Bundesgericht
Tribunal fédéral
Tribunale federale
Tribunal federal
9C_305/2023
Arrêt du 10 octobre 2024
IIIe Cour de droit public
Composition
MM. et Mmes les Juges fédéraux Parrino, Président,
Stadelmann, Moser-Szeless, Beusch et Scherrer Reber.
Greffière : Mme Vuadens.
Participants à la procédure
A.________,
représentée par Lambelet & Associés SA,
recourante,
contre
Administration fiscale cantonale du canton de Genève, rue du Stand 26, 1204 Genève,
intimée.
Objet
Impôt cantonal et communal du canton de Genève et impôt immobilier complémentaire, période fiscale 2016,
recours contre l'arrêt de la Cour de justice de la République et canton de Genève du 28 mars 2023 (A/869/2022-ICC ATA/331/2023).
Faits :
A.
A.________ est au bénéfice d'un droit d'habitation sur une maison sise sur la parcelle n° xxx de la commune de U.________ depuis le 19 mars 1997. Le droit d'habitation a été inscrit au registre foncier. Ses enfants B.________ et C.________ sont propriétaires de l'immeuble, à parts égales.
Par bordereau de taxation du 6 décembre 2017 concernant la période fiscale 2016, confirmé sur réclamation le 18 février 2022, l'Administration fiscale cantonale du canton de Genève (ci-après: l'Administration cantonale) a inclus dans la fortune de A.________ l'immeuble pour lequel elle était au bénéfice d'un droit d'habitation. Elle lui a également réclamé le paiement de l'impôt immobilier complémentaire dû en lien avec cet immeuble.
B.
A.________ a recouru contre la décision sur réclamation du 18 février 2022 auprès du Tribunal administratif de première instance du canton de Genève (ci-après: le Tribunal administratif), soutenant que l'impôt sur la fortune et l'impôt immobilier complémentaire dus en lien avec l'immeuble devaient être prélevés non pas auprès d'elle, mais auprès des propriétaires. Par jugement du 31 octobre 2022, le Tribunal administratif a rejeté le recours.
Par arrêt du 28 mars 2023, la Cour de justice, Chambre administrative, du canton de Genève (ci-après: la Cour de justice) a rejeté le recours que la contribuable avait formé contre ce jugement.
C.
Agissant par la voie du recours en matière de droit public, A.________ demande au Tribunal fédéral d'annuler l'arrêt de la Cour de justice du 28 mars 2023, de dire que la fortune immobilière représentée par l'immeuble pour lequel elle est au bénéfice d'un droit d'habitation est imposable auprès de B.________ et de C.________, que l'impôt immobilier complémentaire dû en lien avec cet immeuble est également dû par B.________ et C.________, de constater que le bordereau d'impôt cantonal et communal 2016 est nul et d'inviter le Département des finances à émettre un nouveau bordereau conforme au droit.
L'Administration cantonale conclut au rejet du recours. L'Administration fédérale s'en remet à l'appréciation du Tribunal fédéral.
Considérant en droit :
1.
1.1. Le recours est dirigé contre un arrêt final (art. 90 LTF) rendu dans une cause de droit public (art. 82 let. a LTF) par une autorité cantonale supérieure de dernière instance (art. 86 al. 1 let. d et al. 2 LTF), sans qu'aucune des exceptions prévues à l'art. 83 LTF ne soit réalisée. La voie du recours en matière de droit public est donc ouverte en vertu des art. 82 ss LTF et, s'agissant de l'impôt sur la fortune, une matière harmonisée sous le titre 2 de la LHID (RS 642.14), également en vertu de l'art. 73 al. 1 LHID.
1.2. Le recours a par ailleurs été interjeté en temps utile (art. 100 al. 1 LTF) et dans les formes prescrites (art. 42 LTF) par la destinataire de l'arrêt attaqué, qui a qualité pour recourir (art. 89 al. 1 LTF). Il convient donc d'entrer en matière, sous réserve de ce qui suit.
1.3. Selon un principe général de procédure, les conclusions en constatation de droit ont un caractère subsidiaire (ATF 148 I 160 consid. 1.6; 141 II 113 consid. 1.7). Toutefois, les conclusions de la recourante, lues à la lumière des motifs du recours, peuvent être comprises en ce sens qu'elle demande en réalité que l'arrêt attaqué soit réformé et que la taxation 2016 n'inclue pas d'impôt sur la fortune ni d'impôt immobilier complémentaire en lien avec l'immeuble pour lequel elle est au bénéfice d'un droit d'habitation.
2.
2.1. Saisi d'un recours en matière de droit public, le Tribunal fédéral applique le droit d'office (art. 106 al. 1 LTF). Toutefois, conformément à l'art. 106 al. 2 LTF, le Tribunal fédéral ne connaît de la violation des droits fondamentaux ainsi que celle de dispositions de droit cantonal que si le grief a été invoqué et motivé, à savoir exposé de manière claire et détaillée (ATF 149 III 81 consid. 1.3; 148 I 127 consid. 4.3).
2.2. Sauf exceptions non pertinentes en l'espèce (art. 95 let. c, d et e LTF), le recours ne peut pas être formé pour violation du droit cantonal en tant que tel. En revanche, il est toujours possible de faire valoir que la mauvaise application du droit cantonal constitue une violation du droit fédéral, en particulier qu'elle est arbitraire (art. 9 Cst.) ou contraire à un droit fondamental (ATF 150 I 31 consid. 2.1; 145 I 108 consid. 4.4.1; 142 II 369 consid. 2.1). S'agissant du droit cantonal harmonisé, le Tribunal fédéral en vérifie toutefois librement la conformité et son application par les instances cantonales aux dispositions de la LHID, sauf si cette loi fédérale laisse une certaine marge de manoeuvre aux cantons. Dans ce cas, l'examen du Tribunal fédéral est limité à l'examen de la violation de droits constitutionnels invoqués de manière conforme aux exigences de l'art. 106 al. 2 LTF qui viennent d'être rappelées (supra consid. 2.1; ATF 144 II 313 consid. 5.3; 142 V 94 consid. 1.3; V 513 consid. 4.2; 134 II 207 consid. 2). L'étendue de l'autonomie dont le législateur cantonal dispose dans le cadre de la loi fédérale d'harmonisation se détermine par l'interprétation (ATF 128 II 56 consid. 3b et les références; arrêt 9C_393/2023 du 10 juin 2024 consid. 7.2.1 destiné à la publication).
3.
Le Tribunal fédéral conduit son raisonnement juridique sur la base des faits établis par l'autorité précédente (art. 105 al. 1 LTF), sous réserve des cas prévus à l'art. 105 al. 2 LTF.
4.
Le litige porte sur le point de savoir si c'est à juste titre que la Cour de justice a retenu qu'il incombait à la recourante de s'acquitter de l'impôt sur la fortune et de l'impôt immobilier complémentaire genevois en lien avec l'immeuble pour lequel elle est au bénéfice d'un droit d'habitation inscrit au registre foncier. Ces deux questions sont examinées successivement ci-après.
Impôt sur la fortune
5.
L'impôt sur la fortune est un impôt harmonisé (art. 1 al. 1 et art. 13 à 14a LHID). Il a pour objet l'ensemble de la fortune nette (art. 13 al. 1 LHID).
5.1. La LHID ne prévoit qu'une seule règle d'attribution fiscale des éléments de fortune, à l'art. 13 al. 2 LHID (HANNES TEUSCHER/FRANK LOBSIGER, in Bundesgesetz über die Harmonisierung der direkten Steuern der Kantone und Gemeinden [StHG], Kommentar, 4e éd. 2022, n° 8 ad art. 13 LHID; MARKUS REICH, Steuerrecht, 3e éd. 2020, p. 358 § 9). Selon cette disposition, la fortune grevée d'usufruit est imposable auprès de l'usufruitier. Le fait que la LHID ne prévoit qu'une règle spécifique en matière d'attribution de la fortune doit être compris en ce sens que, dans tous les autres cas, il faut en principe se fonder sur les rapports de propriété de droit civil, lesquels sont contraignants pour l'attribution fiscale des biens (TEUSCHER/LOBSIGER, op. cit., n° 8 ad art. 13 LHID). Un élément de fortune est donc en principe attribué à son propriétaire civil (REICH, op. cit., p. 358 § 10; concernant la situation spécifique des rapports fiduciaires, cf. TEUSCHER/LOBSIGER, op. cit., n° 9 s. ad art. 13 LHID et les références; REICH, op. cit., p. 358 § 10). La doctrine semble admettre que la règle de l'art. 13 al. 2 LHID s'applique aussi aux rapports qui sont comparables à ceux d'un usufruit, notamment aux usufruits de fait ("faktische Nutzniessungen"; TEUSCHER/LOBSIGER, op. cit., n° 26 ad art. 13 LHID et les références) en précisant parfois que la reconnaissance de l'existence d'un rapport comparable à l'usufruit ne doit pas être admis "trop vite" (REICH, op. cit., p. 358 § 10; cf. aussi MARKUS REICH/MADELEINE SIMONEK, Die Begünstigung an einer Familienunterhaltsstiftung im Vermögenssteuerrecht, PJA 8/2004, p. 1000). Dans un cas concernant un immeuble acquis avec constitution simultanée d'une servitude personnelle irrégulière au sens de l'art. 781 CC en faveur de la bénéficiaire qui obtenait par là la possession, l'usage et la jouissance de certaines parties du bâtiment, le Tribunal fédéral a retenu qu'"en vertu de l'art. 13 al. 2 LHID, qui n'a pas d'équivalent en droit cantonal neuchâtelois et qui trouve de ce fait application en vertu de l'art. 72 al. 2 LHID, il y a lieu de n'imposer au titre de la fortune dans le chapitre des nouveaux propriétaires qu'une quote-part de la valeur fiscale de l'immeuble en cause" (arrêt 2C_892/2014 du 7 mai 2015 consid. 4.2).
5.2. La réglementation harmonisée concernant l'attribution fiscale des éléments de fortune s'impose aux cantons (cf. aussi en ce sens l'arrêt précité 2C_892/2014 du 7 mai 2015 consid. 4.2), afin de créer un système cohérent en la matière et d'éviter les situations de double imposition ou de double non imposition. Au plan procédural, cela a pour conséquence que le Tribunal fédéral examine avec un pouvoir libre d'examen si la solution adoptée par un canton concernant l'attribution fiscale d'un élément de fortune est conforme à la LHID (supra consid. 2.2).
6.
6.1. Dans le canton de Genève, l'impôt sur la fortune est régi par la loi cantonale du 27 septembre 2009 sur l'imposition des personnes physiques (LIPP; rs/GE D 3 08). À l'instar de la LHID (supra consid. 5.1), la LIPP ne prévoit pas de règle d'attribution générale des éléments de fortune et précise uniquement, à l'art. 48 LIPP, que la fortune grevée d'usufruit est imposable auprès de l'usufruitier. Le droit cantonal est donc conforme à la loi d'harmonisation fiscale.
6.2. De l'avis des juges précédents, l'art. 48 LIPP est également applicable en cas de droit réel d'habitation, quand bien même cette disposition ne mentionne que l'usufruit. Pour étayer leur position, ils constatent d'abord qu'en cas de droit d'habitation octroyé comme en l'espèce à titre gratuit, c'est-à-dire sans que son titulaire ne doive payer de contribution périodique, c'est, en vertu de l'art. 21 al. 1 let. b LIFD (RS 642.11), le titulaire du droit d'habitation et non le propriétaire qui est imposé sur la valeur locative de l'immeuble. Ils en déduisent qu'il est dès lors justifié que le titulaire d'un droit d'habitation gratuit doive aussi payer l'impôt sur la fortune en lien avec l'immeuble qu'il occupe. Les juges précédents retiennent ensuite qu'il est cohérent de traiter de la même manière le droit d'habitation et l'usufruit au plan de l'impôt sur la fortune, parce qu'un droit d'habitation confère également à son titulaire un "droit d'usage illimité" sur l'immeuble grevé, équivalent au droit d'usage d'un propriétaire. Enfin, ils affirment que l'attribution fiscale d'un immeuble au titulaire du droit d'habitation aux fins de l'impôt sur la fortune est préconisée par une partie de la doctrine et que cette pratique prévaut dans plusieurs cantons, dont celui de Zurich.
6.2.1. La recourante objecte que, selon sa lettre claire et à l'instar de l'art. 13 al. 2 LHID, l'application de l'art. 48 LIPP est limitée aux biens qui sont grevés d'un usufruit, de sorte que le droit d'habitation, qui est une institution juridique différente, ne tombe pas dans son champ d'application. Elle en conclut qu'en lui attribuant fiscalement l'immeuble pour lequel elle est au bénéfice d'un droit d'habitation, les juges cantonaux ont violé l'art. 13 LHID et le principe de la légalité (art. 127 al. 1 Cst.), appliqué le droit cantonal de manière arbitraire (art. 9 Cst.) et contrevenu au principe de l'égalité de traitement (art. 8 Cst.).
6.2.2. L'Administration cantonale est d'avis que la question de l'attribution fiscale d'un immeuble grevé d'un droit d'habitation est de la compétence résiduelle des cantons, parce qu'aucune réglementation particulière n'est prévue dans la LHID. Relevant que le droit cantonal genevois ne prévoit pas non plus de règle expresse concernant l'attribution fiscale d'un immeuble grevé d'un droit d'habitation, elle en conclut que, "dès lors qu'il importe de définir clairement qui du propriétaire ou du bénéficiaire du droit d'habitation doit s'acquitter de l'impôt sur la fortune de l'immeuble grevé d'un tel droit, il s'agit d'une lacune proprement dite de la loi, que l'administration et le juge sont en droit de combler par une application par analogie des dispositions fiscales relatives à l'usufruit".
7.
Il n'est pas contesté que, selon sa lettre, l'art. 13 al. 2 LHID ne concerne que la fortune grevée d'usufruit et que la disposition ne mentionne pas le droit d'habitation. Le litige revient à se demander si la disposition peut être interprétée en ce sens qu'elle inclut également la situation dans laquelle une personne est titulaire d'un droit réel d'habitation.
7.1. Au préalable, il faut rappeler que le principe de la légalité joue un rôle cardinal en droit fiscal, où il est érigé en droit constitutionnel indépendant à l'art. 127 al. 1 Cst. L'importance particulière du principe de légalité en droit fiscal provient du fait qu'il "appartient à l'essence de l'État de droit moderne" de n'intervenir dans le patrimoine des citoyens et de ne prélever des impôts auprès d'eux que s'il existe une base légale formelle (cf. ATF 150 I 1 consid. 4.4.1 et les références). Le principe de la légalité en matière de droit fiscal exprime également la volonté du constituant de garantir que les éventuelles obligations fiscales soient prévisibles pour les contribuables (cf. ATF 146 II 97 consid. 2.2.4 et les références). Il implique donc aussi que, sous réserve d'un état de fait constitutif d'évasion fiscale, une disposition prévue dans une loi fiscale ne peut en principe pas s'appliquer à un autre état de fait que celui pour laquelle elle est prévue (cf. DANIELLE YERSIN/FLORENCE AUBRY GIRARDIN, in Impôt fédéral direct, Commentaire romand, 2e éd. 2017, n° 45 § 3 ad Remarques préliminaires).
7.2. L'absence de mention du droit d'habitation dans l'art. 13 al. 2 LHID s'oppose a priori à ce que la valeur d'un immeuble grevé d'un droit réel d'habitation puisse être attribuée au titulaire dudit droit.
7.3. L'application de l'art. 13 al. 2 LHID ne peut pas être justifiée par l'argument selon lequel le droit réel d'habitation serait comparable dans ses effets à un usufruit.
7.3.1. En droit civil, l'usufruit, qui peut être établi sur des meubles, des immeubles, des droits ou un patrimoine (art. 745 al. 1 CC) confère à l'usufruitier, sauf disposition contraire, un droit de jouissance complet sur la chose (art. 745 al. 2 CC). L'usufruit d'un immeuble peut être limité à une partie définie d'un bâtiment ou de l'immeuble (art. 745 al. 3 CC). Quant au droit d'habitation, il est défini comme le droit de demeurer dans une maison ou d'en occuper une partie (art. 776 al. 1 CC). Il est incessible et ne passe point aux héritiers (art. 776 al. 2 CC). Les règles de l'usufruit sont applicables au droit d'habitation, sauf disposition contraire de la loi (art. 776 al. 3 CC).
Si le droit d'habitation présente des similitudes avec l'usufruit, en tant qu'il confère au titulaire le droit d'occuper l'immeuble, il s'en distingue toutefois sur deux points essentiels (PAUL-HENRI STEINAUER, Les droits réels, tome 3, 5e éd. 2021, p. 119 n° 3776). D'une part, le droit d'habitation ne procure qu'une jouissance limitée de l'immeuble, car il ne confère que le droit de l'habiter. Le titulaire du droit d'habitation ne peut donc pas louer l'immeuble à un tiers, mais doit l'occuper lui-même. D'autre part, alors que l'usufruitier peut en principe transférer l'exercice de son droit à un tiers (cf. art. 758 al. 1 CC), le droit d'habitation est incessible selon l'art. 776 al. 2 CC, qui est une disposition impérative (STEINAUER, op. cit., p. 119 n° 3776 et n° 3777; TEUSCHER/LOBSIGER, op. cit., n° 27 ad art. 13 LHID). Le droit d'habitation ne procure donc pas un droit de jouissance sur l'immeuble qui est comparable à celui d'un usufruitier. Contrairement à ce que retiennent les juges précédents, il ne confère a fortiori pas non plus à son titulaire un droit d'usage "illimité" sur l'immeuble qui serait comparable à celui d'un propriétaire.
Par conséquent, le seul fait que, à l'instar de l'usufruitier, le titulaire d'un droit d'habitation a le droit de demeurer dans l'immeuble ne permet ni de pallier l'absence de base légale expresse attribuant un immeuble grevé d'un droit d'habitation au titulaire de ce droit ni de considérer que le droit d'habitation doit être traité de manière analogue à un usufruit en matière d'impôt sur la fortune. Au surplus, la constitution d'un droit d'habitation n'est nullement insolite et, en pareille situation, l'immeuble reste de toute manière soumis à la souveraineté fiscale du canton de situation de l'immeuble, puisque son propriétaire y est assujetti au paiement de l'impôt sur la fortune indépendamment de son lieu de domicile (cf. art. 4 al. 1 LHID). On ne saurait donc voir dans la constitution d'un droit d'habitation une structure potentiellement constitutive d'évasion fiscale destinée à éluder l'impôt sur la fortune (supra consid. 7.1). Les autorités cantonales ne le soutiennent à juste titre pas.
7.4. La Cour de justice s'est également fondée sur le fait qu'en matière d'impôt sur le revenu, lorsqu'un immeuble est aliéné avec constitution simultanée d'un droit de jouissance en faveur de l'aliénateur, le droit de jouissance est réputé avoir été octroyé à titre gratuit, ce qui a pour conséquence que c'est le titulaire de ce droit de jouissance qui est imposé sur la valeur locative de l'immeuble en vertu de l'art. 21 al. 1 let. b LIFD (cf. à ce sujet les arrêts 2C_256/2010 du 6 septembre 2010 consid. 2.2.2 et les références, in RF 65/2010 p. 951; 2C_542/2010 du 24 novembre 2010 consid. 2.1, in StE 2011 B 27.2 Nr. 3; NICOLAS MERLINO, in Impôt fédéral direct, Commentaire romand, 2e éd. 2017, n° 105 ad art. 21 LIFD). Les juges précédents en déduisent qu'il est justifié d'attribuer l'immeuble au titulaire du droit d'habitation au plan de l'impôt sur la fortune.
Selon l'art. 21 al. 1 let. b LIFD, est imposable le rendement de la fortune immobilière, en particulier la valeur locative des immeubles ou de parties d'immeubles dont le contribuable se réserve l'usage en raison de son droit de propriété ou d'un droit de jouissance obtenu à titre gratuit. Cette disposition vise ainsi de manière générale tout "droit de jouissance obtenu à titre gratuit" et n'est ainsi pas limitée, comme l'art. 13 al. 2 LHID, au seul usufruit. En outre, les enjeux de l'art. 21 al. 1 let. b LIFD et de l'art. 13 al. 2 LHID ne sont pas les mêmes, puisqu'il s'agit, dans le premier cas, de savoir à qui attribuer la valeur
locative d'un immeuble, ce qui est une problématique d'impôt sur le revenu et, dans le second cas, de savoir à qui attribuer la valeur représentée par l'immeuble dans le cadre de l'impôt sur la fortune. On ne peut dès lors rien tirer de l'art. 21 al. 1 let. b LIFD pour l'application de l'art. 48 LIPP.
7.5. La Cour de justice s'est encore référée à la pratique qui aurait cours dans le canton de Zurich. Or, il ressort précisément de l'article qu'elle cite à l'appui de son affirmation que, dans le canton de Zurich, l'immeuble grevé d'un droit d'habitation est attribué à son propriétaire et non pas au titulaire du droit d'habitation aux fins de l'impôt sur la fortune (JOHANNES HUGI, Die steuerliche Behandlung von Nutzniessungen, Wohnrechten, Dienstbarkeiten, Grundlasten und vorgemerkten persönlichen Rechten im Kanton Zürich, in RF 07-08/2013 p. 490 et p. 500 s.). La pratique zurichoise semble certes admettre qu'en cas d'accord entre les parties, l'immeuble puisse être fiscalement attribué au titulaire du droit d'habitation (HUGI, op. cit., p. 490 et p. 500 s.; cf. aussi RICHNER/FREI/KAUFMANN/ROHNER, Kommentar zum Zürcher Steuergesetz, 4e éd. 2022, n° 9 ad § 38). Cette pratique, qui n'a pas à être discutée ici, ne change rien à la règle selon laquelle l'immeuble est attribué à son propriétaire dans le canton de Zurich.
7.6. La Cour de justice mentionne encore que certains auteurs retiennent que l'immeuble grevé d'un droit réel d'habitation doit être attribué au titulaire de ce droit.
Il apparaît toutefois que les seuls auteurs qui se sont prononcés, depuis l'entrée en vigueur de la LHID, sur la question de savoir si l'art. 13 al. 2 LHID doit être appliqué en présence d'un immeuble grevé d'un droit réel d'habitation répondent par la négative à cette question (RICHNER/FREI/KAUFMANN/ROHNER, op. cit., n° 9 ad § 38). Pour le reste, les réflexions et débats doctrinaux qui ont notamment porté sur le traitement fiscal de l'usufruit et du droit d'habitation en matière d'impôt sur le revenu ou la fortune ont eu lieu avant l'harmonisation fiscale et ne permettent donc pas de tirer des conclusions directes sur le champ d'application de l'art. 13 al. 2 LHID (cf. PETER RUF, Die wehrsteuerrechtliche Behandlung des Wohnrechtes, in Archives 49 p. 384; PETER LOCHER, Besteuerung von Renten und rentenähnlichen Rechtsverhältnissen in der Schweiz, RDS 87/1991 p. 181; BERNARD H. GRÄNZER, Die Besteuerung des Wohnrechtes nach der baselstädtischen Praxis und in Analogie zur Miete, in RF 46/1991, p. 501).
7.7. Finalement, c'est en vain que l'Administration cantonale fait valoir que l'absence de disposition expresse concernant l'attribution fiscale d'un immeuble grevé d'un droit d'habitation à son titulaire procède d'une lacune proprement dite qui doit être comblée par une application par analogie de la règle d'attribution fiscale prévue pour l'usufruit (supra consid. 6.2.2). Selon la jurisprudence, on est en présence d'une lacune proprement dite que lorsque le législateur n'a pas réglé un point qu'il aurait dû régler et qu'aucune solution ne se dégage du texte ou de l'interprétation de la loi (ATF 139 I 57 consid. 5.2). Or en l'espèce, l'absence de réglementation spécifique concernant l'attribution fiscale d'un immeuble grevé d'un droit d'habitation ne crée pas de lacune, mais a simplement pour conséquence qu'en application de la règle générale en matière d'attribution des actifs (supra consid. 5.1), cet immeuble est fiscalement attribué à son propriétaire.
7.8. Il découle de ce qui précède que la Cour de justice a appliqué le droit cantonal harmonisé (art. 48 LIPP) de manière contraire à la LHID en jugeant que l'immeuble pour lequel la recourante était au bénéfice d'un droit réel d'habitation devait être inclus dans sa fortune imposable. L'arrêt attaqué doit par conséquent être annulé en tant qu'il retient que l'immeuble doit être fiscalement attribué à la recourante aux fins de l'impôt sur la fortune.
Impôt immobilier complémentaire
8.
La recourante conteste aussi devoir payer l'impôt immobilier complémentaire dû sur l'immeuble.
8.1. L'impôt immobilier complémentaire est régi par la loi cantonale genevoise du 9 novembre 1887 sur les contributions publiques (LCP; rs/GE D 3 05). Cet impôt n'entre pas dans le champ d'application des art. 1 et 2 LHID et n'est pas harmonisé (arrêt 2C_734/2008 du 29 janvier 2009 consid. 1.1). Il relève donc du droit cantonal, ce qui implique que le pouvoir d'examen du Tribunal fédéral est limité aux seuls griefs constitutionnels invoqués de manière conforme à l'art. 106 al. 2 LTF (supra consid. 2.2).
8.2. Sous le titre "Débiteur de l'impôt", l'art. 76 al. 5 LCP prévoit que l'impôt [immobilier complémentaire] est dû par la personne inscrite comme propriétaire ou usufruitier à l'office du registre foncier à la date du 31 décembre de la période fiscale. Sont réservés les cas prévus par l'article 656, alinéa 2, du code civil suisse.
8.2.1. Dans l'arrêt attaqué, la Cour de justice a, sur la base du même raisonnement que pour l'impôt sur la fortune (supra consid. 6.2), jugé qu'en présence d'un droit réel d'habitation, l'impôt immobilier complémentaire devait être prélevé auprès du titulaire dudit droit et non pas auprès du propriétaire.
8.2.2. La recourante soutient que l'application à sa situation de l'art. 76 al. 5 LCP est arbitraire (art. 9 Cst.) parce que, selon le texte clair et univoque de cette disposition, cet impôt n'est dû que par le propriétaire ou l'usufruitier et que lui imputer la charge du paiement de cet impôt conduit à un résultat arbitraire, car cela lui fait supporter le paiement d'un impôt qui n'est pas à sa charge selon la loi.
8.3. Amené à examiner l'interprétation et l'application du droit cantonal sous l'angle de l'arbitraire, le Tribunal fédéral ne s'écarte de la solution retenue que si celle-ci se révèle insoutenable, en contradiction manifeste avec la situation effective, ou si elle a été adoptée sans motifs objectifs et en violation d'un droit certain, ce qu'il appartient au recourant de démontrer par une argumentation qui réponde aux exigences de l'art. 106 al. 2 LTF (cf. ATF 141 I 36 consid. 1.3; 139 I 229 consid. 2.2). En outre, il ne suffit pas que les motifs de la décision critiquée soient insoutenables. Il faut encore que cette dernière soit arbitraire dans son résultat. Si l'interprétation défendue par l'autorité précédente ne s'avère pas déraisonnable ou manifestement contraire au sens et au but de la disposition ou de la législation en cause, elle sera confirmée, même si une autre solution paraît également concevable, voire préférable (ATF 142 II 369 consid. 4.3; 141 I 49 consid. 3.4; 140 III 167 consid. 2.1).
8.4. Il n'est pas contesté que, à l'instar de l'art. 13 al. 2 LHID, l'art. 76 al. 5 LCP ne prévoit pas que l'impôt soit dû par le titulaire d'un droit d'habitation puisqu'il ne mentionne que le propriétaire ou l'usufruitier. En outre, l'art. 76 al. 5 LCP est plus précis que les art. 13 al. 2 LHID et 48 LIPP car il spécifie que l'impôt est dû par la personne qui est "inscrite comme propriétaire ou usufruitier à l'office du registre foncier à la date du 31 décembre de la période fiscale".
Dans ces circonstances, appliquer à la recourante l'art. 76 al. 5 LCP, alors que cette disposition ne la concerne manifestement pas, puisqu'elle n'est inscrite au registre foncier ni en tant que propriétaire, ni en tant qu'usufruitière, n'est pas soutenable. Réclamer à la recourante le paiement de l'impôt complémentaire immobilier en lien avec l'immeuble pour lequel elle est au bénéficie d'un droit d'habitation aboutit par ailleurs, comme elle le souligne à juste titre, à un résultat arbitraire, puisque cela lui impose le paiement d'un impôt qui est dû par les propriétaires de l'immeuble.
8.5. Le grief d'arbitraire dans l'application du droit cantonal est par conséquent admis et l'arrêt attaqué est annulé en tant qu'il retient que la recourante doit payer l'impôt immobilier complémentaire sur l'immeuble pour lequel elle est au bénéfice d'un droit d'habitation.
9.
Il découle de ce qui précède que le recours est admis, l'arrêt attaqué annulé et la cause renvoyée à l'Administration cantonale pour qu'elle notifie à la recourante un nouveau bordereau de taxation pour la période fiscale 2016, qui n'inclut pas l'immeuble pour lequel elle est au bénéfice d'une droit d'habitation dans sa fortune et qui ne prévoit pas d'impôt immobilier complémentaire à sa charge en lien avec cet immeuble.
10.
Succombant, le canton de Genève, dont l'intérêt pécuniaire est en cause, doit supporter les frais judiciaires (cf. art. 66 al. 1 et 4 LTF ). La recourante, qui obtient gain de cause avec l'assistance d'un avocat, a droit à des dépens (art. 68 al. 1 LTF).
11.
Le Tribunal fédéral ne fera pas usage de la faculté offerte par les art. 67 et 68 al. 5 LTF et renverra la cause à la Cour de justice pour qu'elle détermine le sort des frais et des dépens de la procédure menée devant elle et devant le Tribunal administratif.
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :
1.
Le recours est admis.
2.
L'arrêt de la Cour de justice de la République et canton de Genève du 28 mars 2023 est annulé.
3.
La cause est renvoyée à l'Administration cantonale pour qu'elle établisse un nouveau bordereau de taxation pour l'impôt cantonal et communal 2016 dans le sens des considérants.
4.
La cause est renvoyée à la Cour de justice pour qu'elle détermine le sort des frais et des dépens de la procédure menée devant elle et devant le Tribunal administratif de première instance.
5.
Les frais judiciaires, arrêtés à 2'000 fr., sont mis à la charge du canton de Genève.
6.
Le canton de Genève versera à la recourante une indemnité de 2'000 fr. à titre de dépens.
7.
Le présent arrêt est communiqué aux parties, à la Cour de justice de la République et canton de Genève, Chambre administrative, 4e section, et à l'Administration fédérale des contributions.
Lucerne, le 10 octobre 2024
Au nom de la IIIe Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse
Le Président : Parrino
La Greffière : Vuadens