Bundesgericht
Tribunal fédéral
Tribunale federale
Tribunal federal
4A_69/2024
Arrêt du 3 septembre 2024
I
Composition
Mmes les Juges fédérales
Jametti, Présidente, Hohl et May Canellas.
Greffier : M. Douzals.
Participants à la procédure
A.________,
représenté par Me J.-Potter van Loon, avocat,
recourant,
contre
B.________ SA,
représentée par Me Fabien Vincent Rutz, avocat,
intimée.
Objet
compétence à raison de la matière (art. 59 al. 2 let. b et art. 60 CPC ),
recours en matière civile contre l'arrêt rendu le 19 décembre 2023 par la Chambre des prud'hommes de la Cour de justice du canton de Genève
(C/10087/2021-1; CAPH/130/2023).
Faits :
A.
A.a. Après que la tentative de conciliation a échoué (complètement selon l'art. 105 al. 2 LTF), A.________ (ci-après: le demandeur ou le recourant) a déposé une demande auprès du Tribunal des prud'hommes du canton de Genève le 18 octobre 2021. Il a conclu à ce qu'il soit constaté qu'il était lié par un contrat de travail à B.________ SA (ci-après: la société ou l'intimée) et à ce que celle-ci soit condamnée à lui verser 625'000 fr., intérêts en sus, à titre de salaires pour la période de janvier 2015 à mai 2021. En substance, il a allégué qu'il avait été employé du groupe détenant la société (ci-après: le groupe) durant 24 ans, produit des titres et sollicité l'audition des parties et de témoins.
Par jugement du 19 décembre 2022, le Tribunal des prud'hommes a déclaré irrecevables la conclusion du demandeur visant à la constatation de ce qu'il était lié à la société par un contrat de travail et, d'ailleurs, la demande dans son entier.
A.b. Par arrêt du 19 décembre 2023, la Chambre des prud'hommes de la Cour de justice du canton de Genève a, en substance, rejeté, dans la mesure de sa recevabilité, l'appel formé par le demandeur à l'encontre dudit jugement.
B.
Contre cet arrêt, qui lui avait été notifié le 21 décembre 2023, le demandeur a formé un recours en matière civile auprès du Tribunal fédéral le 1er février 2024. Il conclut, préalablement, à ce qu'un bref délai supplémentaire lui soit octroyé pour compléter son recours et, principalement, à ce que l'arrêt entrepris soit annulé et réformé, en ce sens que sa demande du 18 octobre 2021 soit déclarée recevable, et à ce que la cause soit renvoyée à la cour cantonale ou au Tribunal des prud'hommes pour instruction.
La société intimée conclut au rejet du recours.
Le recourant a déposé des observations complémentaires.
La cour cantonale se réfère aux considérants de son arrêt.
Par ordonnance présidentielle du 8 février 2024, la requête du recourant tendant à ce qu'un bref délai supplémentaire lui soit octroyé pour compléter son recours a été rejetée, dès lors que le délai de recours, au sens de l'art. 100 al. 1 LTF, est un délai légal qui ne peut pas être prolongé (art. 47 al. 1 LTF).
Considérant en droit :
1.
Interjeté dans le délai fixé par la loi (art. 100 al. 1 et art. 46 al. 1 let . c LTF) par le demandeur, qui a succombé dans ses conclusions (art. 76 al. 1 LTF), et dirigé contre une décision finale (art. 90 LTF) rendue sur appel par le tribunal supérieur du canton de Genève (art. 75 LTF) dans une affaire civile (art. 72 al. 1 LTF) dont la valeur litigieuse dépasse 30'000 fr. (art. 74 al. 1 let. b LTF; ATF 137 III 32 consid. 2.3; arrêt 4A_84/2020 du 7 août 2020 consid. 1.2 et les arrêts cités), le recours en matière civile est en principe recevable.
2.
2.1. Le Tribunal fédéral statue sur la base des faits établis par l'autorité précédente (art. 105 al. 1 LTF). Il ne peut s'en écarter que si ces faits ont été établis de façon manifestement inexacte - ce qui correspond à la notion d'arbitraire au sens de l'art. 9 Cst. (ATF 140 III 115 consid. 2; 137 I 58 consid. 4.1.2; 137 II 353 consid. 5.1) - ou en violation du droit au sens de l'art. 95 LTF (art. 105 al. 2 LTF), et si la correction du vice est susceptible d'influer sur le sort de la cause (art. 97 al. 1 LTF).
Concernant l'appréciation des preuves, le Tribunal fédéral n'intervient, du chef de l'art. 9 Cst., que si le juge du fait n'a manifestement pas compris le sens et la portée d'un moyen de preuve, a omis sans raisons objectives de tenir compte des preuves pertinentes ou a effectué, sur la base des éléments recueillis, des déductions insoutenables (ATF 137 III 226 consid. 4.2; 136 III 552 consid. 4.2; 134 V 53 consid. 4.3; 133 II 249 consid. 1.4.3; 129 I 8 consid. 2.1).
La critique de l'état de fait retenu est soumise au principe strict de l'allégation énoncé par l'art. 106 al. 2 LTF (ATF 140 III 264 consid. 2.3 et les références citées). La partie qui entend attaquer les faits constatés par l'autorité précédente doit expliquer clairement et de manière circonstanciée en quoi ces conditions seraient réalisées (ATF 140 III 16 consid. 1.3.1 et les références citées). Si elle souhaite obtenir un complètement de l'état de fait, elle doit aussi démontrer, par des renvois précis aux pièces du dossier, qu'elle a présenté aux autorités précédentes, en conformité avec les règles de la procédure, les faits juridiquement pertinents à cet égard et les moyens de preuve adéquats (ATF 140 III 86 consid. 2). Si la critique ne satisfait pas à ces exigences, les allégations relatives à un état de fait qui s'écarterait de celui de la décision attaquée ne pourront pas être prises en considération (ATF 140 III 16 consid. 1.3.1). Les critiques de nature appellatoire sont irrecevables (ATF 130 I 258 consid. 1.3).
2.2. Le Tribunal fédéral applique en principe d'office le droit (art. 106 al. 1 LTF) à l'état de fait constaté dans l'arrêt cantonal (ou à l'état de fait qu'il aura rectifié). Cela ne signifie pas que le Tribunal fédéral examine, comme le ferait un juge de première instance, toutes les questions juridiques qui pourraient se poser. Compte tenu de l'obligation de motiver imposée par l'art. 42 al. 2 LTF, il ne traite que les questions qui sont soulevées devant lui par les parties, à moins que la violation du droit ne soit manifeste (ATF 140 III 115 consid. 2, 86 consid. 2).
Le recours en matière civile peut être formé pour violation du droit fédéral (art. 95 let. a LTF), y compris le droit constitutionnel (ATF 134 III 379 consid. 1.2; 133 III 446 consid. 4.1, 462 consid. 2.3). Il ne peut en revanche pas être interjeté pour violation du droit cantonal en tant que tel. Il est toutefois possible de faire valoir que la mauvaise application du droit cantonal constitue une violation du droit fédéral, en particulier qu'elle est arbitraire au sens de l'art. 9 Cst. ou contraire à d'autres droits constitutionnels (ATF 138 I 1 consid. 2.1; 134 III 379 consid. 1.2; 133 III 462 consid. 2.3).
3.
Le recourant reproche à la cour cantonale d'avoir nié à tort la compétence à raison de la matière du Tribunal des prud'hommes et d'avoir ainsi violé l'art. 59 al. 2 let. b CPC et appliqué de manière arbitraire l'art. 1 al. 1 let. a de la loi du canton de Genève du 11 février 2010 sur le Tribunal des prud'hommes (LTPH/GE; RS/GE E 3 10).
3.1. La cour cantonale a considéré que le Tribunal avait à raison retenu l'existence d'un abus de droit, soit un cas dans lequel il est fait exception à l'application de la théorie des faits doublement pertinents, et, partant, déclaré irrecevable la demande litigieuse.
Elle a tout d'abord constaté des écarts patents entre les allégations du demandeur et les titres que celui-ci avait produits en vue de les démontrer. En effet, le demandeur, soit une personne physique, avait formulé des allégués portant sur une relation de travail soumise au droit suisse avec la société, soit une société anonyme inscrite au registre du commerce du canton de Genève, et dont le for du lieu d'exécution du travail serait à Genève, et avait conclu à l'octroi d'une rémunération pour une période s'étendant de 2015 à 2021. À l'appui de ces allégués, il s'était essentiellement fondé sur trois contrats de " consulting " conclus entre une structure de droit français (dont le demandeur affirmait qu'elle n'avait pas la personnalité juridique) et des entités de droits néerlandais, anglais et luxembourgeois, comportant des clauses d'élection de droit en faveur des droits de ces trois pays et datant respectivement de 2002, 2005 et 2009.
Au vu des écarts patents entre ces allégations et ces titres, la cour cantonale a considéré qu'il incombait au demandeur de justifier, point par point, les faits propres à circonstancier au premier chef la conclusion des contrats produits, en particulier sous l'angle des parties contractantes, du libellé ainsi que du contenu de ces contrats. Elle a retenu qu'il n'avait toutefois rien allégué à ce sujet dans sa demande.
La cour cantonale a également jugé que le Tribunal des prud'hommes avait retenu à bon droit que le demandeur n'avait rien allégué sur des points typiques d'un contrat de travail, tels que les vacances, les horaires et les charges sociales.
Dès lors que l'argumentation du demandeur reposait avant tout sur des contrats qui ne permettaient pas de fonder un for en faveur d'une juridiction de droit du travail à Genève ainsi que sur des allégués lacunaires voire contradictoires, en particulier en tant qu'ils se rapportaient à sa propre déclaration de témoin assermenté dans une autre cause, à teneur de laquelle il était " mandaté par la défenderesse en qualité de consultant " et qui emportait une réfutation immédiate et sans équivoque des allégués de la demande, la cour cantonale a jugé que la demande apparaissait abusive et qu'elle ne méritait donc pas de protection.
3.2. Le recourant soutient qu'il a allégué des éléments " largement suffisants à rendre crédible l'existence potentielle d'un contrat de travail ", soit le fait qu'il aurait exercé de nombreuses années en faveur de la société, travaillé exclusivement pour le groupe, perçu une rémunération fixe, bénéficié d'une adresse électronique et d'une ligne téléphonique de la société, travaillé dans les locaux de celle-ci et pris ses ordres de cadres de la société.
En substance, il conteste l'existence d'un abus de droit et reproche à la cour cantonale (1) d'avoir prématurément examiné en détail la question de l'existence d'un contrat de travail et d'avoir choisi les éléments favorables à la thèse de la société, (2) d'avoir prématurément exigé des preuves quant à l'existence d'un contrat de travail et avant l'instruction des moyens de preuve, (3) d'avoir ignoré les développements de sa demande relatifs à la " qualification contractuelle des rapports de travail ", et (4) d'avoir pris en compte les arguments de la société intimée. Il soutient en outre qu'aucun élément ne permettrait de retenir que ses allégués seraient " faux " et qu'il n'avait pas tenté de déguiser la nature des rapports existant entre les parties.
3.3. Sous couvert d'abus de droit, les instances cantonales ont en réalité examiné si les faits allégués par le demandeur étaient concluants (
schlüssig), autrement dit s'il pouvait en être déduit juridiquement l'existence d'un contrat de travail. En effet, selon la jurisprudence, le renvoi de l'administration des preuves sur les faits doublement pertinents à la phase du procès sur le fond ne dispense pas le juge d'examiner si les faits doublement pertinents allégués par le demandeur - censés établis - sont concluants; le tribunal doit examiner s'ils permettent juridiquement de déduire la qualification du contrat soutenue par le demandeur et, partant, le for; il s'agit là d'une question de droit (ATF 147 III 159 consid. 2.1.2; 141 III 294 consid. 6.1; arrêt 4A_573/2015 du 3 mai 2016 consid. 5.2.2). Dans la mesure où le recourant ne conteste ni la contradiction évidente constatée par la cour cantonale entre ses allégations - censées établies - et la teneur des contrats qu'il a produits afin de justifier la qualification de contrat de travail, force est de constater que le recourant ne s'en prend pas à la motivation de la cour cantonale, de sorte que ses griefs sont irrecevables (art. 42 al. 2 LTF)
4.
Au vu de ce qui précède, le recours doit être déclaré irrecevable.
Les frais judiciaires et les dépens seront mis à la charge du recourant, qui succombe (art. 66 al. 1 et art. 68 al. 1 et 2 LTF ).
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :
1.
Le recours est irrecevable.
2.
Les frais judiciaires, arrêtés à 5'000 fr., sont mis à la charge du recourant.
3.
Le recourant versera à l'intimée une indemnité de 6'000 fr. à titre de dépens.
4.
Le présent arrêt est communiqué aux mandataires des parties et à la Chambre des prud'hommes de la Cour de justice du canton de Genève.
Lausanne, le 3 septembre 2024
Au nom de la I re Cour de droit civil
du Tribunal fédéral suisse
La Présidente : Jametti
Le Greffier : Douzals