Bundesgericht
Tribunal fédéral
Tribunale federale
Tribunal federal
5A_198/2025
Arrêt du 14 avril 2025
IIe Cour de droit civil
Composition
MM. et Mme les Juges fédéraux Bovey, Président,
De Rossa et Josi.
Greffière : Mme Mairot.
Participants à la procédure
A.________ Sàrl,
recourante,
contre
B.________,
intimée.
Objet
faillite sans poursuite préalable,
recours contre l'arrêt de Chambre civile de la
Cour de justice du canton de Genève du 4 février 2025 (C/20486/2024, ACJC/170/2025).
Faits :
A.
A.a. Par requête expédiée le 23 août 2024 au Tribunal de première instance du canton de Genève (ci-après: Tribunal), B.________ a requis la faillite sans poursuite préalable de A.________ Sàrl en application de l'art. 190 al. 1 ch. 2 LP.
A.b. Par jugement du 4 novembre 2024, le Tribunal a prononcé la faillite sans poursuite préalable de A.________ Sàrl dès le même jour à 15h20.
Il a considéré que B.________ avait rendu vraisemblable sa qualité de créancière. A.________ Sàrl faisait l'objet de nombreuses poursuites et avait cessé de payer ses créances de droit public. Il avait ainsi été rendu vraisemblable que dite société avait suspendu ses paiements et qu'elle n'était pas en mesure à court terme de faire face à ses obligations pécuniaires.
A.c. Par arrêt du 4 février 2025, la Cour de justice du canton de Genève (ci-après: Cour de justice) a rejeté le recours interjeté par A.________ Sàrl contre ce jugement et l'a confirmé, la faillite prenant effet ce même jour à 12h00.
B.
Par acte posté le 10 mars 2025, A.________ Sàrl exerce un "recours" au Tribunal fédéral contre l'arrêt du 4 février 2025. Elle conclut à son annulation et à sa réforme en ce sens que la " révocation " (sic) de la faillite est prononcée.
C.
Par ordonnance présidentielle du 2 avril 2025, l'effet suspensif a été attribué au recours, en ce sens que l'Office est invité à ne pas procéder à des mesures d'exécution.
Considérant en droit :
1.
Le recours a été déposé dans le délai légal (art. 100 al. 1 LTF) contre une décision finale (art. 90 LTF; ATF 133 III 687 consid. 1.2) rendue en matière de faillite (art. 72 al. 2 let. a LTF) par une autorité cantonale de dernière instance ayant statué sur recours ( art. 75 al. 1 et 2 LTF ). Il est recevable sans égard à la valeur litigieuse (art. 74 al. 2 let. d LTF). La société faillie, qui a participé à la procédure devant l'autorité cantonale et a un intérêt digne de protection à l'annulation ou à la modification de l'arrêt attaqué, a qualité pour recourir (art. 76 al. 1 LTF).
2.
2.1. Le recours en matière civile peut être formé pour violation du droit, tel qu'il est délimité par les art. 95 s. LTF. Le Tribunal fédéral applique le droit d'office (art. 106 al. 1 LTF). Cela étant, eu égard à l'exigence de motivation contenue à l'art. 42 al. 2 LTF, il n'examine en principe que les griefs soulevés (ATF 142 III 364 consid. 2.4 et les références). Le recourant doit par conséquent discuter les motifs de la décision entreprise et indiquer précisément en quoi l'autorité précédente a méconnu le droit (ATF 146 IV 297 consid. 1.2; 142 I 99 consid. 1.7.1; 142 III 364 consid. 2.4). Le Tribunal fédéral ne connaît par ailleurs de la violation de droits fondamentaux que si un tel grief a été expressément invoqué et motivé de façon claire et détaillée ("principe d'allégation", art. 106 al. 2 LTF; ATF 149 III 81 consid. 1.3; 146 IV 114 consid. 2.1; 144 II 313 consid. 5.1).
2.2. Le Tribunal fédéral statue sur la base des faits établis par l'autorité précédente (art. 105 al. 1 LTF). Il ne peut s'en écarter que si ceux-ci ont été constatés de façon manifestement inexacte ou en violation du droit au sens de l'art. 95 LTF (art. 105 al. 2 LTF), et si la correction du vice est susceptible d'influer sur le sort de la cause (art. 97 al. 1 LTF). Le recourant qui soutient que les faits ont été établis d'une manière manifestement inexacte, c'est-à-dire arbitraire au sens de l'art. 9 Cst. (ATF 148 IV 39 consid. 2.3.5; 147 I 73 consid. 2.2; 144 II 246 consid. 6.7), doit satisfaire au principe d'allégation susmentionné (art. 106 al. 2 LTF; cf. supra consid. 2.1).
3.
3.1. Selon l'art. 190 al. 1 ch. 2 LP, le créancier peut requérir la faillite sans poursuite préalable si le débiteur sujet à la poursuite par voie de faillite a suspendu ses paiements.
La suspension des paiements est une notion juridique indéterminée qui accorde au juge un large pouvoir d'appréciation. Pour qu'il y ait suspension des paiements, il faut que le débiteur ne paie pas des dettes incontestées et exigibles, laisse les poursuites se multiplier contre lui, tout en faisant systématiquement opposition, ou omette de s'acquitter même des dettes minimes. Il n'est cependant pas nécessaire que le débiteur interrompe tous ses paiements; il suffit que le refus de payer porte sur une partie essentielle de ses activités commerciales. Même une dette unique n'empêche pas, si elle est importante et que le refus de payer est durable, de trahir une suspension des paiements; tel est notamment le cas lorsque le débiteur refuse de désintéresser son principal créancier. La suspension des paiements ne doit pas être de nature simplement temporaire, mais doit avoir un horizon indéterminé (ATF 137 III 460 consid. 3.4.1; arrêt 5A_82/2023 du 19 juillet 2023 consid. 2.3 et les références).
Selon l'art. 174 al. 2 LP, le débiteur doit rendre vraisemblable sa solvabilité. Cette condition à l'annulation de la faillite doit également être réalisée lorsque la faillite a été prononcée sans poursuite préalable sur la base de l'art. 190 al. 1 ch. 2 LP (arrêts 5A_122/2022 du 21 juin 2022 consid. 3.2.2; 5A_243/2019 du 17 mai 2019 consid. 3.2 i.f. et les références, publié in SJ 2019 I 376). La solvabilité, au sens de l'art. 174 al. 2 LP, se définit par opposition à l'insolvabilité au sens de l'art. 191 LP; elle consiste en la capacité du débiteur de disposer de liquidités suffisantes pour payer ses dettes échues et peut aussi être présente si cette capacité fait temporairement défaut, pour autant que des indices d'amélioration de la situation à court terme existent. Si le débiteur doit seulement rendre vraisemblable - et non prouver - sa solvabilité, il ne peut se contenter de simples allégations, mais doit fournir des indices concrets tels que récépissés de paiements, justificatifs des moyens financiers (avoirs en banque, crédit bancaire) à sa disposition, liste des débiteurs, extrait du registre des poursuites, comptes annuels récents, bilan intermédiaire, etc. L'extrait du registre des poursuites constitue un document indispensable pour évaluer la solvabilité du failli. La condition selon laquelle le débiteur doit rendre vraisemblable sa solvabilité ne doit pas être soumise à des exigences trop sévères; il suffit que la solvabilité apparaisse plus probable que l'insolvabilité (parmi plusieurs: arrêts 5A_131/2025 du 14 mars 2025 consid. 3.1.2; 5A_32/2025 du 19 février 2025 consid. 3.1.2 et les références; 5A_191/2024 du 14 août 2024 consid. 3.1 et les références).
3.2. Pas plus qu'en instance cantonale, la recourante ne prétend que les conditions de la faillite sans poursuite préalable n'auraient pas été réalisées au moment du prononcé, respectivement à l'échéance du délai de recours cantonal (cf. arrêts 5A_442/2015 du 11 septembre 2015 consid. 6.1, publié in RSPC 2016 p. 72; 5A_711/2012 du 17 décembre 2012 consid. 5.2; cf. ég. BRUNNER/BOLLER/FRITSCHI, in Basler Kommentar, SchKG II, 3e éd. 2021, n° 29a s. ad art. 190 LP). Le recours vise uniquement à obtenir l'annulation du jugement de faillite en application de l'art. 174 al. 2 LP au motif que la Cour de justice aurait dû constater qu'elle avait rendu vraisemblable sa solvabilité.
A cet égard, dite autorité a retenu que la recourante avait admis qu'elle n'avait pas été en mesure de désintéresser l'intimée, qui était sa principale créancière de droit public, dont elle ne contestait pas la créance de plus de 100'000 fr., et qu'elle s'était vu délivrer neuf actes de défauts de biens en 2023. L'extrait du registre des poursuites faisait état de l'ouverture de six poursuites, dont quatre avaient été requises par l'intimée, pour un montant total de 29'131 fr., une par la Confédération, pour un montant de 39'093 fr. 61, et une par Cautionnement romand, pour un montant de 296'553 fr. 96. La recourante prétendait que sa situation s'était améliorée, mais ne fournissait aucun indice concret permettant de retenir que ses difficultés de trésorerie ne seraient que passagères. Elle ne produisait aucun document confirmant ses allégations selon lesquelles divers investisseurs seraient intéressés à consentir des versements conséquents permettant de relancer son activité. Par ailleurs, elle n'avait déposé aucun extrait de compte bancaire et n'avait dit mot des liquidités dont elle disposerait. Elle n'avait pas non plus produit ses comptes. Dans ces conditions, la recourante n'avait pas rendu vraisemblable sa solvabilité et son recours s'avérait " en tout état " infondé.
3.3. La recourante expose qu'il ressortait de ses allégations et des pièces produites à l'appui de son recours cantonal que des arrangements avec des investisseurs étaient en cours de discussion et que des versements en sa faveur seraient effectués très prochainement, ce qui lui permettrait de régler ses dettes et de reprendre son activité à brève échéance. Par ailleurs, alors qu'elle l'avait allégué, la Cour de justice avait ignoré l'impact de la pandémie de Covid-19 sur sa situation. En effet, ses difficultés financières étaient apparues à cette période; la situation sanitaire s'étant aujourd'hui stabilisée, il existait un indice concret permettant de retenir que l'état de ses finances s'améliorerait dans les prochains temps. Enfin, la Cour de justice n'avait pas pris en considération le fait que, malgré les obstacles qu'elle avait rencontrés, elle avait continué à effectuer certains paiements, notamment le versement des salaires de ses employés. À cet égard, elle avait produit les fiches de salaire des employés de l'établissement "C.________" dont elle est l'exploitante. Dans ces conditions, les juges précédents auraient dû retenir qu'elle avait démontré, à tout le moins sous l'angle de la vraisemblance, que son activité était viable et que le manque de liquidités était en voie d'être résorbé.
3.4. Une telle motivation est impropre à remettre en cause le constat de la Cour de justice selon lequel l'intéressée n'a pas rendu vraisemblable la solvabilité qu'elle allègue, à savoir qu'elle disposerait de moyens liquides suffisants pour acquitter ses dettes exigibles. La recourante ne prétend pas avoir produit ses bilans et comptes de pertes et profits, ou des situations intermédiaires, ni des extraits de ses comptes bancaires susceptibles de démontrer qu'elle serait solvable ou, à tout le moins, qu'elle ne serait pas en état de suspension de paiement. Se contenter d'affirmer qu'elle avait continué à " effectuer certains p aiements", soit notamment le versement "des salaires" des employés du C.________, au demeurant sans autre preuve que la production de fiches de paie, est à l'évidence insuffisant. Il n'apparaît pas non plus qu'elle ait donné la moindre explication sur les poursuites intentées à son encontre, dont certaines portent sur des sommes conséquentes et qui révèlent un manque de liquidités, ainsi que le fait qu'elle ne semble pas en mesure de satisfaire tous ses créanciers, notamment de droit public. Quant aux prétendus " arrangements avec des investisseurs ", elle n'indique pas quelle pièce du dossier la Cour de justice aurait arbitrairement omis et il n'appartient pas au Tribunal fédéral d'aller fouiller dans le dossier pour vérifier la véracité de ses affirmations. Il s'agit donc là de simples espérances d'un éventuel renflouement, qui ne sont pas suffisamment concrètes ni chiffrées pour bénéficier d'un quelconque poids dans l'appréciation de la situation financière de la recourante. Cela étant, le contexte défavorable de la pandémie de Covid-19 que la Cour de justice aurait ignoré n'a aucune influence sur ce qui précède, ce d'autant que la recourante ne démontre nullement que les poursuites dont elle fait l'objet concerneraient exclusivement des dettes nées durant cette période. Dans ces conditions, force est d'admettre qu'aucune évolution favorable n'est constatable, faute de toute démonstration dans ce sens dûment étayée, et que, partant, une poursuite de l'exploitation ne ferait qu'augmenter les dettes. Il suit de là que le grief, infondé, doit être rejeté.
4.
En définitive, le recours est rejeté, aux frais de la recourante (art. 66 al. 1 LTF). Il n'y a pas lieu d'allouer des dépens à l'intimée, qui ne s'est pas opposée à l'octroi de l'effet suspensif et qui a procédé sans le concours d'un avocat.
Comme l'attribution de l'effet suspensif ne se rapporte qu'aux mesures d'exécution, il n'y a pas lieu de fixer à nouveau la date de l'ouverture de la faillite (parmi plusieurs: arrêt 5A_122/2022 du 21 juin 2022 consid. 4).
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :
1.
Le recours est rejeté.
2.
Les frais judiciaires, arrêtés à 5'000 fr., sont mis à la charge de la recourante.
3.
Le présent arrêt est communiqué aux parties, à la Chambre civile de la Cour de justice du canton de Genève, à l'Office du registre du commerce du canton de Genève, au Registre foncier du canton de Genève, à l'Office cantonal des poursuites de Genève et à l'Office des faillites du canton de Genève.
Lausanne, le 14 avril 2025
Au nom de la IIe Cour de droit civil
du Tribunal fédéral suisse
Le Président : Bovey
La Greffière : Mairot