Bundesgericht
Tribunal fédéral
Tribunale federale
Tribunal federal
4A_324/2024
Arrêt du 2 mai 2025
I
Composition
MM. les Juges fédéraux Hurni, Président,
Denys et Rüedi.
Greffière : Mme Raetz.
Participants à la procédure
1. A.________,
2. Fondation B.________,
tous les deux représentés par
Me Laurent Pfeiffer, avocat,
recourants,
contre
1. C.________,
2. D.________ SA,
3. E.________ SA,
tous les trois représentés par Me Robert Fox, avocat,
intimés.
Objet
administration des preuves; préjudice irréparable,
recours contre l'arrêt rendu le 23 avril 2024 par la Chambre des recours civile du Tribunal cantonal du canton de Vaud (PT21.024453-240511, 106).
Faits :
A.
Par demande du 7 juin 2021 déposée auprès de la Chambre patrimoniale du canton de Vaud, A.________ et la Fondation B.________ (ci-après: les demandeurs ou les recourants) ont, en substance, principalement conclu à ce que C.________, D.________ SA et E.________ SA (ci-après: les défendeurs ou les intimés) soient astreints au paiement en leur faveur d'un montant minimum total de 12'887'741 fr. 95, plus intérêts à 5 % l'an dès le 1er janvier 2009, respectivement le 29 juillet 2011, et à ce qu'il soit pris acte qu'ils se réservaient le droit d'augmenter leurs conclusions en cours de procédure, le cas échéant après expertise, quant au dommage final subi. Les demandeurs ont soutenu que leur dommage découlait du fait que les défendeurs avaient commis des violations graves des mandats de gestion de patrimoine que ceux-là leur avaient confiés. Ils ont exposé avoir déposé plaintes pénales en 2013, 2014 et 2017 à l'encontre de C.________ pour abus de confiance, escroquerie, gestion déloyale, faux dans les titres et infraction à la loi sur la concurrence déloyale. Ils ont précisé que leur demande dans la présente procédure se fondait essentiellement sur les pièces du dossier pénal, qu'ils avaient établi leur dommage par le biais d'expertises privées diligentées par des spécialistes de la gestion financière et que, toutefois, ils avaient également requis la mise en oeuvre d'une expertise judiciaire afin de renforcer la force probante des expertises privées et chiffrer judiciairement le montant final précis du dommage subi.
B.
Par requête de mesures provisionnelles du 19 juillet 2023, les demandeurs ont conclu en substance à ce qu'ordre soit donné à F.________ AG (siège de [...]) et/ou F.________ AG, Service juridique, à (...), et à G.________, Succursale de (...), de fournir différents documents en lien avec des transactions bancaires énumérées, respectivement de conserver toutes les pièces et tous les documents bancaires (conclusions qui tiennent sur plusieurs pages et qu'il n'y a pas lieu de reprendre intégralement ici).
Par ordonnance de mesures provisionnelles du 14 septembre 2023, le juge délégué de la Chambre patrimoniale du canton de Vaud a rejeté la requête. Le juge délégué a considéré que les demandeurs sollicitaient la production par des banques de pièces qui étaient anciennes, puisqu'elles concernaient des transactions datant de 2008. Le délai d'archivage de dix ans dans une banque étant échu depuis plus de cinq ans, l'on ne discernait pas l'urgence à requérir lesdites pièces pour la première fois le 19 juillet 2023, étant relevé que F.________ AG n'avait pas laissé entendre que ses archives restantes seraient prochainement supprimées. Il a ensuite retenu que le risque d'atteinte aux droits des demandeurs n'était pas fondé, ceux-ci ayant en effet libellé leurs conclusions au fond en indiquant un montant minimal de leur dommage, de sorte qu'ils pourraient, une fois l'instruction effectuée, chiffrer définitivement leurs prétentions sans péjorer leurs droits.
C.
Par arrêt du 23 avril 2024, la Chambre des recours civile du Tribunal cantonal du canton de Vaud a déclaré irrecevable le recours formé par les demandeurs contre l'ordonnance du 14 septembre 2023. La cour cantonale a en particulier considéré que l'ordonnance attaquée constituait une ordonnance de preuve à futur à l'encontre de laquelle le recours était ouvert à la condition d'un préjudice difficilement réparable (art. 319 let. b ch. 2 CPC), ce qui n'était pas le cas ici.
D.
A.________ et la Fondation B.________ forment un recours au Tribunal fédéral intitulé "recours en matière civile et recours constitutionnel subsidiaire". Ils concluent, avec suite de frais et dépens, à la réforme de l'arrêt attaqué, en ce sens, en substance, qu'ordre soit donné à F.________ AG (siège de [...]) et/ou F.________ AG, Service juridique, à (...), et à G.________ SA, à (...) (nouvelle adresse), de fournir différents documents en lien avec des transactions bancaires énumérées, respectivement de conserver toutes les pièces et tous les documents bancaires.
Les intimés concluent, avec suite de frais et dépens, à l'irrecevabilité du recours, subsidiairement à son rejet. La cour cantonale se réfère à son arrêt.
Les recourants ont répliqué.
Considérant en droit :
1.
1.1. Le recours a été interjeté par les recourants, qui ont succombé dans leurs conclusions en instance cantonale (art. 76 al. 1 LTF), contre un arrêt déclarant irrecevable leur recours interjeté contre une décision leur refusant le prononcé de mesures provisionnelles, qui tendent à la remise de documents par des tiers et qui permettraient de déterminer leur dommage dans l'action au fond pendante, soit dans le cadre d'une affaire civile (art. 72 al. 1 LTF).
1.2. Une décision en matière de mesures provisionnelles est une décision finale au sens de l'art. 90 LTF lorsqu'elle est rendue dans une procédure indépendante d'une procédure principale et qu'elle y met un terme (ATF 138 III 76 consid. 1.2; 137 III 324 consid. 1.1; 134 I 83 consid. 3.1). Elle est une décision incidente au sens de l'art. 93 LTF lorsqu'elle a été prise avant ou pendant la procédure principale et pour la durée de celle-ci, respectivement à la condition que celle-ci soit introduite (ATF 144 III 475 consid. 1.1.1; 138 III 76 consid. 1.2; 137 III 324 consid. 1.1). La décision est incidente non seulement lorsqu'une mesure provisionnelle est prononcée, mais également lorsqu'elle est rejetée (arrêts 4A_414/2024 du 18 mars 2025 consid. 1.1; 4A_87/2015 du 9 juin 2015 consid. 1.2; 4A_40/2014 du 7 mars 2014 consid. 5) ou que le tribunal n'entre pas en matière (ATF 144 III 475 consid. 1.1.2).
1.3.
1.3.1. La recevabilité du recours suppose en conséquence que la décision querellée soit de nature à causer un préjudice irréparable aux termes de l'art. 93 al. 1 let. a LTF, la condition de l'art. 93 al. 1 let. b LTF étant d'emblée exclue s'agissant de mesures provisionnelles (ATF 144 III 475 consid 1.2; 138 III 333 consid. 1.3). Par ailleurs, une telle décision ne peut être attaquée que pour violation des droits constitutionnels au sens de l'art. 98 LTF.
1.3.2. Un préjudice ne peut être qualifié d'irréparable au sens de l'art. 93 al. 1 let. a LTF que s'il cause un inconvénient de nature juridique, qui ne puisse pas être ultérieurement réparé ou entièrement réparé par une décision finale favorable au recourant; un dommage économique ou de pur fait n'est pas considéré comme un dommage irréparable (ATF 144 III 475 consid 1.2; 142 III 798 consid. 2.2; 141 III 80 consid. 1.2 et les références). L'exception doit être interprétée de manière restrictive (ATF 144 III 475 consid 1.2; 138 III 94 consid. 2.2; 134 III 188 consid. 2.2).
1.3.3. Il incombe à la partie qui recourt, sous peine d'irrecevabilité, d'alléguer et d'établir la possibilité que la décision incidente lui cause un tel dommage (ATF 144 III 475 consid 1.2; 134 III 426 consid. 1.2), à moins que celui-ci ne fasse d'emblée aucun doute (art. 42 al. 2 LTF; ATF 141 III 80 consid. 1.2; 138 III 46 consid. 1.2; 137 III 522 consid. 1.3). La probabilité d'un préjudice (juridique) irréparable suffit (ATF 137 III 380 consid. 1.2.1). Encore faut-il toutefois qu'elle soit corroborée par des indices concrets et ne repose pas sur une simple pétition de principe ou se réduise à des considérations théoriques (arrêt 5A_265/2018 du 9 juillet 2018 consid. 3.3.4 et les références; cf. aussi ATF 135 I 261 consid. 1.2 qui exige la menace d'un dommage concret).
1.3.4. Les ordonnances relatives à l'administration des preuves n'entraînent en règle générale aucun inconvénient irréparable puisqu'il est normalement possible, en recourant contre la décision finale, d'obtenir l'administration de la preuve refusée à tort ou d'obtenir que la preuve administrée à tort soit écartée du dossier (ATF 141 III 80 consid. 1.2 et les arrêts cités; 134 III 188 consid. 2.3; arrêt 4A_132/2021 du 26 mars 2021 consid. 5.2). Ce n'est que dans des cas exceptionnels qu'il peut y avoir un préjudice irréparable, par exemple lorsque le moyen de preuve refusé risque de disparaître (arrêts 4A_240/2024 du 17 mai 2024 consid. 4.3; 4A_274/2021 du 6 octobre 2021 consid. 1.2).
1.4. La cour cantonale a exclu toute urgence à la production des documents litigieux. En effet, on ne pouvait aucunement inférer du délai de garde de dix ans (art. 958f CO) et du fait que F.________ AG ne pouvait garantir l'exhaustivité de ses archives que la destruction imminente des documents litigieux serait établie. En outre, la demande au fond datait du 7 juin 2021 alors que les mesures provisionnelles n'avaient été requises que le 19 juillet 2023. Au moment du dépôt de la demande, le délai de garde de dix ans avait ainsi déjà été dépassé de trois ans, les transactions concernées par les documents archivés datant de 2008. Enfin, il n'y avait pas lieu de craindre que la procédure au fond ne puisse se dérouler régulièrement dans un délai raisonnable.
1.5. La recevabilité du recours que les recourants ont formé devant la cour cantonale dépend d'un préjudice difficilement réparable aux termes de l'art. 319 let. b ch. 2 CPC. Si un préjudice irréparable devait être admis sous l'angle de l'art. 93 al. 1 let. a LTF, qui régit le présent recours, il faudrait à plus forte raison considérer l'existence d'un préjudice difficilement réparable selon l'art. 319 let. b ch. 2 CPC (ATF 137 III 380 consid. 2). Les recourants indiquent qu'il existe en l'occurrence un "risque établi" que la banque F.________ AG ou la société G.________ détruise les documents en leur possession en lien avec les transactions litigieuses. Ils se contentent par cette affirmation de prendre le contre-pied de la cour cantonale mais n'indiquent nullement en quoi ledit risque serait établi. La cour cantonale a nié tout risque concret et immédiat et son appréciation ne prête pas le flanc à la critique. Les institutions bancaires concernées sont des tiers à la procédure, dont elles connaissent l'existence. Les recourants n'ont nullement indiqué en quoi il existerait à ce stade un risque immédiat qu'elles détruisent leurs archives, quand bien même le délai d'archivage est échu depuis 2018 déjà. Ils n'articulent aucun élément susceptible de contrer l'argumentation cantonale mais se contentent de considérations théoriques. Ils échouent ainsi à démontrer la probabilité d'un préjudice juridique irréparable.
1.6. Les motifs qui précèdent s'opposent également à la recevabilité du recours constitutionnel subsidiaire visant l'arrêt entrepris. L'art. 93 LTF vaut, en effet, également dans le cadre d'un tel recours (arrêt 4A_729/2016 du 23 janvier 2017 consid. 2.3). Quoi qu'il en soit, la recevabilité du recours subsidiaire est déjà exclue en vertu de l'art. 113 LTF, dès lors que l'arrêt attaqué a été rendu dans une affaire pécuniaire dont la valeur litigieuse atteint le seuil fixé à l'art. 74 al. 1 let. b LTF pour la recevabilité du recours en matière civile.
2.
Le recours est irrecevable. Les recourants supportent solidairement les frais de procédure ( art. 66 al. 1 et 5 LTF ) et doivent verser, également solidairement entre eux, des dépens aux intimés, créanciers solidaires ( art. 68 al. 1, 2 et 4 LTF ).
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :
1.
Le recours est irrecevable.
2.
Les frais judiciaires, arrêtés à 7'000 fr., sont mis à la charge des recourants, solidairement entre eux.
3.
Les recourants, débiteurs solidaires, verseront aux intimés, créanciers solidaires, une indemnité de 8'000 fr. à titre de dépens.
4.
Le présent arrêt est communiqué aux parties, à la Chambre des recours civile du Tribunal cantonal du canton de Vaud, à G.________ SA, (...), ainsi qu'à F.________ AG, (...).
Lausanne, le 2 mai 2025
Au nom de la I re Cour de droit civil
du Tribunal fédéral suisse
Le Président : Hurni
La Greffière : Raetz