Bundesgericht
Tribunal fédéral
Tribunale federale
Tribunal federal
2C_158/2023
Arrêt du 12 juillet 2024
IIe Cour de droit public
Composition
Mmes et MM. les Juges fédéraux Aubry Girardin, Présidente, Donzallaz, Hänni, Hartmann et Ryter.
Greffière: Mme Jolidon.
Participants à la procédure
1. A.________ SA,
2. B.B.________,
tous les deux représentés par Me Nicola Meier, avocat,
recourants,
contre
1. Office cantonal de la population et des migrations du canton de Genève, route de Chancy 88, 1213 Onex,
2. Secrétariat d'Etat aux migrations, Quellenweg 6, 3003 Berne,
intimés.
Objet
Autorisation d'exercer une activité lucrative pour conjoint d'un frontalier français résidant en France,
recours contre l'arrêt de la Cour de justice de la République et canton de Genève, Chambre administrative, du 7 février 2023 (ATA/118/2023).
Faits :
A.
A.a. B.B.________, ressortissante thaïlandaise née en 1981, et C.B.________, ressortissant français né en 1979, se sont mariés le 24 novembre 2005. Ils résident en France, à U.________, depuis le 21 novembre 2011. A cette même date, l'autorité compétente a octroyé à C.B.________ un permis frontalier autorisant celui-ci à exercer une activité professionnelle en Suisse.
A.b. A.________ SA, inscrite au registre du commerce de Genève, a publié une offre d'emploi pour un poste de masseur thaïlandais dans la base de données de l'Office cantonal de l'emploi de la République et canton de Genève, dès le 18 février 2021. Le 4 mars 2021, cet office a informé la société qu'il n'était pas en mesure de lui proposer des dossiers répondant aux critères définis. A.________ SA a alors requis une autorisation frontalière UE/AELE en faveur de B.B.________ que la société entendait engager, à partir du 1
er novembre 2021, pour une durée indéterminée en tant que masseuse.
B.
B.a. L'Office cantonal de la population et des migrations de la République et canton de Genève (ci-après: l'Office de la population) a, en date du 21 avril 2022, refusé la demande d'autorisation frontalière au motif que B.B.________ ne remplissait pas la condition de résidence au sein de la zone frontalière reconnue, applicable pour les étrangers qui ne sont pas des ressortissants d'un pays membre de l'UE/AELE.
B.b. Le Tribunal de première instance de la République et canton de Genève (ci-après: le Tribunal de première instance) a, par jugement du 30 septembre 2022, admis le recours de B.B.________ et A.________ SA et renvoyé la cause à l'Office de la population pour nouvelle décision dans le sens des considérants. En tant qu'épouse d'un ressortissant français qui faisait usage de son droit originaire à la libre circulation, B.B.________ bénéficiait, à titre dérivé, des mêmes droits que celui-ci et, dès lors que A.________ SA lui offrait un contrat de travail, avait droit à une autorisation frontalière UE/AELE.
B.c. Par arrêt du 7 février 2023, la Chambre administrative de la Cour de justice de la République et canton de Genève (ci-après: la Cour de justice) a admis le recours du Secrétariat d'État aux migrations à l'encontre du jugement du 30 septembre 2022 du Tribunal de première instance. Selon celle-ci, l'art. 3 par. 5 de l'annexe I de l'ALCP (RS 0.142.112.681 [ci-après également: l'Accord]) ne conférait pas à B.B.________ le droit d'exercer une activité professionnelle dans un autre État membre que celui de sa résidence; un droit à exercer une activité économique n'existait que lorsque la personne dont ce droit dérivait disposait d'un droit de séjour dans l'État membre en question; or, l'époux de B.B.________ ne bénéficiait pas d'un droit de séjour en Suisse. Celle-ci ne pouvait pas non plus tirer un droit à exercer une activité en tant que frontalière sur la base de l'art. 9 par. 2 Annexe I ALCP, qui traite notamment des avantages sociaux dans l'État d'accueil. La différence introduite par l'Accord en relation avec les frontaliers était fondée sur le lieu de résidence, critère dont il avait déjà été admis par la jurisprudence qu'il n'était pas discriminatoire au sens de l'art. 2 ALCP.
C.
Agissant par la voie du recours en matière de droit public, B.B.________ et A.________ SA demandent au Tribunal fédéral, sous suite de frais et dépens, d'annuler l'arrêt du 7 février 2023 de la Cour de justice et d'octroyer à celle-là une autorisation frontalière UE/AELE, subsidiairement, de renvoyer la cause à la Cour de justice pour une nouvelle décision dans le sens des considérants.
L'Office cantonal de la population se réfère à l'arrêt attaqué. Le Secrétariat d'État aux migrations conclut au rejet du recours. La Cour de justice persiste dans les considérants et le dispositif de son arrêt.
Par ordonnance du 11 avril 2023, la Présidente de la IIe Cour de droit public a rejeté la demande d'effet suspensif, considérée comme une demande de mesures provisionnelles.
La IIe Cour de droit public a tranché la présente cause lors d'une séance publique du 12 juillet 2024.
Considérant en droit :
1.
1.1. D'après l'art. 83 let. c ch. 2 LTF, le recours en matière de droit public est irrecevable contre les décisions dans le domaine du droit des étrangers qui concernent une autorisation à laquelle ni le droit fédéral ni le droit international ne donnent droit. En l'occurrence, la recourante 2 est mariée à un ressortissant français au bénéfice d'une autorisation frontalière UE/AELE et allègue, de manière soutenable, qu'elle détient un droit à une même autorisation, de sorte que son recours échappe à la clause d'irrecevabilité susmentionnée, étant rappelé que le point de savoir si les conditions posées par la loi sont effectivement réunies relève de l'examen au fond (cf. ATF 139 I 330 consid. 1.1).
1.2. La recourante 1 n'était pas partie à la procédure devant la Cour de justice et elle ne prétend pas avoir été privée de la possibilité d'y prendre part, de sorte qu'elle ne remplit pas les conditions de l'art. 89 al. 1 let. a LTF. En conséquence, la qualité pour recourir doit lui être déniée. En revanche, la recourante 2 (ci-après: la recourante), qui est la destinataire de l'arrêt entrepris et qui a un intérêt digne de protection à son annulation ou à sa modification (art. 89 al. 1 LTF), possède la qualité pour recourir.
1.3. Pour le surplus, l'arrêt attaqué est une décision finale (art. 90 LTF), rendue en dernière instance cantonale par un tribunal supérieur (art. 86 al. 1 let. d et al. 2 LTF). Déposé en temps utile (art. 100 al. 1 LTF), dans les formes prescrites (art. 42 LTF) et portant sur une matière relevant du droit public (art. 82 let. a LTF), le recours en matière de droit public est recevable.
2.
Le litige porte sur le point de savoir si la recourante, ressortissante thaïlandaise mariée à un ressortissant français titulaire d'une autorisation frontalière UE/AELE et domiciliée en France, peut déduire un droit dérivé à accéder à une activité économique comme frontalière en Suisse du droit originaire de son conjoint.
3.
La recourante se plaint d'une violation de l'art. 7 let. e ALCP, ainsi que des art. 2 par. 1 et 3 par. 5 Annexe I ALCP. Elle allègue que, dès lors que son époux exerce son droit à la libre circulation, elle peut revendiquer à titre dérivé les mêmes droits que l'Accord confère à titre originaire à celui-ci. L'arrêt attaqué aurait pour conséquence que son mari devrait transférer son domicile en Suisse pour qu'elle puisse exercer une activité économique dans ce pays. Une telle approche constituerait une inégalité de traitement indirecte fondée sur le domicile par rapport aux travailleurs migrants résidents, ainsi qu'une entrave à l'exercice du droit originaire à la libre circulation de son époux. La recourante fonde son argumentation sur l'arrêt F-1385/2017 du Tribunal administratif fédéral du 12 juillet 2019 (ATAF 2019 VII/3) dans lequel il a été jugé que la conjointe, ressortissante d'un État tiers, d'un ressortissant de l'UE qui a fait valoir son droit originaire à la libre circulation en tant que frontalier, peut déduire de l'Accord le droit de travailler en Suisse en tant que frontalière. Le Tribunal de première instance s'était appuyé sur ce même arrêt, dans son jugement du 30 septembre 2022, pour arriver à la conclusion que la recourante possède un droit dérivé à une autorisation frontalière UE/AELE.
3.1. L'interprétation de l'Accord doit s'effectuer conformément aux règles de la Convention de Vienne du 23 mai 1969 sur le droit des traités (ci-après: CV; RS 0.111), à savoir selon les art. 31 ss CV qui codifient en substance le droit coutumier international (ATF 147 V 402 consid. 9.2.1, 387 consid. 3.3; 147 II 1 consid. 2.3). Selon ces préceptes, un traité doit être interprété de bonne foi (art. 26 CV), suivant le sens ordinaire à attribuer aux termes du traité (interprétation littérale) dans leur contexte (interprétation systématique) et à la lumière de son objet et de son but (interprétation téléologique [art. 31 § 1 CV]). Les travaux préparatoires et les circonstances dans lesquelles le traité a été conclu (interprétation historique) constituent des moyens complémentaires d'interprétation, lorsque l'interprétation donnée conformément à l'art. 31 CV laisse le sens ambigu ou obscur ou conduit à un résultat qui est manifestement absurde ou déraisonnable (cf. art. 32 CV; cf. ATF 148 II 336 consid. 9.2; 146 II 150 consid. 5.3.2). Le sens ordinaire du texte du traité constitue le point de départ de l'interprétation. Ce sens ordinaire des termes doit être dégagé de bonne foi, en tenant compte de leur contexte et à la lumière de l'objet et du but du traité. L'objet et le but du traité correspondent à ce que les parties voulaient atteindre par le traité. L'interprétation téléologique garantit, en lien avec l'interprétation selon la bonne foi, l'«effet utile» du traité. Lorsque plusieurs significations sont possibles, il faut choisir celle qui permet l'application effective de la clause dont on recherche le sens, en évitant d'aboutir à une interprétation en contradiction avec la lettre ou l'esprit des engagements pris. Un État contractant doit partant proscrire tout comportement ou toute interprétation qui aboutirait à éluder ses engagements internationaux ou à détourner le traité de son sens et de son but (arrêt 2C_946/2021 du 6 juin 2023 destiné à la publication consid. 7.2.1; ATF 148 II 491 consid.5.3.2 et les arrêts cités).
L'interprétation de l'Accord répond, au surplus, à des règles spécifiques. Pour atteindre les objectifs visés par l'Accord, les parties contractantes prendront toutes les mesures nécessaires pour que les droits et obligations équivalant à ceux contenus dans les actes juridiques de la Communauté européenne auxquels il est fait référence trouvent application dans leurs relations (art. 16 al. 1 ALCP). Dans la mesure où l'application de l'Accord implique des notions de droit communautaire, l'interprétation de celles-ci doit se conformer à la jurisprudence pertinente de la Cour de justice de l'Union européenne (ci-après: CJUE) antérieure à la date de sa signature (21 juin 1999) (art. 16 par. 2 ALCP). Le Tribunal fédéral s'inspire néanmoins de la jurisprudence postérieure à cette date, dans le but d'assurer une situation juridique parallèle entre les États membres de l'Union européenne, d'une part, et entre ceux-ci et la Suisse, d'autre part pour autant que des motifs sérieux ne s'y opposent pas (arrêt 1C_537/2021 du 13 mars 2023 destiné à la publication consid. 6.7; ATF 143 II 57 consid. 3.6).
3.2. L'objectif de l'Accord, en faveur des ressortissants des États membres de la Communauté européenne et de la Suisse, est notamment d'accorder un droit d'entrée, de séjour, d'accès à une activité économique salariée, d'établissement en tant qu'indépendant et le droit de demeurer sur le territoire des parties contractantes (art. 1 let. a ALCP). L'art. 4 ALCP dispose que le droit de séjour et d'accès à une activité économique est garanti conformément aux dispositions de l'Annexe I. Selon l'art. 7 ALCP, les parties contractantes règlent, conformément à l'Annexe I, les droits liés à la libre circulation, parmi lesquels figurent notamment le droit de séjour des membres de la famille (let. d), ainsi que le droit d'exercer une activité économique pour ces membres, quelle que soit leur nationalité (let. e).
Les ressortissants d'une partie contractante ont le droit de séjourner et d'exercer une activité économique sur le territoire de l'autre partie contractante selon les modalités prévues aux chap. II à IV Annexe I ALCP; ce droit est constaté par la délivrance d'un titre de séjour ou spécifique pour les frontaliers (art. 2 par. 1 Annexe I ALCP). L'art. 3 Annexe I ALCP, intitulé "Membres de la famille", prévoit :
" (1) Les membres de la famille d'une personne ressortissant d'une partie contractante ayant un droit de séjour ont le droit de s'installer avec elle. Le travailleur salarié doit disposer d'un logement pour sa famille considéré comme normal pour les travailleurs nationaux salariés dans la région où il est employé sans que cette disposition puisse entraîner de discriminations entre les travailleurs nationaux et les travailleurs en provenance de l'autre partie contractante.
(2) Sont considérés comme membres de la famille, quelle que soit leur nationalité:
a. son conjoint et leurs descendants de mois de 21 ans ou à charge;
(...)
(4) La validité du titre de séjour délivré à un membre de la famille est la même que celle de celui qui a été délivré à la personne dont il dépend.
(5) Le conjoint et les enfants de moins de 21 ans ou à charge d'une personne ayant un droit de séjour, quelle que soit leur nationalité, ont le droit d'accéder à une activité économique.
(6) Les enfants d'un ressortissant d'une partie contractante qui exerce ou non, ou qui a exercé une activité économique sur le territoire de l'autre partie contractante sont admis aux cours d'enseignement général, d'apprentissage et de formation professionnelle dans les mêmes conditions que les ressortissants de l'État d'accueil, si ces enfants résident sur son territoire. (...) "
L'art. 6 Annexe I ALCP règle le séjour de travailleurs salariés; il précise que la durée du titre séjour est fonction de celle de l'emploi; ainsi, il mentionne, notamment, que le travailleur salarié ressortissant d'une partie contractante qui occupe un emploi d'une durée égale ou supérieure à un an au service d'un employeur de l'État d'accueil reçoit un titre de séjour d'une durée de cinq ans (par. 1).
Pour sa part, l'art. 7 par. 1 Annexe I ALCP définit la notion de frontalier: le travailleur frontalier salarié est un ressortissant d'une partie contractante qui a sa résidence sur le territoire d'une partie contractante et qui exerce une activité salariée sur le territoire de l'autre partie contractante en retournant à son domicile en principe chaque jour, ou au moins une fois par semaine. Dans la mesure où il suffit que l'intéressé retourne au moins une fois par semaine à son domicile sur le territoire d'une autre partie contractante, l'accord élargit la notion de "frontalier", en comparaison avec d'autres conventions (notamment par rapport aux conventions de double imposition, qui exigent un retour quotidien [FF 1999 5621 ch. 273.13, 5656 ch. 274.32]). Selon l'art. 7 par. 2 Annexe I ALCP, "
les travailleurs frontaliers n'ont pas besoin d'un titre de séjour. Cependant, l'autorité compétente de l'État d'emploi peut doter le travailleur frontalier salarié d'un titre spécifique pour une durée de cinq ans au moins ou pour la durée de son emploi si celle-ci est supérieure à trois mois et inférieure à un an ".
4.
La recourante ne peut pas bénéficier du statut de frontalière en application du droit interne, à savoir l'art. 25 LEI (RS 142.20). En effet, elle est domiciliée à U.________ et cette ville ne se situe pas dans la zone frontalière voisine, au sens de cette disposition, permettant ce statut. L'intéressée peut donc uniquement obtenir le statut de frontalière sur la base de l'Accord.
Le mari de la requérante est un citoyen français, résidant en France, qui travaille en Suisse en tant que frontalier. Il entre dans le champ d'application personnel de l'Accord et possède un droit originaire d'exercer une activité économique en Suisse (cf. art. 2 par. 1 Annexe I ALCP). Ainsi, du fait de son statut de conjointe d'un ressortissant français (cf. art. 3 par. 2 let. a Annexe I ALCP), qui fait usage de son droit de travailler en Suisse, il convient de se demander si la recourante peut potentiellement tirer du droit originaire de son mari un droit dérivé de travailler dans ce même pays.
5.
Il convient, tout d'abord, d'interpréter les dispositions topiques.
5.1. Les droits des membres de la famille sont exposés à l'art. 3 Annexe I ALCP (cf. supra consid. 3.2). Pour rappel, le droit d'accéder à une activité économique est reconnu aux membres de la famille de la personne qui possède un droit de séjour (par. 5). Il convient donc de déterminer si le frontalier détient un tel droit de séjour en Suisse.
La lettre de l'art. 3 par. 1 Annexe I ALCP (cf. supra consid. 3.2) est sans ambiguïté: le droit de séjour vise le cas où le ressortissant d'un État contractant
vit sur le territoire de l'État d'accueil. En effet, cette disposition précise que les membres de la famille ont le droit de
s'installer avec la personne qui bénéficie d'un droit de séjour. Le fait qu'il faille résider dans l'État d'emploi pour posséder un droit au séjour est également attestée par la référence au logement qui y est faite à l'art. 3 par. 1 2e phrase Annexe I ALCP.
La condition de la résidence figure également à l'art. 3 par. 6 ALCP. Selon cette disposition, pour que les enfants d'un ressortissant d'une partie contractante bénéficient du droit à l'enseignement, dans les mêmes conditions que les ressortissants de l'État d'accueil, ils doivent résider sur le territoire de l'État d'accueil (cf. arrêt 2C_820/2018 du 11 juin 2019 consid. 4.1).
La lettre des dispositions topiques démontre donc que ce n'est que lorsque le ressortissant d'une partie contractante vit dans l'État d'accueil que les membres de sa famille peuvent le rejoindre et bénéficier ainsi des droits dérivés, dont celui d'accéder à une activité économique. Le travailleur frontalier ne résidant pas dans l'État où il travaille, il ne tombe pas dans la catégorie des détenteurs d'un droit au séjour et les membres de sa famille ne possèdent pas les droits dérivés du droit au séjour.
5.2. En ce qui concerne la systématique de l'Accord, on relève que tous les paragraphes de l'art. 3 Annexe I ALCP (cf. supra consid. 3.2), sous réserve du par. 2 (qui définit la notion de membres de la famille), règlent les conséquences du par. 1 qui octroie le droit aux membres de la famille de
s'installer ("Wohnung zu nehmen", "stabilirsi") avec le travailleur dans l'État d'accueil: le par. 3 traite de la délivrance d'un titre de séjour aux membres de la famille dans cet État, le par. 4 de la durée de validité de ce titre et le par. 6 du droit à l'enseignement des enfants dans l'État d'accueil. Ainsi, la logique veut que le par. 5, qui donne le droit d'accéder à une activité économique, implique également le fait de s'être installé dans cet État pour pouvoir y travailler.
L'art. 6 Annexe I ALCP, lu en lien avec l'art. 7 Annexe I ALCP (cf. supra consid. 3.2), va dans le même sens. Le premier règle le séjour des travailleurs salariés et traite des titres de séjour qui leur sont décernés. Il indique clairement que le travailleur salarié "
reçoit un titre de séjour ". Or, l'art. 7 par. 2 Annexe I ALCP précise que "
Les travailleurs frontaliers n'ont pas besoin d'un titre de séjour ". Cette clause s'explique puisque, précisément, les frontaliers n'exercent pas leur droit de séjour dans l'État d'emploi. En outre, cette disposition indique que les frontaliers peuvent recevoir un "
titre spécifique ", qui n'est jamais assimilé au titre de séjour octroyé aux salariés qui résident dans l'État d'emploi. Concernant les membres de la famille, l'art. 3 par. 4 Annexe I ALCP (cf. supra consid. 3.2) mentionne que la validité de leur "titre de séjour" doit être la même que celle de la personne dont ils dépendent; il ne mentionne pas le "titre spécifique" octroyé aux frontaliers. La distinction entre le titre de séjour et le titre spécifique démontre que le frontalier ne possède pas un droit de séjour dans l'État où il travaille. Ce point est également attesté par la définition du frontalier de l'art. 7 Annexe I ALCP (cf. supra consid. 3.2) : on ne voit pas que l'on puisse déduire de celle-ci que le frontalier séjourne dans l'État où il a un emploi, dès lors qu'il y est mentionné que le frontalier "
a sa résidence sur le territoire d'une partie contractante et [...] exerce une activité salariée sur le territoire de l'autre partie contractante ".
Ainsi, la systématique de l'Accord atteste également que le frontalier ne possède pas de droit de séjour en Suisse et que son conjoint ne détient pas un droit (dérivé) d'y exercer une activité lucrative.
5.3. Quant à l'objectif de l'Accord, il consiste à accorder, aux ressortissants des États parties, un droit d'entrée, de séjour, d'accès à une activité économique salariée, d'établissement en tant qu'indépendant et le droit de demeurer sur le territoire des parties contractantes (cf. art 1 let. a ALCP).
Les droits dérivés octroyés aux membres de la famille ont pour objectif de permettre la libre circulation de l'ayant droit originaire, en rendant possible le regroupement familial et en permettant de bénéficier d'une vie de famille effective, comme le rappelle régulièrement la jurisprudence (cf., par ex., arrêt 2C_184/2021 du 26 août 2021 consid. 3.6). Si les membres de la famille de cette personne, qui souhaite résider et travailler dans un autre État contractant, ne pouvaient pas résider avec elle et exercer une activité économique dans l'État d'accueil, cela pourrait la dissuader d'exercer ce droit à la libre circulation. Le texte de l'art. 3 Annexe I ALCP va dans ce sens de façon claire: il commence par donner le droit aux membres de la famille de s'installer avec le détenteur du droit de séjour originaire (par. 1), le droit de travailler dans le pays en est une conséquence (par. 5).
En ce qui concerne le frontalier, il découle de la définition de cette notion (cf. art. 7 par. 1 Annexe I ALCP; cf. supra consid. 3.2) que celui-ci retourne dans l'État de résidence, en principe, quotidiennement mais au minimum une fois par semaine. Dans ces circonstances, on ne voit pas en quoi l'absence de droits dérivés des membres de sa famille, notamment celui d'exercer une activité économique dans l'État d'emploi, l'empêche d'exercer son droit à la libre circulation. Si le bénéficiaire originaire de la libre circulation veut mener sa vie de famille dans l'État d'emploi, il est libre d'y établir sa résidence. Les membres de sa famille bénéficieront alors des droits prévus à l'art. 3 Annexe I ALCP. En revanche, s'il choisit de vivre avec ceux-ci dans l'État de résidence, le but de l'Accord ne justifie pas de leur accorder le droit d'exercer une activité économique dans l'État d'emploi. A ce sujet, la recourante se plaint d'une inégalité de traitement indirecte fondée sur le domicile, ainsi que d'une entrave à l'exercice du droit originaire à la libre circulation de son époux (cf. supra consid. 3). Or, le Tribunal fédéral a déjà jugé (cf. arrêt 2C_820/2018 du 11 juin 2019 consid. 4), à propos de l'art. 3 par. 6 Annexe I ALCP (cf. supra consid. 3.2), qu'en tant que cette disposition prévoit une condition de résidence elle constituait, en quelque sorte, une réserve par rapport au principe général de non-discrimination de l'art. 2 ALCP; cela s'expliquait par le but de l'art. 3 par. 6 Annexe I ALCP qui est l'intégration de la famille du travailleur dans l'État membre d'accueil. La même conclusion doit être tirée relativement au critère du droit au séjour de l'art. 3 par. 5 Annexe I ALCP.
En l'espèce, la libre circulation n'est nullement empêchée. En effet, le conjoint de la recourante travaille en Suisse mais le couple vit ensemble en France depuis 2011: le fait que l'épouse se voie refuser le droit d'accéder à une activité en Suisse comme frontalière ne touche en rien la situation du couple en lien avec son séjour en France. Si l'époux faisait le choix de venir s'installer en Suisse et de changer de statut, devenant alors un travailleur au sens de l'art 6 Annexe I ALCP et exerçant son droit de séjour dans le pays où il travaille, son épouse bénéficierait des droits dérivés, sans quoi la famille serait séparée.
6.
En ce qui concerne la jurisprudence de la CJUE, le Tribunal fédéral constate que ladite Cour n'a apparemment jamais traité du point de savoir si les membres de la famille d'un frontalier bénéficient des droits dérivés découlant du droit originaire de celui-ci à la libre circulation.
6.1. Il convient de, néanmoins, signaler l'arrêt de la CJUE du 22 décembre 2008, C-13/08, Stamm et Hauser (cf. § 39 ss; cf. aussi arrêt du 21 septembre 2016, C-478/15, Radgen c/ Finanzamt Ettlingen, § 34), qui procède à l'interprétation de l'Accord en lien avec la notion de frontalier. Il s'agissait d'un cas concernant un agriculteur suisse, possédant une exploitation agricole en Suisse, qui voulait prendre à ferme des terres agricoles situées en Allemagne; la CJUE a jugé que le principe d'égalité de traitement (cf. art. 15 Annexe I ALCP) imposait aux parties contractantes d'accorder aux frontaliers indépendants (cf. art. 13 Annexe I ALCP) "un traitement non moins favorable" que celui qui est octroyé à ses propres ressortissants en ce qui concernait l'accès à une activité non salariée dans l'État d'accueil et l'exercice de cette activité (§ 49).
Il apparaît, toutefois, que la constellation de cet arrêt est différente du présent cas. Il ne signifie notamment pas que les proches des travailleurs frontaliers doivent être traités à tous égards de la même manière que la famille des travailleurs résidant dans l'État d'accueil.
6.2. Quant à la jurisprudence relative au droit européen, on relèvera l'arrêt de la CJUE du 30 mars 2006, C-10/05, Mattern et Cikotic c. Ministre du Travail et de l'Emploi du Luxembourg (postérieur à la date de signature de l'Accord) portant sur l'interprétation de l'art. 11 du règlement n° 2434/92 du 27 juillet 1992 (ci-après: art. 11 du règlement, selon lequel: "
le conjoint et les enfants de moins de vingt et un ans ou à charge d'un ressortissant d'un État membre exerçant sur le territoire d'un État membre une activité salariée ou non salariée, ont le droit d'accéder à toute activité salariée sur l'ensemble du territoire de ce même État, même s'ils n'ont pas la nationalité d'un État membre "). La CJUE a jugé que cette disposition n'octroyait le droit aux membres (ressortissants d'un État tiers) de la famille d'un travailleur migrant d'un État membre d'accéder au marché du travail que dans l'État d'accueil où ce travailleur exerçait une activité (et pas dans un autre État membre).
On peut déduire de cet arrêt que le droit d'accéder à une activité économique de l'art. 3 par. 5 Annexe I ALCP ne vaut que dans l'État de résidence (Conclusions de l'avocat général présentées le 15 décembre 2005 dans l'affaire Mattern et Cikotic susmentionnée, ch. 39; LAURENT MERZ, Le droit de séjour selon l'ALCP et la jurisprudence du Tribunal fédéral, in RDAF 2009 I 248 ss, spéc. p. 291).
7.
En ce qui concerne la doctrine, un seul auteur se prononce expressément sur les droits dérivés issus du statut de frontaliers. Selon celui-ci, si les conditions d'admission topiques de l'Accord sont remplies, les frontaliers d'un État contractant ont le droit d'entrer en Suisse ( art. 1 let. a et 3 ALCP et art. 1 Annexe I ALCP), ainsi que le droit exercer une activité lucrative ( art. 1 let. a et 4 ALCP et art. 2 Annexe I ALCP); en revanche, puisqu'ils ne justifient pas d'un droit de séjour en Suisse, les frontaliers ne bénéficient pas d'un droit au regroupement familial (VALERIO PRIULI, Ausländerrecht, Uebersax et al. éd., 3e éd. 2022, n. 28.30 p. 16429). La conclusion de cet auteur est donc similaire à celle à laquelle parvient le Tribunal fédéral au terme de l'interprétation des dispositions topiques de l'Accord (cf. supra consid. 5).
8.
Il découle de ce qui précède que la recourante, ressortissante d'un État tiers et conjointe d'un frontalier français exerçant son droit originaire à la libre circulation, ne bénéficie pas d'un droit (dérivé) d'exercer une activité économique en Suisse. Partant, la Cour de justice n'a pas violé les art. 7 let. e ALCP et 3 par. 5 Annexe I ALCP.
9.
Au regard de ce qui précède, le recours est rejeté dans la mesure où il est recevable.
Succombant, les recourantes doivent supporter les frais judiciaires solidairement entre elles ( art. 66 al. 1 et 5 LTF ). Il n'est pas alloué de dépens ( art. 68 al. 1 et 3 LTF ).
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :
1.
Le recours est rejeté dans la mesure où il est recevable.
2.
Les frais judiciaires, arrêtés à 2'000 fr., sont mis à la charge des recourantes, solidairement entre elles.
3.
Le présent arrêt est communiqué au mandataire des recourantes, à l'Office cantonal de la population et des migrations et à la Cour de justice de la République et canton de Genève, Chambre administrative, ainsi qu'au Secrétariat d'Etat aux migrations.
Lausanne, le 12 juillet 2024
Au nom de la IIe Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse
La Présidente: F. Aubry Girardin
La Greffière: E. Jolidon