Bundesgericht
Tribunal fédéral
Tribunale federale
Tribunal federal
9C_366/2024
Arrêt du 11 septembre 2024
IIIe Cour de droit public
Composition
MM. et Mme les Juges fédéraux Parrino, Président,
Moser-Szeless et Beusch.
Greffier : M. Bürgisser.
Participants à la procédure
A.________,
représenté par Mes David Raedler et Sacha Elkaim, avocats,
recourant,
contre
Service de la sécurité civile et militaire, Administration de l'obligation de servir et logistique, place de la Navigation 6, 1110 Morges,
intimé.
Objet
Taxe d'exemption de l'obligation de servir, périodes fiscales 2019, 2020 et 2021,
recours contre l'arrêt du Tribunal cantonal du canton de Vaud, Cour de droit administratif et public, du 22 mai 2024 (FI.2024.0042).
Faits :
A.
A.________, né le xxx août 1986, a été naturalisé suisse le yyy juin 2018, soit durant l'année de ses 32 ans.
Il a été assujetti à la taxe d'exemption de servir (ci-après: TEO) par le Service vaudois de la sécurité civile et militaire (ci-après: SSCM) pour les années 2019 (décision du 1er juin 2023), 2020 (décision du 31 mars 2023) et 2021 (décision du 15 septembre 2023). L'intéressé a formé opposition contre ces trois décisions.
Par décision sur réclamation du 9 février 2024, le SSCM a rejeté les réclamations concernant les années d'assujettissement 2019 à 2021.
B.
Par arrêt du 22 mai 2024, le Tribunal cantonal du canton de Vaud, Cour de droit administratif et public (ci-après: le Tribunal cantonal), a rejeté le recours de A.________.
C.
Agissant par la voie du recours en matière de droit public, A.________ conclut à titre principal à la réforme de l'arrêt du 22 mai 2024, en ce sens qu'il n'est pas soumis à la TEO pour les années 2019, 2020 et 2021. À titre subsidiaire, il conclut à ce que l'arrêt du Tribunal cantonal soit annulé et la cause renvoyée à l'instance précédente pour nouvelle décision dans le sens des considérants.
Considérant en droit :
1.
L'arrêt attaqué est une décision finale (art. 90 LTF), rendue en dernière instance cantonale par un tribunal supérieur (art. 86 al. 1 let. d et al. 2 LTF; cf. art. 22 al. 3 et 31 al. 3 de la loi fédérale du 12 juin 1959 sur la taxe d'exemption de l'obligation de servir [LTEO; RS 661]; voir aussi art. 92 al. 1 de la loi vaudoise du 28 octobre 2008 sur la procédure administrative [LPA-VD; rs/VD 173.36], applicable par renvoi de l'art. 10 al. 1 de la loi vaudoise d'application de la législation fédérale sur la taxe d'exemption de l'obligation de servir [LVLTEO; rs/VD 658.51]), dans une cause de droit public (art. 82 let. a LTF) ne tombant pas sous le coup de l'une des exceptions prévues à l'art. 83 LTF, étant précisé que l'art. 83 let. i LTF ne s'applique pas aux décisions en matière de taxe d'exemption de l'obligation de servir (arrêt 9C_94/2023 du 29 janvier 2024 consid. 1.1 et les références). La voie du recours en matière de droit public est ainsi ouverte. Par ailleurs, les autres conditions de recevabilité sont remplies, de sorte qu'il y a lieu d'entrer en matière.
2.
Saisi d'un recours en matière de droit public, le Tribunal fédéral examine librement la violation du droit fédéral (cf. art. 95 let. a et 106 al. 1 LTF ), sous réserve des exigences de motivation figurant aux art. 42 et 106 al. 2 LTF relatives aux griefs portant sur la violation des droits fondamentaux (cf. ATF 145 I 121 consid. 2.1). Il y procède en se fondant sur les faits constatés par l'autorité précédente (cf. art. 105 al. 1 LTF), à moins que ces faits n'aient été établis de façon manifestement inexacte ou en violation du droit au sens de l'art. 95 LTF (cf. art. 105 al. 2 LTF), ce que la partie recourante doit exposer, de manière circonstanciée.
3.
Le présent litige porte sur la confirmation, par le Tribunal cantonal, de l'assujettissement du recourant à la taxe d'exemption de l'obligation de servir pour les années 2019, 2020 et 2021.
3.1. Cette taxe trouve son fondement à l'art. 59 Cst. Selon cette disposition, tout homme de nationalité suisse est astreint au service militaire ou au service civil de remplacement (art. 59 al. 1 Cst.; cf. aussi art. 2 al. 1 de la loi fédérale du 3 février 1995 sur l'armée et l'administration militaire [LAAM; RS 510.10]). Celui qui n'accomplit pas son service militaire ou son service de remplacement s'acquitte d'une taxe (art. 59 al. 3 Cst.), laquelle est régie par le droit fédéral, en particulier par LTEO et par l'ordonnance du 30 août 1995 sur la taxe d'exemption de l'obligation de servir (OTEO; RS 661.1). De jurisprudence constante, cette taxe, qui constitue une contribution de remplacement, a pour but de garantir une égalité de traitement entre les personnes soumises à l'obligation de servir qui effectuent le service militaire ou le service civil et celles qui en sont exonérées (arrêts 9C_648/2022 du 9 janvier 2024 consid. 3.1 et la référence, destiné à la publication; 9C_707/2022 du 25 janvier 2024 consid. 3.1).
3.2. Selon l'art. 1 LTEO, les citoyens suisses qui n'accomplissent pas ou n'accomplissent qu'en partie leur obligation de servir sous forme de service personnel (service militaire ou service civil) doivent fournir une compensation pécuniaire. Cette taxe est fixée chaque année (cf. art. 25 al. 1 LTEO).
Aux termes de l'art. 2 al. 1 let. a LTEO, sont assujettis à la taxe les hommes astreints au service qui sont domiciliés en Suisse ou à l'étranger et qui, au cours d'une année civile (année d'assujettissement), ne sont, pendant plus de six mois, ni incorporés dans une formation de l'armée ni astreints au service civil.
3.3. L'art. 3 aLTEO (en vigueur jusqu'au 31 décembre 2018; RO 2010 6032) prévoyait ce qui suit:
"Art. 3 - Durée de l'assujettissement à la taxe
1 L'assujettissement à la taxe commence au début de l'année au cours de laquelle la personne astreinte atteint l'âge de 20 ans.
2 Il se termine:
a. pour les personnes qui ne sont pas incorporées dans une formation de l'armée et qui ne sont pas astreintes au service civil, à la fin de l'année au cours de laquelle elles atteignent l'âge de 30 ans; [..]"
La teneur de l'art. 3 LTEO entrée en vigueur depuis le 1er janvier 2019 (modification du 16 mars 2018; RO 2018 3269) est la suivante:
"Art. 3 - début et durée de l'assujettissement à la taxe
1 L'assujettissement à la taxe commence au plus tôt au début de l'année au cours de laquelle l'homme astreint atteint l'âge de 19 ans. Il se termine au plus tard à la fin de l'année au cours de laquelle il atteint l'âge de 37 ans.
2 Pour les assujettis visés à l'art. 2 al. 1 let. a, qui n'effectuent pas de service de protection civile, l'assujettissement à la taxe commence l'année qui suit le recrutement. Il dure onze ans [...]"
4.
4.1.
4.1.1. Le Tribunal cantonal a constaté que le recourant avait été naturalisé en 2018, à l'âge de 32 ans. Au sujet de son grief selon lequel son assujettissement à la TEO pour les années 2019, 2020 et 2021 contrevenait au principe de l'interdiction de la rétroactivité des lois, le Tribunal cantonal a rappelé que le Tribunal fédéral avait déjà eu l'occasion de traiter d'une argumentation similaire dans son arrêt 9C_648/2022 du 9 janvier 2024. Dans cet arrêt, le Tribunal fédéral avait d'abord retenu qu'en matière de prélèvement de la LTEO, la taxe d'exemption de servir ne présentait pas les caractéristiques d'un état de fait durable (cf. arrêt 9C_648/2022 du 9 janvier 2024 consid. 5.2 destiné à la publication). En effet, les éléments de base déterminants servant de fondement à la taxe d'exemption de servir étaient: l'incorporation (ou non) dans une formation de l'armée, la soumission (ou non) à l'obligation de servir dans le civil et l'accomplissement (ou non) du service militaire ou civil pendant l'année d'exemption (cf. art. 2 al. 1 LTEO), puis, selon l'art. 3 al. 1 LTEO, l'âge de la personne astreinte à la taxe pendant l'année d'assujettissement et enfin la date du début de l'assujettissement à la taxe selon les art. 3 al. 2, 3, 4 et 5 LTEO. À l'exception du début de l'obligation de remplacement consistant en le paiement d'une taxe, les autres éléments s'apparentaient à des faits et des situations qui se produisaient ou existaient durant l'année d'assujettissement et qui étaient limitées dans le temps par celle-ci. La circonstance que les faits pertinents existaient encore à la fin de l'année d'assujettissement n'était pas déterminante, pas plus que les faits qui ne se produisaient qu'après la fin de celle-ci. Le Tribunal fédéral avait ensuite considéré que le fait de soumettre un citoyen naturalisé suisse en 2017 à l'obligation de payer la TEO en 2019, en vertu de la nouvelle loi, ne constituait pas une application rétroactive de celle-ci. En effet, l'assujetti en question avait été soumis à la TEO pour l'année d'assujettissement 2019, sur la base des éléments de fait survenus cette année-là et en application de la législation entrée en vigueur au 1er janvier 2019 (arrêt 9C_648/2022 du 9 janvier 2024 consid. 7, destiné à la publication; cf. aussi arrêt 9C_707/2022 du 25 janvier 2024 consid. 5.1).
4.1.2. Pour les juges cantonaux, il en allait en l'occurrence de même pour le recourant. En effet, l'application de la LTEO dès l'année 2019 et l'assujettissement du recourant à la TEO qui en découlait pour cette année-là et pour les suivantes ne constituaient pas une application rétroactive de la loi. À l'instar de ce qui avait été jugé dans l'affaire 9C_648/2022, les éléments de base déterminants servant de fondement à la TEO pour les années 2019 à 2021 s'étaient produits ou existaient ces années-là, soit sous l'empire de la nouvelle loi: le recourant, alors âgé de respectivement 33 et 34 ans (et 35 ans), n'était ni incorporé dans une formation de l'armée, ni soumis à l'obligation de servir dans le civil, ni n'accomplissait du service militaire ou civil (cf. art. 2 al. 1 let. a et 3 LTEO ). Le fait que sous l'ancien droit l'année 2016 correspondait, selon le recourant, à la dernière année de son assujettissement à la TEO parce qu'il avait atteint l'âge de 30 ans cette année-là et qu'il avait été soumis à nouveau en vertu du nouveau droit à l'obligation de payer la taxe d'exemption de servir ne constituait pas une application rétroactive de la loi.
4.1.3. Contrairement à ce que le recourant prétend devant le Tribunal fédéral, son assujettissement à la TEO pour les années 2019 à 2021 ne se fonde pas sur une application rétroactive de la loi, qui serait prohibée. Il ne saurait en effet être suivi lorsqu'il prétend qu'au moment de l'entrée en vigueur du nouveau régime de la LTEO, l'entier de ses obligations militaires étaient échues de sorte que l'application de la nouvelle LTEO faisait "renaître une obligation éteinte". À ce sujet, on peut renvoyer au raisonnement convaincant de la juridiction cantonale, qui est en tout point conforme à la jurisprudence fédérale récente (cf. également arrêt 9C_707/2022 du 25 janvier 2024 consid. 4 et 5) et auquel il n'y a rien à ajouter.
4.2.
4.2.1. Au sujet de l'argumentation du recourant selon laquelle son assujettissement à la TEO consacrerait une inégalité de traitement ainsi qu'une violation des art. 8 Cst., 8 et 14 CEDH, le Tribunal cantonal a également rappelé que le Tribunal fédéral avait eu à connaître d'une argumentation identique dans son arrêt 9C_648/2022 du 9 janvier 2024. Le Tribunal fédéral avait considéré qu'un assujetti à la TEO ne pouvait pas se prévaloir d'une discrimination fondée sur les art. 8 Cst., 8 et 14 CEDH et sur l'arrêt de la Cour européenne des droits de l'Homme
Glor c. Suisse du 30 avril 2009 en l'absence de démarches concrètes visant à effectuer un "recrutement ultérieur" au sens de l'art. 9 al. 3 LAAM et concrétisé par l'art. 12 al. 2 de l'ordonnance du 22 novembre 2017 sur les obligations militaires (OMi; RS 512.21) (cf. consid. 7.2 et 8 de l'arrêt cité).
Selon les juges cantonaux, le recourant ne contestait pas ne pas avoir demandé à être mis au bénéfice d'un recrutement ultérieur au sens de l'art. 9 al. 3 LAAM, qui lui aurait permis, le cas échéant, d'accomplir un service militaire ou un service civil. Il ressortait d'ailleurs des déterminations de l'Administration fédérale des contributions que le recourant n'avait pas fait de démarches concrètes visant à profiter de la possibilité d'un "recrutement ultérieur". Le fait qu'au-delà de 30 ans, les conscrits étaient en principe inaptes au service ne changeait rien à cette conclusion; ce qui était en effet déterminant dans le cas particulier, c'était bien la situation individuelle du recourant et les démarches qu'il avait ou non concrètement effectuées. Le grief d'une violation des art. 8 Cst., 8 et 14 CEDH devait donc être rejeté.
4.2.2. En instance fédérale, le recourant se limite à alléguer qu'il n'a jamais été convoqué au recrutement ou encore qu'il n'y avait aucune possibilité d'effectuer tout "recrutement ultérieur" car même s'il avait présenté une demande pour en effectuer un, celle-ci aurait été rejetée parce qu'un tel recrutement supposait un besoin avéré de l'armée qui n'existait pas. Or et ainsi que l'a retenu la juridiction cantonale de manière conforme à la jurisprudence fédérale récente, ce qui est déterminant en l'occurrence, ce sont bien les démarches concrètes et individuelles du recourant quant à un recrutement ultérieur (cf. également arrêt 9C_707/2022 du 25 janvier 2024 consid. 5.2 et les références). À cet égard, la cour cantonale a constaté que le recourant n'avait entrepris aucune démarche visant à effectuer un "recrutement ultérieur" - ce que celui-ci ne conteste du reste pas -, de sorte qu'elle a retenu à bon droit qu'il ne pouvait pas se prévaloir d'une violation fondée sur les art. 8 Cst., 8 et 14 CEDH, et ce contrairement à ce qu'il prétend.
Il ne saurait davantage être suivi lorsque, en se fondant sur les mêmes dispositions constitutionnelle et conventionnelles, il affirme que son assujettissement serait discriminatoire en raison du calcul proportionnel de la taxe par rapport à son revenu (cf. art. 13 LTEO), qu'il serait "notable qu'une personne dispose très fréquemment d'un revenu supérieur à plus de 32 ans [soit son âge en 2019] qu'à 20 ans (soit la première année possible d'assujettissement à la TEO) " et qu'il paierait dès lors l'équivalent de 43 fois le montant de la taxe minimal fixé à 400 fr. (cf. art. 13 al. 1 LTO). En effet, en l'absence de toute demande tendant à effectuer un "recrutement ultérieur", le recourant ne peut pas se prévaloir avec succès d'une violation du principe de non-discrimination comme l'a déjà reconnu le Tribunal fédéral (arrêt 9C_648/2022 du 9 janvier 2024 consid. 8.2, destiné à la publication), même sous l'angle de la "quotité de la taxe". Enfin, le recourant ne démontre pas en quoi les art. 17 et 26 du Pacte ONU II auxquels il se réfère lui offriraient une protection plus étendue que les dispositions constitutionnelle et conventionnelles invoquées. Le grief y relatif doit donc également être écarté.
4.3. Le recourant prétend enfin que son assujettissement enfreindrait la nature même de l'art. 1 LTEO, ainsi que les art. 2, 8 et 9a LTEO , puisqu'il n'avait aucune possibilité d'effectuer un recrutement et donc de fournir la prestation remplaçant la taxe, de sorte que le caractère causal de la TEO serait enfreint.
Le grief doit être également écarté. Les juges cantonaux se sont derechef référés à bon droit à la jurisprudence récente, selon laquelle le texte clair de l'art. 2 al. 1 let. a LTEO ne distinguait pas les situations qui ont conduit à l'absence d'incorporation dans une formation de l'armée ou d'astreinte au service civil pendant plus de six mois et selon laquelle le motif pour lequel la TEO devait être payée n'était pas déterminant (arrêt 9C_648/2022 du 9 janvier 2024 consid. 8.1, destiné à la publication). Ils ont donc à juste titre nié sur cette base toute violation du droit en lien avec la qualification de taxe de remplacement et confirmé l'assujettissement du recourant, puisque les conditions légales en étaient réalisées.
5.
Il suit de ce qui précède que le recours doit être entièrement rejeté.
6.
Les frais judiciaires sont mis à la charge du recourant, qui succombe (art. 66 al. 1 LTF). Il n'est pas alloué de dépens ( art. 68 al. 1 et 3 LTF ).
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :
1.
Le recours est rejeté.
2.
Les frais judiciaires, arrêtés à 2'000 fr., sont mis à la charge du recourant.
3.
Le présent arrêt est communiqué aux parties, au Tribunal cantonal du canton de Vaud, Cour de droit administratif et public, et à l'Administration fédérale des contributions, section taxe d'exemption de l'obligation de servir.
Lucerne, le 11 septembre 2024
Au nom de la IIIe Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse
Le Président : Parrino
Le Greffier : Bürgisser