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Bundesgericht 
Tribunal fédéral 
Tribunale federale 
Tribunal federal 
 
 
 
 
1C_74/2024  
 
 
Arrêt du 10 décembre 2024  
 
Ire Cour de droit public  
 
Composition 
MM. les Juges fédéraux Kneubühler, Président, 
Chaix et Merz. 
Greffière : Mme Tornay Schaller. 
 
Participants à la procédure 
A.________ SA, 
B.________, 
tous les deux représentés par Me Christian Tamisier, avocat, 
recourants, 
 
contre  
 
Département du territoire du canton de Genève, Office des autorisations de construire, Service des affaires juridiques, case postale 22, 1211 Genève 8. 
 
Objet 
Refus de délivrer une autorisation de construire tendant à réunir deux appartements, 
 
recours contre l'arrêt de la Cour de justice du canton de Genève, Chambre administrative, du 12 décembre 2023 (A/2120/2022-LDTR ATA/1332/2023). 
 
 
Faits :  
 
A.  
Le 24 février 2022, A.________ SA a déposé auprès du Département du territoire du canton de Genève (ci-après: le Département) une demande d'autorisation de construire en procédure accélérée portant sur la réunion de deux appartements en propriété par étages, l'un de cinq pièces, d'une surface brute de plancher de 262 m² (propriété de B.________) et l'autre de trois pièces en duplex, d'une surface brute de plancher de 156 m² (propriété de A.________ SA), à Genève. Cette opération devait permettre à B.________ de bénéficier d'un appartement de sept à huit pièces. L'immeuble en question se trouve en 2 ème zone de construction au sens de l'art. 19 al. 1 let. b de la loi genevoise d'application de la loi fédérale sur l'aménagement du territoire (LaLAT; RSG L 1 30).  
Dans le cadre de l'instruction de la requête, l'office cantonal du logement et de la planification foncière a, le 14 avril 2022, préavisé défavorablement ce projet considérant qu'il n'entrait dans aucun des motifs prévus à l'art. 9 de la loi sur les démolitions, transformations et rénovations de maisons d'habitation (mesures de soutien en faveur des locataires et de l'emploi) du 25 janvier 1996 (LDTR; RSG L 5 20); les deux logements avaient, individuellement, une bonne habitabilité et un bon standard. 
Par décision du 27 mai 2022, le Département, se fondant sur le préavis précité, a refusé de délivrer l'autorisation de construire sollicitée. 
 
B.  
Après avoir procédé à un transport sur place, le Tribunal administratif de première instance du canton de Genève a annulé la décision du 27 mai 2022, par jugement du 20 juin 2023. Il a considéré en substance que les appartements en question devaient être qualifiés de logements de luxe, de sorte qu'ils n'entraient pas dans la catégorie de logements répondant aux besoins prépondérants de la population que la LDTR entendait protéger. 
Le Département a déposé un recours contre le jugement du 20 juin 2023 auprès de la Chambre administrative de la Cour de justice du canton de Genève (ci-après: la Cour de justice). Par arrêt du 12 décembre 2023, celle-ci a admis le recours, a annulé le jugement du 20 juin 2023 et a restauré la décision de refus de délivrer l'autorisation de construire du 27 mai 2022. 
 
C.  
Agissant par la voie du recours en matière de droit public, A.________ SA et B.________ demandent principalement au Tribunal fédéral d'annuler l'arrêt du 12 décembre 2023. Ils concluent subsidiairement au renvoi de la cause à la Cour de justice pour nouvelle décision au sens des considérants. 
La Cour de justice s'en rapporte à justice quant à la recevabilité du recours et persiste dans les considérants et le dispositif de son arrêt. Le Département conclut au rejet du recours. Les recourants répliquent. 
 
 
Considérant en droit :  
 
1.  
Dirigé contre une décision finale (art. 90 LTF) prise en dernière instance cantonale (art. 86 al. 1 let. d LTF) dans le domaine du droit public des constructions (art. 82 let. a LTF) et déposé en temps utile (art. 100 al. 1 LTF), le recours est en principe recevable comme recours en matière de droit public selon les art. 82 ss LTF, aucune des exceptions prévues à l'art. 83 LTF n'étant réalisée. Les recourants ont pris part à la procédure devant la Cour de justice. Ils sont particulièrement touchés par l'arrêt attaqué qui confirme le refus de délivrer l'autorisation de construire sollicitée et peuvent ainsi se prévaloir d'un intérêt digne de protection à ce que la décision attaquée soit annulée (art. 89 al. 1 LTF). 
Les autres conditions de recevabilité sont au surplus réunies, si bien qu'il y a en principe lieu d'entrer en matière sur le recours. 
 
2.  
Les recourants font valoir que les deux appartements revêtent un caractère luxueux et ne répondent ainsi pas aux "besoins prépondérants de la population" au sens de l'art. 9 al. 2 et 3 LDTR. Ils se plaignent à cet égard d'une violation de la garantie de la propriété (art. 26 Cst.) et d'une application arbitraire de l'art. 9 LDTR (art. 9 Cst.). 
 
2.1. Le refus d'octroyer une autorisation de construire pour transformer un appartement en vertu de la LDTR représente une restriction au droit de propriété, qui n'est conforme à l'art. 26 Cst. que si elle repose sur une base légale, se justifie par un intérêt public suffisant et respecte le principe de la proportionnalité (art. 36 Cst.).  
Les recourants admettent que la restriction à la garantie de la propriété repose sur la LDTR qui constitue une base légale suffisante. Ils n'exposent pas en quoi elle serait contraire au principe de la proportionnalité. Ils ne remettent pas non plus en cause l'intérêt public général poursuivi par la LDTR, qui tend à préserver l'habitat et les conditions de vie existants dans les zones visées expressément par la loi (art. 1 al. 1 LDTR) (ATF 128 I 206 consid. 5.2.4; plus récemment arrêt 1C_235/2023 du 11 mars 2024 consid. 9). Ils estiment cependant que l'application de l'art. 9 LDTR faite par la Cour de justice à leurs appartements (qui ne répondraient pas aux besoins prépondérants de la population) ne reposerait sur aucun intérêt public et serait arbitraire. Les griefs d'application arbitraire de l'art. 9 LDTR et d'atteinte non justifiée par un intérêt public à la garantie de la propriété se recoupent et seront traités ensemble. 
 
2.2. Appelé à revoir l'interprétation d'une norme cantonale sous l'angle restreint de l'arbitraire, le Tribunal fédéral ne s'écarte de la solution retenue par l'autorité cantonale de dernière instance que si celle-ci apparaît insoutenable, en contradiction manifeste avec la situation effective, adoptée sans motifs objectifs et en violation d'un droit certain. En revanche, si l'application de la loi défendue par l'autorité cantonale ne s'avère pas déraisonnable ou manifestement contraire au sens et au but de la disposition ou de la législation en cause, cette interprétation sera confirmée, même si une autre solution - même préférable - paraît possible (ATF 148 II 465 consid. 8.1; 137 I 1 consid. 2.4; 136 III 552 consid. 4.2). En outre, pour qu'une décision soit annulée au titre de l'arbitraire, il ne suffit pas qu'elle se fonde sur une motivation insoutenable; encore faut-il qu'elle apparaisse arbitraire dans son résultat (ATF 148 II 465 consid. 8.1; 148 I 145 consid. 6.1 137 I 1 consid. 2.4).  
 
2.3. En l'espèce, la cour cantonale a considéré que les deux appartements, composés de trois et cinq pièces chacun, étaient des objets pour lesquels sévissait une pénurie; les loyers n'étaient pas connus, dans la mesure où les appartements étaient occupés par un propriétaire pour le cinq pièces, le dossier étant muet quant à l'occupation du duplex de trois pièces propriété d'une société anonyme; il n'en demeurait pas moins que, selon le champ d'application général de la LDTR, le nombre de pièces de chacun des appartements, soit le cas où seule la condition alternative du genre était remplie, suffisait à les soumettre à la LDTR; pour cette raison, la LDTR devrait trouver application pour la transformation envisagée; l'opération projetée, qui est une transformation, n'était pas exclue du champ d'application spécial de la LDTR.  
Pour l'instance précédente, c'était donc à juste titre que le Département avait considéré que cette opération de réunification de deux appartements était soumise à la LDTR et avait considéré qu'elle n'entrait dans aucun des motifs prévus à l'art. 9 LDTR: les deux logements avaient, individuellement, une bonne habitabilité et un bon standard: cette motivation suffisait à comprendre que la transformation projetée ne réalisait aucune des conditions prévues à l'art. 9 al. 1 LDTR, ni d'ailleurs l'al. 2 de cette disposition, puisqu'une fois les deux appartements réunis, l'objet de huit pièces ne répondrait plus aux besoins prépondérants de la population. 
 
2.4. Il s'agit d'abord de déterminer si les appartements en question entrent dans le champ d'application général de la LDTR.  
 
2.4.1. Selon l'art. 2 al. 1 let. a LDTR, est soumis à cette loi tout bâtiment situé dans l'une des zones de construction prévues par l'article 19 LaLAT ou construit au bénéfice des normes de l'une des 4 premières zones de construction en vertu des dispositions applicables aux zones de développement. Est également soumis à la LDTR tout bâtiment comportant des locaux qui, par leur aménagement et leur distribution, sont affectés à l'habitation (art. 2 al. 1 let. b LDTR). N'y sont en revanche pas assujetties les maisons individuelles ne comportant qu'un seul logement, ainsi que les villas en 5 e zone comportant un ou plusieurs logements (art. 2 al. 2 LDTR).  
 
2.4.2. L'art. 2 LDTR qui traite du champ d'application de la loi ne prévoit pas que les appartements de luxe ne seraient pas soumis à la LDTR. Le champ d'application de la LDTR est en effet très large et ne fait aucune référence aux besoins prépondérants de la population. Le législateur cantonal a prévu une exception pour fixer le loyer des logements de luxe après des travaux de rénovation (art. 10 al. 2 let. b LDTR). En revanche, pour les travaux de transformation et de rénovation eux-mêmes, aucune exception n'est prévue par la loi. En 1990, le Tribunal fédéral avait pris acte de ce choix du législateur cantonal qui a préféré soumettre à la loi tous les logements, quels que soient leur catégorie de confort et le montant du loyer, tout en prévoyant que l'autorité peut dans certains cas déroger aux règles relatives à la fixation des loyers et des prix (ATF 116 Ia 401 consid. 11b/bb).  
La cour cantonale n'a ainsi pas violé le droit fédéral en jugeant que la LDTR s'appliquait aux appartements en question, affectés à l'habitation et situés dans une zone de construction prévue par l'art. 19 LaLAT. 
 
2.5. Il y a ensuite lieu d'examiner si l'art. 9 LDTR en particulier s'applique aux logements des recourants. Ceux-ci font valoir que l'art. 9 LDTR ne pourrait pas s'appliquer aux biens de luxe, inaccessibles à la grande majorité de la population. Ils mettent en évidence le coût très élevé de construction des appartements, leur conception (haut niveau de finition, système de domotique, grandes surfaces des pièces,...) et leurs caractéristiques. Ils soulignent que les deux appartements ne sont actuellement pas sur le marché locatif. Pour eux, la notion de "besoins prépondérants de la population" de l'art. 9 al. 3 LDTR limiterait le champ d'application de la LDTR aux loyers qui sont accessibles à la majorité de la population. Ils reprochent encore aux juges cantonaux d'avoir appliqué arbitrairement l'art. 9 LDTR, en se limitant à l'examen du nombre de pièces des logements concernés, alors qu'ils auraient dû retenir leur caractère luxueux et le fait qu'un loyer hypothétique dépasserait largement les loyers accessibles à la majorité de la population.  
 
2.5.1. Selon l'art. 9 al. 1 LDTR, une autorisation est nécessaire pour toute transformation ou rénovation. L'autorisation est notamment accordée lorsque l'état du bâtiment comporte un danger pour la sécurité et la santé de ses habitants ou des tiers (let. a), lorsque la réalisation d'opérations d'aménagement ou d'assainissement d'intérêt public le commande (let. b), lorsque les travaux permettent la réalisation de logements supplémentaires (let. c), lorsque les travaux répondent à une nécessité ou qu'ils contribuent au maintien ou au développement du commerce et de l'artisanat, si celui-ci est souhaitable et compatible avec les conditions de vie du quartier (let. d), pour les travaux de rénovation (let. e).  
A teneur de l'art. 9 al. 2 LDTR, le département accorde l'autorisation si les logements transformés répondent, quant à leur genre, leur loyer ou leur prix, aux besoins prépondérants de la population; il tient compte, dans son appréciation, du genre, de la typologie et de la qualité des logements existants (let. a), du prix de revient des logements transformés ou nouvellement créés, notamment dans les combles (let. b), du genre de l'immeuble (let. c), du nombre de pièces et de la surface des appartements ainsi que de la surface des logements nouvellement créés (let. d), des exigences liées à l'objectif de préservation du patrimoine (let. e). 
Par besoins prépondérants de la population, il faut entendre les loyers accessibles à la majorité de la population (art. 9 al. 3 LDTR). 
 
2.5.2. En l'espèce, les deux appartements pour lesquels la réunion est demandée disposent de 3 et 5 pièces: ils appartiennent donc à la catégorie des logements où sévit une pénurie. Selon l'art. 25 al. 3 LDTR en effet, les appartements de plus de 7 pièces n'entrent pas dans une catégorie où sévit la pénurie. Selon la jurisprudence cantonale, cette caractéristique permet à elle seule de considérer que ces appartements répondent aux besoins de la population au sens de l'art. 9 al. 2 LDTR, même si les loyers proposés devaient être supérieurs à ceux fixés par l'arrêté relatif à la révision des loyers répondant aux besoins prépondérants de la population (RSG L 5 20.05). Il n'apparaît pas insoutenable de considérer que le seul fait que ces appartements correspondent, de par leur nombre de pièces, à des logements pour lesquels sévit une pénurie suffise à leur imposer la mise en oeuvre de la LDTR. En d'autres termes, il n'est pas déraisonnable de juger qu'il suffit qu'une des trois conditions alternatives de l'art. 9 al. 2 LDTR (genre, loyer ou prix) réponde aux besoins prépondérants de la population pour appliquer cette disposition. Il n'est dès lors pas nécessaire d'examiner les caractéristiques propres des appartements litigieux pour déterminer s'ils devaient ou non être considérés comme étant des logements de luxe.  
Enfin, quoi qu'en disent les recourants, il existe un intérêt public à ce que la LDTR soit appliquée à ces appartements dans la mesure où la réunion de ces deux logements aurait pour conséquence de les soustraire du marché dans lequel sévit une pénurie et de créer un nouvel objet pour lequel ne prévaut pas la pénurie. Il n'est par conséquent ni arbitraire ni contraire à l'art. 26 Cst. de soumettre à autorisation la réunion d'appartements, même d'un certain standing, pour "préserver le caractère actuel de l'habitat" (art. 1 al. 1 LDTR) dans une zone de pénurie dans la catégorie concernée. 
 
3.  
Il s'ensuit que le recours est rejeté. 
Conformément à l'art. 66 al. 1 LTF, les frais judiciaires sont mis à la charge des recourants qui succombent. Il n'y a pas lieu d'allouer des dépens (art. 68 al. 3 LTF). 
 
 
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :  
 
1.  
Le recours est rejeté. 
 
2.  
Les frais judiciaires, arrêtés à 4'000 francs, sont mis à la charge des recourants. 
 
3.  
Le présent arrêt est communiqué au mandataire des recourants, au Département du territoire et à la Cour de justice du canton de Genève (Chambre administrative). 
 
 
Lausanne, le 10 décembre 2024 
 
Au nom de la Ire Cour de droit public 
du Tribunal fédéral suisse 
 
Le Président : Kneubühler 
 
La Greffière : Tornay Schaller