Bundesgericht
Tribunal fédéral
Tribunale federale
Tribunal federal
7B_40/2024
Arrêt du 11 octobre 2024
IIe Cour de droit pénal
Composition
MM. et Mme les Juges fédéraux Abrecht, Président,
Koch et Hofmann,
Greffière : Mme Kropf.
Participants à la procédure
A.________,
représenté par Me Alexis Overney, avocat,
recourant,
contre
1. Ministère public de l'État de Fribourg, case postale 1638, 1701 Fribourg,
2. B.________,
représentée par Me Manuela Bracher Edelmann, avocate,
intimés.
Objet
Capacité de prendre part aux débats,
recours contre l'arrêt de la Chambre pénale du Tribunal cantonal de l'État de Fribourg du 22 novembre 2023
(502 2023 177).
Faits :
A.
A.a. Le 4 mars 2019, A.________, résident du foyer C.________, à U.________, a été dénoncé pour actes d'ordre sexuel commis sur une personne incapable de discernement ou de résistance, pour tentative de viol, pour voies de fait et éventuellement lésions corporelles simples, actes qui auraient été commis, à réitérées reprises, au préjudice de B.________ (ci-après : la partie plaignante), résidente dans le même foyer.
A.b. Dans le cadre de l'instruction ouverte par le Ministère public de l'État de Fribourg (ci-après : le Ministère public) et vu la contestation de la capacité de A.________ à prendre part aux débats soulevée par son défenseur d'office, une expertise psychiatrique du prévenu a été mise en oeuvre. Le docteur D.________, du Centre de psychiatrie forensique du Réseau fribourgeois de santé mentale, a rendu son rapport le 22 mars 2021; le complément sollicité par la défense a été remis le 21 juin 2021. Sur requête de son défenseur d'office, A.________ a été soumis à une contre-expertise, laquelle a été confiée au docteur E.________, du Centre Neuchâtelois de Psychiatrie, qui a rendu son rapport le 16 février 2022.
Lors de l'audition du 2 septembre 2022, le Ministère public a pris note du fait que le prévenu ne pouvait pas répondre aux questions. Il a également observé que celui-ci avait tout de même été entendu six fois par les experts et une fois par la police, respectivement qu'il comprenait les accusations portées contre lui et était capable de se déterminer.
Le 25 janvier 2023, le Ministère public a classé la procédure ouverte contre A.________ pour viol et actes d'ordre sexuel commis sur une personne incapable de discernement ou de résistances pour certains des faits qui lui étaient reprochés. Le même jour, il l'a renvoyé en jugement devant le Juge de police de l'arrondissement de la Broye (ci-après : le Juge de police) pour lésions corporelles simples, subsidiairement pour voies de fait, et pour contrainte sexuelle, subsidiairement pour tentative de viol, en lien avec des faits qui se seraient produits le 28 février et le 1er mars 2019.
A.c. Par courrier du 21 février 2023, le Juge de police a indiqué aux parties son intention de classer la procédure, un jugement ne pouvant pas être rendu en raison de l'incapacité non passagère de A.________ de prendre part aux débats. Dans le délai imparti, les parties se sont déterminées.
Le 31 mai 2023, le docteur E.________ a répondu aux questions complémentaires qui lui avaient été soumises le 9 mai 2023 par le Juge de police. Les 29 juin et 5 juillet 2023, les parties ont pu déposer des observations sur ce rapport complémentaire.
Par ordonnance du 6 juillet 2023, le Juge de police a constaté que A.________ était capable de prendre part aux débats.
B.
Par arrêt du 22 novembre 2023, la Chambre pénale du Tribunal cantonal de l'État de Fribourg (ci-après : la Chambre pénale) a rejeté le recours déposé par A.________ contre cette ordonnance.
C.
Par acte du 12 janvier 2024, A.________ forme un recours en matière pénale au Tribunal fédéral contre cet arrêt, en concluant à sa réforme en ce sens que l'ordonnance du 6 juillet 2023 du Juge de police soit annulée, qu'il soit constaté qu'il est durablement incapable de prendre part aux débats, que la procédure xxx soit classée et qu'un délai soit accordé à son mandataire pour produire sa liste d'opérations en tant que défenseur d'office. A titre subsidiaire, il demande le renvoi de la cause à l'autorité précédente ou au Juge de police pour classer la cause, respectivement pour mettre en oeuvre une nouvelle expertise. Il sollicite également l'octroi de l'assistance judiciaire pour la procédure fédérale.
La cour cantonale n'a pas formulé d'observations sur le recours et a produit les dossiers 502 2023 177, yyy et xxx. Quant au Ministère public, il a conclu au rejet du recours, en se référant à l'arrêt attaqué. Agissant par sa mandataire, la partie plaignante a en substance conclu au rejet du recours et a requis l'octroi de l'assistance judiciaire pour la procédure fédérale. L'autorité précédente, le Ministère public et le recourant ont renoncé à déposer d'autres observations.
Considérant en droit :
1.
Le Tribunal fédéral examine d'office sa compétence (art. 29 al. 1 LTF) et contrôle librement la recevabilité des recours qui lui sont soumis (ATF 149 IV 9 consid. 2).
1.1. L'arrêt attaqué, qui confirme la capacité du recourant à participer aux débats devant le Juge de police, a été rendu dans une cause pénale par une autorité qui statue en tant que dernière instance cantonale (cf. art. 80 al. 1 LTF). Le recours en matière pénale - déposé en temps utile (cf. art. 46 al. 1 let. c et 100 al. 1 LTF) - est donc en principe ouvert (cf. art. 78 ss LTF).
1.2. Ne mettant pas un terme à la procédure pénale ouverte contre le recourant, l'arrêt entrepris revêt un caractère incident et le recours au Tribunal fédéral n'est donc recevable que si les conditions de l'art. 93 LTF sont réalisées, à savoir en présence d'un risque de préjudice irréparable (cf. art. 93 al. 1 let. a LTF; sur cette notion, ATF 148 IV 155 consid. 1.1; 144 IV 127 consid. 1.3.1) ou si l'admission du recours peut conduire immédiatement à une décision finale qui permet d'éviter une procédure probatoire longue et coûteuse (cf. art. 93 al. 1 let. b LTF; voir, sur cette disposition, ATF 133 IV 288 consid. 3.2; arrêts 7B_303/2024 du 28 mai 2024 consid. 1.5.2; 7B_860/2023 du 28 février 2024 consid. 3.2 et les arrêts cités).
En l'occurrence, le recourant se prévaut de ces deux dispositions. Il prétend ainsi subir un préjudice irréparable s'il devait comparaître devant le Juge de police alors qu'il ne disposerait pas de la capacité pour ce faire. Il soutient également que si le présent recours devait être admis, cela conduirait à une décision finale, puisque la procédure devrait être classée. Vu l'issue du litige, ces questions de recevabilité peuvent toutefois rester indécises.
2.
2.1. Le recourant reproche à l'autorité précédente d'avoir violé l'art. 114 CPP en considérant que ses troubles mentaux lui permettaient de participer aux débats devant le Juge de police, alors que tel ne serait pas le cas au regard des expertises. A l'appui de ses griefs, le recourant se plaint notamment d'une appréciation arbitraire des moyens de preuve.
2.2.
2.2.1. Selon l'art. 114 CPP - dont la teneur n'a au demeurant pas été modifiée au 1er janvier 2024 (RO 2023 468) -, le prévenu est capable de prendre part aux débats s'il est physiquement et mentalement apte à les suivre (al. 1); si le prévenu est temporairement incapable de prendre part aux débats, les actes de procédure qui ne souffrent pas de report sont exécutés en présence de son défenseur (al. 2); si le prévenu est durablement incapable de prendre part aux débats, la procédure est suspendue ou classée, les dispositions spéciales régissant la procédure contre les prévenus irresponsables étant réservées (al. 3).
Pour prendre part aux débats au sens de l'art. 114 al. 1 CPP, le prévenu doit être en état physique et psychique de participer aux audiences et aux actes de la procédure ("Verhandlungsfähigkeit"), en faisant usage de tous les moyens de défense pertinents ("Verteidigungsfähigkeit") et en étant apte à répondre normalement aux questions qui lui sont posées ("Vernehmungsfähigkeit"). Les exigences pour admettre la capacité de prendre part aux débats ne sont pas très élevées dans la mesure où le prévenu peut faire valoir ses moyens de défense par un défenseur (arrêt 7B_121/2022 du 18 juillet 2023 consid. 5.1.2). Elles peuvent aussi être remplies si le prévenu n'a ni la capacité de discernement, ni l'exercice des droits civils (arrêt 1B_559/2021 du 17 janvier 2022 consid. 3.2). En principe, seul le jeune âge, une altération physique ou psychique sévère ou encore une grave maladie sont de nature à influencer cette capacité. La capacité de prendre part aux débats s'examine au moment de l'acte de procédure considéré (arrêt 7B_121/2022 du 18 juillet 2023 consid. 5.1.2 et les nombreux arrêts cités). En matière de défense obligatoire au sens de l'art. 130 let. c CPP, le fait que le prévenu soit sous curatelle ou qu'il suive une thérapie dans un centre de réhabilitation pour personnes dépendantes à l'alcool et aux stupéfiants ne suffit pas à démontrer une incapacité psychique de procéder (arrêt 1B_559/2021 du 17 janvier 2022 consid. 3.2 et les arrêts cités).+
2.2.2. Le Tribunal fédéral n'est pas une autorité d'appel, auprès de laquelle les faits pourraient être rediscutés librement. Il est lié par les constatations de fait de la décision entreprise (art. 105 al. 1 LTF), à moins que celles-ci aient été établies en violation du droit ou de manière manifestement inexacte au sens des art. 97 al. 1 et 105 al. 2 LTF, à savoir pour l'essentiel de façon arbitraire au sens de l'art. 9 Cst. Une décision n'est pas arbitraire du seul fait qu'elle apparaît discutable ou même critiquable; il faut qu'elle soit manifestement insoutenable et cela non seulement dans sa motivation, mais aussi dans son résultat (ATF 148 IV 356 consid. 2.1 et l'arrêt cité).
En matière d'appréciation des preuves et d'établissement des faits, il n'y a arbitraire que lorsque l'autorité ne prend pas en compte, sans aucune raison sérieuse, un élément de preuve propre à modifier la décision, lorsqu'elle se trompe manifestement sur son sens et sa portée, ou encore lorsque, en se fondant sur les éléments recueillis, elle en tire des constatations insoutenables. Le Tribunal fédéral n'entre en matière sur les moyens fondés sur la violation de droits fondamentaux, dont l'interdiction de l'arbitraire, que s'ils ont été invoqués et motivés de manière précise (art. 106 al. 2 LTF; ATF 148 IV 356 consid. 2.1; 147 IV 73 consid. 4.1.2 et les arrêts cités). Les critiques de nature appellatoire sont irrecevables (ATF 148 IV 409 consid. 2.2 et l'arrêt cité).
2.3.
2.3.1. En l'occurrence, l'autorité précédente a fait état des situations pouvant être impactées par les troubles dont souffre le recourant (difficultés à participer activement à des débats complexes ou longs, ou à des auditions de témoin, ou à être confronté à la victime, ou à répondre aux questions, en particulier à celles qui le solliciteraient sur un plan émotionnel), ainsi que des conséquences pouvant en découler, telles que relevées par les experts (répondre de manière impulsive sans réfléchir, avec des contradictions et des incohérences, mettant l'interlocuteur dans une position complexe; difficultés dans la gestion du stress et des émotions, avec un risque qu'il puisse perdre ses moyens en cas de confrontation avec la partie plaignante [cf. consid. 2.5.1 p. 7 s. de l'arrêt attaqué en lien avec le ch. 1.4 p. 36 de l'expertise du 16 février 2022 et ch. 3 p. 2 du complément du 31 mai 2023]). Au regard des éléments énumérés dans le recours (cf. p. 9 s. de cette écriture), on ne voit pas lequel aurait été omis par l'autorité précédente.
La Chambre pénale a en tout état de cause constaté que, dans son rapport complémentaire du 31 mai 2023 - venant étayer la position émise dans le rapport du 16 février 2022 -, l'expert indiquait que le recourant présentait une capacité limitée à participer à des débats et non une incapacité; cette capacité était probablement identique à celle démontrée lors de l'expertise, à savoir qu'il parvenait à rester concentré environ trente minutes et que, passé ce délai, il était fort probable qu'il présenterait des difficultés de concentration, lesquelles pourraient se manifester par exemple par des absences, de l'incompréhension face des questions, des réponses hors sujet ou encore une agitation au niveau psychomoteur (cf. consid. 2.5.1 p. 8 de l'arrêt attaqué en lien avec le ch. 4 p. 2 du complément du 31 mai 2023, voir également ch. 2 p. 2 de cette même écriture).
À ce stade, l'autorité précédente pouvait donc, sans arbitraire, considérer que le recourant disposait de la capacité de participer aux débats.
2.3.2. Son appréciation prête d'autant moins le flanc à la critique que la cour cantonale n'a pas non plus ignoré que cette capacité était limitée, notamment dans la durée ou dans certaines conditions de confrontation - en particulier avec des témoins ou la partie plaignante - ou de stress. Afin notamment de réduire le risque - à ce stade uniquement futur et hypothétique - que le recourant réponde de manière impulsive ou incohérente, elle a ainsi confirmé les aménagements décidés par le Juge de police, à savoir de restreindre la durée des débats par tranches de trente minutes et de ne pas confronter le recourant à la partie plaignante. Le recourant ne prétend d'ailleurs pas que ces aménagements ne correspondraient pas à ceux proposés par l'expert (cf. ch. 5 et 6 p. 3 du complément du 31 mai 2023) et ne développe pas non plus d'argumentation visant à démontrer qu'ils seraient insuffisants et devraient être complétés par d'autres mesures; il se limite en effet à invoquer, de manière toute générale, la complexité de "toute procédure judiciaire", ainsi que les "implications émotionnelles qu'elles génèrent nécessairement pour une partie" (cf. p. 10 du recours), ce qui ne saurait constituer en soi un motif d'incapacité de participer à des débats. Il apparaît en tout état de cause que les suspensions régulières envisagées permettront au recourant de limiter son stress - que celui-ci découle de la longueur des débats, des questions qui pourraient lui être posées ou des éventuelles confrontations avec des témoins - ainsi que de s'informer, le cas échéant, auprès de son mandataire sur les éléments qu'il n'aurait pas été à même de comprendre.
Vu notamment l'absence de confrontation avec la partie plaignante prévue, une incapacité de participer aux débats ne découle pas non plus dans le présent cas du fait que la cause constitue
a priori une situation de "déclarations contre déclarations". Assisté par un mandataire professionnel, le recourant semble enfin être à même, le cas échéant, de solliciter d'autres mesures, de requérir la suspension des débats - notamment si les tranches de trente minutes ne devaient pas être respectées - ou de contester le déroulement de l'audience ou la validité des propos tenus, y compris dans le cadre d'un appel.
2.3.3. Sur le vu de ce qui précède, la cour cantonale n'a pas violé le droit fédéral ni fait preuve d'arbitraire en confirmant la capacité du recourant à participer aux débats devant le Juge de police dès lors que des mesures adéquates visant à prendre en compte ses difficultés seront mises en oeuvre.
3.
3.1. Le recourant conteste encore le refus de l'autorité précédente d'ordonner une nouvelle expertise, alors que la plus récente aurait plus de deux ans (cf. p. 12 du recours).
Tel n'était cependant pas encore le cas au jour de l'arrêt attaqué. En outre, le raisonnement de la cour cantonale tient également compte du complément du 31 mai 2023, à propos duquel le recourant - qui n'a certes peut-être pas été entendu par l'expert lors de son établissement - a pu faire valoir son droit d'être entendu au cours de la procédure devant le Juge de police (cf. let. C p. 2 de l'arrêt attaqué et let. A.c
supra). S'il semble établi que l'altération de la santé du recourant soit durable (cf. ch. 1.5 p. 36 de l'expertise du 16 février 2022 [acte 1 pièce 6] qui fait état de l'absence d'évolution des incapacités, les troubles dont souffre le recourant étant immuables et constants dans le temps), celui-ci ne prétend en revanche pas que son état se serait péjoré, en particulier ultérieurement à février 2022 ou à mai 2023.
Au jour de l'arrêt attaqué, la Chambre pénale pouvait par conséquent, sans violer le droit fédéral, confirmer le refus du Juge de police de procéder à une nouvelle expertise.
4.
Il s'ensuit que le recours doit être rejeté dans la mesure où il est recevable.
Le recourant a sollicité l'octroi de l'assistance judiciaire (cf. art. 64 al. 1 LTF). Son recours était cependant d'emblée dénué de chances de succès et cette requête doit être rejetée. Il supportera dès lors les frais judiciaires (cf. art. 66 al. 1 LTF), lesquelles seront fixés en tenant compte de sa situation financière. La partie plaignante, qui obtient gain de cause avec l'assistance d'une mandataire professionnelle, a droit à des dépens à la charge du recourant (cf. art. 68 al. 1 et 3 LTF ), lesquels seront fixés en tenant compte de la brièveté de son écriture; sa requête d'assistance judiciaire est dès lors sans objet.
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :
1.
Le recours est rejeté dans la mesure où il est recevable.
2.
La requête d'assistance judiciaire du recourant est rejetée.
3.
Les frais judiciaires, fixés à 800 fr., sont mis à la charge du recourant.
4.
Une indemnité de dépens, arrêtée à 800 fr., est allouée à la mandataire de la partie plaignante, à la charge du recourant.
5.
Le présent arrêt est communiqué aux parties et à la Chambre pénale du Tribunal cantonal de l'État de Fribourg.
Lausanne, le 11 octobre 2024
Au nom de la IIe Cour de droit pénal
du Tribunal fédéral suisse
Le Président : Abrecht
La Greffière : Kropf