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Bundesgericht 
Tribunal fédéral 
Tribunale federale 
Tribunal federal 
 
 
 
 
7B_693/2024  
 
 
Arrêt du 9 octobre 2024  
 
IIe Cour de droit pénal  
 
Composition 
MM. et Mme les Juges fédéraux Abrecht, Président, 
Koch et Hofmann. 
Greffier: M. Magnin. 
 
Participants à la procédure 
Ministère public de la République et canton de Genève, 
route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy, 
recourant, 
 
contre  
 
A.________, 
représenté par Me Gabriele Sémah, avocat, 
intimé. 
 
Objet 
Levée de la mesure de traitement institutionnel des addictions; exécution du solde de peines; droit d'être entendu, 
 
recours contre l'arrêt rendu le 16 mai 2024 par la Chambre pénale d'appel et de révision de la Cour de justice de la République et canton de Genève (AARP/162/2024 - PM/1099/2023). 
 
 
Faits:  
 
A.  
 
A.a. Par jugement du 3 novembre 2020, le Tribunal correctionnel de la République et canton de Genève (ci-après: le Tribunal correctionnel) a condamné A.________ (ci-après: le condamné ou l'intimé), pour brigandage, extorsion, tentative d'utilisation frauduleuse d'un ordinateur, utilisation frauduleuse d'un ordinateur, vol et dommages à la propriété, à une peine privative de liberté de quatre ans, sous déduction de 302 jours de détention avant jugement. Il a également suspendu l'exécution de la peine au profit d'un traitement institutionnel des addictions (art. 60 CP).  
Par jugement du 8 septembre 2021, le Tribunal d'application des peines et des mesures de la République et canton de Genève (ci-après: le TAPEM) a ordonné la poursuite du traitement institutionnel des addictions du condamné. Par jugement du 6 mai 2022, le TAPEM a levé cette mesure thérapeutique institutionnelle et ordonné la réintégration du condamné. Par arrêt du 26 juillet 2022, la Chambre pénale de recours de la République et canton de Genève a annulé ce jugement. Par jugement du 17 janvier 2023, le TAPEM a ordonné la poursuite du traitement institutionnel des addictions jusqu'au prochain contrôle annuel. 
 
A.b. Par jugement du 6 mars 2024, le TAPEM a décidé la levée du traitement institutionnel des addictions ordonné le 3 novembre 2020 à l'endroit du condamné et la réintégration de celui-ci pour le solde des peines privatives de libertés suspendues, fixé à 1'649 jours.  
Ce solde de peines résulte des prononcés suivants: 
 
- le 2 décembre 2019, le TAPEM a ordonné la réintégration du condamné dans l'exécution de la peine prononcée le 16 novembre 2017, partiellement complémentaire à celles prononcées les 26 décembre 2011 et 7 mai 2015 par le Ministère public, pour un solde de peine privative de liberté de quatre mois et quatre jours; 
- le 6 décembre 2021, le Tribunal de police de la République et canton de Genève (ci-après: le Tribunal de police) a condamné l'intéressé à une peine privative de liberté de neuf mois, sous déduction de la détention subie à titre de détention avant jugement et d'exécution de la peine et de la mesure; 
- le 2 mai 2022, le Tribunal de police a condamné l'intéressé à une peine privative de liberté de six mois, sous déduction de la détention subie à titre de détention avant jugement et d'exécution de la peine et de la mesure; 
- le 12 septembre 2023, le Tribunal de police a condamné l'intéressé à une peine privative de liberté de 12 mois, sous déduction de la détention subie à titre de détention avant jugement et d'exécution de la peine et de la mesure; 
- le 2 novembre 2023, le Ministère public a condamné l'intéressé à une peine privative de liberté de 180 jours, sous déduction de la détention subie à titre de détention avant jugement et d'exécution de la peine et de la mesure. 
 
A.c. Par jugement du 16 avril 2024, le Tribunal de police a condamné l'intéressé, pour vol et dommages à la propriété, à une peine privative de liberté de huit mois, sous déduction de 120 jours de détention avant jugement.  
 
B.  
Par arrêt du 16 mai 2024, la Chambre pénale d'appel et de révision de la Cour de justice de la République et canton de Genève (ci-après: la Chambre pénale d'appel) a rejeté l'appel formé par le condamné contre le jugement rendu le 6 mars 2024 par le TAPEM. Elle a néanmoins annulé ce jugement et a statué à nouveau en ce sens notamment qu'elle a (1) ordonné la levée du traitement institutionnel des addictions au sens de l'art. 60 CP prononcé le 3 novembre 2020 à l'endroit du condamné, (2) ordonné la réintégration pour le solde de peines privatives de liberté que le condamné doit encore exécuter, à savoir les peines prononcées les 3 novembre 2020, 6 décembre 2021, 2 mai 2022, 12 septembre 2023, 2 novembre 2023 et 16 avril 2024, ainsi que celle dont la réintégration a été ordonnée le 2 décembre 2019, et (3) fixé le solde de ces peines, à la date de l'arrêt, à 1'172 jours (peine d'ensemble). 
 
C.  
Par acte du 24 juin 2024, le Ministère public de la République et canton de Genève (ci-après: le recourant) interjette un recours en matière pénale au Tribunal fédéral contre cet arrêt, en concluant à sa réforme en ce sens que le solde de peines soit fixé à 1'649 jours à la date du 16 mai 2024, l'arrêt étant confirmé pour le surplus. A titre subsidiaire, il conclut à l'annulation de l'arrêt querellé et au renvoi de la cause à la Chambre pénale d'appel. 
Invitée à se déterminer, la Chambre pénale d'appel n'a pas formulé d'observations. Le 19 juillet 2024, le condamné a pour sa part déposé des déterminations et a conclu au rejet du recours, dans la mesure de sa recevabilité. Le 25 juillet 2024, les prises de position ont été communiquées aux parties. 
 
 
Considérant en droit:  
 
1.  
Selon l'art. 78 al. 2 let. b LTF, sont notamment sujettes au recours en matière pénale les décisions finales sur l'exécution des peines et des mesures rendues par une autorité cantonale de dernière instance (cf. art. 80 al. 1 et 90 LTF; arrêts 7B_502/2023 du 6 septembre 2023 consid. 1 et l'arrêt cité). Le recourant, à savoir le Ministère public, qui conteste la quotité du solde des peines privatives de liberté à exécuter par l'intimé fixé par la juridiction cantonale, a pris part à la procédure devant l'autorité précédente (art. 81 al. 1 let. a LTF). Il dispose en outre d'un intérêt juridique à obtenir l'annulation ou la modification de la décision attaquée, étant précisé que, dans le cas présent, l'intérêt au recours se confond avec l'intérêt public à une appréciation correcte et uniforme du droit fédéral (cf. art. 81 al. 1 let. b ch. 3 LTF; CHRISTIAN DENYS, in Commentaire de la LTF, 3 e éd. 2022, nn. 38 et 45 et les références citées). Pour le surplus, le recours a été formé en temps utile (cf. art. 100 al. 1 LTF) et dans les formes prescrites (cf. art. 42 LTF). Il y a donc lieu d'entrer en matière.  
 
2.  
 
2.1. Le recourant invoque une violation du droit d'être entendu (art. 29 al. 2 Cst. et 3 al. 2 et 107 al. 1 let. d CPP). Il fait valoir qu'en décidant qu'il existait une lacune dans la loi à l'art. 62c al. 1 CP et qu'il y avait par conséquent lieu de prononcer une peine d'ensemble en lien avec les peines privatives de liberté que l'intimé devait encore exécuter, l'autorité cantonale aurait statué sur une question juridique inattendue et à laquelle il ne pouvait pas s'attendre. Il relève que cette question n'aurait été évoquée ni dans les écritures, ni dans le jugement rendu le 6 mars 2024 par le TAPEM, et qu'il devait dès lors être interpellé à ce sujet par la juridiction cantonale avant qu'elle rende une décision.  
 
2.2. Le droit d'être entendu au sens de l'art. 29 al. 2 Cst. (cf., également, art. 6 par. 1 CEDH et 3 al. 2 let. c et 107 CPP), compris comme l'un des aspects de la notion générale de procès équitable ancrée à l'art. 29 Cst., englobe notamment le droit pour l'intéressé de s'exprimer sur les éléments pertinents avant qu'une décision soit prise touchant sa situation juridique, d'avoir accès au dossier, de produire des preuves pertinentes, d'obtenir qu'il soit donné suite à ses offres de preuves pertinentes, de participer à l'administration des preuves essentielles ou à tout le moins de s'exprimer sur son résultat, lorsque cela est de nature à influer sur la décision à rendre (ATF 149 I 91 consid. 3.2; 145 I 167 consid. 4.1; 143 IV 380 consid. 1.1; arrêt 7B_84/2023 du 27 septembre 2023 consid. 2.2 et l'arrêt cité).  
Ce droit se rapporte avant tout à la constatation des faits. Le droit des parties d'être interpellées sur des questions juridiques n'est reconnu que de manière restreinte, lorsque l'autorité concernée entend se fonder sur des normes légales dont la prise en compte ne pouvait pas être raisonnablement prévue par les parties, lorsque la situation juridique a changé ou lorsqu'il existe un pouvoir d'appréciation particulièrement large. Le droit d'être entendu ne porte en principe pas sur la décision projetée. L'autorité n'a donc pas à soumettre par avance aux parties, pour prise de position, le raisonnement qu'elle entend tenir. Toutefois, lorsqu'elle envisage de fonder sa décision sur une norme ou un motif juridique non évoqué dans la procédure antérieure et dont aucune des parties en présence ne s'est prévalue et ne pouvait supputer la pertinence, le droit d'être entendu implique de donner au justiciable la possibilité de se déterminer à ce sujet (ATF 145 I 167 consid. 4.1 et les références citées; arrêts 7B_903/2023 du 24 mai 2024 consid. 2.2.1; 7B_795/2023 du 22 janvier 2024 consid. 2.3.1). Les tribunaux ne doivent pas se fonder sur des éléments de fait ou de droit qui n'ont pas été discutés durant la procédure et qui donnent au litige une tournure que même une partie diligente n'aurait pas été en mesure d'anticiper, la question déterminante étant alors de savoir si une partie s'est trouvée "prise au dépourvu" par le fait que le tribunal a fondé sa décision sur un motif invoqué d'office (arrêts 7B_84/2023 du 27 septembre 2023 consid. 3.2.1; 6B_794/2021 du 21 mars 2022 consid. 3.1 et les références citées). 
Le droit d'être entendu est une garantie de nature formelle, dont la violation entraîne en principe l'annulation de la décision attaquée, indépendamment des chances de succès du recours sur le fond (ATF 144 IV 302 consid. 3.1 et les références citées). 
 
2.3. Force est de constater, avec le recourant, que, selon les faits retenus dans l'arrêt querellé, la question de l'interprétation de l'art. 62c al. 1 et 2 CP, selon laquelle, d'après l'autorité cantonale, il existait une lacune dans la loi et il y avait lieu, en cas de levée de la mesure, de fixer une peine d'ensemble avec les peines privatives de liberté restant à exécuter, n'a jamais été évoquée dans le cadre de la présente procédure ayant conduit à la levée de la mesure thérapeutique institutionnelle au sens de l'art. 60 CP prononcée à l'endroit de l'intimé. Les écritures déposées dans le cadre de la procédure d'appel, que ce soit la déclaration d'appel ou les déterminations du recourant, ne contiennent en effet aucune conclusion ni aucune observation sur cette question (cf. arrêt querellé, pp. 8-10; dossier cantonal, en particulier pièces 2, 4 et 7). Il en va de même du procès-verbal de l'audience d'appel, qui ne mentionne pas la question de l'application envisagée de l'art. 62c al. 1 et 2 CP par la juridiction cantonale (cf. dossier cantonal, pièce 16). Dans son jugement du 6 mars 2024, le TAPEM n'avait pas non plus évoqué la question d'une application particulière de la disposition légale concernée, dès lors qu'il avait simplement vérifié si les conditions prévues par l'art. 62c al. 2 CP étaient réunies, constaté que tel n'était pas le cas et ordonné l'exécution du solde de peines, qui devait être fixé, par simple addition de la quotité des peines privatives de liberté restant à exécuter, à 1'649 jours (cf. dossier cantonal, pièces 2 et 4). On peut encore ajouter que, dans l'arrêt querellé, l'autorité cantonale a expressément précisé qu'elle exerçait d'office son plein pouvoir d'examen en réduisant sensiblement le solde des peines cumulées à exécuter (cf. arrêt querellé, p. 15). Par ailleurs, comme le relève elle-même la cour cantonale, la question d'une application de l'art. 62c al. 1 et 2 CP d'une manière similaire à l'art. 62a al. 2 CP n'est pas envisagé par le CP et n'est discuté ni par la jurisprudence ni par la doctrine principale (cf. arrêt querellé, p. 14). Dans ces conditions, on doit admettre qu'au moment de rendre son arrêt et de fixer le solde de peines de l'intimé, l'autorité cantonale a fondé sa décision sur un motif juridique qui ne pouvait pas raisonnablement être prévu par les parties, dont le recourant, et ce quand bien même celles-ci auraient agi de manière diligente. Il apparaît ainsi que, pour ces dernières, la procédure a pris une tournure inattendue.  
Ainsi, dans le cas d'espèce, il appartenait exceptionnellement à la juridiction cantonale de donner la possibilité aux parties de se déterminer sur la question de l'interprétation qu'elle entendait donner de l'art. 62c al. 1 et 2 CP. Les enjeux relatifs à cette question étaient par ailleurs importants, puisqu'ils portaient sur un différentiel de jours de peine privative de liberté de l'ordre, selon les calculs de la cour cantonale, de plus d'un an et demi (cf. arrêt querellé, pp. 14-15). Le recourant était au demeurant légitimé à pouvoir s'exprimer sur la question, puisqu'il s'agit de l'un des acteurs principaux des autorités de poursuite pénale et que l'intimé est un individu qui occupe régulièrement ces dernières depuis désormais plusieurs années. Pour le surplus, on ne saurait reprocher au recourant d'avoir renoncé à se déterminer sur la question litigieuse en raison de son absence aux débats d'appel (cf. acte 8, p. 2). Contrairement à l'intimé, le recourant n'a en effet pas été cité à comparaître à ces débats, mais a simplement reçu un avis d'audience informatif (cf. dossier cantonal, pièce 10; art. 105 al. 2 LTF). De plus, il n'était en l'occurrence pas tenu d'y être présent (cf. art. 337 et 405 al. 3 CPP [applicables à titre de droit cantonal supplétif; cf. art. 439 al. 1 CPP et art. 41 al. 2 de la loi cantonale genevoise d'application du code pénal suisse et d'autres lois fédérales en matière pénale [RS/GE E4 10]] a contrario) et pouvait déposer ses conclusions, ainsi que sa motivation à l'appui de celles-ci, par écrit (art. 405 al. 4 CPP).  
Il résulte de ce qui précède qu'en rendant l'arrêt querellé sans avoir au préalable interpellé les parties sur la question litigieuse, l'autorité cantonale a violé le droit d'être entendu du recourant. 
 
2.4. Il n'y a pas lieu de considérer que le Tribunal fédéral, qui dispose d'un plein pouvoir d'examen en droit, mais d'un pouvoir d'examen limité à l'inexactitude manifeste des faits (cf. art. 97 al. 1 LTF), pourrait lui-même réparer le vice constaté, dès lors qu'il n'est pas habilité à revoir l'appréciation d'éventuels éléments factuels qui pourraient être présentés par le recourant à l'autorité cantonale afin d'appuyer son argumentation. On ne saurait par ailleurs considérer qu'un renvoi de la cause à cette autorité constituerait une vaine formalité (cf. ATF 142 II 218 consid. 2.8.1; arrêt 7B_482/2024 du 21 mai 2024 consid. 2.2.1 et les arrêts cités), dès lors qu'aucun élément ne permet d'exclure que les observations que le recourant entend formuler pourraient influencer l'appréciation de cette dernière sur la question de l'interprétation de l'art. 62c al. 1 et 2 CP. Il s'ensuit que la violation du droit d'être entendu du recourant entraîne l'annulation de l'arrêt querellé sur la question de la quotité du solde de peine de l'intimé, ainsi que sur les frais judiciaires et les dépens y relatifs, indépendamment des chances de succès au fond, ce qui rend sans objet tout autre éventuel grief soulevé par le recourant. On précisera que l'arrêt querellé est maintenu pour le surplus.  
 
 
3.  
En définitive, le recours doit être admis, l'arrêt querellé annulé dans la mesure qui vient d'être exposée et la cause renvoyée à l'autorité cantonale pour nouvelle décision, après avoir offert aux parties la possibilité de formuler des observations sur la question de l'application de l'art. 62c al. 1 et 2 CP
L'intimé, qui succombe, supportera les frais judiciaires (art. 66 al. 1 LTF). 
 
 
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :  
 
1.  
Le recours est admis. L'arrêt du 16 mai 2024 est annulé en tant qu'il concerne la question de la quotité du solde de peine de l'intimé, ainsi que les frais et les dépens y relatifs, et la cause est renvoyée à la Chambre pénale d'appel et de révision de la Cour de justice de la République et canton de Genève pour qu'elle procède dans le sens des considérants. 
 
2.  
Les frais judiciaires, arrêtés à 3'000 fr., sont mis à la charge de l'intimé. 
 
3.  
Le présent arrêt est communiqué aux parties, à la Chambre pénale d'appel et de révision de la Cour de justice de la République et canton de Genève, au Service de l'application des peines et mesures et à l'Office cantonal de la population et des migrations du canton de Genève. 
 
 
Lausanne, le 9 octobre 2024 
 
Au nom de la IIe Cour de droit pénal 
du Tribunal fédéral suisse 
 
Le Président: Abrecht 
 
Le Greffier: Magnin