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Bundesgericht 
Tribunal fédéral 
Tribunale federale 
Tribunal federal 
 
 
 
 
9C_419/2023  
 
 
Arrêt du 4 octobre 2024  
 
IIIe Cour de droit public  
 
Composition 
MM. et Mme les Juges fédéraux Parrino, Président, 
Moser-Szeless et Beusch. 
Greffière : Mme Vuadens. 
 
Participants à la procédure 
A.________ SA (anciennement B.________ SA), 
représentée par M e David Minder, avocat, 
recourante, 
 
contre  
 
Administration fiscale cantonale du canton de Genève, rue du Stand 26, 1204 Genève, 
intimée. 
 
Objet 
Impôt cantonal et communal du canton de Genève, période fiscale 2019, 
 
recours contre l'arrêt de la Cour de justice de la République et canton de Genève du 16 mai 2023 (A/628/2022-ICC ATA/515/2023). 
 
 
Faits :  
 
A.  
 
A.a. B.________ SA (ci-après: la Société; aujourd'hui A.________ SA) est une société anonyme dont le siège était situé dans le canton de Genève jusqu'en octobre 2019, date à laquelle il a été transféré dans le canton de U.________. Elle détient plusieurs immeubles dans le canton de Genève (art. 105 al. 2 LTF).  
 
A.b. Le 17 septembre 2018, l'Administration fiscale cantonale du canton de Genève (ci-après: l'Administration cantonale) a édicté l'Information N° 1/2018, intitulée "Abrogation de la pratique en matière de provisions pour grands travaux d'entretien" (ci-après: l'Information N° 1/2018). Dans sa nouvelle version du 18 janvier 2019, elle a la teneur suivante:  
Information N° 1/2018 (nouvelle version du 18 janvier 2019) 
Abrogation de la pratique en matière de provisions pour grands travaux d'entretien 
1. Objet de l'information 
La présente information abroge la pratique de l'administration fiscale en matière de provisions pour grands travaux d'entretien, figurant dans l'information n° 12/96 du 24 octobre 1996 et dans l'instruction n° 125 du 6 février 1979, et expose les modalités pratiques de cette abrogation. 
2. Rappel des principes applicables 
Sur le plan fiscal, l'admission d'une provision est, de manière générale, subordonnée au respect des trois conditions suivantes: 
 
- la provision est dûment comptabilisée; 
- le risque de perte ou de charge qu'elle est censée couvrir peut être qualifié de certain ou quasi-certain; 
- ce risque a pris naissance dans l'exercice commercial au cours duquel la provision a été constituée. 
S'agissant en particulier de la seconde condition, le critère de l'existence d'un risque certain ou quasi-certain de perte ou de charge implique que la comptabilisation de la provision soit exigée et non pas simplement permise par le droit commercial en application du principe de prudence. 
À l'exception des provisions pour futurs mandats de recherche et de développement confiés à des tiers, les provisions pour charges futures ne sont pas admises sur le plan fiscal dans la mesure où elles ne remplissent pas cumulativement les conditions susmentionnées. 
3. Modalités d'abrogation de la pratique concernant les provisions pour grands travaux d'entretien 
Afin de se conformer aux règles susmentionnées, l'administration fiscale a décidé d'abroger sa pratique en matière de provisions forfaitaires pour grands travaux d'entretien. De nouvelles dotations sur la base de cette ancienne pratique ne sont plus admises fiscalement.  
L'intégralité des provisions existantes à ce jour qui ont été constituées forfaitairement sur la base de l'ancienne pratique doit être utilisée, ou dissoute sur le plan comptable, au plus tard à la fin de la période fiscale 2019. 
Demeurent réservés les cas alternatifs suivants :  
(i) Les provisions comptabilisées en raison de l'existence d'un contrat ferme signé avant le 31 décembre 2019 pour la réalisation de travaux faisant l'objet, le cas échéant, d'une autorisation de construire délivrée avant cette date pourront être maintenues car elles sont identifiables économiquement à la date de clôture du bilan. Elles devront ensuite être utilisées en 2020, voire en 2021 si les travaux déjà entrepris en 2020 ne sont pas entièrement réalisés à la fin 2020. Le cas échéant, une copie de ces documents sera jointe à la déclaration d'impôts de la période fiscale 2019. 
(ii) Sur demande du contribuable uniquement, la provision existante au 31 décembre 2019 pourra également être maintenue aux conditions suivantes: 
 
- Le contribuable s'engage formellement à réaliser et terminer les travaux d'ici la fin de la période fiscale 2023.  
- La demande du contribuable devra être faite par écrit et jointe à la déclaration d'impôts de la période fiscale 2019. Elle exposera brièvement la nature des travaux envisagés.  
- La provision devra être dissoute sur le plan comptable à due concurrence et au fur et à mesure des travaux réalisés.  
- La taxation de la période fiscale 2019 (et possiblement des périodes fiscales suivantes) sera suspendue jusqu'à la dissolution totale de la provision, mais au plus tard jusqu'à la taxation de la période fiscale 2023.  
- Si, au bouclement des comptes de la période fiscale 2023, les travaux annoncés à l'autorité de taxation n'ont pas été entièrement terminés, l'éventuel solde de la provision 2023 sera dissoute sur le plan fiscal sur la période fiscale 2019.  
En cas de non-respect de ce qui précède, les provisions pour grands travaux d'entretien figurant au bilan 2019 seront réintégrées dans le bénéfice ou le revenu imposable, respectivement le capital ou la fortune imposable, dès la période fiscale 2019. 
Une attention particulière doit donc être portée aux paiements des acomptes pour la période fiscale 2019. Pour rappel, si, au terme général d'échéance, les montants perçus à titre provisoire pour la période fiscale sont insuffisants par rapport à l'impôt fixé dans le bordereau de taxation, la différence est soumise à un intérêt compensatoire négatif.  
4. Entrée en vigueur 
La présente information annule et remplace le chiffre 6 de l'information n° 12/96 du 24 octobre 1996 et abroge l'instruction n° 125 du 6 février 1979. Elle entre en vigueur immédiatement. 
 
A.c. La pratique abrogée par l'Information N° 1/2018 (ci-après désignée par l'expression: ancienne pratique) consistait en substance à admettre la déduction de provisions forfaitaires pour grands travaux d'entretien (supra Information N° 1/2018 chiffre 3 § 1) à concurrence de 10 % des loyers encaissés au cours de la période fiscale. Si la provision forfaitaire ainsi constituée n'était pas utilisée, elle devait être progressivement dissoute dès la dixième année.  
 
A.d. Le 26 octobre 2020, la Société a transmis à l'Administration cantonale sa déclaration fiscale pour l'impôt cantonal et communal genevois de la période 2019, dans laquelle elle a fait valoir une provision de 400'000 fr. sous la rubrique "provision pour travaux immeubles".  
Le 20 août 2021, l'Administration cantonale a demandé à la Société de fournir la justification de cette provision, conformément à l'Information n° 1/2018. Le 11 octobre 2021, la contribuable a contesté l'abrogation de l'ancienne pratique et demandé la reconnaissance de la provision invoquée en application de celle-ci. 
 
A.e. Par décision de taxation du 4 novembre 2021, confirmée sur réclamation le 27 janvier 2022, l'Administration cantonale a fixé l'impôt cantonal et communal de la Société pour la période fiscale 2019 en ajoutant la provision de 400'000 fr. à son bénéfice imposable à Genève, ainsi qu'à son capital propre imposable à Genève.  
 
B.  
Par jugement du 28 novembre 2022, le Tribunal administratif de première instance du canton de Genève (ci-après: le Tribunal administratif) a rejeté le recours que la Société avait formé contre la décision sur réclamation du 27 janvier 2022. 
Par arrêt du 16 mai 2023, la Cour de justice, Chambre administrative, du canton de Genève (ci-après: la Cour de justice) a rejeté le recours de la Société contre ce jugement. 
 
C.  
Agissant par la voie du recours en matière de droit public, la Société demande au Tribunal fédéral, à titre principal, d'annuler l'arrêt de la Cour de justice du 16 mai 2023 et de le réformer en ce sens que la provision pour grands travaux d'entretien constituée pour la période fiscale 2019 est maintenue et la décision de taxation du 4 novembre 2021 modifiée en ce sens; à titre subsidiaire, de renvoyer la cause à la Cour de justice, subsidiairement au Tribunal administratif, pour nouvelle décision dans le sens des considérants. 
L'Administration cantonale conclut au rejet du recours. 
 
 
Considérant en droit :  
 
1.  
 
1.1. Le recours est dirigé contre un arrêt final (art. 90 LTF) rendu dans une cause de droit public (art. 82 let. a LTF) par une autorité cantonale supérieure de dernière instance (art. 86 al. 1 let. d et al. 2 LTF), sans qu'aucune des exceptions prévues à l'art. 83 LTF ne soit réalisée. La voie du recours en matière de droit public est donc ouverte en application des art. 82 ss LTF et, s'agissant d'une matière harmonisée sous le titre 2 de la LHID (RS 642.14), en vertu de l'art. 73 al. 1 LHID également.  
 
1.2. Le recours a par ailleurs été interjeté en temps utile (art. 100 al. 1 LTF) et dans les formes prescrites (art. 42 LTF) par la destinataire de l'arrêt attaqué, qui a qualité pour recourir (art. 89 al. 1 LTF). Il convient donc d'entrer en matière.  
 
2.  
 
2.1. Saisi d'un recours en matière de droit public, le Tribunal fédéral applique le droit d'office (art. 106 al. 1 LTF). Toutefois, conformément à l'art. 106 al. 2 LTF, il ne connaît de la violation des droits fondamentaux ainsi que celle de dispositions de droit cantonal que si le grief a été invoqué et motivé, à savoir exposé de manière claire et détaillée (ATF 149 III 81 consid. 1.3; 148 I 127 consid. 4.3).  
 
2.2. Sauf exceptions non pertinentes en l'espèce (art. 95 let. c, d et e LTF), le recours ne peut pas être formé pour violation du droit cantonal en tant que tel. S'agissant du droit cantonal harmonisé, le Tribunal fédéral en vérifie librement la conformité et son application par les instances cantonales aux dispositions de la LHID, sauf si cette loi fédérale laisse une certaine marge de manoeuvre aux cantons. Dans ce dernier cas, le Tribunal fédéral limite son examen à la violation de droits constitutionnels invoqués de manière conforme aux exigences de l'art. 106 al. 2 LTF qui viennent d'être rappelées (supra consid. 2.1; ATF 144 II 313 consid. 5.3; 142 V 94 consid. 1.3; V 513 consid. 4.2; 134 II 207 consid. 2).  
 
2.3. Le Tribunal fédéral conduit son raisonnement juridique sur la base des faits établis par l'autorité précédente (art. 105 al. 1 LTF), sous réserve des cas prévus à l'art. 105 al. 2 LTF.  
 
3.  
Le litige concerne la réintégration, dans le bénéfice et le capital imposables de la recourante pour l'impôt cantonal et communal genevois de la période fiscale 2019, du montant de 400'000 fr. qu'elle a fait valoir à titre de provision pour gros travaux d'entretien en application de l'ancienne pratique. 
 
3.1. De l'avis des juges précédents, l'ancienne pratique n'était pas compatible avec les dispositions légales applicables en matière de provisions dans la mesure où elle admettait la déduction, à titre de provisions pour travaux d'entretien, de montants calculés forfaitairement et sans que le contribuable n'ait besoin de prouver leur justification commerciale. On était donc en présence de provisions pour charges futures, qui n'étaient pas admissibles. L'Information N° 1/2018, qui abrogeait l'ancienne pratique pour exiger désormais qu'une provision remplisse les conditions générales applicables en la matière, avait ainsi pour objet le rétablissement d'une pratique conforme au droit et reposait donc sur des motifs sérieux et objectifs. C'était par conséquent en vain que la Société se plaignait que l'abrogation de l'ancienne pratique aurait été subitement décidée non pas pour rétablir une situation conforme au droit, mais pour anticiper la baisse du taux de l'impôt sur le bénéfice dans le canton de Genève à compter de la période fiscale 2020 en imposant les provisions forfaitaires dissoutes en 2019 au taux de l'impôt sur le bénéfice applicable durant cette période (soit 24,17 %) et non au taux réduit applicable dès 2020 (soit 13,99 %).  
Les juges cantonaux ont par ailleurs retenu que l'Administration cantonale avait annoncé le changement de pratique en septembre 2018, que la nouvelle pratique ne s'appliquait qu'à compter de la période fiscale suivante et qu'elle prévoyait des dispositions transitoires qui permettaient d'en adoucir les conséquences pour les contribuables concernés, dès lors qu'elles autorisaient le maintien jusqu'en 2023, à certaines conditions, des provisions forfaitaires constituées en vertu de l'ancienne pratique. Dans ces circonstances, la manière dont le changement de pratique avait été opéré par l'Administration cantonale avait respecté les principes de la bonne foi, de la proportionnalité et de la sécurité du droit. 
 
3.2. La recourante ne conteste pas sur le principe le bien-fondé du changement de pratique mais son application immédiate à la période fiscale 2019 en tant qu'elle conduit, dans son cas, à la dissolution complète de la provision litigieuse en 2019.  
 
4.  
 
4.1. Les textes par lesquels l'Administration cantonale fait connaître sa pratique en matière de provisions pour grands travaux d'entretien (soit l'instruction n° 125 du 6 février 1979 puis l'Information N° 12/96, qui ont fixé l'ancienne pratique, ainsi que l'Information N° 1/2018 du 17 septembre 2018, qui l'a abrogée et fixé la nouvelle pratique) sont des directives. Elles ont valeur d'ordonnance administrative et n'ont donc pas force de loi (ATF 148 II 299 consid. 7.1; 146 II 321 consid. 4.3). Une ordonnance administrative est destinée à garantir une interprétation et une application uniforme et égale des dispositions légales applicables par l'administration. Le juge peut s'écarter d'une ordonnance administrative s'il l'estime contraire à la loi; en revanche, il en tient compte dans la mesure où elle permet une application correcte des dispositions légales concernées (ATF 146 I 105 consid. 4.1; 146 II 321 consid. 4.3; 142 V 425 consid. 7.2).  
 
4.2. Une pratique administrative n'est pas immuable. Elle peut notamment prendre fin lorsqu'elle est remplacée par une nouvelle pratique, c'est-à-dire en cas de changement de pratique (AURÉLIE GAVILLET, La pratique administrative dans l'ordre juridique suisse, 20 18, p. 165 § 451). Pour être compatible avec le principe d'égalité de traitement (art. 8 al. 1 Cst.) et la sécurité du droit, un changement de pratique administrative doit, de la même manière qu'un revirement de jurisprudence décidé par une autorité judiciaire, reposer sur des motifs sérieux et objectifs. Tel est notamment le cas lorsqu'il s'agit de rétablir une pratique conforme au droit ou de mieux tenir compte des divers intérêts en présence et de l'évolution des conceptions juridiques (arrêt 2C_1054/2016 du 15 décembre 2017 consid. 8.1 non publié in ATF 144 II 147; ATF 142 V 112 consid. 4.4; 133 V 37 consid. 5.3.3; 125 II 152 consid. 4c/aa). Il n'existe donc pas de droit au maintien d'une pratique reconnue comme illégale (ATF 125 II 152 consid. 4c/aa; cf. aussi ATF 133 V 37 consid. 5.3.3; 126 V 36 consid. 5a; arrêt 2C_461/2007 du 29 janvier 2008 consid. 5.1). Selon la jurisprudence, si une pratique est reconnue comme illégale, le fait que le changement porte atteinte à des droits exercés jusqu'alors, ou à des intérêts économiques, n'est pas pertinent (cf. ATF 125 II 152 consid. 4c/aa).  
 
4.3. En l'occurrence, le changement de pratique porte sur les conditions auxquelles des provisions pour grands travaux d'entretien d'immeubles sont admissibles au plan fiscal.  
 
4.3.1. En droit cantonal genevois, l'art. 16B de la loi du 23 septembre 1994 sur l'imposition des personnes morales (LIPM; rs/GE D 3 15) prévoit notamment qu'une provision peut être constituée à la charge du compte de résultat pour les risques de pertes imminentes durant l'exercice (cf. let. c). Cette disposition correspond, en droit harmonisé, à l'art. 10 let. b LHID et, en droit de l'impôt fédéral direct, aux art. 29 al. 1 let. c et 63 al. 1 let. c LIFD (RS 642.11; sur les conditions pour admettre une provision pour risques de pertes imminentes, cf. ATF 147 II 209 consid. 4.2.2.1). Les provisions qui ne se justifient pas ou plus sont ajoutées au revenu ou au bénéfice imposable (art. 16B al. 2 LIPM), ainsi qu'au capital imposable, à titre de réserves latentes constituées au moyen de bénéfices imposés (art. 28 LIPM, correspondant à l'art. 29 al. 2 let. a LHID; cf. arrêt 9C_192/2024 du 3 juillet 2024 consid. 7.2).  
 
4.3.2. De manière générale, pour être admise en droit fiscal, une provision doit avoir été comptabilisée, être justifiée par l'usage commercial et porter sur des faits dont l'origine se déroule durant la période de calcul, ce que le contribuable doit être en mesure de prouver (cf. arrêt 9C_192/2024 du 3 juillet 2024 consid. 5.2.1 et la référence). Les provisions constituées en vue d'une utilisation future, notamment pour faire face à des dépenses que l'entreprise devra supporter en raison de son activité future, représentent des réserves; en tant que telles, elles font partie du revenu, respectivement du bénéfice imposable (cf. arrêts 9C_192/2024 du 3 juillet 2024 consid. 5.2.2; 9C_469/2023 du 9 avril 2024 consid. 6.2.2 et les références).  
 
4.3.3. S'agissant en particulier des provisions pour gros travaux de réparation d'immeubles, la jurisprudence a précisé (ATF 147 II 209) qu'elles ne se justifiaient en principe que si l'entretien des immeubles a été négligé par le passé, que cette situation n'a pas été prise en compte par des amortissements suffisants et qu'il faut par conséquent s'attendre, en raison de la nécessité d'effectuer des travaux de rénovation importants, à des dépenses élevées qui ne pourront pas être activées, ou seulement partiellement, en raison de l'insuffisance des amortissements. Lorsque l'entretien n'a pas été négligé mais qu'il existe des dépenses d'amélioration activables, il peut aussi y avoir à court terme la nécessité de prendre en considération, sur le plan comptable, les investissements correspondants dans la phase préliminaire des travaux déjà, en constituant une provision (ATF 147 II 209 consid. 4.2.2.2 et 5.1.2).  
Cette affaire concernait un contribuable qui avait fait valoir, dans le canton de Bâle-Ville, une provision forfaitaire pour gros travaux d'entretien correspondant à 1 % de la valeur d'assurance de ses immeubles commerciaux. Le Tribunal fédéral a retenu que le canton de Bâle-Ville était fondé à refuser le principe d'une provision forfaitaire pour grosses réparations, ce refus n'étant pas contraire aux dispositions légales en matière de provisions (ATF 147 II 209 consid. 4.2.2.3) et jugé qu'en l'espèce, le contribuable n'était pas parvenu à prouver que la provision litigieuse était justifiée (ATF 147 II 209 consid. 5.3). Dans un obiter dictum, il a relevé qu'il n'était pas d'emblée exclu que, pour les grandes entreprises immobilières procédant régulièrement à des rénovations importantes de leur parc immobilier, une "forfaitisation" (Pauschalierung) de provisions pour travaux d'entretien puisse avoir un sens du point de vue de la gestion de l'entreprise dans certaines constellations, pour autant qu'elles soient attribuées individuellement aux immeubles concernés et que cela ne conduise pas à la constitution de réserves latentes arbitraires. Il a toutefois laissé cette question ouverte puisque, à la différence d'autres cantons, le canton de Bâle-Ville ne prévoyait de toute manière pas une telle possibilité (ATF 147 II 209 consid. 4.2.2.3; cf. aussi arrêt 2C_282/2022 du 17 novembre 2022 consid. 4.3.2 in fine, in StE 2023 B 72.14.2 Nr. 61). 
 
4.3.4. En l'espèce, il est a priori fortement douteux que l'ancienne pratique, qui admettait de manière générale la constitution de provisions forfaitaires pour grands travaux d'entretien à concurrence de 10 % des loyers encaissés, ait été conforme au droit. Cette question n'a pas à être approfondie puisque la recourante ne soutient pas le contraire, pas plus qu'elle ne remet en cause, sur le principe, le bien-fondé du changement de pratique opéré dans le canton de Genève en la matière. En outre, en tant que l'Information N° 1/2018 conditionne l'admission d'une provision pour grands travaux d'entretien à la nécessité qu'elle corresponde à un risque de perte imminent durant l'exercice (cf. Information N° 1/2018 chiffre 2), elle instaure une nouvelle pratique qui est clairement conforme au droit (cf. ATF 147 II 209 consid. 4.2.2.3 et supra consid. 4.3.3), ce que la recourante ne conteste pas non plus.  
 
4.4. La Société conteste en revanche l'application immédiate de la nouvelle pratique en tant qu'elle aboutit, dans son cas, à la dissolution totale de la provision litigieuse durant la période fiscale 2019. Selon elle, il ressort d'une "abondante jurisprudence" et de la doctrine qu'en cas d'application immédiate d'une nouvelle pratique défavorable à l'administré, celui-ci peut se prévaloir, si l'application immédiate de la nouvelle pratique n'est justifiée par aucun intérêt public, de la protection de sa bonne foi (art. 9 Cst.) et du principe de la sécurité du droit pour s'y opposer et obtenir des dispositions transitoires permettant d'en adoucir les effets.  
De son point de vue, une dissolution progressive de la provision litigieuse à hauteur de 10 % ou 20 % par an, à compter de l'année 2020, serait une disposition transitoire conforme à ces principes. Elle demande par conséquent au Tribunal fédéral de l'autoriser à procéder ainsi. 
 
4.4.1. Selon la jurisprudence, un changement de pratique s'applique immédiatement. Dans le contexte de la TVA, le Tribunal fédéral a ainsi jugé que l'Administration fédérale des contributions pouvait appliquer une directive qu'elle avait édictée à un état de fait né avant sa publication, puisqu'une directive n'a pas besoin d'une entrée en vigueur formelle et qu'elle s'applique dans le temps de la même manière que les dispositions légales qu'elle concrétise (arrêts 2A.451/1998 du 30 mars 2001 consid. 4c, traduit dans RDAF 2001 II 376; 2A.555/1999 du 15 mai 2000 consid. 5b, traduit dans RDAF 2000 II 300). Par ailleurs, le Tribunal fédéral a jugé qu'il n'existait pas de protection générale de la bonne foi contre les modifications d'une pratique matérielle, le principe de la protection de la bonne foi ne s'appliquant qu'en présence d'une assurance concrète fournie par l'autorité au contribuable concerné (ATF 103 Ib 197 consid. 4 et les références).  
 
4.4.2. Cette jurisprudence fait l'objet de critiques. GAVILLET, que la recourante cite dans son mémoire, relève qu'elle est problématique si la nouvelle pratique est moins favorable que l'ancienne et que les administrés se sont fondés sur l'ancienne pratique pour accomplir certains actes, à un moment où ils ne connaissaient pas ni ne pouvaient connaître la nouvelle pratique ou à un moment où ils ont agi sciemment en fonction de l'ancienne pratique. Elle est d'avis qu'en cas de changement de pratique administrative imprévisible et défavorable aux administrés, s'il n'y a pas d'intérêt public prépondérant à l'application immédiate de la nouvelle pratique, l'autorité est tenue, en raison des principes de la bonne foi (dans sa composante d'interdiction des comportements contradictoires), de la sécurité du droit et de la proportionnalité (art. 5 al. 2 et 3, art. 9 Cst.), d'assortir le changement de pratique de mesures permettant d'adoucir les effets négatifs du changement qui ne seraient pas absolument nécessaires, notamment en réservant la nouvelle pratique aux seuls cas qui se produiraient après la naissance de la pratique ou en prévoyant des mesures transitoires (GAVILLET, op. cit., p. 174 s. § 441 s.). REICH va dans le même sens que cette auteure (MARKUS REICH, Steuerrecht, 3e éd. 2020, § 4 p. 81 s. n° 114, spéc. n° 117).  
Cela étant, dans un arrêt récent qui concernait un changement de pratique défavorable à un contribuable en matière de remboursement de l'impôt anticipé (ATF 146 I 105), le Tribunal fédéral a confirmé l'ATF 103 Ib 197 précité en rappelant que la protection de la bonne foi découlant de l'art. 9 Cst. ne protège le citoyen que dans la confiance légitime qu'il met dans des assurances concrètes qu'il a reçue des autorités, de sorte que si l'autorité fiscale s'écarte d'une ordonnance administrative dans un cas particulier, cela ne peut être considéré comme contraire à la bonne foi et donner lieu à la protection de la confiance légitime que si l'autorité a fourni des assurances individuelles à la personne concernée que cette ordonnance administrative lui serait appliquée ou si elle a, pour une autre raison, suscité une confiance légitime auprès d'elle (cf. ATF 146 I 105 consid. 5.1.2). Dans cet arrêt, le Tribunal fédéral a aussi rappelé qu'il n'existe pas de protection générale de la bonne foi qu'un contribuable peut faire valoir contre les changements de pratique concernant le droit matériel et que l'art. 9 Cst. ne confère pas non plus de droit à la notification préalable des changements de pratique (ATF 146 I 105 consid. 5.2.1). 
Par ailleurs, il existe depuis 2003, en droit fiscal, un code de conduite dont la version actuelle, datée du 5 octobre 2021, a été signée par l'Administration fédérale des contributions, la Conférence suisse des impôts pour les cantons et EXPERTsuisse pour les mandataires des contribuables (consultable notamment à l'adresse https://www.estv.admin.ch/estv/fr/accueil/afc/offres-emploi/travailler-a-afc/code-conduite-en-matiere-fiscale-2021.html). Ce code de conduite recommande aux administrations d'annoncer et de publier en temps utile leurs changements de pratique, pour autant qu'ils ne découlent pas de décisions judiciaires, afin de garantir la transparence de la pratique de l'administration (Code de conduite en matière fiscale 2021 ch. 3.1 p. 2). Ce code ne contient toutefois que des recommandations et ne confère aucun droit aux contribuables. La recourante ne s'en prévaut du reste pas. 
 
4.4.3. Il découle de ce qui précède que la jurisprudence récemment confirmée dans un arrêt publié ne permet pas à un contribuable de se prévaloir de la protection de sa bonne foi (art. 9 Cst.) en cas d'application immédiate d'une nouvelle pratique qui lui est défavorable.  
 
4.5. À cela s'ajoute que la recourante reproche de toute manière en vain à l'Administration cantonale d'avoir opéré le changement de pratique sans prendre en compte les intérêts des contribuables touchés.  
 
4.5.1. C'est d'abord à tort qu'elle lui fait grief d'avoir aboli "en urgence" l'ancienne pratique sans intérêt public mais pour des raisons purement fiscales, afin de pouvoir imposer les provisions forfaitaires constituées sous l'empire de l'ancienne pratique au taux de l'impôt sur le bénéfice applicable en 2019, soit à 24,17 %, et non au taux réduit de l'impôt sur le bénéfice applicable dans le canton de Genève dès 2020, soit à 13,99 %. En effet, outre que cette allégation ne repose que sur une conjecture, l'Information N° 1/2018 contient des dispositions transitoires qui permettent, dans deux situations alternatives, de maintenir jusqu'en 2023 les provisions constituées sous l'ancienne pratique (supra consid. A.b).  
La première situation (Information N° 1/2018 ch. 3 [i]) est celle dans laquelle les provisions sont comptabilisées en raison de l'existence d'un contrat ferme signé avant le 31 décembre 2019 pour la réalisation de travaux faisant l'objet, le cas échéant, d'une autorisation de construire délivrée avant cette date. Ces provisions peuvent être maintenues car elles sont identifiables économiquement à la date de clôture du bilan et devront ensuite être utilisées en 2020, voire en 2021 si les travaux déjà entrepris en 2020 ne sont pas entièrement réalisés à la fin 2020. 
La seconde situation (Information N° 1/2018 ch. 3 [ii]) est celle dans laquelle une provision forfaitaire est comptabilisée au 31 décembre 2019. Dans ce cas, le contribuable peut néanmoins échapper à la dissolution complète de la provision forfaitaire constituée sous l'ancienne pratique s'il s'engage formellement, dans un document écrit joint à la déclaration d'impôts de la période fiscale 2019, à réaliser et terminer des travaux d'ici la fin de la période fiscale 2023, travaux qu'il doit brièvement décrire. Dans ce cas, la taxation de la période fiscale 2019 est suspendue et la provision forfaitaire dissoute au fur et à mesure des travaux réalisés, mais au plus tard jusqu'à la taxation de la période fiscale 2023. Ce n'est que si les travaux annoncés ne sont pas entièrement terminés au bouclement des comptes de la période fiscale 2023 que l'éventuel solde de la provision 2023 est dissout sur le plan fiscal sur la période fiscale 2019. 
 
4.5.2. Quoi qu'en dise ensuite la recourante, les dispositions transitoires en question ne sont pas établies de manière à empêcher la majorité des contribuables concernés d'en bénéficier. Ainsi, un contribuable qui ne remplit pas les conditions pour bénéficier de la première situation (ce qui est le cas de la recourante) a encore la possibilité d'éviter une dissolution totale de la provision forfaitaire en 2019 qui ne serait pas justifiée en s'engageant par écrit, dans sa déclaration d'impôt 2019, à réaliser des travaux d'ici à 2023. La recourante avait ainsi la possibilité de bénéficier de cette disposition transitoire.  
À cet égard, la recourante se plaint en vain de ne pas avoir eu le temps de prendre des mesures pour éviter une dissolution complète de la provision litigieuse en 2019, parce que l'Information N° 1/2018 n'a été édictée que trois mois avant la période fiscale 2019. Elle perd ici de vue qu'elle avait la possibilité d'annoncer des travaux lors du dépôt de la déclaration fiscale 2019. Comme elle a déposé cette déclaration le 26 octobre 2020, elle a ainsi eu à disposition plus de deux ans après la publication de la première version de l'Information N° 1/2018, et plus d'un an et demi après la seconde, pour annoncer des travaux à l'Administration cantonale et éviter la dissolution de la provision litigieuse en 2019. 
 
4.5.3. Enfin, la recourante ne peut pas non plus reprocher à l'Administration cantonale de ne pas l'avoir informée individuellement du changement de pratique et de s'être limitée à une publication générale sur internet, puisqu'il n'existe aucune obligation pour les administrations fiscales de notifier individuellement des changements de pratique aux contribuables (supra consid. 4.4.2). En publiant son changement de pratique, l'Administration cantonale a du reste dûment respecté la recommandation figurant dans le code de conduite (supra consid. 4.4.2).  
 
5.  
Il découle de ce qui précède que le recours, infondé, doit être rejeté. 
La recourante, qui succombe, doit supporter les frais de la procédure (art. 66 al. 1 LTF). Il n'est pas alloué de dépens (art. 68 LTF). 
 
 
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :  
 
1.  
Le recours est rejeté. 
 
2.  
Les frais judiciaires, arrêtés à 5'000 fr., sont mis à la charge de la recourante. 
 
3.  
Le présent arrêt est communiqué aux parties et à la Cour de justice de la République et canton de Genève, Chambre administrative, 4ème section. 
 
 
Lucerne, le 4 octobre 2024 
 
Au nom de la IIIe Cour de droit public 
du Tribunal fédéral suisse 
 
Le Président : Parrino 
 
La Greffière : Vuadens