Bundesgericht
Tribunal fédéral
Tribunale federale
Tribunal federal
1C_571/2024
Arrêt du 15 janvier 2025
Ire Cour de droit public
Composition
MM. les Juges fédéraux Haag, Président,
Kneubühler et Merz.
Greffier : M. Hausammann.
Participants à la procédure
A.________,
représenté par Me Christian Lüscher, avocat,
recourant,
contre
Département du territoire de la République et canton de Genève, Office des autorisations de construire, Service des affaires juridiques.
Objet
Ordre de déposer une demande d'autorisation de construire, recevabilité du recours cantonal,
recours contre l'arrêt de la Cour de justice de la République et canton de Genève, Chambre administrative, du 20 août 2024 (A/3222/2023-LDTR, ATA/952/2024).
Faits :
A.
A.________ est propriétaire d'un immeuble situé sur la parcelle n° xxx de la commune de U.________. Depuis le 1er décembre 2015, il loue un appartement de six pièces à B.D.________ et C.D.________ (ci-après : les époux D.________).
Le 18 mars 2021, ces derniers ont informé le département du territoire du canton de Genève (ci-après: le département), par le biais de son office des autorisations de construire (ci-après: OAC), que des travaux de rénovation avaient été effectués dans leur appartement avant leur emménagement. Ils ont produit diverses photographies et ont décrit les aménagements effectués.
Interpellé par le département, A.________ a fourni une liste des travaux d'entretien qu'il avait réalisés dans l'appartement en question.
B.
Par courrier du 22 septembre 2023, le département a considéré que les travaux entrepris étaient susceptibles d'être assujettis à la loi genevoise du 14 avril 1988 sur les constructions et les installations diverses (LCI; RS/GE L 5 05) et a ainsi ordonné à A.________ de requérir une autorisation de construire afin de pouvoir statuer à ce sujet.
Le recours introduit par A.________ contre cette injonction a été déclaré irrecevable le 27 février 2024 par le Tribunal administratif de première instance (ci-après: TAPI). Pour cette autorité, le courrier du département était une décision incidente qui ne causait aucun préjudice irréparable au sens de l'art. 57 let. c de la loi cantonale genevoise sur la procédure administrative (LPA; RS/GE E 5 10). En outre, rien n'indiquait que le dépôt d'une demande d'autorisation de construire nécessiterait des mesures probatoires considérables ou engendrerait des frais importants, de sorte qu'un recours immédiat n'était pas ouvert.
Par arrêt du 20 août 2024, la Chambre administrative de la Cour de justice de la République et canton de Genève (ci-après: la Cour de justice) a rejeté le recours déposé par A.________ contre le jugement du TAPI.
C.
Agissant par la voie du recours en matière de droit public, A.________ demande au Tribunal fédéral d'annuler l'arrêt du 20 août 2024 de la Cour de justice, le jugement du 27 février 2024 du TAPI et la décision du 22 septembre 2023 de l'OAC, ainsi que de "clore la procédure administrative" relative au dépôt d'une autorisation de construire.
La Cour de justice persiste dans les considérants et le dispositif de son arrêt. Le département a déposé le 28 octobre 2024 des observations, en concluant au rejet des griefs du recourant.
Le 21 novembre 2024, le recourant s'est encore déterminé, en persistant dans ses conclusions.
Considérant en droit :
1.
1.1. Le recours est dirigé contre une décision rendue en dernière instance cantonale dans le domaine du droit public de l'aménagement du territoire et des constructions. Il peut dès lors faire l'objet d'un recours en matière de droit public selon les art. 82 ss LTF.
1.2. La Cour de justice a confirmé la décision d'irrecevabilité rendue par le TAPI. La question de savoir si cet arrêt est une décision incidente (art. 93 LTF) ou une décision finale (art. 90 LTF), comme le prétend le recourant, peut demeurer indécise. En effet, lorsqu'un recours porte sur la question de la recevabilité d'un recours cantonal, le recours auprès du Tribunal fédéral est en principe recevable indépendamment de la nature de la décision de première instance et de l'exigence d'un préjudice irréparable au sens de l'art. 93 al. 1 let. a LTF (ATF 143 I 344 consid. 1.2 et 138 IV 258 consid. 1.1; arrêts 1C_447/2023 du 19 février 2024 consid. 1 et 1B_37/2014 du 10 juin 2014 consid. 1, in SJ 2015 I p. 73).
1.3. En outre, le recourant a qualité pour contester l'irrecevabilité du recours formé contre la décision du département (art. 84 al. 1 LTF). Il convient par conséquent d'entrer en matière.
1.4. Lorsque l'autorité cantonale refuse d'entrer en matière sur un recours, seule la question de la recevabilité du recours cantonal peut être portée devant le Tribunal fédéral qui n'a, à ce stade, pas à examiner le fond de la contestation (ATF 133 IV 119 consid. 6.3). La conclusion du recourant tendant à "clore la procédure administrative" est dès lors irrecevable.
2.
Le litige porte sur le point de savoir si les autorités cantonales étaient fondées à ne pas entrer en matière sur le recours formé contre l'ordre du département de déposer une demande d'autorisation de construire.
Le recourant se dit conscient de la jurisprudence du Tribunal fédéral concernant la recevabilité des recours dirigés contre un ordre de déposer une demande d'autorisation de construire. Il considère toutefois que sa situation différerait de celles qui ont donné lieu à cette jurisprudence, puisqu'en l'espèce le département avait procédé sans aucune constatation de fait, mais sur la base d'une dénonciation des locataires. Se plaignant d'arbitraire, le recourant soutient que l'ordre du département constituerait une décision finale. Subsidiairement, il prétend qu'il en découlerait un préjudice irréparable, dans la mesure où, en pratique, la procédure aboutirait systématiquement à la conclusion que les travaux nécessiteraient une autorisation. Selon lui, il y aurait une "inversion des règles procédurales", puisque la mauvaise foi du propriétaire et une éventuelle infraction seraient présumées par l'autorité.
2.1. À teneur de l'art. 57 let. c LPA, les décisions incidentes sont susceptibles de recours si elles peuvent causer un préjudice irréparable ou si l'admission du recours peut conduire immédiatement à une décision finale qui permet d'éviter une procédure probatoire longue et coûteuse.
La teneur de l'art. 57 let. c LPA est similaire à celle de l'art. 93 al. 1 let. a LTF. Dès lors, la cour cantonale pouvait interpréter cette disposition selon les principes dégagés par la jurisprudence du Tribunal fédéral au sujet de l'art. 93 LTF, ce que le recourant ne remet d'ailleurs pas en cause. Un préjudice ne peut être qualifié d'irréparable que s'il cause un inconvénient de nature juridique, qui ne puisse pas être ultérieurement réparé ou entièrement réparé par une décision finale favorable au recourant (ATF 134 III 188 consid. 2.1; 138 III 190 consid. 6); un dommage économique ou de pur fait n'est pas considéré comme un dommage irréparable (ATF 141 III 80 consid. 1.2; 138 III 333 consid. 1.3.1; 134 III 188 consid. 2.2).
2.2. Appelé à revoir l'application d'une norme cantonale sous l'angle de l'arbitraire, le Tribunal fédéral ne s'écarte de la solution retenue que si celle-ci apparaît insoutenable ou en contradiction manifeste avec la situation effective, ou encore si elle a été adoptée sans motifs objectifs ou en violation d'un droit certain. En outre, il ne suffit pas que les motifs de la décision critiquée soient insoutenables, encore faut-il que cette dernière soit aussi arbitraire dans son résultat. Si l'application de la norme défendue par l'autorité cantonale ne s'avère pas déraisonnable ou manifestement contraire au sens et au but de la disposition ou de la législation en cause, cette interprétation sera confirmée, même si une autre solution - éventuellement plus judicieuse - paraît possible (ATF 148 II 121 consid. 5.2 et les arrêts cités).
Les griefs de violation de dispositions cantonales sont soumis à des exigences de motivation accrue (art. 106 al. 2 LTF); il appartient dans ce contexte à la partie recourante de citer les dispositions du droit cantonal dont elle se prévaut et de démontrer en quoi celles-ci auraient été appliquées arbitrairement ou d'une autre manière contraire au droit (ATF 136 II 489 consid. 2.8 et 133 IV 286 consid. 1.4).
2.3. Selon la jurisprudence constante de la Cour de justice en lien avec l'application de l'art. 57 LPA, confirmée par le Tribunal fédéral, un ordre de dépôt d'une demande d'autorisation de construire revêt un caractère incident qui ne met pas fin à la procédure administrative. En exigeant du recourant le dépôt d'un dossier complet relatif aux travaux effectués sans autorisation préalable, le département ouvre une procédure administrative qui prendra fin par une décision de l'autorité compétente qui soit constatera, sur la base de ce dossier, que les travaux réalisés ou à exécuter ne sont pas assujettis à une autorisation, soit dira que ces travaux sont soumis à autorisation et accordera celle-ci ou, au contraire, la refusera (arrêts 1C_610/2023 du 15 janvier 2024 consid. 1.3; 1C_66/2023 du 23 février 2023 consid. 2.5; 1C_127/2020 du 9 mars 2020 consid. 2.2; 1C_386/2013 du 28 février 2014 consid. 1.2 et les références citées).
2.4. En l'occurrence, la situation du recourant ne se distingue guère des cas traités par la jurisprudence précitée.
Comme il le relève lui-même, le simple enregistrement du dossier auprès de l'OAC ne présume encore aucunement de l'issue de la procédure, l'examen définitif de la soumission ou non des travaux à la loi genevoise du 25 janvier 1996 sur les démolitions, transformations et rénovations de maisons d'habitation (mesures de soutien en faveur des locataires et de l'emploi [LDTR; RS/GE L 5 20]) ou à la LCI n'intervenant qu'à un stade ultérieur. La Cour de justice pouvait par conséquent correctement retenir que le fait d'ouvrir un dossier avec un numéro d'identification ne présumait pas encore de l'issue de la procédure. Par ailleurs, l'hypothèse qu'une trace de la procédure pourrait définitivement exister dans le registre de l'OAC suite au dépôt d'un dossier n'est pas un indice en faveur d'une décision finale.
Le fait que la procédure administrative ait été initiée par une dénonciation des locataires et non par un constat de l'autorité est également sans pertinence. Dans le canton de Genève, toute construction ou installation (art. 1 LCI) doit faire l'objet d'une autorisation par le département, déjà avant le début des travaux et non uniquement lorsque le dépôt d'un dossier est requis par l'autorité. Par ailleurs, contrairement à ce que prétend le recourant, le département n'a pas fondé sa décision sur les seules déclarations des locataires ou sur une "infraction présumée" du propriétaire, mais essentiellement sur les photographies versées au dossier, qui lui ont permis d'identifier la présence de travaux de rénovation susceptibles d'être assujettis à la LDTR ou à la LCI, et après avoir demandé au recourant une liste des travaux réalisés. Ces éléments étaient suffisants pour considérer qu'un assujettissement était envisageable, sans que l'OAC ne doive nécessairement se rendre sur place.
C'est ainsi sans arbitraire et conformément à la jurisprudence constante que la Cour de justice a qualifié le prononcé litigieux de décision incidente au sens de l'art. 57 LPA.
2.5. Les griefs subsidiaires du recourant, relatifs à l'existence d'un préjudice irréparable et à la possibilité d'éviter une procédure longue et coûteuse, doivent également être rejetés.
On ne voit premièrement pas quel préjudice irréparable le recourant subirait. Il conservera en effet la possibilité de contester un éventuel assujettissement à la LDTR ou à la LCI s'il estime que l'OAC a fait une interprétation trop large des notions ressortant de ces textes normatifs (en particulier les travaux de transformation mentionnés à l'art. 3 LDTR). Quant aux coûts inhérents au dépôt et au traitement de la demande de permis de construire, ils ne constituent pas un préjudice juridique (ATF 147 III 159 consid. 4.1; arrêts 1C_610/2023 précité consid. 1.4; 1C_461/2021 du 20 août 2021 consid. 2.2 et 1C_278/2017 du 10 octobre 2017 consid. 2.3.2). Le recourant ne s'emploie de toute manière pas à en apporter la démonstration.
La Cour de justice a également retenu sans arbitraire que la seconde hypothèse de l'art. 57 let. c LPA n'était pas remplie. En dépit de l'argumentation du recourant, aucun élément ne permet en effet de retenir que la procédure de permis de construire en vue de la régularisation éventuelle des travaux litigieux nécessitera des mesures probatoires exigeant un temps considérable ou des frais importants. Selon le recourant, l'instruction des faits serait rendue plus difficile par l'écoulement du temps, les travaux ayant été réalisés en 2015. Ce seul élément ne suffit cependant pas à considérer que la procédure probatoire s'écartera notablement, par sa durée et son coût, des procédures habituelles menées par l'OAC. En particulier, le recourant ne démontre pas que l'administration des preuves nécessiterait, par exemple, une expertise complexe et l'audition de très nombreux témoins (cf. arrêts 5A_322/2022 du 5 octobre 2023 consid. 1.2.1 avec les références).
2.6. Au vu de ce qui précède, l'appréciation de la Cour de justice, confirmant que la décision incidente du 22 septembre 2023 ne remplit pas les hypothèses de l'art. 57 let. c LPA, n'est par conséquent pas empreinte d'arbitraire.
Il n'existe par ailleurs aucune raison de modifier la jurisprudence constante sur ce point, comme le souhaiterait le recourant. Un changement de jurisprudence ne se justifie en effet que lorsque la nouvelle solution procède d'une meilleure compréhension de la
ratio legis de la norme à appliquer, repose sur des circonstances de fait modifiées ou répond à l'évolution des conceptions juridiques; sinon, la pratique en cours doit être maintenue. Un revirement de jurisprudence doit par conséquent reposer sur des motifs sérieux et objectifs qui, dans l'intérêt de la sécurité du droit, doivent être d'autant plus importants que la pratique considérée comme erronée, ou désormais inadaptée aux circonstances, est ancienne (ATF 145 III 303 consid. 4.1.2 et 145 I 227 consid. 4). De telles circonstances ne sont manifestement pas réalisées en l'espèce.
3.
Dans ces conditions, le recours est rejeté dans la mesure de sa recevabilité, aux frais du recourant qui succombe (art. 66 al. 1 LTF). Il n'est pas alloué de dépens (cf. art. 68 al. 3 LTF).
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :
1.
Le recours est rejeté, dans la mesure de sa recevabilité
2.
Les frais judiciaires, arrêtés à 3'000 fr., sont mis à la charge du recourant.
3.
Le présent arrêt est communiqué au mandataire du recourant, au Département du territoire de la République et canton de Genève et à la Cour de justice de la République et canton de Genève, Chambre administrative.
Lausanne, le 15 janvier 2025
Au nom de la I re Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse
Le Président : Haag
Le Greffier : Hausammann