Bundesgericht
Tribunal fédéral
Tribunale federale
Tribunal federal
9C_380/2024
Arrêt du 3 avril 2025
IIIe Cour de droit public
Composition
Mme et MM. les Juges fédéraux
Moser-Szeless, Présidente,
Stadelmann et Beusch.
Greffier : M. Bürgisser.
Participants à la procédure
A.________,
représenté par Me Andrio Orler,
recourant,
contre
Administration fiscale cantonale du canton de Genève,
rue du Stand 26, 1204 Genève,
intimée.
Objet
Impôts cantonaux et communaux du canton de Genève et impôt fédéral direct, périodes fiscales 2012-2017,
recours contre l'arrêt de la Cour de justice de la République et canton de Genève du 21 mai 2024 (A/947/2023-ICCIFD ATA/626/2024).
Faits :
A.
A.a. A.________ (ci-après: le contribuable) est domicilié dans le canton de Genève. Entre 2013 et 2018, il a exercé une activité lucrative dépendante auprès de B.________ SA, active dans le négoce de C.________. En parallèle de cette activité salariée, A.________ a commencé une activité lucrative indépendante dans le même domaine, en utilisant le réseau commercial de son employeur. Il n'a pas déclaré cette activité indépendante à l'Administration fiscale du canton de Genève (ci-après: l'Administration fiscale), par crainte que B.________ SA ne la découvre.
A.b. Le 9 mars 2018, le contribuable a effectué auprès de l'Administration fiscale une dénonciation spontanée portant sur des éléments de revenu et de fortune qu'il n'avait pas mentionnés dans ses déclarations fiscales relatives aux années 2012 à 2017. Dans un courrier daté du 7 juin 2019 adressé à l'Administration fiscale, le contribuable a notamment fait état de revenus non déclarés provenant de son activité indépendante pour les années 2012 à 2017 et a joint les comptes établis le 10 avril 2019 pour les besoins de la dénonciation spontanée. Le contribuable y a également expliqué avoir comptabilisé des provisions constituées en vue de prévenir le risque de procès que B.________ SA pourrait intenter contre lui, en raison de la violation de son devoir de fidélité.
Sur requête de l'Administration fiscale, le contribuable a fourni le détail de son chiffre d'affaires, de même que des informations relatives à des commissions rétrocédées à D.________ et E.________ et aux provisions pour risques futurs revendiquées en déduction du bénéfice de l'activité indépendante pour les exercices 2012 à 2017 (courrier du 31 août 2020). Divers échanges entre le contribuable et l'Administration fiscale ont encore eu lieu.
A.c. En date du 28 septembre 2022, l'Administration fiscale a notamment notifié au contribuable des bordereaux de rappel d'impôt pour les impôts cantonaux (ci-après: ICC) et l'impôt fédéral direct (ci-après: IFD) des années 2012 à 2017. Les suppléments d'impôt ont été arrêtés par l'Administration fiscale, respectivement pour les ICC et l'IFD, à 196'784 fr. 60 et 70'208 fr. 45 [année 2012], 265'618 fr. 75 et 99'681 fr. 25 [année 2013], 219'141 fr. 75 et 76'567 fr. 50 [année 2014], 77'273 fr. 20 et 26'124 fr. 90 [année 2015], 759'925 fr. 75 et 265'125 fr. 65 [année 2016], ainsi qu'à 923'646 fr. 55 et 323'667 fr. 50 [année 2017]. Celui-ci a formé réclamation, motif pris que l'Administration fiscale avait refusé à tort d'admettre en déduction du bénéfice imposable des commissions rétrocédées et des provisions pour risque dûment comptabilisées. Par décision sur réclamation du 9 février 2023, l'Administration fiscale a maintenu les bordereaux de rappel d'impôt ICC et IFD des années 2012 à 2017.
B.
B.a. Par jugement du 13 novembre 2023, le Tribunal administratif de première instance de la République et canton de Genève (ci-après: le TAPI) a rejeté le recours de A.________.
B.b. Statuant le 21 avril 2024, la Cour de justice de la République et canton de Genève, Chambre administrative (ci-après: la Cour de justice), a rejeté le recours du contribuable.
C.
Agissant par la voie du recours en matière de droit public, A.________ conclut à l'annulation de l'arrêt cantonal du 21 avril 2024, du jugement du TAPI du 13 novembre 2023, ainsi que de la décision de l'Administration fiscale du 28 septembre 2020 [recte: 2022]. Il conclut en substance à la déductibilité du revenu imposable des provisions pour risque qu'il a comptabilisées pour les années fiscales 2013 à 2017 (297'468 fr. [année 2013], 239'628 fr. [année 2014], 74'244 fr. [année 2015], 395'840 fr. [année 2016] et 896'254 fr. [année 2017]) et à ce que les "charges correspondant aux commissions versées" soient également admises en déduction pour les années fiscales 2012 à 2017 (39'775 fr. [année 2012], 296'023 fr. [année 2013], 376'863 fr. [année 2014], 187'729 fr. [année 2015], 501'785 fr. [année 2016] et 493'461 fr. [année 2017]). Subsidiairement, il conclut au renvoi de la cause à la Cour de justice pour nouvelle décision en fonction des modifications requises et pour "qu'elle se prononce sur la probabilité de réalisation du risque couvert par les provisions litigieuses et complète la recherche des faits concernant les commissions versées".
L'Administration fiscale a proposé le rejet du recours et l'Administration fédérale des contributions (ci-après: AFC) a conclu au rejet du recours dans la mesure de sa recevabilité. Le contribuable s'est encore déterminé.
Considérant en droit :
1.
1.1. L'arrêt attaqué a été rendu en dernière instance cantonale par un tribunal supérieur (art. 86 al. 1 let. d et al. 2 LTF), dans une cause de droit public (art. 82 let. a LTF) qui ne tombe pas sous le coup des exceptions de l'art. 83 LTF. La voie du recours en matière de droit public est donc ouverte (cf. aussi art. 146 LIFD [RS 642.11] et 73 al. 1 LHID [RS 642.14]).
1.2. L'instance précédente a traité dans un seul arrêt de l'IFD et des ICC, ce qui est admissible. Partant, le dépôt d'un seul acte de recours est aussi autorisé, dans la mesure où le recourant s'en prend clairement aux deux catégories d'impôts (ATF 142 II 293 consid. 1.2; 135 II 260 consid. 1.3.1).
1.3. Les conclusions relatives à l'annulation de "la décision" du 28 septembre 2020 [recte: 2022] de l'Administration fiscale et du jugement du TAPI du 13 novembre 2023 sont irrecevables en raison de l'effet dévolutif complet du recours auprès de la Cour de justice (cf. ATF 136 II 539 consid. 1.2; arrêt 9C_186/2024 du 18 juin 2024 consid. 1.5). En revanche, la conclusion subsidiaire du recourant tendant au renvoi de la cause à la cour cantonale pour "qu'elle se prononce sur la probabilité de réalisation du risque couvert par les provisions litigieuses et complète la recherche des faits concernant les commissions versées" est recevable. En effet, quoi qu'en dise l'AFC, la motivation présentée par le recourant sur une constatation manifestement inexacte des faits en lien avec les éléments dont il demande la déduction est suffisante (sur l'exigence de motivation dans ce contexte, consid. 2.2 infra).
2.
2.1. D'après l'art. 106 al. 1 LTF, le Tribunal fédéral applique le droit d'office. Il examine en principe librement l'application du droit fédéral ainsi que la conformité du droit cantonal harmonisé et de sa mise en pratique par les instances cantonales aux dispositions de la LHID (cf. ATF 150 II 346 consid. 1.5; 134 II 207 consid. 2; arrêt 2C_826/2015 du 5 janvier 2017 consid. 2, non publié in ATF 143 I 73).
2.2. Le Tribunal fédéral conduit son raisonnement juridique sur la base des faits constatés par l'autorité précédente (art. 105 al. 1 LTF), hormis dans les cas prévus à l'art. 105 al. 2 LTF. Selon l'art. 97 al. 1 LTF, le recours ne peut critiquer les constatations de fait que si les faits ont été établis de façon manifestement inexacte - notion qui correspond à celle d'arbitraire (art. 9 Cst.) - ou en violation du droit au sens de l'art. 95 LTF et si la correction du vice est susceptible d'influer sur le sort de la cause (ATF 150 II 346 consid. 1.6; 145 V 188 consid. 2).
3.
Compte tenu des conclusions du recours, le litige porte, pour les ICC et l'IFD, sur le point de savoir si c'est à bon droit que la cour cantonale a nié la déduction dans le chapitre fiscal du recourant de provisions pour risques (années fiscales 2013 à 2017), ainsi que des "rétro-commissions" (années fiscales 2012 à 2017).
4.
4.1. En ce qui concerne tout d'abord l'IFD, selon l' art. 27 al. 1 et 2 lettre a LIFD , les contribuables exerçant une activité lucrative indépendante peuvent déduire les frais qui sont justifiés par l'usage commercial ou professionnel, dont font notamment partie les provisions au sens de l'art. 29 LIFD. Aux termes de l'art. 29 al. 1 let. c LIFD, des provisions peuvent être constituées à la charge du compte de résultats pour les autres risques de pertes imminentes durant l'exercice. Selon la jurisprudence, cette disposition impose des limites relativement strictes à la constitution de provisions fiscalement reconnues et exige à tout le moins un lien temporel clair avec l'exercice comptable durant lequel le contribuable revendique la provision (ATF 147 II 209 consid. 4.2.2.1).
4.2. Par ailleurs, les provisions qui ne se justifient plus sont ajoutées au revenu commercial imposable (art. 29 al. 2 LIFD). Le point de savoir si la justification commerciale d'une provision doit être admise s'examine à la lumière de la situation prévalant au jour de l'établissement du bilan ("Bilanzstichtag"). Pour ce faire, on peut prendre en considération tous les faits intervenus jusqu'au jour où le bilan est établi ("Bilanzerrichtung"), dans la mesure où ils éclairent les circonstances telles qu'elles étaient effectivement à la date de clôture du bilan et qui ont une influence sur le bilan et les comptes de pertes et profits (arrêts 2C_1012/2021 du 13 septembre 2022 consid. 5.2.1 et la référence; 2C_220/2009 du 10 août 2009 consid. 5.1 et la référence).
4.3. En ce qui concerne le fardeau de la preuve et selon le principe général de l'art. 8 CC, il appartient à l'autorité fiscale d'établir les faits qui justifient l'assujettissement et qui augmentent la taxation, tandis que le contribuable doit prouver les faits qui diminuent la dette fiscale ou la suppriment (ATF 146 II 6 consid. 4.2; 144 II 427 consid. 8.3.1; arrêt 9C_567/2023 du 12 septembre 2024 consid. 5.2).
5.
5.1. S'agissant de la déductibilité des provisions pour risque, la Cour de justice a considéré qu'entre 2013 et 2017, le recourant avait déployé une activité indépendante de courtage qui relevait d'un comportement déloyal envers son employeur. Cependant, les éléments apportés par le contribuable visant à établir l'existence d'un risque concret et imminent de devoir s'acquitter des prétentions que son ancien employeur aurait pu faire valoir à son encontre étaient insuffisants; il ne rendait en effet pas vraisemblable que B.________ SA aurait eu connaissance de ses agissements durant la période litigieuse et les articles de presse le mentionnant défavorablement n'avaient été publiés qu'en 2020, soit bien après cette période. Le recourant n'établissait pas que son ancien employeur s'était depuis lors manifesté auprès de lui pour lui demander des explications, pas plus qu'il ne démontrait qu'une action judiciaire ou une poursuite auraient été engagées à son endroit. À cela s'ajoutait que le recourant avait bouclé les comptes relatifs à son activité indépendante relatifs aux exercices 2012 à 2017 le 10 avril 2019. Or à cette date, le risque imminent ou quasiment certain d'être amené, pendant les périodes fiscales visées, à devoir indemniser son employeur ne s'était pas réalisé. En outre, un courriel récemment adressé à l'entreprise du recourant sollicitant d'un partenaire commercial des éclaircissements sur des rumeurs le concernant n'était pas de nature à faire naître, avec effet rétroactif, un risque dont l'imminence de la réalisation n'existait alors pas.
5.2. Le recourant invoque une violation par la cour cantonale des art. 27 et 29 LIFD , en argumentant en substance que l'analyse de la justification commerciale de la provision devrait se faire année après année. Il soutient également avoir "violé les art. 321a et 321b CO , de sorte qu'une action en matière de droit du travail peut être intentée par son ancien employeur à son encontre", que "l'existence d'un risque de procès justifie[...] une provision" et que "nier un tel risque [de procès], en spéculant sur le fait que l'employeur n'aurait pas connaissance de l'activité concurrentielle reviendrait à montrer une situation économique meilleure que la réalité", ce qui ne serait pas compatible avec le principe de la prudence régissant l'établissement des comptes.
5.3. Contrairement à ce que fait tout d'abord valoir le recourant, la Cour de justice a tenu à juste titre pour pertinente la date d'établissement des comptes pour toutes les périodes fiscales concernées (soit le 10 avril 2019) conformément à la jurisprudence relative à l'art. 29 al. 2 LIFD (consid. 4.2 supra), afin d'examiner si les provisions litigieuses étaient commercialement justifiées. Il ne saurait donc être suivi lorsqu'il soutient que cette analyse devait se faire en l'occurrence à la fin de chaque année fiscale en cause, puisque la date retenue correspond à celle où les comptes du recourant ont été établis pour les années ici en cause. Avec son argumentation, le recourant ne démontre ensuite pas qu'il existait un risque imminent ou quasiment certain qu'il soit amené, pendant les périodes fiscales visées, à devoir indemniser son employeur; d'ailleurs, il ne conteste pas les constatations cantonales selon lesquelles aucune action judiciaire ou poursuite n'avaient été engagées à son endroit. Partant, les juges cantonaux pouvaient déduire de leurs constatations que les provisions pour le risque lié à une hypothétique action en paiement de B.________ SA n'étaient pas justifiées sous l'angle de l'art. 29 LIFD. À cet égard et contrairement à ce que le contribuable prétend, la juridiction cantonale s'est prononcée sur les questions factuelles pertinentes pour traiter de cet aspect du litige. Le grief relatif à la violation de l'art. 29 LIFD doit donc être écarté.
6.
6.1. Au sujet de la déductibilité de "rétro-commissions" versées à D.________ et E.________ dans le cadre de l'activité indépendante exercée par le contribuable, la Cour de justice a considéré qu'il n'était pas possible de retenir qu'il s'agissait de frais commercialement justifiés. Elle a en substance retenu que le prénommé D.________ n'avait pas daté une attestation produite à l'occasion de la procédure cantonale et que le tableau auquel il se référait (et qui faisait état des différents montants perçus) ne mentionnait pas la date de réception des fonds. L'écrit du prénommé E.________ faisait uniquement état du fait qu'il aurait reçu, en espèces, les montants ressortant du tableau annexé à son courrier. Pour les juges cantonaux, aucune des deux attestations n'indiquait qu'il s'agissait de rétro-commissions ou d'une autre forme de rémunération. Par ailleurs, aucune pièce, comme des factures, des contrats ou des échanges de correspondance, ne fournissait d'information permettant de qualifier les montants prétendument remis aux deux "partenaires commerciaux" et d'en vérifier la justification commerciale. Partant, même à supposer que les sommes en question eussent effectivement été reçues par ces partenaires, aucune pièce ne permettait d'attribuer à une opération en particulier les montants que ces derniers indiquaient avoir perçus en espèces ou par virement bancaire.
6.2. C'est en vain que le recourant invoque une constatation manifestement inexacte des faits, en alléguant n'avoir exercé qu'une seule activité commerciale de sorte que même si les attestations des prénommés D.________ et E.________ étaient "peu précises", elles étaient toutefois "suffisamment claires" et ne pouvaient que se référer à cette activité, "les preuves établies permett[an]t à elles seules de prouver l'existence de commissions versées [...] et leur nécessité pour générer un revenu". Avec cette argumentation, le recourant se limite en effet à livrer sa propre appréciation des preuves sans toutefois établir que les constatations cantonales seraient arbitraires. De plus, le recourant ne met pas en évidence en quoi les autres constatations des juges précédents et les conclusions qu'ils en ont tirées, soit qu'aucun document produit en procédure cantonale ne fournissait d'information permettant de qualifier les versements litigieux et de les rattacher à des opérations particulières, seraient manifestement inexactes ou contraires au droit. La référence à son activité indépendante unique ne permet pas d'attribuer de manière suffisamment précise les sommes litigieuses à des paiements particuliers. En instance fédérale, le recourant ne démontre pas davantage en quoi les versements dont il revendique la déduction auraient été commercialement justifiés du point de vue fiscal, alors que le fardeau de la preuve lui incombait sur ce point. Il n'y a par ailleurs rien à ajouter au raisonnement convaincant de la juridiction cantonale, qui a refusé à juste titre d'admettre en déduction des revenus du contribuable les montants dont il se prévalait à titre de "frais liés à l'activité".
6.3. Il suit de ce qui précède que le recours en matière d'IFD est en tout point mal fondé.
7.
En ce qui concerne les ICC, l'art. 30 let. e ch. 3 de la loi genevoise du 27 septembre 2009 sur l'imposition des personnes physiques (LIPP; rs/GE D 3 08), qui est conforme à l'art. 10 al. 1 LHID, a une teneur similaire à celle de l'art. 29 al. 1 let. c LIFD. Partant, les considérants développés en matière d'IFD s'appliquent mutatis mutandis aux ICC des périodes fiscales sous revue. Il s'ensuit que le recours est privé de fondement pour les ICC également.
8.
Succombant, le recourant doit supporter les frais de la procédure fédérale (art. 66 al. 1 LTF). Il n'est pas alloué de dépens (art. 68 LTF).
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :
1.
Le recours est rejeté, dans la mesure où il est recevable, en tant qu'il concerne l'impôt fédéral direct des périodes fiscales 2012 à 2017.
2.
Le recours est rejeté, dans la mesure où il est recevable, en tant qu'il concerne l'impôt cantonal et communal des périodes fiscales 2012 à 2017.
3.
Les frais judiciaires, arrêtés à 13'000 fr., sont mis à la charge du recourant.
4.
Le présent arrêt est communiqué aux parties, à la Cour de justice de la République et canton de Genève, Chambre administrative, et à l'Administration fédérale des contributions.
Lucerne, le 3 avril 2025
Au nom de la IIIe Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse
La Présidente : Moser-Szeless
Le Greffier : Bürgisser