Bundesgericht
Tribunal fédéral
Tribunale federale
Tribunal federal
1C_661/2023
Arrêt du 12 septembre 2024
Ire Cour de droit public
Composition
MM. les Juges fédéraux Kneubühler, Président,
Chaix et Merz.
Greffier : M. Kurz.
Participants à la procédure
1. A.________,
2. B.________ SA,
tous les deux représentés par Me Dominique Burger, avocate,
recourants,
contre
1. C.________,
2. D.________,
3. E.________,
4. F.________,
5. G.________,
6. H.________,
7. I.________,
8. J.________,
9. K.________,
tous représentés par Maîtres Guillaume Francioli et
Romaine Zürcher, avocats,
intimés,
Département du territoire de la République et canton de Genève,
case postale 3880, 1211 Genève 3.
Objet
Permis de construire,
recours contre l'arrêt de la Cour de justice de la République et canton de Genève, Chambre administrative, du 31 octobre 2023
(A/2333/2022-LCI ATA/1168/2023).
Faits :
A.
Le 22 novembre 2021 (après l'annulation d'un précédent projet sur recours des voisins), L.________ SA a déposé auprès de l'office des autorisations de construire du Département genevois du territoire (DT) une demande d'autorisation de construire portant sur une villa urbaine de plusieurs logements avec parking souterrain et piscine sur la parcelle n° 6'618 de la commune de Collonge-Bellerive, appartenant à A.________.
Par décision du 9 juin 2022, le DT a accordé l'autorisation de construire. Le rapport entre la surface brute de plancher (SBP) et la surface de la parcelle était de 48%. La surface totale des constructions de peu d'importance (CDPI: balcons, terrasses, surplomb d'étage, avant-toit sur attique et rampe couverte) était de 98 m². La piscine, d'une surface de 60,8 m², se trouvait à 2,59 m, respectivement 3,26 m des parcelles n° s 8'640 et 9'795. Le projet nécessitait une dérogation pour la distance à la forêt, dont le service cantonal avait préavisé favorablement la délivrance.
B.
Par jugement du 4 avril 2023, le Tribunal administratif de première instance (TAPI) a admis un nouveau recours des voisins et a annulé l'autorisation de construire. La piscine, de plus de 50 m², ne devait pas être considérée comme une CDPI et sa surface devait compter comme SBP. Le rapport entre SBP et surface de parcelle était donc de 51,36%, et dépassait le coefficient maximal dérogatoire de 48%. En outre, l'emplacement de la piscine ne respectait pas les distances aux limites de propriétés.
A.________ et B.________ SA ont saisi la Chambre administrative de la Cour de justice du canton de Genève. Le DT a également recouru. Par arrêt du 31 octobre 2023, la Chambre administrative a rejeté les recours, laissant indécise la question de la qualité pour recourir de l'entreprise générale. Même si elle ne constituait pas une CDPI, une piscine extérieure non couverte ne pouvait être considérée comme habitable (critère consacré par la loi) et ne devait donc pas être prise en compte comme SBP, contrairement à ce qu'avait retenu le TAPI. En revanche, la disposition relative aux aménagements paysagers (permettant de construire jusqu'à 1 m de la limite) ne s'appliquait pas à une piscine, même extérieure et non couverte. Celle-ci ne pouvait pas non plus être considérée comme une construction au-dessous du sol, de sorte que la distance minimale ordinaire à la limite (soit 5 m) s'appliquait et n'était pas respectée. Il n'y avait pas de changement de pratique à ce propos, ni de droits acquis dont les recourants pouvaient se prévaloir.
C.
Agissant par la voie du recours en matière de droit public, A.________ et B.________ SA demandent au Tribunal fédéral d'annuler l'arrêt de la Chambre administrative et de confirmer l'autorisation de construire du 9 juin 2022, subsidiairement de renvoyer la cause à la cour cantonale pour nouvelle décision dans le sens des considérants.
La Chambre administrative persiste dans les considérants et le dispositif de son arrêt. Le DT conclut à l'admission du recours et à la confirmation de l'autorisation de construire. Les intimés C.________ et huit consorts concluent à l'irrecevabilité du recours déposé par B.________ SA et au rejet du recours pour le surplus. Les recourants, le DT et les intimés ont ensuite déposé plusieurs observations complémentaires, persistant chacun dans leurs conclusions respectives.
Considérant en droit :
1.
Dirigé contre une décision prise dans le domaine du droit public des constructions, le recours est en principe recevable comme recours en matière de droit public selon les art. 82 ss LTF, aucune des exceptions prévues à l'art. 83 LTF n'étant réalisée. Le recours a été formé en temps utile contre une décision finale prise en dernière instance cantonale (art. 86 al. 1 let. d, 90 et 100 al. 1 LTF).
1.1. Selon l'art. 89 al. 1 LTF, la partie recourante doit être particulièrement atteinte par la décision attaquée (art. 89 al. 1 let. b LTF) et doit avoir un intérêt digne de protection à l'annulation ou à la modification de la décision attaquée (art. 89 al. 1 let. c LTF). À moins que cela ne fasse d'emblée aucun doute, la partie recourante doit, sous peine d'irrecevabilité, exposer en quoi les conditions de recevabilité sont réunies, en particulier en quoi elle a qualité pour recourir. Il n'appartient pas au Tribunal fédéral de se livrer à des recherches à ce sujet (cf. art. 42 al. 2 LTF; ATF 134 II 45 consid. 2.2.3; 133 II 400 consid. 2). Selon la jurisprudence, un architecte n'a en principe qu'un intérêt indirect et économique à la délivrance d'une autorisation de construire. Il n'a par conséquent pas qualité pour recourir contre des décisions n'autorisant pas (ou pas complètement) un projet de construction, même s'il a requis le permis de construire et que la décision y relative lui a été adressée. En revanche, l'architecte habilité par le droit cantonal à déposer, avec l'accord du propriétaire, une demande de permis de construire est autorisé à former un recours contre la décision de rejet de celui-ci. Dans ce dernier cas, il appartient toutefois à l'architecte qui recourt de préciser en vertu de quelle disposition légale cantonale il serait habilité à déposer la demande de permis de construire ou à recourir (arrêts 1C_273/2021 du 28 avril 2022 consid. 1.2 et 1.4.1; 1C_547/2020 du 15 septembre 2021 consid. 5.1 et 5.2 et les références citées; 1C_541/2023 du 8 juillet 2024 consid. 1.4).
1.2. La cour cantonale a relevé que ce n'était pas l'entreprise générale mais le bureau d'architecte qui était requérant et mandataire dans le cadre de la requête d'autorisation de construire. Il était toutefois possible que la première représente le second, la question étant toutefois laissée indécise puisque tant A.________ que le département avaient qualité pour agir. Les recourants se contentent d'expliquer céans que M.________ serait, en tant que représentant de l'entreprise générale et administrateur du bureau d'architecte, le requérant de l'autorisation de construire. Cela ne ressort toutefois pas de l'arrêt attaqué, sans que les recourants ne se plaignent d'établissement inexact des faits sur ce point.
Le recours étant de toute façon recevable en tant qu'il émane de A.________, la question de la qualité pour agir de B.________ SA peut demeurer indécise.
2.
Les recourants se plaignent d'arbitraire dans l'application des art. 67 et 69 de la loi genevoise sur les constructions et installations diverses (LCI, RS/GE L 5 05), ainsi que des art. 1, 3 al. 3 et 46C du règlement d'application de cette loi (RCI, RS/GE L 5 05-01). Ils reprochent à la cour cantonale d'avoir retenu que la piscine, d'une part, ne constituait pas un aménagement paysager (art. 46C RCI) et, d'autre part, représentait une construction au sens de l'art. 69 al. 2 LCI. Se fondant sur un arrêt précédent confirmé par le Tribunal fédéral (arrêt 1C_494/2022 du 9 mai 2023), ils estiment que les piscines devraient être traitées comme des aménagements extérieurs. La cour cantonale ne pouvait considérer qu'il s'agissait de constructions, après avoir affirmé qu'il ne s'agissait pas de CDPI et alors qu'une telle installation ne possède pas de gabarit au sens de l'art. 3 al. 3 RCI. Il serait aussi arbitraire de retenir que la partie supérieure de la piscine dépasse le terrain naturel, alors que la directive applicable à ce sujet se réfère au terrain "fini" et que la jurisprudence rendue sur la base de cette directive admet certaines installations (support pour piscine hors sol, entrée de garage souterrain) comme de simples aménagements extérieurs.
2.1. Le Tribunal fédéral ne revoit l'interprétation et l'application faite du droit cantonal que sous l'angle de l'arbitraire (ATF 147 I 433 consid. 4.2; 146 II 367 consid. 3.1.5). Une décision est arbitraire lorsqu'elle viole gravement une norme ou un principe juridique clair et indiscuté, ou lorsqu'elle contredit d'une manière choquante le sentiment de justice et d'équité. Le Tribunal fédéral n'a pas à déterminer quelle est l'interprétation correcte que l'autorité cantonale aurait dû donner des dispositions applicables; il doit uniquement examiner si l'interprétation qui a été faite est défendable (cf. également consid. 3.1 ci-dessus). Si l'application de la loi défendue par l'autorité cantonale ne se révèle pas déraisonnable ou manifestement contraire au sens et au but de la disposition ou de la législation en cause, cette interprétation sera confirmée, même si une autre solution - éventuellement plus judicieuse - paraît possible (ATF 149 I 329 consid. 5.1; 145 II 32 consid. 5.1; 145 I 108 consid. 4.4.1).
2.2. L'art. 67 LCI prohibe en principe les constructions au-dessus du sol en limite de propriété. L'art. 68 LCI fait exception à cette règle pour les constructions de peu d'importance (CDPI). L'art. 69 LCI fixe la distance aux limites de propriétés. Celle-ci doit être au moins égale à la hauteur du gabarit moins 1 m (al. 1) et ne peut être inférieure à 5 m sous réserve des art. 67 et 68 (al. 2). L'art. 1 RCI définit la notion de construction; il s'agit de "toutes choses immobilières ou mobilières édifiées au-dessus ou au-dessous du sol ainsi que toutes leurs parties intégrantes et accessoires". L'art. 3 al. 3 RCI permet au département d'accorder des dérogations pour les CDPI. Quant à l'art. 46C RCI, il prévoit qu'en limite de propriété, le niveau du terrain naturel doit être maintenu sur une largeur de 1 m; au-delà, les aménagements extérieurs doivent s'inscrire à l'intérieur d'une ligne oblique formant un angle de 30° avec l'horizontale.
2.3. Dans le cadre de la définition de la SBP, la cour cantonale a exclu que la piscine litigieuse puisse être considérée comme une CDPI. Elle s'est référée à sa jurisprudence qui considère qu'une piscine dépourvue de couvert ne constitue pas une construction au sens de l'art. 3 al. 3 RCI. Cette appréciation, confirmée par le Tribunal fédéral sous l'angle de l'arbitraire (arrêt 1C_494/2022 du 9 mai 2023 consid. 3), ne vaut que dans le cadre de la norme relative aux CDPI. Elle ne signifie pas qu'une piscine ne répondrait pas à la notion, plus générale, de construction consacrée à l'art. 1 RCI, qui comprend toute chose immobilière située au dessus ou au-dessous du niveau du sol. Il n'y a dès lors aucune contradiction entre le fait de ne pas reconnaître la qualité de CDPI à une piscine, tout en considérant qu'il s'agit bien d'une construction.
La jurisprudence cantonale se réfère certes à la notion d'aménagements extérieurs non couverts, mais toujours dans le cadre de l'application de l'art. 3 al. 3 RCI. L'art. 46C RCI ne définit pas explicitement la notion d'aménagements extérieurs; la cour cantonale a toutefois relevé que cette disposition était venue formaliser une pratique concernant exclusivement les talus, et ne s'appliquait pas aux situations où l'on creuse le terrain. L'art. 46C al. 2 RCI décrit en effet l'espace maximum que peut occuper au-dessus du sol un aménagement extérieur au-delà de 1 m de la limite de propriété; une telle disposition n'a pas de sens pour une installation aménagée au-dessous du niveau du sol. C'est donc de manière motivée et non arbitraire que l'application de l'art. 46C RCI a été exclue.
La cour cantonale a également retenu sans arbitraire que la piscine projetée ne comportait pas de couverture et se situait en outre au-dessus du terrain naturel, de sorte qu'elle ne pouvait être considérée comme une construction en sous-sol. Quand bien même cette appréciation s'écarte de la directive cantonale en matière de SBP (qui se fonde sur le critère du terrain aménagé) elle ne saurait être qualifiée d'arbitraire dès lors qu'elle se fonde sur l'art. 3 al. 4 RCI qui précise que les constructions au-dessous du sol sont celles dont la couverture ne dépasse pas le niveau naturel du sol. Les recourants eux-mêmes rappellent d'ailleurs (à propos de l'art. 46C RCI) qu'une directive administrative ne lie pas le juge pour autant que celui-ci se fonde, comme en l'espèce, sur des motifs pertinents (ATF 148 V 102 consid. 4.2 et les arrêts cités).
Quand bien même la solution préconisée par les recourants (et appuyée par le département) pourrait également se concevoir, celle qui est retenue par la cour cantonale n'apparaît ainsi arbitraire ni dans ses motifs, ni dans son résultat.
3.
Sur le vu de ce qui précède, le recours est rejeté dans la mesure où il est recevable. Conformément à l'art. 66 al. 1 LTF, les frais judiciaires sont mis à la charge des recourants. Les intimés C.________ et consorts, qui obtiennent gain de cause avec l'assistance de mandataires professionnels, ont droit à des dépens, eux-aussi à la charge des recourants (art. 68 al. 2 LTF).
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :
1.
Le recours est rejeté dans la mesure où il est recevable.
2.
Les frais judiciaires, arrêtés à 4'000 fr., sont mis à la charge des recourants.
3.
Une indemnité de dépens de 4'000 fr. est allouée aux intimés C.________ et consorts, à la charge solidaire des recourants.
4.
Le présent arrêt est communiqué aux mandataires des parties, au Département du territoire de la République et canton de Genève et à la Cour de justice de la République et canton de Genève, Chambre administrative.
Lausanne, le 12 septembre 2024
Au nom de la Ire Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse
Le Président : Kneubühler
Le Greffier : Kurz