Bundesgericht
Tribunal fédéral
Tribunale federale
Tribunal federal
8C_631/2024
Arrêt du 6 mai 2025
IVe Cour de droit public
Composition
Mmes et M. les Juges fédéraux Viscione, Présidente,
Heine et Métral.
Greffier : M. Colombi.
Participants à la procédure
A.________,
représenté par Me Emilie Rodriguez, avocate,
recourant,
contre
Direction générale de l'emploi et du marché du travail du canton de Vaud,
rue Caroline 11, 1014 Lausanne,
intimée.
Objet
Assurance-chômage,
recours contre l'arrêt du Tribunal cantonal du canton de Vaud du 27 septembre 2024 (ACH 79/24 - 136/2024).
Faits :
A.
A.a. A.________, né en 1993, a travaillé de septembre 2018 à octobre 2022 comme ingénieur informaticien, spécialiste en crypto-monnaies, au service de la société B.________ SA, sise à U.________. Le 26 septembre 2022, il s'est inscrit en qualité de demandeur d'emploi auprès de l'Office régional de placement de V.________ (ci-après: ORP). Indiquant être disponible à 100 %, il a sollicité l'octroi d'indemnités journalières auprès de la Caisse cantonale de chômage à compter du 1er novembre 2022.
A.a.a. Le 2 février 2023, l'assuré a déposé une demande de soutien à l'activité indépendante (SAI) pour un projet en tant que consultant et développeur de logiciels et algorithmes dans le domaine du Bitcoin au sein d'une entreprise ("C.________") qui n'était pas encore enregistrée au registre du commerce. Par décision du 17 avril 2023, l'ORP a rejeté la demande de SAI de l'assuré, au motif que très peu de contacts avec des fournisseurs avaient été initiés, que l'assise financière de l'intéressé était trop modeste en regard des besoins de l'activité d'indépendant envisagée et qu'il existait un nombre important de risques extrinsèques pouvant influencer négativement le développement du projet.
A.a.b. À teneur d'un procès-verbal d'entretien du 15 septembre 2023, l'assuré a avisé l'ORP d'un projet d'activité indépendante avec son frère. Dans ce contexte, la société D.________ SA, sise à W.________, a été inscrite au registre du commerce le 20 novembre 2023. Son but était "l'achat, la détention et l'exploitation d'équipements de minage de Bitcoin, en privilégiant l'utilisation de sources d'énergie à faible teneur en carbone". Elle n'avait ni clients, ni services, ni employés. L'assuré en était l'administrateur président avec signature individuelle, alors que son frère était administrateur vice-président avec signature individuelle.
A.b. Du 20 au 22 octobre 2023, A.________ a participé à la conférence "Lugano Plan B", ainsi que, en tant qu'intervenant, au "E.________" le 13 mars 2024.
A.c. Interpellé sur son aptitude au placement, les 29 et 30 janvier ainsi que le 7 février 2024, l'assuré a, en substance, répondu qu'après le rejet de sa demande SAI il n'avait pas la volonté d'obtenir un statut d'indépendant et n'était pas employé par l'entreprise D.________ SA, mais qu'il recherchait un emploi au taux de 100 % en ne consacrant que très peu de temps au développement de la société (quelques heures par mois).
Par décision du 15 février 2024, confirmée sur opposition le 19 avril 2024, la Direction générale de l'emploi et du marché du travail (DGEM) a déclaré l'assuré inapte au placement dès le 20 novembre 2023, au motif que le but de celui-ci était de déployer une activité indépendante à caractère durable à laquelle il n'était pas disposé à renoncer au profit d'une activité salariée, au vu de l'investissement financier important.
B.
Par arrêt du 27 septembre 2024, la Cour des assurances sociales du Tribunal cantonal du canton de Vaud a rejeté le recours de l'assuré contre la décision sur opposition du 19 avril 2024.
C.
A.________ interjette un recours en matière de droit public contre cet arrêt, en concluant principalement à sa réforme en ce sens que son aptitude au placement soit reconnue à compter du 21 novembre 2023. À titre subsidiaire, il demande l'annulation de l'arrêt attaqué et le renvoi de la cause à l'autorité précédente pour nouvelle décision.
L'intimée conclut au rejet du recours. La juridiction cantonale ne formule aucune observation et se réfère à son jugement.
Considérant en droit :
1.
Le recours est dirigé contre un arrêt final (art. 90 LTF) rendu en matière de droit public (art. 82 ss LTF) par une autorité cantonale de dernière instance (art. 86 al. 1 let. d LTF). Il a été déposé dans le délai (art. 100 LTF) et la forme (art. 42 LTF) prévus par la loi. Il est donc recevable.
2.
2.1. Le recours en matière de droit public peut être formé pour violation du droit, tel qu'il est délimité par les art. 95 et 96 LTF . Le Tribunal fédéral applique le droit d'office (art. 106 al. 1 LTF), n'étant limité ni par les arguments de la partie recourante, ni par la motivation de l'autorité précédente. Le Tribunal fédéral n'examine en principe que les griefs invoqués, compte tenu de l'exigence de motivation prévue à l'art. 42 al. 2 LTF, et ne peut pas aller au-delà des conclusions des parties (art. 107 al. 1 LTF).
2.2. Le Tribunal fédéral, qui est un juge du droit, fonde son raisonnement juridique sur les faits retenus par l'autorité précédente (art. 105 al. 1 LTF), sauf s'ils ont été établis de façon manifestement inexacte - notion qui correspond à celle d'arbitraire au sens de l'art. 9 Cst. (ATF 148 V 366 consid. 3.3; 145 V 188 consid. 2) - ou en violation du droit au sens de l'art. 95 LTF (cf. art. 105 al. 2 LTF). Si le recourant entend s'écarter des constatations de fait de l'autorité précédente, il doit expliquer de manière circonstanciée en quoi les conditions de l'art. 105 al. 2 LTF seraient réalisées et la correction du vice susceptible d'influer sur le sort de la cause (art. 97 al. 1 LTF); à défaut, un état de fait divergent de celui de la décision attaquée ne peut pas être pris en compte (ATF 148 V 366 consid. 3.3; 145 V 188 consid. 2; 135 II 313 consid. 5.2.2).
3.
Le litige porte sur l'aptitude au placement du recourant à compter du 20 novembre 2023, date à laquelle la société dont il était administrateur-président avec signature individuelle a été inscrite au registre du commerce.
4.
4.1. L'assuré n'a droit à l'indemnité de chômage que s'il est apte au placement (art. 8 al. 1 let. f LACI [RS 837.0]). Est réputé apte à être placé le chômeur qui est disposé à accepter un travail convenable et à participer à des mesures d'intégration et qui est en mesure et en droit de le faire (art. 15 al. 1 LACI). L'aptitude au placement comprend ainsi deux éléments: le premier est la capacité de travail, c'est-à-dire la faculté de fournir un travail - plus précisément d'exercer une activité lucrative salariée - sans que l'assuré en soit empêché pour des causes inhérentes à sa personne; le deuxième élément est la disposition à accepter immédiatement un travail convenable au sens de l'art. 16 LACI, laquelle implique non seulement la volonté de prendre un tel travail s'il se présente, mais aussi une disponibilité suffisante quant au temps que l'assuré peut consacrer à un emploi et quant au nombre des employeurs potentiels (ATF 146 V 210 consid. 3.1; 125 V 51 consid. 6a).
4.2. Est notamment réputé inapte au placement l'assuré qui n'a pas l'intention ou qui n'est pas à même d'exercer une activité salariée, parce qu'il a entrepris - ou envisage d'entreprendre - une activité lucrative indépendante, cela pour autant qu'il ne puisse plus être placé comme salarié ou qu'il ne désire pas ou ne puisse pas offrir à un employeur toute la disponibilité normalement exigible. L'aptitude au placement doit par ailleurs être admise avec beaucoup de retenue lorsque, en raison de l'existence d'autres obligations ou de circonstances personnelles particulières, un assuré désire seulement exercer une activité lucrative à des heures déterminées de la journée ou de la semaine. Un chômeur doit être en effet considéré comme inapte au placement lorsqu'une trop grande limitation dans le choix des postes de travail rend très incertaine la possibilité de trouver un emploi (ATF 112 V 326 consid. 1a et les références; DTA 2003 n° 14 p. 128 [C 234/01] consid. 2.1). Selon la jurisprudence, l'assuré qui exerce une activité indépendante pendant son chômage n'est apte au placement que s'il peut exercer cette activité indépendante en dehors de l'horaire de travail normal. L'assuré qui, après avoir perdu son travail, exerce une activité indépendante à titre principal n'est pas apte au placement. Il en va autrement lorsque, selon les circonstances, l'activité indépendante est peu importante et qu'elle peut être exercée en dehors du temps de travail ordinaire (DTA 2009 p. 339 [8C_79/2009] consid. 4.1; arrêt 8C_282/2018 du 14 novembre 2018 consid. 4.2).
4.3. L'intention d'un assuré d'entreprendre une activité indépendante est conforme à son devoir légal de diminuer le dommage. Si, dans ce but, il omet de prendre toutes les mesures exigibles pour retrouver un emploi, cela peut avoir cependant des conséquences sur son aptitude au placement et, partant, sur son droit à l'indemnité de chômage (arrêts 8C_853/2009 du 5 août 2010 consid. 3.5; 8C_662/2009 du 9 décembre 2009 consid. 3 et C 307/05 du 3 novembre 2006 consid. 2.1; cf. aussi DTA 1993 n° 30 p. 212 [C 171/93 consid. 3b]). En effet, il n'appartient pas à l'assurance-chômage de couvrir les risques de l'entrepreneur. Le fait qu'en général l'intéressé ne réalise pas de revenu ou seulement un revenu modique en commençant une activité indépendante est typiquement un risque qui n'est pas assuré (DTA 2002 n° 5 p. 54 [C 353/00 consid. 2b]; 2000 n° 5 p. 22 [C 117/98 consid. 2a]; arrêts 8C_853/2009 du 5 août 2010 consid. 3.5; 8C_619/2009 du 23 juin 2010 consid. 3.3.2 et C 88/02 du 17 décembre 2002 consid. 1).
5.
Dans un premier grief, le recourant se plaint d'un établissement manifestement inexact des faits pertinents, ainsi que d'une violation du droit d'être entendu.
5.1. Il soutient avoir allégué, par acte du 26 septembre 2024, qu'il avait conclu un contrat de travail portant sur un emploi à 100 % et qu'il avait produit un document, sous pièce 24, permettant de l'établir. L'autorité inférieure n'en aurait pas tenu compte et, en violation du droit d'être entendu, n'aurait donné aucune explication à cet égard alors que ces nouveaux éléments de fait auraient dû influer sur le sort de la cause. En effet, ils démontreraient, d'un côté, que le recourant aurait été parfaitement en mesure d'accepter un emploi à plein temps en parallèle à la fonction d'administrateur-président de la société D.________ SA et, de l'autre, qu'il n'aurait nullement eu l'intention de poursuivre une activité indépendante. L'état de fait lacunaire violerait l'art. 61 al. 1 let. c LPGA et devrait ainsi être complété par le biais de l'art. 97 al. 1 LTF.
5.2.
5.2.1. Un fait allégué devant l'autorité précédente mais non constaté par celle-ci est nouveau, au sens de l'art. 99 al. 1 LTF (ATF 139 II 7 consid. 4.2; 123 III 129 consid. 3b/aa), sauf s'il y a lieu de compléter l'état de fait sur la base de l'art. 105 al. 2 LTF (cf. ATF 136 V 362 consid. 3.3.1; Grégory Bovey, in Commentaire de la LTF, 3e éd., 2022, n° 14-15 ad art. 99).
5.2.2. En l'espèce, on ignore si les premiers juges ont bien reçu la pièce dont se prévaut le recourant avant le prononcé du jugement entrepris, le 27 septembre 2024, et s'ils ont bien pu en prendre connaissance avant l'approbation du jugement. La question peut demeurer ouverte, dès lors que les faits allégués, pour la preuve desquels ce document a été produit, ne sont pas déterminants pour l'issue du litige, compte tenu de ce qui suit.
6.
Dans un deuxième grief, le recourant se plaint d'une violation de l'art. 15 LACI.
6.1. La cour cantonale a jugé que le prononcé d'inaptitude au placement se fondait sur suffisamment de faits et de pièces permettant de retenir l'exercice d'une activité indépendante, respectivement la motivation concrète de l'assuré d'exercer une telle activité. En effet, outre l'inscription de l'entreprise D.________ SA au registre du commerce, qui fixait une présomption, force était de constater que la volonté du recourant avait été formellement consacrée par sa demande d'aide pour l'activité indépendante en question. Le recourant prenait aussi part chaque année à diverses conférences sur le sujet, ce qui dénotait son intérêt et sa passion. De plus, le développement d'une société dans ce domaine, même avec un frère auquel il aurait confié l'essentiel des activités, nécessitait du temps et de l'investissement personnel et financier. Le fait que le recourant effectuait des recherches d'emploi, au demeurant toujours dans le même domaine, ne faisait pas obstacle au fait qu'il poursuivait une activité indépendante et qu'il consacrait son énergie à ce projet. Au degré de la vraisemblance prépondérante, il s'était ainsi engagé dans une démarche dynamique et de long terme visant l'exercice d'une activité indépendante, à laquelle il n'était pas disposé à renoncer au profit d'une activité salariée.
6.2. Le recourant soutient que les premiers juges auraient considéré à tort qu'il avait démarré une activité indépendante à long terme. Il ne déploierait en réalité aucune activité pour le compte de la société D.________ SA, hormis ses fonctions d'administrateur à raison d'une à deux heures par mois au maximum. Les pièces produites démontreraient en effet que son frère aurait concrètement la charge de l'administration et de la communication de la société, étant rappelé que celle-ci ne produirait aucun bien ni ne fournirait de services. Contrairement à l'appréciation de la cour cantonale, la participation à diverses conférences au sujet du Bitcoin (même lorsqu'il était salarié) relèverait de sa formation professionnelle. Ces éléments ne signifieraient pas qu'il n'aurait plus été à même, tant sur le plan subjectif qu'objectif, d'offrir à un employeur toute la disponibilité normalement exigible. Il aurait en plus définitivement abandonné le projet d'indépendant qui avait fait l'objet de sa demande SAI et portait par ailleurs sur des activités différentes du but de la société D.________ SA. Le prononcé d'inaptitude reposerait ainsi sur une appréciation arbitraire des faits et le tribunal cantonal n'aurait pas expliqué les raisons du rejet des arguments soulevés par le recourant. Celui-ci aurait en effet démontré qu'il aurait eu non seulement la volonté de trouver un emploi en tant que salarié mais qu'il aurait eu en outre la possibilité de mettre tout son temps au profit d'un employeur.
6.3. En l'espèce, le simple fait d'avoir fondé une société anonyme et de participer à des conférences liées à son domaine professionnel ne rend pas le recourant nécessairement inapte au placement, ni n'établit une présomption dans ce sens. Encore faut-il, conformément à la jurisprudence exposée plus haut (cf. consid. 4), qu'il omette de prendre toutes les mesures exigibles pour retrouver un emploi, qu'il ne puisse par exemple plus être placé comme salarié ou qu'il ne désire pas ou ne puisse pas offrir à un employeur toute la disponibilité normalement exigible, ou encore qu'il ne soit pas en mesure d'exercer l'activité indépendante en dehors de l'horaire de travail normal. En l'espèce, on voit mal comment on pourrait imputer ces manquements ou limitations au recourant sur la base des faits établis par la juridiction cantonale. Au contraire, les premiers juges ont constaté explicitement que l'activité majeure pour la société en question - qui n'avait "ni clients, ni services, ni employés" - était effectuée par le frère du recourant. Ils ont, certes, considéré qu'un tel développement nécessitait du temps et de l'investissement personnel et financier, en se limitant toutefois à une observation toute générale sur ce point, sans expliquer pourquoi et de quelle manière, dans le contexte de l'examen de l'aptitude au placement, cela affecterait concrètement le temps et la disponibilité du recourant, ni quels auraient été les investissements financiers à prendre en compte (cf. aussi, par ailleurs, arrêt C 102/04 du 15 juin 2005 let. A.a et consid. 4.2.1, où le Tribunal fédéral a retenu apte au placement un assuré qui avait constitué une société en la forme d'une Sàrl, en l'inscrivant au registre du commerce et en retirant des revenus de diverses activités pour le compte de celle-ci). De même, le tribunal cantonal ne peut pas être suivi lorsqu'il justifie ses conclusions par l'intérêt et la passion du recourant pour la thématique des conférences auxquelles il a participé, alors que celle-ci coïncide avec sa formation et son expérience professionnelles. En résumé, on ne peut pas conclure que le recourant ait entrepris des démarches en vue d'une activité indépendante à tel point avancées qu'il ne pouvait plus accepter une activité salariée, ni que cela ne lui était pas possible au motif qu'il se consacrait essentiellement à la préparation d'une activité indépendante. Au vu de ces circonstances, compte tenu également des recherches d'emploi effectuées par le recourant et constatées dans l'arrêt cantonal, les premiers juges ont violé l'art. 15 al. 1 LACI.
7.
Il s'ensuit que le recours, bien fondé, doit être admis et l'arrêt entrepris réformé en ce sens que l'aptitude au placement du recourant est reconnue à compter du 21 novembre 2023. Vu l'issue du litige, les frais judiciaires seront mis à charge de l'intimée (art. 66 al. 1 LTF), qui versera par ailleurs une indemnité de dépens au recourant (art. 68 al. 1 LTF). La cause sera renvoyée à l'autorité cantonale pour nouvelle décision sur les dépens de la procédure antérieure (art. 68 al. 5 LTF).
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :
1.
Le recours est admis. L'arrêt du Tribunal cantonal du canton de Vaud, Cour des assurances sociales, du 27 septembre 2024 est réformé en ce sens que l'aptitude au placement du recourant est reconnue à compter du 21 novembre 2023.
2.
Les frais judiciaires, arrêtés à 500 fr., sont mis à la charge de l'intimée.
3.
L'intimée versera au recourant la somme de 3'000 fr. à titre de dépens pour la procédure devant le Tribunal fédéral.
4.
La cause est renvoyée au Tribunal cantonal du canton de Vaud, Cour des assurances sociales pour nouvelle décision sur les dépens de la procédure antérieure.
5.
Le présent arrêt est communiqué aux parties, au Tribunal cantonal du canton de Vaud, Cour des assurances sociales, et au Secrétariat d'État à l'économie (SECO).
Lucerne, le 6 mai 2025
Au nom de la IVe Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse
La Présidente : Viscione
Le Greffier : Colombi