Bundesgericht
Tribunal fédéral
Tribunale federale
Tribunal federal
9C_583/2023
Arrêt du 12 août 2024
IIIe Cour de droit public
Composition
MM. et Mme les Juges fédéraux Parrino, Président,
Moser-Szeless et Beusch.
Greffier : M. Feller.
Participants à la procédure
A.________,
représenté par M e Bénédict Fontanet, avocat,
recourant,
contre
Administration fiscale cantonale du canton de Genève, rue du Stand 26, 1204 Genève,
intimée.
Objet
Impôts cantonaux et communaux du canton de Genève et impôt fédéral direct, périodes fiscales 2010-2015 (amende pour soustraction d'impôt),
recours contre l'arrêt de la Cour de justice de la République et canton de Genève du 18 juillet 2023 (A/4233/2021-ICCIFD ATA/789/2023).
Faits :
A.
A.a. A.________ (ci-après: le contribuable) est domicilié dans le canton de U.________ où il est assujetti de manière illimitée à l'impôt sur le revenu et sur la fortune. Il était titulaire de l'entreprise individuelle "B.________" (ci-après: l'entreprise individuelle) entre avril 2006 (inscription) et juin 2019 (radiation), dont le but était l'achat et la vente de perles fines et de culture, de pierres précieuses, diamants et bijoux anciens. En 2019, l'entreprise a été transformée en société anonyme.
A.b. Lors d'un contrôle effectué en 2017 par l'Administration fédérale des contributions (ci-après: l'AFC) relatif à la taxe sur la valeur ajoutée, celle-ci a constaté qu'une variation (positive) des stocks avait été saisie de manière erronée (soit sans effet sur le compte de résultat) et que des dépenses privées (frais de bateau) avaient été comptabilisées comme charge dans les comptes commerciaux.
Par courriers des 24 octobre 2017 et 29 janvier 2018, le contribuable a informé l'Administration fiscale de la République et canton de Genève (ci-après: l'Administration fiscale cantonale) qu'il avait procédé à la correction des erreurs comptables constatées et qu'il se prévalait des règles légales fiscales applicables à la dénonciation spontanée.
A.c. Le 3 octobre 2018, l'Administration fiscale cantonale a ouvert des procédures de rappel d'impôt et en soustraction d'impôt pour les années fiscales 2008 à 2015, à l'encontre de A.________. Le 4 février 2020, elle lui a indiqué que les conditions d'une dénonciation spontanée n'étaient pas remplies puisque ses courriers des 24 octobre 2017 et 29 janvier 2018 faisaient suite au contrôle de l'AFC.
A.d. Le 16 novembre 2020, l'Administration fiscale cantonale a notifié à A.________ des bordereaux de rappel d'impôt fédéral direct (IFD) et d'impôts cantonal et communal (ICC) pour les années fiscales 2008 à 2015. Le même jour, le contribuable a également reçu des bordereaux d'amendes pour soustraction d'impôt relatives à l'IFD et à l'ICC respectivement pour les périodes fiscales 2010 à 2014 et 2010 à 2015 - à l'exclusion des années 2008 et 2009 pour cause de prescription de l'action pénale - d'un montant équivalent aux reprises d'impôts (quotité arrêtée à une fois les impôts éludés).
Le 17 décembre 2020, le contribuable a formé des réclamations contre ces bordereaux et ultérieurement, il a produit une attestation du 15 juin 2021 de C.________, selon laquelle celui-ci avait tenu la comptabilité de l'entreprise individuelle selon "sa manière de faire" et non pas sur instructions de A.________.
Par décision du 10 novembre 2021, l'Administration fiscale cantonale a admis partiellement les réclamations en réduisant notamment la quotité des amendes à la moitié des impôts éludés. Elle a émis de nouveaux bordereaux pour le rappel d'impôt (2008 à 2015) et pour les amendes tant en matière d'IFD (2010 à 2014) que d'ICC (2010 à 2015).
A.e. Par jugement du 5 septembre 2022, le Tribunal administratif de première instance de la République et canton de Genève (ci-après: le TAPI) a partiellement admis le recours de A.________ et a annulé les bordereaux d'amendes du 10 novembre 2021 (relatives à l'IFD pour les périodes fiscales 2010 à 2014 et à l'ICC pour les périodes fiscales 2010 à 2015). En bref, il a considéré que le contribuable ne pouvait se voir reprocher une faute, même par négligence, en transmettant des déclarations fiscales incomplètes.
B.
Saisie d'un recours de l'Administration fiscale cantonale, la Chambre administrative de la Cour de justice de la République et canton de Genève (ci-après: la Cour de justice) l'a admis par arrêt du 18 juillet 2023; elle a annulé le jugement du TAPI et a rétabli la décision sur réclamation de l'Administration fiscale cantonale du 10 novembre 2021.
C.
A.________ interjette un recours en matière de droit public contre cet arrêt. Il en demande principalement la réforme, en ce sens que la décision sur réclamation de l'Administration fiscale cantonale du 10 novembre 2021 est annulée et qu'il n'est condamné à aucune amende pour les périodes fiscales 2010 à 2015 (IFD 2010 à 2014 et ICC 2010 à 2015). Subsidiairement, le contribuable requiert l'annulation de l'arrêt cantonal et le renvoi de la cause à la juridiction cantonale pour nouvelle décision au sens des considérants.
L'AFC et l'Administration fiscale cantonale ont conclu au rejet du recours. A.________ s'est encore déterminé sur les réponses des autorités fiscales.
Considérant en droit :
I. Recevabilité, pouvoir d'examen et objet du litige
1.
1.1. L'arrêt attaqué est une décision finale (art. 90 LTF) rendue en dernière instance cantonale par un tribunal supérieur (art. 86 al. 1 let. d et al. 2 LTF), dans une cause de droit public (art. 82 let. a LTF) qui ne tombe pas sous le coup des exceptions de l'art. 83 LTF. La voie du recours en matière de droit public est donc ouverte (cf. aussi art. 146 LIFD [RS 642.11] et 73 al. 1 de la loi fédérale du 14 décembre 1990 sur l'harmonisation des impôts directs des cantons et des communes [LHID; RS 642.14]). En outre, le recours a été déposé en temps utile et dans les formes requises par le recourant qui en tant que destinataire de l'arrêt attaqué a qualité pour recourir (cf. art. 89 al. 1 LTF). Il convient donc d'entrer en matière.
1.2. La Cour de justice a rendu un seul arrêt concernant les amendes fiscales relatives à l'IFD et aux ICC respectivement pour les périodes fiscales 2010 à 2014 et 2010 à 2015, ce qui est admissible. Partant, le dépôt d'un seul acte de recours est aussi autorisé, dans la mesure où le recourant s'en prend clairement aux deux catégories d'impôt (cf. ATF 142 II 293 consid. 1.2; 135 II 260 consid. 1.3.2; arrêt 9C_693/2023 du 15 avril 2024 consid. 1.3).
2.
2.1. D'après l'art. 106 al. 1 LTF, le Tribunal fédéral applique le droit d'office. En vertu de l'art. 106 al. 2 LTF, le Tribunal fédéral ne connaît de la violation des droits fondamentaux que si ce moyen est invoqué et motivé par la partie recourante, c'est-à-dire s'il a été expressément soulevé et exposé de manière claire et détaillée (ATF 147 IV 453 consid. 1; 143 IV 500 consid. 1.1).
2.2. Le Tribunal fédéral conduit son raisonnement juridique sur la base des faits établis par l'autorité précédente (art. 105 al. 1 LTF), sous réserve des cas prévus à l'art. 105 al. 2 LTF. La partie recourante ne peut critiquer les constatations de fait ressortant de la décision attaquée que si celles-ci ont été effectuées en violation du droit au sens de l'art. 95 LTF ou de manière manifestement inexacte, c'est-à-dire arbitraire, et si la correction du vice est susceptible d'influer sur le sort de la cause (art. 97 al. 1 LTF; ATF 145 V 188 consid. 2; 142 II 355 consid. 6). Conformément à l'art. 106 al. 2 LTF, la partie recourante doit expliquer de manière circonstanciée en quoi ces conditions seraient réalisées. À défaut, il n'est pas possible de tenir compte d'un état de fait divergeant de celui qui est contenu dans l'acte attaqué. En particulier, le Tribunal fédéral n'entre pas en matière sur les critiques appellatoires portant sur l'état de fait ou l'appréciation des preuves (cf. ATF 147 IV 73 consid. 4.1.2; 140 III 264 consid. 2.3; 137 II 353 consid. 5.1).
3.
Le litige porte sur les amendes prononcées dans le cadre de la procédure de soustraction d'impôt pour les périodes fiscales 2010 à 2014 (IFD) et 2010 à 2015 (ICC). Compte tenu des conclusions et motifs du recours, il convient en particulier d'examiner si la Cour de justice était en droit de retenir une faute de la part du recourant, soit que l'élément constitutif subjectif de l'infraction de soustraction d'impôt au sens des art. 175 LIFD et 56 LHID était donné.
II. Impôt fédéral direct
4.
4.1. Pour qu'il y ait soustraction d'impôt au sens de l'art. 175 al. 1 LIFD, il faut qu'il y ait soustraction d'un montant d'impôt en violation d'une obligation légale incombant au contribuable (condition objective) et une faute de ce dernier (condition subjective), ainsi qu'un lien de causalité entre le comportement illicite et la perte fiscale subie par la collectivité (arrêts 2C_396/2022 du 7 décembre 2022 consid. 8.1; 2C_1073/2018 du 20 décembre 2019 consid. 17 et les références, in RDAF 2020 II p. 200). Les notions d'intention et de négligence de l'art. 175 LIFD sont identiques à celles de l'art. 12 al. 2 et 3 du Code pénal suisse ([CP; RS 311.0] en lien avec les art. 333 al. 1 et 104 CP ). Ainsi, agit intentionnellement quiconque commet un crime ou un délit avec conscience et volonté. L'auteur agit déjà intentionnellement lorsqu'il tient pour possible la réalisation de l'infraction et l'accepte au cas où celle-ci se produirait (art. 12 al. 2 CP). La preuve d'un comportement intentionnel de la part du contribuable est considérée comme apportée lorsqu'il est établi avec une sécurité suffisante que celui-ci était conscient du caractère erroné ou incomplet des indications fournies. Si cette conscience est établie, il faut présumer qu'il a volontairement - du moins par dol éventuel - voulu tromper les autorités fiscales, afin d'obtenir une taxation plus favorable. Cette présomption ne se laisse pas facilement renverser, car l'on peine à imaginer quel autre motif pourrait conduire un contribuable à fournir au fisc des informations qu'il sait incorrectes ou incomplètes. En revanche, agit par négligence celui qui, par une imprévoyance coupable, ne se rend pas compte ou ne tient pas compte des conséquences de son acte. L'imprévoyance est coupable lorsque l'auteur n'a pas usé des précautions commandées par les circonstances et par sa situation personnelle, ce par quoi l'on entend sa formation, ses capacités intellectuelles et son expérience professionnelle (arrêts 2C_700/2022 du 25 novembre 2022 consid. 12.1; 2C_792/2021 du 14 mars 2022 consid. 6.4.1 et les arrêts cités).
4.2. Lorsqu'il mandate une fiduciaire pour remplir sa déclaration d'impôt, le contribuable n'est pas déchargé de ses obligations et responsabilités fiscales, mais doit supporter les inconvénients d'une telle intervention; il répond en particulier des erreurs de l'auxiliaire qu'il n'instruit pas correctement ou dont il ne contrôle pas l'activité, du moins s'il était en mesure de reconnaître ces erreurs. Il ne faut pas que le contribuable qui se fait représenter soit favorisé par rapport au contribuable qui remplit sa déclaration fiscale lui-même, par la possibilité de se soustraire à sa responsabilité en se retranchant derrière son représentant pour des fautes qui lui sont imputables. Pour retenir l'intention, à tout le moins par dol éventuel, il faut toutefois que le contribuable ait pu reconnaître le caractère erroné de la déclaration fiscale s'il avait agi avec la diligence requise et qu'il ait ainsi été en mesure de la faire corriger (arrêts 2C_396/2022 du 7 décembre 2022 consid. 8.1; 2C_78/2019 du 20 septembre 2019 consid. 6.3 et les références, in RF 75/2020 p. 71).
4.3. Établir la conscience et la volonté relève de la constatation des faits qui lie le Tribunal fédéral (cf. art. 105 al. 1 LTF). En revanche, vérifier si l'autorité s'est fondée sur la notion exacte d'intention est une question de droit que le Tribunal fédéral revoit librement (arrêts 2C_396/2022 du 7 décembre 2022 consid. 8.1; 2C_78/2019 du 20 septembre 2019 consid. 6.2 et les références).
5.
5.1. Le recourant conteste le caractère intentionnel de la soustraction d'impôt et se plaint d'une constatation des faits et d'une appréciation des preuves entachées d'arbitraire, en lien avec une violation de l'art. 175 al. 1 LIFD. Il reproche à la juridiction cantonale d'avoir retenu de façon insoutenable qu'il disposait des capacités suffisantes pour se rendre compte que ses déclarations fiscales n'avaient pas été correctement établies s'agissant des frais de bateau comptabilisés dans les comptes de son entreprise (pour les années 2014 et 2015). Elle aurait par ailleurs considéré à tort qu'il aurait dû reconnaître les différentes erreurs comptables de C.________ - qu'il avait chargé d'établir la comptabilité de son entreprise et ses déclarations fiscales -, en lien avec la variation des stocks et qu'il aurait été tenu, en cas de doute, de se renseigner auprès de l'Administration fiscale cantonale. Selon le recourant, les juges précédents n'auraient arbitrairement pas tenu compte des circonstances concrètes de son cas, soit en particulier sa situation, son comportement, ses connaissances et compétences, la complexité de la comptabilité et le temps nécessaire pour l'établir.
5.2. Le recourant invoque tout d'abord en vain son absence de formation et de connaissance en matière comptable ou fiscale pour contester toute faute en lien avec le traitement comptable et la déclaration des frais de bateau. En effet, on ne saurait qualifier d'arbitraire l'appréciation de la juridiction cantonale selon laquelle le recourant disposait de capacités suffisantes pour se rendre compte de la comptabilisation erronée des frais privés de bateau. Il n'est aucunement insoutenable de retenir qu'indépendamment de toute formation comptable ou fiscale, le recourant, en tant que titulaire d'une raison individuelle, était en mesure de savoir que des frais privés sans aucun rapport avec le but de son entreprise (achat et vente notamment de perles et de pierres précieuses) n'avaient pas à figurer dans les comptes de résultat de celle-ci; la nécessité de procéder à une séparation entre les frais privés et les frais commerciaux ne relève d'aucune connaissance particulière dans le domaine comptable.
En tant que le recourant se réfère ensuite à l'attestation de C.________ qui avait déclaré être seul responsable de la manière dont les comptes de l'entreprise avaient été tenus, il perd de vue qu'il y a dol éventuel - tel qu'admis par la Cour de justice - lorsque le contribuable concerné ne se soucie pas du tout du point de savoir si les indications et déclarations sont correctes (arrêt 2C_1052/2020 du 19 octobre 2021 consid. 3.2.8 et les références). Il ne peut donc rien tirer en sa faveur de la circonstance qu'il a entièrement fait confiance à son ancien mandataire. En particulier, les erreurs comptables commises par C.________ ne libèrent pas le recourant de ses obligations légales, dont l'approbation des comptes de l'entreprise (cf. art. 958 al. 3 CO). Quoi qu'en dise par ailleurs le recourant, les erreurs en question, liées à l'évaluation, la variation et l'amortissement des stocks, concernaient des rubriques comptables (comptes stock et capital) qui auraient dû particulièrement retenir son attention, et ce même si C.________ effectuait les écritures comptables selon ses propres choix. À cet égard, en affirmant ne disposer d'aucune compétence en matière comptable, le recourant remet en cause de manière appellatoire les constatations cantonales selon lesquelles les rubriques de sa comptabilité litigieuses auraient dû retenir son attention de manière accrue dans le cadre de la gestion de son entreprise. Il n'y a dès lors pas lieu de s'en écarter sous l'angle de l'arbitraire, en précisant que les stocks en cause correspondaient à l'actif principal lié à l'activité du recourant qui faisait commerce notamment de perles et de pierres précieuses; il ne pouvait ignorer, en faisant preuve de la diligence requise, que cet actif était soumis à des variations, qui, selon le résultat qu'il a produit en procédure, influençaient de manière notable le bénéfice imposable à la hausse. Enfin, compte tenu de l'exploitation de son entreprise pendant de nombreuses années, le recourant ne saurait nier avec succès qu'il disposait d'une grande expérience dans l'évaluation des biens dont il faisait commerce.
5.3. En définitive, la juridiction cantonale n'a par conséquent pas violé le droit (art. 175 al. 1 LIFD) ni n'est tombée dans l'arbitraire en retenant que le recourant s'était rendu coupable de soustraction d'impôt, à tout le moins par dol éventuel.
III. Impôt cantonal et communal
6.
Les considérations qui précèdent s'appliquent mutatis mutandis aux amendes prononcées pour l'ICC des périodes fiscales 2010 à 2015, puisque s'agissant de la soustraction d'impôt, l'art. 69 de la loi genevoise de procédure fiscale du 4 octobre 2001 (LPFisc; RS/GE D 3 17) a la même teneur que l'art. 56 al. 1 LHID, qui correspond à l'art. 175 LIFD (arrêt 9C_693/2023 du 15 avril 2024 consid. 5.3 et la référence).
IV. Conséquences, frais et dépens
7.
Au vu de ce qui précède, le recours doit être rejeté. Compte tenu de l'issue du recours, les frais judiciaires sont mis à la charge du recourant qui succombe (art. 66 al. 1 LTF). Il n'est pas alloué de dépens ( art. 68 al. 1 et 3 LTF ).
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :
1.
Le recours est rejeté en tant qu'il concerne les amendes prononcées pour l'IFD des années 2010 à 2014.
2.
Le recours est rejeté en tant qu'il concerne les amendes prononcées pour l'ICC des années 2010 à 2015.
3.
Les frais judiciaires, arrêtés à 13'000 fr., sont mis à la charge du recourant.
4.
Le présent arrêt est communiqué aux parties et à la Cour de justice de la République et canton de Genève, Chambre administrative, 4ème section, et à l'Administration fédérale des contributions.
Lucerne, le 12 août 2024
Au nom de la IIIe Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse
Le Président : Parrino
Le Greffier : Feller