 novembre 1879 concernant le projet d'une loi fédérale sur les obligations et le droit commercial, FF 1880 I 156). Avec le développement du commerce, cette  ratio legis a largement perdu de son sens. Aussi se justifie-t-il d'interpréter restrictivement l'art. 128 ch. 3 CO, qui consacre une exception à la règle générale concernant la prescription des créances. Dans le doute, on appliquera le délai de prescription décennal de l'art. 127 CO, en particulier lorsque le travail considéré représente plus qu'un simple travail courant ou de routine (ATF 123 III 120 consid. 2a p. 122 in fineet consid. 2b).  
 
4.4. Lors de la récente révision du droit de la prescription, il a été question d'abroger cette disposition, source d'inutile complexité et hétérogénéité. C'est ainsi que le Conseil fédéral l'avait conceptualisé dans son projet (Message du 29 novembre 2013 relatif à la modification du code des obligations [Droit de la prescription], in FF 2014 p. 227, 230, 231 in fine -232 et 243) qu'il a défendu devant le Parlement (cf. BO 2014 CN 1783, Sommaruga) en arguant notamment du fait que le citoyen doit savoir quel régime gouverne sa créance, ce qui s'accommode mal des difficultés d'interprétation inhérentes à la notion de travail artisanal. Le Parlement a toutefois tenu à maintenir cette disposition en relativisant l'apparente complexité qu'elle induisait (BO 2014 CN 1783, Schwaab; BO 2015 CE 1297, Hefti), suscitant des réactions contrastées au sein de la doctrine (critique sur ce point, BLAISE CARRON, Le nouveau droit suisse de la prescription, in sui- generis 2019, ch. 43.3).  
 
5.  
 
5.1. La cour cantonale a constaté, en fait, que l'intimée avait réalisé des travaux couvrant toute la panoplie des travaux de menuiserie intérieure. Elle avait conçu certains éléments sur mesure et avec des finitions spécifiques, mais cela ne représentait qu'un aspect mineur de l'ensemble de son travail, qui avait été d'une grande ampleur. Les travaux avaient nécessité l'utilisation de machines professionnelles et d'un outillage professionnel et conséquent. Ces opérations correspondaient à la palette de réalisations qu'une entreprise professionnelle d'une certaine taille était en mesure de fournir à ses clients. Elles n'étaient en rien assimilables au volume restreint, au travail courant ainsi qu'à une certaine routine d'un artisan. Certes, l'intimée avait aussi effectué des travaux de détail, mais elle avait surtout participé à la reconstruction intégrale d'un chalet. En définitive, elle avait effectué un travail d'une grande ampleur pour une surface et un volume importants (448 m2et 1354 m3 respectivement), ce qui avait impliqué de coordonner ses efforts avec d'autres corps de métier tels que l'électricien et le chauffagiste. En raison du seul nombre d'employés qu'elle avait mis en oeuvre sur ce chantier (16 personnes), elle avait dû organiser le personnel et planifier leur occupation ainsi que les tâches à réaliser.  
La cour cantonale en a déduit, à l'instar des premiers juges, qu'il ne s'agissait pas d'un travail artisanal au sens de l'art. 128 ch. 3 CO. La prescription décennale de l'art. 127 CO n'était dès lors pas acquise. 
 
5.2. Les recourantes reprochent à l'autorité précédente d'avoir arbitrairement méconnu certains faits pourtant déterminants.  
Premièrement, l'entreprise de menuiserie se présenterait elle-même, sur son site Internet, comme une entreprise artisanale. En réalité, quand bien même elle se décrirait comme telle, ceci ne signifierait pas encore que chacune de ses réalisations devrait nécessairement revêtir les caractéristiques d'un travail artisanal, au sens de l'art. 128 ch. 3 CO
Deuxièmement, l'architecte chargé de diriger les travaux aurait garanti dans une missive du 15 juillet 2013 que " juridiquement, une facture n'est plus prise en compte si elle est envoyée plus de cinq ans après que tous les travaux aient [sic] été exécutés ". Cet avis de l'architecte n'est toutefois pas déterminant, indépendamment de l'expérience que lui prêtent les recourantes. 
Troisièmement, ce même architecte aurait affirmé lors de son audition en qualité de témoin qu'il s'agissait bien de travaux de nature artisanale. Cela étant, il ne faut pas y voir autre chose qu'une opinion non contraignante pour le juge puisqu'elle se rapporte à une notion juridique, et qui n'est au demeurant guère étayée par des faits précis. 
Quatrièmement, l'architecte aurait précisé que le travail accompli par l'intimée " nécessit[ait] les machines usuelles qu'utilise le charpentier (sic) " dans le contexte d'un " chantier normal mais avec une certaine exigence de finition ". Cela étant, la cour cantonale n'a pas constaté que l'entreprise de menuiserie avait utilisé de " grosses et soi-disant extraordinaires machines ", comme l'affirment les recourantes, mais bien des machines et un outillage professionnel et conséquent. Il n'y a pas une contradiction telle avec les déclarations de l'architecte qu'il faudrait en conclure à un arbitraire (sur cette notion, cf. par ex. ATF 140 III 264 consid. 2.3 p. 266; 136 III 552 consid. 4.2). 
Cinquièmement, il faudrait avoir égard aux propos suivants de l'architecte: " cela ne correspond[ait] pas à une construction standard. C'[étai]t du sur mesure. Tout [étai]t adapté en fonction du site ". Quoi qu'en pensent les recourantes, la cour cantonale n'a pas négligé un élément de fait pertinent; elle a en effet relevé que les ouvrages commandés auprès de l'entreprise de menuiserie avaient été créés sur mesure, selon des plans spécifiques et des besoins établis pour le chalet des recourantes. Les déclarations de l'architecte n'apportent pas d'élément supplémentaire à cette constatation. 
Le grief d'arbitraire doit être rejeté. 
 
5.3. Les recourantes se plaignent également d'une violation des art. 127 et 128 ch. 3 CO.  
Il faut observer que l'on ne se situe pas, ici, dans une situation où les distinctions seraient tangentes. Les travaux assumés par l'entreprise de menuiserie frappent tout d'abord par leur ampleur qui recouvre, selon l'expression utilisée par les juges cantonaux, " toute la panoplie des travaux de menuiserie intérieure ". La Cour d'appel a souligné qu'ils s'inscrivaient dans la reconstruction totale d'un chalet dont seul le sous-bassement en béton armé ainsi qu'une ou deux portes avaient pu être récupérés. L'intimée avait effectué un travail d'une grande ampleur sur une surface (448 m²) et un volume (1354 m3) importants. Une telle approche est adéquate, sachant que le travail de l'artisan se distingue en particulier par l'ampleur réduite de l'activité fournie, ce qui n'est pas le cas ici. 
Les recourantes vouent cette argumentation aux gémonies. Selon elles, " à aucun moment il ne s'est agi pour l'intimée de procéder à des travaux de gros oeuvre, ou de réaliser toutes la menuiserie, charpentes extérieure et intérieure du chalet ". Elle se serait chargée de " simples travaux de lambourdages, de lambrissage, de fourniture et pose de cache-radiateurs, de corniches moulurées, d'embrasures de fenêtres et de tablettes, de cadres de miroirs avec moulures, de portes et portillons, (...) ". Ses travaux ne sauraient être qualifiés " de grande ampleur ". Cette vision qui se veut réductrice ne convainc toutefois pas. Les travaux de l'intimée se sont étalés entre 2007 et 2008 et ont mobilisé seize de ses employés, certes probablement à des périodes diverses. Que ces travaux aient ou non porté sur le gros oeuvre - comme d'ailleurs sur le revêtement des sols en bois - ne change rien à leur large éventail. Il n'y a pas ici matière à discussion: ils n'ont rien d'une activité réduite, ce que les recourantes ne vont d'ailleurs pas jusqu'à affirmer. 
Pour le surplus, leur grief s'articule essentiellement autour de la nature spécifique des travaux en cause, qui aurait été méconnue: à les suivre, les ouvrages exécutés par l'entreprise de menuiserie auraient été spécialement conçus et réalisés pour elles, dans le respect de la tradition des chalets suisses. Chaque élément en bois aurait fait l'objet d'un plan détaillant par des cotes précises les longueurs, largeurs et épaisseurs nécessaires à sa conception. Ce qui les conduit à affirmer que le savoir-faire d'artisan se trouverait placé au premier plan. Cette tentative se révèle toutefois vaine. D'une part, les faits évoqués par les recourantes ne ressortent pas du jugement cantonal et n'apparaissent pas avoir été allégués régulièrement en procédure; du moins ne démontrent-elles pas le contraire. D'autre part, quand bien même le tour de main de l'intimée aurait été crucial pour la bienfacture de certains travaux (moulures, rosaces, cadres, etc.), il n'en demeure pas moins que l'ampleur du chantier impliquait d'elle des tâches de planification et de coordination particulières. Les dénégations des recourantes selon lesquelles l'intimée n'avait pas la charge de coordonner les travaux ni la responsabilité du chantier n'y changent rien. Dans une telle situation, il ne saurait être question de travail artisanal, et la cour cantonale ne s'y est pas trompée. 
Le point n'est donc pas de savoir si l'intimée s'est servie de grosses machines et a fait usage de technologies spéciales, ou si elle a bien plutôt utilisé des outils " fort simples ", comme les recourantes l'affirment. Car de toute manière, l'élément manuel - indiscutablement présent dans son travail - ploie devant l'importance des mesures de planification et de coordination qu'elle a dû mettre en oeuvre, dans un chantier d'une telle ampleur. 
Finalement, les recourantes brocardent le retard de facturation de l'intimée ainsi que les erreurs qui émaillaient les documents successifs en tenant lieu. Il est vrai qu'il est peu habituel de voir une facture d'un tel montant adressée quatre ans après la fin d'un chantier. Faut-il pour autant considérer que la créance était soumise à la prescription quinquennale de l'art. 128 ch. 3 CO? A l'évidence, non. La désorganisation, si c'est elle qu'il faut incriminer ici, n'est pas un critère pertinent, s'agissant de distinguer ce qui représente une activité artisanale au sens de cette disposition légale. 
Le grief de violation des art. 127 et 128 ch. 3 CO se révèle tout aussi infondé que le précédent. 
 
6.   
Partant, le recours doit être rejeté, aux frais de ses auteurs (art. 66 al. 1 et 5 LTF). Celles-ci, débitrices solidaires, verseront à l'intimée une indemnité pour ses frais d'avocat (art. 68 al. 1, 2 et 4 LTF). 
 
 
 Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :  
 
1.   
Le recours est rejeté. 
 
2.   
Les frais de procédure sont fixés à 4'000 fr. et mis à la charge des recourantes, solidairement entre elles. 
 
3.   
Les recourantes, débitrices solidaires, verseront à l'intimée une indemnité de 5'000 fr. à titre de dépens. 
 
4.   
Le présent arrêt est communiqué aux parties et au Tribunal cantonal du canton de Vaud. 
 
 
Lausanne, le 26 novembre 2020 
 
Au nom de la Ire Cour de droit civil 
du Tribunal fédéral suisse 
 
La Présidente : Kiss 
 
La Greffière : Monti