Bundesgericht
Tribunal fédéral
Tribunale federale
Tribunal federal
1C_222/2023
Arrêt du 12 septembre 2024
Ire Cour de droit public
Composition
MM. les Juges fédéraux Kneubühler, Président,
Chaix et Merz.
Greffier : M. Kurz.
Participants à la procédure
A.________,
représenté par Me Yves Nicole, avocat,
recourant,
contre
Direction générale du territoire et du logement du canton de Vaud,
Service juridique, avenue de l'Université 5, 1014 Lausanne Adm cant VD,
Municipalité de Molondin,
route de Montigon 7b, 1415 Molondin,
B.________ SA,
Objet
Taxe sur la plus-value résultant d'une mesure d'aménagement du territoire,
recours contre l'arrêt de la Cour de droit administratif et public du Tribunal cantonal du canton de Vaud du 6 avril 2023 (AC.2022.0100).
Faits :
A.
A.________ était propriétaire de la parcelle n° 10 de la commune de Molondin, d'une surface de 26'465 m², située hors zone à bâtir (zone para-agricole) dans le périmètre du plan d'affectation (PPA) "U.________". En juillet 1999, il a créé un droit de superficie (sous forme d'un droit distinct et permanent - DDP) de 30 ans en faveur de la société en nom collectif A.C.________, active dans le domaine de l'agriculture, laquelle est devenue propriétaire des bâtiments et devait s'acquitter d'une rente annuelle de 6'000 fr. En 2014, la parcelle n° 10 a été divisée en trois biens-fonds, n° 10, 538 et 539. Le droit de superficie et été transféré sur la parcelle n° 538, d'une surface de 17'241 m² et mis au nom de la société D.________ SA, actuellement sous la raison sociale B.________ SA; la rente est demeurée inchangée.
B.
Le 26 février 2019, le PPA "U.________" a été modifié. Selon le nouveau plan, la parcelle n° 538 est classée en zone d'activité agroalimentaire, soit en zone à bâtir.
Par décision du 27 février 2020 adressée à A.________, la Direction générale du territoire et du logement du canton de Vaud (DGTL) a estimé la plus-value résultant du classement de la parcelle n° 538 en zone d'activité agroalimentaire à 707'000 fr., sur la base d'une valeur de 195 fr./m². La taxe sur la plus-value, faisant l'objet d'une mention au registre foncier, a été fixée à 141'400 fr.
Le 18 août 2021, un permis de construire a été délivré par la commune de Molondin pour la construction d'un bâtiment à usage mixte industriel et administratif pour des activités agroalimentaires avec parking. Le permis de construire comporte tant le nom du propriétaire que celui de la société bénéficiaire du droit de superficie.
Le 7 septembre 2021, la DGTL a indiqué à A.________ que, dès lors qu'un permis de construire avait été délivré, le montant de la taxe sur la plus-value serait exigible dès le 16 novembre 2021.
Le 30 septembre 2021, A.________, a contesté cet avis en relevant que seul le titulaire du droit de superficie disposait du droit de construire, et profitait ainsi du classement en zone à bâtir.
Par "décision de perception" du 1er mars 2022, la DGTL a déclaré la taxe sur la plus-value exigible. Elle en a exigé de A.________ le paiement dans les trente jours, faute de quoi elle procéderait à l'inscription d'une hypothèque légale.
C.
Par arrêt du 6 avril 2023, après avoir mené une procédure de coordination, la Cour de droit administratif et public du Tribunal cantonal vaudois (CDAP) a rejeté le recours formé par A.________ et confirmé la décision du 1er mars 2022. Selon l'art. 68 al. 2 de la loi vaudoise sur l'aménagement du territoire et les constructions (LATC, RS/VD 700.11), le débiteur de la taxe était le propriétaire du bien-fonds. La décision du 27 février 2020, entrée en force, ne pouvait plus être remise en cause sur ce point. Selon l'art. 69 al. 1 LATC, l'entrée en force du permis de construire rendait la taxe exigible, quel que soit le bénéficiaire dudit permis. Au demeurant, le propriétaire avait aussi signé la demande de permis de construire et pouvait donc être considéré comme le destinataire du permis. Deux juges ont exprimé une opinion dissidente, annexée à l'arrêt cantonal.
D.
Agissant par la voie du recours en matière de droit public, A.________ demande au Tribunal fédéral de réformer l'arrêt cantonal en ce sens que la décision du 1er mars 2022 est annulée; subsidiairement, il conclut au renvoi de la cause à l'autorité inférieure pour nouvelle décision dans le sens des considérants.
La CDAP renonce à se déterminer et se réfère à son arrêt. La DGTL conclut au rejet du recours. La commune de Molondin se rallie à l'arrêt attaqué. B.________ SA s'en remet à justice. Invité à déposer des observations, l'Office fédéral du développement territorial ARE estime que l'arrêt entrepris ne prête pas le flanc à la critique. Le recourant, puis la commune et la DGTL, ont ensuite persisté dans leurs conclusions, tout comme l'ARE dans ses dernières déterminations du 1er février 2024. Le recourant s'est encore déterminé le 27 février 2024.
Considérant en droit :
1.
Dirigé contre une décision finale (art. 90 LTF) prise en dernière instance cantonale (art. 86 al. 1 let. d LTF) dans le domaine du droit public de l'aménagement du territoire (art. 82 let. a LTF), le recours est en principe recevable comme recours en matière de droit public selon les art. 82 ss LTF, aucune des exceptions prévues à l'art. 83 LTF n'étant réalisée. Le recourant a pris part à la procédure de recours devant le Tribunal cantonal. Il est particulièrement touché par l'arrêt attaqué, qui confirme l'exigibilité de la taxe sur la plus-value mise à sa charge. Il peut ainsi se prévaloir d'un intérêt personnel et digne de protection à l'annulation de l'arrêt attaqué, et bénéficie donc de la qualité pour recourir au sens de l'art. 89 al. 1 LTF.
2.
Outre une atteinte à son droit de propriété, le recourant dénonce une violation du régime de compensation instauré à l'art. 5 LAT, grief qui doit être examiné en premier lieu. Le recourant rappelle qu'en précisant que la compensation est exigible au moment de l'aliénation ou de la construction, le législateur fédéral avait voulu éviter que le propriétaire dépourvu de moyens financiers ne soit mis en difficulté et contraint de vendre son terrain afin de s'acquitter de la taxe. Il relève par ailleurs que le superficiant perd son droit à bâtir sur le terrain, de sorte que seul le superficiaire, propriétaire des bâtiments, bénéficierait de l'augmentation du potentiel constructible. Le propriétaire du terrain ne retirerait un avantage qu'à l'échéance du droit de superficie, et la taxe ne pourrait être exigée de sa part qu'à ce moment-là.
2.1. Selon l'art. 5 al. 1 LAT, le droit cantonal établit un régime de compensation permettant de tenir compte équitablement des avantages et des inconvénients majeurs qui résultent de mesures d'aménagement. L'alinéa 1bis précise que les avantages résultant de mesures d'aménagement sont compensés par une taxe d'au moins 20%. La compensation est exigible lorsque le bien-fonds est construit ou aliéné. Le droit cantonal conçoit le régime de compensation de façon à compenser au moins les plus-values résultant du classement durable de terrains en zone à bâtir.
En droit vaudois, la compensation de la plus-value est réglementée aux art. 64 ss LATC. Selon l'art. 64 LATC, les avantages majeurs résultant des mesures d'aménagement du territoire font l'objet d'une compensation sous la forme de perception d'une taxe sur la plus-value. Est considéré comme avantage majeur constituant une plus-value l'augmentation sensible de valeur d'un bien-fonds qui résulte du classement de celui-ci en zone à bâtir ou en zone spéciale (al. 2 let. a). L'art. 65 al. 1 LATC fixe le taux de prélèvement à 20% de la plus-value. Selon l'art. 68 LATC, le département rend une décision de taxation motivée lorsque la mesure d'aménagement du territoire est mise en vigueur. Cette décision peut faire l'objet d'un recours auprès du Tribunal cantonal (al. 1). La taxe est due par le propriétaire du bien-fonds au moment de l'entrée en vigueur de la mesure d'aménagement du territoire selon l'article 64, alinéa 2 (al. 2). Tous les propriétaires ou bénéficiaires répondent solidairement de la taxe sur la plus-value (al. 3). Celle-ci fait l'objet d'une mention au registre foncier (al. 5). L'art. 69 LATC précise que la taxe est exigible dans les 90 jours après l'entrée en force du permis de construire ou lors de l'aliénation, le département rendant une nouvelle décision à ce propos (al. 1 et 4).
2.2. L'art. 5 LAT ne constitue qu'un mandat à l'intention des cantons (ATF 147 I 225 consid. 4.2; cf. ETIENNE POLTIER, in Aemisegger/Moor/Ruch/Tschannen, Commentaire pratique LAT, Planifier l'affectation, 2016, n° 33 ad art. 5 LAT). Outre le taux minimal de 20% et les principes d'exigibilité (lors de la construction ou de l'aliénation), l'art. 5 al. 1 et al. 1bis LAT ne comporte en particulier aucune précision quant au débiteur de la taxe. Par les dispositions précitées, le canton de Vaud a mis en oeuvre de façon autonome ce mandat, s'agissant notamment du taux de la taxe, de son débiteur et du moment de sa perception (ATF 142 I 177 consid. 4.1.1; 128 I 46 consid. 1). Il s'agit selon la jurisprudence de dispositions cantonales indépendantes, dont le Tribunal fédéral examine l'application sous l'angle restreint de l'arbitraire (ATF 147 I 225 consid. 4.6; 128 I 46 consid. 1; arrêt 1C_184/2014 du 23 février 2015 consid. 2.1).
Force est de constater que le recours ne contient aucun grief d'arbitraire dans l'application du droit cantonal, motivé conformément aux exigences de l'art. 106 al. 2 LTF, de sorte qu'il est sur ce point irrecevable. Quoiqu'il en soit, il apparaît que l'arrêt cantonal ne saurait être qualifié d'arbitraire, et n'est d'ailleurs pas non plus contraire au droit fédéral.
2.3. Comme le relève l'arrêt attaqué, la solution la plus adéquate, s'agissant du sujet de la contribution de plus-value, est de taxer le propriétaire du bien-fonds au moment de la mesure en cause (POLTIER, op. cit. n° 55 ad art. 5 LAT). Tel est la solution consacrée par le législateur vaudois à l'art. 68 al. 2 LATC. Cette question a d'ailleurs fait l'objet d'une première décision du 27 février 2020 que le recourant n'a pas contestée. Il est vrai que le recourant ne tire pas directement bénéfice des possibilités de construire découlant du classement en zone d'activité agroalimentaire. La valeur de son bien-fonds s'en trouve toutefois incontestablement augmentée par la mesure de planification. Les législateurs fédéral et cantonal ont certes voulu éviter de mettre le propriétaire dans une situation délicate en reportant la perception de la taxe au moment de la vente du terrain ou de l'octroi d'un permis de construire. Ils n'ont en revanche pas jugé utile de distinguer en fonction du bénéficiaire dudit permis, partant de la prémisse qu'en règle générale, il s'agit du propriétaire et que, dans le cas contraire, les rapports contractuels doivent prévoir une indemnisation suffisante en rapport avec la valeur des droits concédés.
La solution consacrée par l'arrêt cantonal, loin d'être arbitraire, apparaît conforme au droit cantonal, ainsi qu'aux dispositions-cadre du droit fédéral. Le grief, supposé recevable, devrait être rejeté.
3.
Le recourant invoque ensuite la garantie de la propriété (art. 26 al. 1 Cst.). Il relève que le montant de la taxe équivaudrait à 23 fois le montant de la rente annuelle de 6'000 fr. perçue pour le droit de superficie accordé en 1999. L'acte constitutif de ce droit ne prévoirait pas la possibilité d'adapter le montant de la rente. Il en résulterait une imposition confiscatoire qui pourrait forcer le propriétaire d'aliéner son terrain pour pouvoir s'en acquitter. Bien que ce grief d'ordre constitutionnel soit soulevé pour la première fois devant le Tribunal fédéral, il y a lieu en principe d'entrer en matière (ATF 142 I 155 consid. 4.4.6). Le recourant n'ayant pas fait valoir cet argument devant l'instance précédente, il ne saurait toutefois se plaindre de ce que les faits auraient été insuffisamment établis à ce sujet.
3.1. En vertu de l'art. 26 al. 1 Cst., la propriété est garantie. De jurisprudence constante, en matière fiscale, ce droit fondamental ne va toutefois pas au-delà de l'interdiction d'une imposition confiscatoire. Ainsi, une prétention fiscale ne doit pas porter atteinte à l'essence même de la propriété privée (cf. art. 36 al. 4 Cst.). Pour juger si une imposition a un effet confiscatoire, le taux de l'impôt exprimé en pour-cent n'est pas seul décisif; il faut examiner la charge que représente l'imposition sur une assez longue période, en faisant abstraction des circonstances extraordinaires; à cet effet, il convient de prendre en considération l'ensemble des circonstances concrètes, la durée et la gravité de l'atteinte ainsi que le cumul avec d'autres taxes ou contributions et la possibilité de reporter l'impôt sur d'autres personnes (ATF 143 I 73 consid. 5.1; 128 II 112 consid. 10b/bb).
3.2. Le montant de la taxe litigieuse s'élève en l'occurrence à 141'400 fr. Dans la mesure où elle est prélevée en fonction d'une plus-value de 707'000 fr. résultant du classement en zone constructible, ce montant ne saurait en soi être considéré comme confiscatoire. Le recourant prétend qu'il devrait aliéner son terrain afin de pouvoir s'acquitter de sa dette fiscale, mais il ne fournit aucune indication concrète sur sa situation économique (revenus, fortune) afin de prouver ses allégations. Il ne démontre pas non plus qu'il ne disposerait d'aucun moyen au plan civil pour faire supporter tout ou partie de la taxe au superficiaire. La demande de permis de construire nécessitait la signature du recourant en tant que propriétaire du bien-fonds (cf. art. 108 al. 1 LATC), ce qui permettait au recourant de négocier une adaptation du montant de la rente. En outre, comme le relève l'ARE, le DDP a été constitué en 1999 pour une durée de trente ans et arrive donc à échéance en 2029, de sorte qu'il y a là aussi place pour des négociations en vue de sa reconduction. En outre, si la perception d'une contribution de plus-value n'était, comme le soutient le recourant pas prévisible en 1999, il n'est pas exclu que celui-ci puisse se prévaloir de la "clausa rebus sic stantibus" (ATF 137 III 1 consid. 2.4) et obtenir une adaptation du contrat, dès lors que le DDP avait été initialement accordé pour des surfaces hors zone à bâtir et que, suite à la mise en zone, un permis de construire a été sollicité.
Dans la mesure où il est suffisamment motivé, le grief doit être écarté.
4.
Sur le vu de ce qui précède, le recours est rejeté, dans la mesure où il est recevable. Conformément à l'art. 66 al. 1 LTF, les frais judiciaires sont mis à la charge du recourant qui succombe. Il n'y a lieu d'accorder de dépens ni aux autorités intimées (art. 68 al. 4 LTF), ni à la société B.________ SA, qui agit sans avocat et s'en est rapportée à justice.
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :
1.
Le recours est rejeté dans la mesure où il est recevable.
2.
Les frais judiciaires, arrêtés à 4'000 fr., sont mis à la charge du recourant. Il n'est pas alloué de dépens.
3.
Le présent arrêt est communiqué au mandataire du recourant, à la Direction générale du territoire et du logement du canton de Vaud, à la Municipalité de Molondin, à B.________ SA, à la Cour de droit administratif et public du Tribunal cantonal du canton de Vaud et à l'Office fédéral du développement territorial.
Lausanne, le 12 septembre 2024
Au nom de la Ire Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse
Le Président : Kneubühler
Le Greffier : Kurz