Bundesgericht
Tribunal fédéral
Tribunale federale
Tribunal federal
4A_71/2024
Arrêt du 10 septembre 2024
Ire Cour de droit civil
Composition
Mmes les Juges fédérales
Jametti, Présidente, Kiss et May Canellas,
greffière Monti.
Participants à la procédure
A.________,
représenté par Me Philippe Girod, avocat,
recourant,
contre
Cour de justice du canton de Genève,
Assistance judiciaire,
place du Bourg-de-Four 3, 1204 Genève,
intimée
1. Entreprise B.________,
2. Assurance C.________,
Objet
assistance judiciaire,
recours contre la décision rendue le 7 décembre 2023 par la Cour de justice du canton de Genève (AC/2142/2022; DAAJ/138/2023).
Faits :
A.
A.a. A.________, né en 1968, a été victime d'un accident de voiture le 7 février 2017, causé par le chauffeur d'un bus appartenant à l'entreprise B.________. Sa tête a heurté le pare-brise de son véhicule, lui causant un traumatisme crânien et une entorse cervicale. A cette date, l'intéressé venait d'échouer pour la deuxième fois à l'examen théorique pour devenir chauffeur de taxi professionnel; sans emploi, il bénéficiait de l'aide sociale.
Le chauffeur du bus a été reconnu coupable de lésions corporelles par négligence. L'assurance C.________, soit la compagnie d'assurances de l'entreprise B.________, a pris en charge les frais médicaux de A.________, lequel s'est avéré totalement incapable de travailler depuis l'accident.
Le prénommé a alors déposé une demande pour perte de gain atteignant 100'000 fr. pour la période du 1
er mars 2017 au 31 décembre 2018, contre l'entreprise B.________ et sa compagnie d'assurances. Mis au bénéfice de l'assistance judiciaire, il a été débouté, d'abord par le Tribunal de première instance genevois (qui a rendu une première ordonnance de preuves le 23 septembre 2019), puis par la Cour de justice. Ces deux instances cantonales ont invoqué
grosso modo un état maladif antérieur à l'accident, sous la forme d'une discopathie sévère et d'un état dépressif.
Le 18 juillet 2022, le Tribunal fédéral a toutefois admis le recours de A.________ et annulé la décision rendue par la cour d'appel genevoise, au motif que la cause avait été limitée à "l'existence d'un cas de responsabilité civile", soit à la question - certes délicate - de la causalité entre l'accident et les atteintes à la santé invalidantes dont souffrait le prénommé, respectivement à l'incapacité de travail en découlant: les magistrats genevois ne pouvaient pas invoquer l'absence de preuve du dommage pour débouter le demandeur. À cette occasion, la cour de céans a constaté que "[l]es garanties d'un procès équitable", notamment le "droit au respect des règles de la bonne foi", avaient été enfreintes (arrêt 4A_319/2021 du 18 juillet 2022 spéc. consid. 2.2.2 et 2.3). En d'autres termes, la procédure aurait dû formellement être élargie et les parties, interpellées.
A.b. Suite à cet arrêt, le Tribunal de première instance genevois a rendu une nouvelle ordonnance de preuves, le 26 septembre 2023. Il n'a pas donné suite aux réquisits de A.________, en tant que ce dernier préconisait de suspendre la procédure jusqu'à l'obtention d'un rapport AI, subsidiairement de mettre en oeuvre une expertise pluri- disciplinaire, tout en se réservant le droit de demander l'audition de témoins, plus spécialement de médecins, après lecture du rapport ou de l'expertise sollicitée. Ont en revanche été admis les moyens de preuve offerts par l'entreprise B.________ et sa compagnie d'assurances.
B.
B.a. Le 5 octobre 2023, A.________ a demandé d'étendre l'assistance judiciaire pour recourir contre la nouvelle ordonnance de preuves. De fait, il a déféré cette nouvelle décision le 9 octobre suivant à la cour d'appel genevoise.
Le 16 octobre 2023, la vice-présidente du Tribunal civil a rejeté la requête d'extension de l'assistance juridique. Après avoir rappelé les faits et les principes gouvernant la matière, elle a opposé en substance que l'ordonnance de preuves n'occasionnait pas un préjudice difficilement réparable au sens de l'art. 319 let. b ch. 2 CPC, de sorte que le recours paraissait irrecevable.
B.b. La vice-présidente de la Cour de justice a confirmé ce refus, respectivement a rejeté le recours cantonal formé par A.________, dans un arrêt du 7 décembre 2023. Après avoir rappelé les principes juridiques topiques, les juges cantonaux ont estimé que ni l'accroissement éventuel des frais, ni l'allongement possible de la procédure, soit des éléments invoqués par le recourant, ne constituaient un préjudice difficilement réparable. À quoi s'ajoutait que le recourant n'avait pas étayé le fait affirmé, selon lequel l'ordonnance de preuves aurait un impact négatif sur sa santé et lui causerait un semblable préjudice. Finalement, il ne développait pas l'argument à peine esquissé selon lequel ses perspectives d'améliorer sa situation financière seraient freinées par l'incertitude liée à la procédure en cours.
C.
Contre ce refus, A.________, par son avocat, interjette un recours en matière civile. Il prie le Tribunal fédéral de lui octroyer l'assistance juridique pour recourir contre la nouvelle ordonnance de preuves, avec effet au 5 octobre 2023. Parallèlement, il sollicite l'assistance judiciaire "pour la présente procédure de recours".
Aucune détermination n'a été demandée. La Cour de justice a simplement été invitée à produire le dossier de la cause, ce qu'elle a fait.
Ultérieurement, soit le 13 mars 2024, le recourant, toujours par son conseil, a encore requis d'assortir son recours de l'effet suspensif. Le 15 mars suivant, l'autorité de céans lui a répondu que l'effet suspensif était octroyé à un tel recours, afin de maintenir l'état de fait existant jusqu'à droit connu sur le recours. Elle a cité l'ATF 138 III 163.
Considérant en droit :
1.
Les conditions de recevabilité du recours en matière civile sont réunies. En particulier, la valeur litigieuse minimale de 30'000 fr. au fond est atteinte (art. 74 al. 1 let. b LTF
cum art. 51 al. 1 let. c LTF), dans ce conflit civil afférant à une alléguée perte de gain (art. 72 al. 1 LTF), portant ici contre le refus d'étendre l'assistance judiciaire au recours cantonal dirigé contre une nouvelle ordonnance de preuves (art. 93 al. 1 let. a LTF; contre le refus d'assistance, voir par ex. arrêt 5A_489/2023 du 20 octobre 2023 consid. 1 et les arrêts cités, publiés ou non). Pour le surplus, le présent recours a été formé en temps utile (art. 100 al. 1 LTF, en lien avec l'art. 46 al. 1 let. c LTF). Demeure réservée, à ce stade, la recevabilité des griefs en particulier.
2.
Le recourant dénonce une prétendue transgression de l'art. 319 let. b ch. 2 CPC et une fausse conception de la notion de "préjudice difficilement réparable".
On peut lui donner acte que la notion ne coïncide pas pleinement avec celle, plus restreinte, de "préjudice irréparable" au sens de l'art. 93 al. 1 let. a LTF (cf. par ex. NICOLAS JEANDIN, in Commentaire romand, 2
e éd. 2019, n° 22 ad art. 319 CPC et les références). La cour de céans, non plus que les deux instances genevoises, ne méconnaît pas non plus les principes théoriques topiques, notamment le fait qu'un préjudice temporel ou financier peut suffire pour tomber sous le coup de l'art. 319 let. b ch. 2 CPC. Et l'autorité précédente a rappelé à bon escient, références à l'appui, qu'un rejet de réquisition de preuve ne cause habituellement pas un "préjudice difficilement réparable", sauf dans des cas exceptionnels tel que le refus d'entendre un témoin mourant, ou lorsque existe le risque de destruction de pièces requises; elle a dûment souligné la possibilité usuelle de recourir contre la décision finale, et d'obtenir ainsi l'administration de la preuve jusque-là refusée. Simplement, la prétendue "lenteur" de la procédure, dont la progression n'est guère aidée par les contestations du recourant, pour légitimes qu'elles soient, ne saurait en l'espèce entrer dans le champ de la disposition précitée, comme l'a déjà souligné justement l'autorité précédente. Les explications du recourant, qui sont d'ailleurs peu claires, ne permettent en tout cas pas à l'autorité de céans de constater une violation du droit fédéral, encore moins manifeste. Force est de constater que le recourant insiste sur le prétendu bien-fondé de ses offres de preuve, sans faire état d'une situation qui justifierait d'ouvrir aussitôt une voie de droit.
Ce premier grief ne peut donc qu'être rejeté dans la mesure où il est recevable.
3.
Le recourant déplore aussi une coquille en page 9 consid. 3.1
ab initio de l'arrêt entrepris, lequel se réfère à la première ordonnance de preuves du 23 septembre 2019. Elle attesterait "un examen plus que sommaire du dossier".
Il n'en est rien. Le semblant de procès d'intention livré ne saurait avoir la portée souhaitée par l'intéressé. Et le
lapsus calami dénoncé ne change rien au fait que les ordonnances de preuves rendues successivement les 23 septembre 2019 puis 26 septembre 2023 sont toutes deux des "ordonnances d'instruction" au sens de l'art. 319 let. b CPC, soumises à l'exigence d'un "préjudice difficilement réparable" (ch. 2) pour que le recours cantonal soit recevable.
4.
Le recourant, qui affirme que la "lenteur" de la procédure affecterait jusqu'à son état de santé physique et psychique, fustige aussi le refus de suspendre le procès "dans l'attente des expertises AI", respectivement le refus d'ordonner une expertise multidisciplinaire. Il y voit une violation des art. 6 al. 1 CEDH et 29 al. 1 Cst. Il rappelle que la cause doit être jugée dans un délai "raisonnable", exigence qui ne serait pas remplie en l'occurrence.
Las pour lui, les violations dénoncées sont inexistantes, encore moins manifestes. L'autorité précédente avait d'ailleurs mis en garde le recourant en rappelant les principes théoriques gouvernant le refus d'administrer des moyens de preuve requis, puis en jugeant à juste titre qu'
in casu, le recourant ne démontrait pas se trouver dans une situation d'exception justifiant de le suivre, ce qui reste vrai pour le présent recours. Elle l'avait sommé, à bon escient n'en déplaise au recourant, d'attendre la décision finale "pour déférer le refus de ses offres de preuve", conclusion qui reste d'actualité après lecture attentive de son recours. Le justiciable croit même déceler un arbitraire: le facteur temporel aurait été insuffisamment soupesé, sous l'angle du préjudice difficilement réparable, s'agissant de preuves (expertises AI) "sur le point d'être disponibles". Une fois de plus, l'autorité de céans ne discerne nulle transgression du droit fédéral, ne serait-ce que sous l'angle restreint de l'arbitraire. Peu importe que la Cour de justice ait jugé par avance qu'il était vain de prétendre subir une perte de gain: les critiques appellatoires émises à ce sujet sont insuffisantes. Et il ne saurait être question de se substituer de façon "inacceptable" au juge du fond.
La même conclusion s'impose pour le grief plus général relatif à l'appréciation anticipée des preuves: la cour de céans ne discerne à ce propos nulle trace d'arbitraire, si tant est que le moyen soit suffisamment motivé.
Et il ne sert à rien de disserter sur la longueur de la procédure, ou encore sur ses aléas, qui influeraient négativement sur la capacité de travail du recourant. De tels reproches, outre qu'ils sont de nature surtout appellatoire, ne sauraient modifier les faits, ou même établir les traces d'un arbitraire: il reste acquis que l'intéressé émargeait à l'aide sociale dès avant l'accident, respectivement qu'il souffrait déjà d'une discopathie sévère et d'un état dépressif. Les critiques du recourant n'ébranlent nullement ces faits pourtant primordiaux. Les juges genevois ont constaté que l'accident avait joué "un rôle déclencheur" dans les douleurs et l'incapacité de travail du recourant, sans être la cause unique des troubles actuels endurés par l'intéressé. Rien, dans les fustigations du mémoire, ne vient remettre en cause un tel constat. Enfin, l'autorité précédente a déjà, et justement, répondu sur l'affectation que la procédure, initiée au demeurant par le recourant, causerait à sa santé; il n'est pas nécessaire d'y apposer des mots supplémentaires.
Finalement, peu importe que le recourant ait gagné une fois devant la cour de céans: ce simple constat, dans lequel l'intéressé croit apparemment trouver un fait d'armes, ne suffit pas à légitimer le présent recours, ni à asseoir les reproches majoritairement appellatoires dont il est constellé.
5.
Sur la base d'un état de fait qui lie la cour de céans, puisque le recourant n'a établi aucune lacune, ni mis en exergue le moindre arbitraire, il n'y a pas à dénoncer une prétendue violation de l'art. 117 CPC, respectivement à dénoncer un droit soi-disant bafoué à l'assistance judiciaire dans ce cas d'espèce: l'autorité précédente en a rappelé correctement les contours, puis a livré un pronostic sommaire et juste quant aux chances de succès du recours cantonal, lequel paraissait
a priori nettement plus probablement irrecevable que recevable; même sur le fond, le recours cantonal devrait vraisemblablement être rejeté, a-t-elle ajouté. La même conclusion prévaut après lecture du mémoire de recours: la transgression dénoncée (violation prétendue de l'art. 117 CPC) est inexistante, encore moins manifeste. L'autorité de céans n'y lit au demeurant aucun argument susceptible de déjouer un tel pronostic.
Il s'ensuit le rejet de la requête d'assistance judiciaire accompagnant le présent recours, lequel paraissait d'emblée voué à l'échec sur la base d'un examen sommaire de la cause (cf. art. 64 al. 1 LTF).
Somme toute, c'est dans son ensemble que le recours doit être rejeté, pour autant qu'il soit recevable.
Le recourant assumera les frais de la présente procédure, mais ne versera aucune indemnité de dépens, rien n'en justifiant l'octroi.
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :
1.
Le recours est rejeté dans la mesure où il est recevable.
2.
La requête d'assistance judiciaire accompagnant ledit recours est rejetée.
3.
Les frais judiciaires, arrêtés à 2'000 fr., sont mis à la charge du recourant.
4.
Le présent arrêt est communiqué aux parties, à l'entreprise B.________ et à l'assurance C.________.
Lausanne, le 10 septembre 2024
Au nom de la I
re Cour de droit civil
du Tribunal fédéral suisse
La Présidente : Jametti
La Greffière : Monti