Bundesgericht
Tribunal fédéral
Tribunale federale
Tribunal federal
4A_539/2023
Arrêt du 4 septembre 2024
I
Composition
Mmes les Juges fédérales
Jametti, Présidente, Hohl et May Canellas.
Greffier : M. Esteve.
Participants à la procédure
1. A.________,
2. B.________,
3. C.________,
4. D.________,
5. E.________,
6. F.________,
7. G.________,
8. H.________,
tous représentés par Me Marie Franzetti, avocate,
recourants,
contre
I.________ SA,
représentée par Me Olivier Subilia, avocat,
intimée.
Objet
contrat de travail; location de services; convention collective de travail,
recours contre l'arrêt rendu le 27 septembre 2023 par la Cour d'appel civile du Tribunal cantonal du canton de Vaud (P321.027791-221357, 396).
Faits :
A.
A.a. A.________, B.________, C.________, D.________, E.________, F.________, G.________ et H.________ (ci-après: les employés ou les recourants) ont été engagés par I.________ SA (ci-après: I.________ ou l'intimée) comme collaborateurs auxquels des missions seraient confiées.
I.________ a notamment pour but le placement de personnel. Elle est soumise à la Convention collective de travail de la branche du travail temporaire (CCT Location de services; ci-après: CCT LSE), laquelle a fait l'objet d'arrêtés d'extension successifs du Conseil fédéral.
Les employés ont été mis à disposition de J.________ SA (ci-après: J.________), à (...), à différentes périodes comprises entre juin 2016 et mai 2019, par contrats de mission temporaire. J.________ a pour but la fabrication, l'achat, la vente, la représentation de produits de boulangerie et d'alimentation, la représentation de vins et de spiritueux et de tous produits de consommation alimentaire.
Les contrats de mission temporaire des employés fixaient un salaire horaire brut qui allait de 19 fr. à 24 fr. selon les employés et les périodes considérées.
A.b. Le 21 décembre 2020, certains employés ont mis en demeure I.________ de leur payer la différence entre les salaires qu'ils avaient perçus lors de leurs missions chez J.________ et le "salaire usuel en fonction de la branche et de la localité", lequel serait ancré à l'art. 3 al. 3 CCT LSE et s'élèverait, par heure, à 22 fr. 60 pour 2016, 23 fr. 25 pour 2017 et 23 fr. 92 pour 2018. Ils se fondaient sur un jugement du Tribunal de prud'hommes de l'arrondissement de la Broye et du Nord vaudois daté du 22 mars 2019 reconnaissant le droit à ce salaire minimum aux employés temporaires de J.________, dans une affaire ayant opposé I.________ à une ancienne employée.
Cette démarche s'est heurtée au refus de I.________.
B.
B.a. En juin 2021, respectivement en novembre 2021 (pour deux d'entre eux), les employés ont saisi le Tribunal de prud'hommes de l'arrondissement de la Broye et du Nord vaudois de demandes tendant au versement par I.________ du différentiel entre le salaire qu'ils avaient perçu et le salaire minimum qu'ils déduisaient de la CCT LSE. Ils ont pris les conclusions en paiement suivantes (avec les intérêts correspondants) :
1) A.________: 754 fr. 65 pour 2016 et 2'804 fr. 90 pour 2017;
2) B.________: 2'425 fr. 35 pour 2016, 5'718 fr. pour 2017 et 4'229 fr. 97 pour 2018;
3) C.________: 2'237 fr. 10 pour 2016, 7'798 fr. 30 pour 2017 et 2'610 fr. 70 pour 2018;
4) D.________: 4'597 fr. 80 pour 2016, 3'839 fr. 10 pour 2017 et 2'484 fr. 95 pour 2018;
5) E.________: 3'769 fr. 75 pour 2017 et 5'230 fr. 88 pour 2018;
6) F.________: 622 fr. 95 pour 2016 (plus 252 fr. net au titre d'un solde d'indemnités journalières), 1'730 fr. 95 pour 2017 et 2'364 fr. 60 pour 2018;
7) G.________: 2'423 fr. 60 pour 2017 et 5'613 fr. 40 pour 2018;
8) H.________: 2'052 fr. 95 pour 2016, 6'006 fr. 85 pour 2017 et 778 fr. 01 pour 2018.
Ces causes ont été jointes.
Par jugement du 20 juillet 2022, le Tribunal de prud'hommes de l'arrondissement de la Broye et du Nord vaudois a fait droit aux demandes des employés.
B.b. Par arrêt du 27 septembre 2023, la Cour d'appel civile du Tribunal cantonal du canton de Vaud a admis l'appel de I.________, annulé le jugement attaqué et rejeté intégralement les conclusions des employés. Ses motifs seront évoqués dans les considérants en droit du présent arrêt.
C.
Les employés forment un recours en matière civile, en concluant à la réforme de l'arrêt attaqué dans le sens de leurs conclusions en paiement respectives (cf.
supra consid. B.a).
Dans sa réponse, l'intimée conclut au rejet du recours. Dans la sienne, la cour cantonale se réfère à son arrêt.
La réponse de l'intimée a inspiré à ses adverses parties une réplique, laquelle a été suivie d'une duplique.
Considérant en droit :
1.
Dirigé contre une décision finale (art. 90 LTF) rendue par un tribunal supérieur statuant en dernière instance cantonale (art. 75 LTF), dans une affaire de droit du travail dont la valeur litigieuse - compte tenu de l'addition des chefs de conclusions des recourants (art. 52 LTF) - atteint le seuil de 15'000 fr. (art. 74 al. 1 let. a LTF), le recours est en principe recevable, puisqu'il a été déposé dans le délai (art. 100 al. 1 LTF) et la forme (art. 42 LTF) prévus par la loi.
2.
2.1. Le Tribunal fédéral statue sur la base des faits établis par l'autorité précédente (art. 105 al. 1 LTF). Il ne peut s'en écarter que si ces faits ont été établis de façon manifestement inexacte - ce qui correspond à la notion d'arbitraire au sens de l'art. 9 Cst. (ATF 140 III 115 consid. 2; 137 I 58 consid. 4.1.2; 137 II 353 consid. 5.1) - ou en violation du droit au sens de l'art. 95 LTF (art. 105 al. 2 LTF), et si la correction du vice est susceptible d'influer sur le sort de la cause (art. 97 al. 1 LTF).
Concernant l'appréciation des preuves, le Tribunal fédéral n'intervient, du chef de l'art. 9 Cst., que si le juge du fait n'a manifestement pas compris le sens et la portée d'un moyen de preuve, a omis sans raisons objectives de tenir compte des preuves pertinentes ou a effectué, sur la base des éléments recueillis, des déductions insoutenables (ATF 137 III 226 consid. 4.2; 136 III 552 consid. 4.2; 134 V 53 consid. 4.3; 129 I 8 consid. 2.1).
La critique de l'état de fait retenu est soumise au principe strict de l'allégation énoncé par l'art. 106 al. 2 LTF (ATF 140 III 264 consid. 2.3 et les références citées). La partie qui entend attaquer les faits constatés par l'autorité précédente doit expliquer clairement et de manière circonstanciée en quoi ces conditions seraient réalisées (ATF 140 III 16 consid. 1.3.1 et les références citées). Si elle souhaite obtenir un complètement de l'état de fait, elle doit aussi démontrer, par des renvois précis aux pièces du dossier, qu'elle a présentées aux autorités précédentes, en conformité avec les règles de la procédure, les faits juridiquement pertinents à cet égard et les moyens de preuve adéquats (ATF 140 III 86 consid. 2). Si la critique ne satisfait pas à ces exigences, les allégations relatives à un état de fait qui s'écarterait de celui de la décision attaquée ne pourront pas être prises en considération (ATF 140 III 16 consid. 1.3.1). Les critiques de nature appellatoire sont irrecevables (ATF 130 I 258 consid. 1.3).
Le complètement de l'état de fait ne relève pas de l'arbitraire; un fait non constaté ne peut pas être arbitraire, c'est-à-dire constaté de manière insoutenable. En revanche, si un fait omis est juridiquement pertinent, le recourant peut obtenir qu'il soit constaté s'il démontre qu'en vertu des règles de la procédure civile, l'autorité précédente aurait objectivement pu en tenir compte et s'il désigne précisément les allégués et les offres de preuves qu'il lui avait présentés, avec référence aux pièces du dossier (art. 106 al. 2 LTF; ATF 140 III 86 consid. 2; arrêt 4A_53/2021 du 21 septembre 2021 consid. 2.1 et les arrêts cités).
2.2. Le Tribunal fédéral applique en principe d'office le droit (art. 106 al. 1 LTF) à l'état de fait constaté dans l'arrêt cantonal (ou à l'état de fait qu'il aura rectifié). Cela ne signifie pas que le Tribunal fédéral examine, comme le ferait un juge de première instance, toutes les questions juridiques qui pourraient se poser. Compte tenu de l'obligation de motiver imposée par l'art. 42 al. 2 LTF, il ne traite que les questions qui sont soulevées devant lui par les parties, à moins que la violation du droit ne soit manifeste (ATF 140 III 115 consid. 2, 86 consid. 2). Il n'est en revanche pas lié par l'argumentation juridique développée par les parties ou par l'autorité précédente; il peut admettre le recours, comme il peut le rejeter en procédant à une substitution de motifs (ATF 135 III 397 consid. 1.4).
3.
Le litige porte sur un différentiel de salaire entre celui que les employés ont touché dans le cadre de leur mission pour J.________ et le salaire minimum que la CCT LSE imposerait, d'après eux.
La cour cantonale a considéré que les parties étaient liées par la CCT LSE, déclarée par le Conseil fédéral de force obligatoire de janvier 2012 à décembre 2020. Ceci n'est pas remis en cause. En revanche, les recourants prêtent à l'art. 3 al. 3 CCT LSE un sens qui n'est pas celui que la cour cantonale a dégagé au terme de son interprétation.
3.1. L'art. 3 al. 1 CCT LSE règle le conflit potentiel entre les dispositions de la CCT LSE et celles des autres conventions étendues applicables selon l'art. 20 de la loi fédérale du 6 octobre 1989 sur le service de l'emploi et la location de services (LSE; RS 823.11) et l'art. 48a de l'ordonnance du 16 janvier 1991 sur le service de l'emploi et la location de services (OSE; RS 823.111); il prévoit, comme principe, la priorité des dispositions spécifiques de ces autres conventions étendues (arrêt du Tribunal fédéral 4A_248/2021 du 9 novembre 2021 consid. 3.3.1 et les références citées). L'art. 3 al. 1 CCT LSE statue en effet que les dispositions concernant le salaire et le temps de travail visées à l'art. 20 LSE et à l'art. 48a OSE des CCT en vigueur dans l'entreprise locataire de services s'appliquent, à l'exclusion des propres dispositions de la CCT LSE, si les premières nommées sont déclarées de force obligatoire (ou si leurs dispositions non étendues figurent à l'annexe 1 de la CCT LSE).
L'alinéa 3 - au coeur du présent litige - règle le cas où l'entreprise locataire de services n'est pas dotée d'une convention collective de travail étendue, ni d'une convention collective de travail qui figure à l'annexe 1 de la CCT LSE. Il est rédigé ainsi: "Dans les entreprises locataires de services dotées de conventions collectives de travail non étendues, qui ne figurent pas à l'annexe 1 de la présente CCT, les dispositions de la CCT Location de services s'appliquent dans leur intégralité. Les dispositions portant sur les salaires minimums selon l'art. 20 de la présente CCT sont exclues de ce champ d'application dans les entreprises de l'industrie chimique et pharmaceutique, de l'industrie des machines, de l'industrie graphique, de l'industrie horlogère, de l'industrie alimentaire et des produits de luxe ainsi [que] dans les entreprises de transports publics".
Cet alinéa comporte deux paragraphes supplémentaires qui n'ont pas été englobés dans la décision d'extension du Conseil fédéral, ce qui ne fait pas débat. Le premier de ces paragraphes explique que "[c]ette exclusion est convenue du fait que dans les branches précitées, les salaires minimums usuels en fonction de la localité et de la branche sont supérieurs à ceux fixés à l'art. 20 de la présente CCT." Le second paragraphe prévoit que "[s]i la Com mission Professionnelle paritaire Suisse de la Location de Services (CPSLS) a des raisons sérieuses de penser qu'il y a dumping salarial dans l'une ou plusieurs de ces branches, elle ou toute partie signataire de la présente CCT peut demander à la commission tripartite compétente (art. 360b CO) d'ouvrir une enquête. "
3.2. Les recourants concèdent que J.________ est une entreprise de l'industrie alimentaire et, partant, que les salaires minimums de l'art. 20 CCT LSE ne sont pas applicables, en vertu de l'exception prévue à l'art. 3 al. 3 CCT LSE. Cela étant, ils soutiennent que ce seraient les " salaires minimums usuels en fonction de la localité et de la branche " dont il est question au deuxième paragraphe de cet alinéa qui s'imposeraient dans ce cas de figure.
3.3. La cour cantonale a réfuté cette thèse. Elle s'est laissée guider par un arrêt du Tribunal fédéral 4C_1/2014 du 11 mai 2015 où il était question d'un contrat-type de travail adopté dans le contexte d'un dumping salarial pratiqué dans les secteurs d'industrie énumérés à l'art. 3 al. 3 CCT LSE. Elle a estimé que les arrêts cantonaux vaudois auxquels les employés s'étaient référés étaient incompatibles avec cette jurisprudence fédérale qui avait définitivement tranché par la négative le point de savoir si, dans les secteurs en question, la CCT LSE prévoyait des salaires minimaux ou des salaires usuels (les salaires moyens de la branche concernée) obligatoires.
D'autres réflexions lui ont inspiré la même conclusion. Ainsi, selon les juges cantonaux, le texte de l'art. 3 al. 3 CCT LSE était clair, en cela que les salaires minimaux prévus à l'art. 20 CCT LSE n'étaient pas applicables dans certains domaines professionnels, tels l'industrie alimentaire. Comme le passage du commentaire de la CCT LSE relatif à l'art. 3 al. 3 l'expliquait, cette exclusion était motivée par le fait que les salaires minimaux usuels dans les branches en question étaient supérieurs à ceux fixés à l'art. 20 CCT LSE. Ceci ne voulait toutefois pas dire que les salaires usuels dont il est question s'avéraient impératifs; ainsi, si la Commission Professionnelle paritaire Suisse de la Location de Services avait des raisons sérieuses de penser qu'il existait un dumping salarial dans l'une ou l'autre des branches considérées, elle (ou une partie signataire) pouvait demander à la commission tripartite compétente d'ouvrir une enquête. Contrairement à ce que les employés avançaient, le commentaire de l'art. 3 al. 3 CCT LSE se bornait à recommander aux sociétés de travail temporaire assujetties - qui mettaient leur personnel à disposition d'entreprises actives dans les branches citées à cet article - de s'en tenir aux fourchettes du calculateur des salaires de l'Observatoire universitaire de l'emploi de l'Université de Genève, du calculateur Salarium de l'Office fédéral de la statistique ou du Livre des salaires zurichois; il ne leur imposait pas d'obligations. Enfin, les parties contractantes à la CCT LSE avaient adopté récemment une nouvelle version de la convention (CCT LSE 2021/2023) stipulant expressément que " [l]es dispositions portant sur les salaires minimums selon l'art. 20 de la CCT Location de services sont exclues de ce champ d'application jusqu'au 31 décembre 2022 dans les entreprises [...] de l'industrie alimentaire [...]. Dès le 1
er janvier 2023, les salaires minimums selon l'art. 20 de la CCT Location de services sont applicables en cas de mission dans ces entreprises."; cette modification était suffisamment révélatrice: le besoin d'instaurer un salaire plancher, inexistant auparavant dans le secteur concerné, s'était dès lors imposé.
3.4. Cette interprétation catalyse les griefs des recourants, lesquels estiment d'une part que l'arrêt 4C_1/2014 du 11 mai 2015 ne répondrait pas à la question litigieuse - d'où les arrêts cantonaux invoqués au soutien de leur cause - et d'autre part que la cour cantonale aurait erré dans ce qui était loin d'être une interprétation en bonne et due forme, échouant à restituer l'objectif imprimé à l'art. 3 al. 3 CCT LSE. Leurs critiques à cet égard peuvent être résumées ainsi:
- la cour cantonale n'aurait pas tenu compte de certaines pièces déposées en cause, à savoir les brochures édictées en octobre 2018, janvier 2021 et octobre 2021 par swissstaffing, l'association des employeurs de la branche des services de l'emploi, lesquelles établiraient la volonté des parties signataires de la CCT LSE de faire respecter les salaires usuels;
- elle aurait ignoré le deuxième paragraphe de l'art. 3 al. 3 CCT LSE, où figure la référence aux salaires usuels, ce qui aurait vicié son interprétation littérale et systématique;
- elle aurait également méconnu le commentaire de la CCT LSE où l'obligation de respecter des salaires usuels serait soulignée à plusieurs reprises, notamment dans un tableau récapitulatif des salaires en question; de surcroît, elle aurait confondu recommandation sur les moyens de calculer les salaires usuels et recommandation de pratiquer des salaires usuels minimums, alors que cette dernière aurait valeur de prescription;
- elle aurait mésestimé le but poursuivi par les parties contractantes à la convention, lesquelles avaient en vue de protéger les employés bénéficiant de salaires moins élevés que ceux fixés à l'art. 20 CCT LSE;
- son interprétation serait pervertie par un élément étranger et dépourvu de pertinence, à savoir la modification de la convention en question, entrée en vigueur le 1
er janvier 2023;
- finalement, les recourants devraient être protégés dans ce qu'ils pouvaient comprendre de l'art. 3 al. 3 CCT LSE selon le principe de la bonne foi.
4.
4.1. Sauf disposition contraire de la convention collective de travail, les clauses relatives à la conclusion, au contenu et à l'extinction des contrats individuels de travail ont, pour la durée de la convention, un effet direct et impératif envers les employeurs et travailleurs qu'elles lient (art. 357 al. 1 CO). Elles sont appelées clauses normatives. Elles doivent être interprétées de la même manière qu'une loi (ATF 136 III 283 consid. 2.3.1; arrêt 4A_248/2021 précité consid. 4.1.1).
D'après la jurisprudence, la loi s'interprète en premier lieu selon sa lettre (interprétation littérale). On peut cependant s'écarter de cette interprétation s'il y a des raisons sérieuses de penser que le texte de la loi ne reflète pas la volonté réelle du législateur; de tels motifs peuvent découler des travaux préparatoires, du but et du sens de la disposition, ainsi que de la systématique de la loi. Lorsque plusieurs interprétations sont possibles, il convient de rechercher quelle est la véritable portée de la norme, en la dégageant de tous les éléments à considérer, soit notamment des travaux préparatoires, du but de la règle, de son esprit, ainsi que des valeurs sur lesquelles elle repose ou encore de sa relation avec d'autres dispositions; le Tribunal fédéral ne privilégie aucune méthode d'interprétation, mais s'inspire d'un pluralisme pragmatique. Dans le domaine de l'interprétation des dispositions normatives d'une convention collective, il ne faut pas exagérer la distinction entre les règles sur l'interprétation des lois et les règles sur l'interprétation des contrats; la volonté des parties aux contrats individuels de travail et ce que l'on peut comprendre selon le principe de la bonne foi constituent également des moyens d'interprétation (ATF 136 III 283 consid. 2.3.1; arrêt 4A_248/2021 précité consid. 4.1.1).
4.2. En l'espèce, n'en déplaise aux recourants, la cour cantonale a procédé à une interprétation en bonne et due forme de l'art. 3 CCT LSE.
Comme les juges précédents l'ont très bien retenu et les recourants l'admettent eux-mêmes, les salaires minimums de l'art. 20 CCT LSE ne s'appliquent pas lorsque l'entreprise locataire de services est active dans l'industrie alimentaire. L'art. 3 al. 3 CCT LSE ne pourrait être plus clair à cet égard.
Les deux derniers paragraphes de cet alinéa en révèlent les motifs (cf.
supra consid. 3.1). Certes, ils n'ont pas été déclarés de force obligatoire par décision du Conseil fédéral mais, dès lors que le premier expose les raisons pour lesquelles cette exclusion a été prévue et le second l'un des mécanismes apte à corriger un éventuel dumping salarial dans la branche concernée, ils bénéficient d'une certaine valeur explicative. Contrairement à ce que les recourants estiment, la cour cantonale n'en a pas fait abstraction; en revanche, elle ne leur a pas accordé la même portée que les recourants, et ce à juste titre.
D'après les recourants, dans les secteurs d'industrie exceptés selon l'art. 3 al. 3 CCT LSE, les salaires minimums usuels en fonction de la localité et de la branche seraient impératifs. Cette exégèse est indéfendable au regard du texte-même de cette disposition. Le paragraphe en cause se limite en effet à expliquer que "cette exclusion est convenue du fait que dans les branches précitées, les salaires minimums usuels en fonction de la localité et de la branche sont supérieurs à ceux fixés à l'art. 20 de la présente CCT". Si la CCT LSE imposait le respect de ces salaires usuels, les parties contractantes l'aurait exprimé dans des termes autrement plus explicites et certainement pas en usant d'une formulation qui, selon les propres mots des employés, revêt un caractère "purement explicatif [qui] n'implique aucune obligation". Les recourants croient discerner dans le commentaire de l'art. 3 al. 3 CCT LSE la démonstration de leur thèse. Las, car - sans préjudice de la valeur que peut revêtir ce commentaire - les passages qu'ils évoquent ne révèlent rien de tel. De fait, comme l'ont retenu les juges cantonaux, les termes utilisés dans ce commentaire n'expriment aucune obligation. Les employés prétendent également déceler une confirmation de leur point de vue dans les brochures de swissstaffing produites sous pièces 22, 23 et 24 qui, ne leur en déplaise, n'ont pas été purement et simplement ignorées par la cour cantonale (de sorte que les recourants invoquent en vain un état de fait incomplet ou établi de manière arbitraire); sans davantage de succès. A la question "Qu'est-ce qui fait foi ?" pour une entreprise active dans l'industrie alimentaire, cette brochure répond en effet: les "salaires usuels dans la localité et la branche". De là à interpréter cette expression comme une obligation découlant directement de la CCT LSE, il y a une marge appréciable. La même appréciation doit être faite de l'indication figurant au tableau annexé à la CCT LSE, auquel se réfèrent également les recourants, en tant qu'elle correspond à la réponse sus-citée de la brochure de swissstaffing. En tout état de cause, comme le relève à juste titre l'intimée, il s'agit à chaque fois de documents à vocation purement informative.
Pour autant, la CCT LSE ne perd pas de vue qu'il peut exister des situations problématiques, ce qui explique le rappel de l'existence d'un mécanisme correctif ancré dans le Code des obligations (art. 3 al. 3 dernier paragraphe, dernière phrase CCT LSE). C'est ce mécanisme qui concrétise l'objectif de protection des travailleurs concernés poursuivi dans cette convention collective et que la cour cantonale n'a nullement perdu de vue. Il est clair que si les salaires minimums usuels revêtaient un caractère impératif - comme les recourants l'affirment -, ce mécanisme n'aurait aucun sens. Ainsi, le paragraphe en question explique que si la Commission Professionnelle paritaire Suisse de la Location de Services a des raisons sérieuses de penser qu'il y a dumping salarial dans l'une ou plusieurs de ces branches, elle ou toute autre partie signataire de la présente CCT peut demander à la commission tripartite compétente d'ouvrir une enquête, référence étant faite à l'art. 360b CO.
Les art. 360a et 360b CO doivent être lus en parallèle. Ils remontent aux accords sectoriels signés avec la Communauté européenne en 1999. Le législateur avait alors prévu des mesures d'accompagnement destinées à parer aux risques de "dumping social" et de sous-enchère salariale induits par l'introduction de la libre circulation des travailleurs (cf. Message du 23 juin 1999 relatif à l'approbation des accords sectoriels entre la Suisse et la CE, FF 1999 5695 et 5698 s. ch. 276.12 et 276.132). D'où la création de commissions tripartites intégrant les partenaires sociaux dans chaque canton - ainsi qu'au niveau fédéral - dont la tâche est d'observer le marché du travail et, en présence d'un abus, de proposer à l'autorité compétente d'édicter un contrat-type de travail fixant des salaires minimaux dans les branches ou professions concernées. L'art. 360a al. 1 CO dépeint la situation redoutée, soit lorsque, au sein d'une branche économique ou d'une profession, les salaires usuels dans la localité, la branche ou la profession font l'objet d'une sous-enchère abusive et répétée, sans qu'il existe de convention collective de travail prévoyant des salaires minimaux pouvant être étendue. L'autorité compétente peut alors édicter, sur proposition de la commission tripartite, un contrat-type de travail de durée limitée prévoyant des salaires minimaux différenciés selon les régions et, le cas échéant, selon les localités.
Les recourants ne parviennent pas à expliquer de manière convaincante ce qui justifierait le rappel de ce filet de sécurité, si le respect des salaires minimaux usuels s'avérait impératif en vertu de la CCT LSE.
Dans l'arrêt 4C_1/2014 du 11 mai 2015, la Ire Cour de droit civil du Tribunal fédéral a été appelée à juger de la légalité d'un contrat-type de travail décrété de force obligatoire pendant trois ans dans le canton du Tessin pour les secteurs du prêt de personnel dans les domaines de l'industrie chimique et pharmaceutique, de l'industrie des machines, de l'industrie graphique, de l'industrie horlogère, de l'industrie alimentaire et des produits de luxe ainsi que dans les entreprises de transports publics. Il apparaissait en effet que la situation dans le canton du Tessin était diamétralement opposée à celle prévalant au niveau suisse, laquelle voulait que, dans ces secteurs d'activité, les salaires usuels soient supérieurs auxdits salaires minimums. Dans cet arrêt, le Tribunal fédéral a observé que l'art. 360a al. 1 CO ne permet l'adoption d'un contrat-type de travail que s'il n'existe pas de salaires minimaux prévus par une convention collective de travail (consid. 6.2). Or, a-t-il ajouté, dans les secteurs d'activités précités, tous exceptés par la CCT LSE, celle-ci ne prévoit pas de salaires minimaux à respecter (consid. 6.2 et 6.3). De plus, l'instrument de l'extension ne permettait pas de suppléer à cette carence. Partant, dans l'affaire en question, l'adoption du contrat-type de travail querellé remplissait non seulement la condition de subsidiarité posée par l'art. 360a al. 1 CO, mais représentait même le correctif que les partenaires sociaux avaient expressément prévu à l'art. 3 al. 3 CCT LSE (consid. 6.4). Cet arrêt a donc tranché la question de savoir si, dans ces secteurs d'activité, la CCT LSE prévoit des salaires minimaux.
Les recourants ne le conçoivent pas ainsi. Pour eux, la portée de cet arrêt est limitée au droit public. A tort, car - même si la Cour de céans s'est prononcée sur un recours en matière de droit public interjeté contre le décret relatif à ce contrat-type - les considérations qui ont dicté son rejet intéressent aussi la présente affaire. Ils soutiennent également que ce ne serait pas la CCT qui imposerait des salaires minimaux, mais que celle-ci rendrait obligatoire les salaires usuels sans en fixer les montants. L'arrêt précité ne se prononcerait, à leurs yeux, que sur les salaires minimaux résultant de l'art. 20 CCT LSE, non sur les salaires usuels qui seraient "à déterminer", ce qui ferait toute la différence. Le Tribunal fédéral n'a toutefois pas procédé à cette curieuse dichotomie dans son arrêt.
Quant à l'argument de la bonne foi brandi par les recourants, il est fondé exclusivement sur la référence à la brochure édictée à l'attention des membres de swissstaffing sur laquelle les recourants ne pouvaient se reposer, en tant que ce document ne dispose pas d'une valeur prescriptive.
S'agissant finalement des griefs que les recourants tirent de la modification de la CCT LSE au 1er janvier 2023 - élément d'après eux sans pertinence -, il n'est pas nécessaire de les trancher puisqu'il ne s'agit là que de motifs subsidiaires, non essentiels au regard des autres considérants qui étayent le jugement cantonal.
Tous les griefs des recourants manquent ainsi leur cible, dans la mesure où ils ne peuvent pas demeurer indécis.
4.3. Comme le recours a pour seul fondement le caractère obligatoire des salaires usuels auxquels il est fait référence à l'art. 3 al. 3 CCT LSE, le considérant qui précède en scelle le sort. Les parties sont liées par les montants horaires dont elles sont convenues dans leurs contrats de mission respectifs et les prétentions salariales supplémentaires sont mal fondées.
5.
Partant, le recours doit être rejeté, aux frais de leurs auteurs. Ceux-ci, débiteurs solidaires, verseront à l'intimée une indemnité à titre de dépens.
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :
1.
Le recours est rejeté.
2.
Les frais judiciaires, arrêtés à 2'000 fr., sont mis à la charge des recourants, solidairement entre eux.
3.
Les recourants, débiteurs solidaires, verseront à l'intimée une indemnité de 2'500 fr. à titre de dépens.
4.
Le présent arrêt est communiqué aux mandataires des parties et à la Cour d'appel civile du Tribunal cantonal du canton de Vaud.
Lausanne, le 4 septembre 2024
Au nom de la I re Cour de droit civil
du Tribunal fédéral suisse
La Présidente : Jametti
Le Greffier : Esteve