Bundesgericht
Tribunal fédéral
Tribunale federale
Tribunal federal
1C_559/2023
Arrêt du 17 septembre 2024
Ire Cour de droit public
Composition
MM. les Juges fédéraux Kneubühler, Président,
Chaix et Merz,
Greffière : Mme Tornay Schaller.
Participants à la procédure
A.________,
représentée par Me Minh Son Nguyen, avocat,
recourante,
contre
Secrétariat d'État aux migrations,
Quellenweg 6, 3003 Berne.
Objet
Rejet de la demande de naturalisation facilitée,
recours contre l'arrêt du Tribunal administratif fédéral, Cour VI, du 5 septembre 2023
(F-5233/2022).
Faits :
A.
A.________, ressortissante vietnamienne née en 1994, s'est mariée au Vietnam, le 28 décembre 2012, avec B.________ ressortissant suisse, né en 1969. A la suite de cette union, elle s'est vu octroyer une autorisation de séjour pour regroupement familial et est entrée en Suisse en août 2013.
Le 5 novembre 2018, A.________ a introduit une demande de naturalisation facilitée auprès du Secrétariat d'État aux migrations (SEM). Le 20 janvier 2020, le SEM a demandé un rapport d'enquête sur la base de l'article 18 de l'ordonnance du 17 juin 2016 sur la nationalité suisse (OLN; RS 141.01) en relation avec l'article 17 OLN.
Le 23 janvier 2020, C.________, fille de l'intéressée, est née. Le père biologique de C.________ est D.________.
Le 3 mars 2020, les époux ont certifié vivre à la même adresse, non séparés, sous la forme d'une communauté conjugale effective et stable, et n'avoir aucune intention de se séparer ou de divorcer.
La police municipale de Monthey a auditionné l'intéressée les 3 mars et 26 mai 2020 et son époux le 3 mars 2020.
B.
Par ordonnance pénale du 10 juin 2020, rendue par le Ministère public du canton du Valais, l'intéressée a été reconnue coupable de délit contre la loi fédérale sur les étrangers et l'intégration pour incitation à l'entrée, à la sortie ou au séjour illégaux (art. 116 al. 1 let. a de la loi fédérale du 16 décembre 2005 sur les étrangers et l'intégration [LEI, RS 142.20]), pour avoir hébergé D.________, condamné en juin 2020 pour séjour illégal.
Le 5 octobre 2020, une ordonnance de classement a été rendue par le Ministère public du canton du Valais en faveur de D.________.
Le 13 novembre 2020, l'époux de l'intéressée est décédé.
C.
Dès février 2021, le SEM a demandé à plusieurs reprises à l'intéressée une copie de l'ordonnance pénale du 10 juin 2020. Par courrier du 28 octobre 2021, Me Minh Son Nguyen a transmis au SEM une procuration justifiant de ses pouvoirs en tant qu'avocat de l'intéressée, et a demandé l'envoi d'une copie du dossier. Le 12 novembre 2021, le SEM a accordé le droit de consulter les pièces du dossier de naturalisation de l'intéressée. Après avoir obtenu une prolongation de délai, le mandataire a envoyé un courrier daté du 15 décembre 2021 pour expliquer la situation de l'intéressée, en particulier les raisons pour lesquelles sa condamnation pénale ne devait pas être retenue, ainsi qu'une copie de l'ordonnance pénale du 10 juin 2020. Ce courrier a été complété le 7 janvier 2022.
Par courrier du 19 janvier 2022, le SEM a demandé au mandataire d'adresser une copie de la demande de révision de la condamnation de l'intéressée. S'en sont suivis plusieurs échanges de courriers entre le mandataire et le SEM, celui-ci indiquant la possibilité de retirer la demande de naturalisation en raison de la condamnation pénale et le mandataire faisant valoir de nouveau les raisons pour lesquelles la condamnation pénale de l'intéressée ne devrait pas être prise en compte.
Par décision du 17 octobre 2022, le SEM a rejeté la demande de naturalisation facilitée de l'intéressée, au motif que la condition relative au respect de la sécurité et de l'ordre publics n'était pas remplie.
D.
Par arrêt du 5 septembre 2023, le Tribunal administratif fédéral (TAF) a rejeté le recours déposé par la prénommée contre cette décision. Il a considéré en substance qu'il existait des doutes quant à l'effectivité de la communauté conjugale avant le décès de B.________.
E.
Agissant par la voie du recours en matière de droit public, A.________ demande principalement au Tribunal fédéral d'annuler l'arrêt du 5 septembre 2023 et de renvoyer la cause au TAF pour nouvelle instruction et nouveau jugement. Elle conclut subsidiairement à la réforme de l'arrêt du 5 septembre 2023 en ce sens que la naturalisation facilitée lui est accordée.
Invités à se déterminer, le Tribunal administratif fédéral et le SEM concluent au rejet du recours. La recourante a renoncé à répliquer.
Considérant en droit :
1.
Dirigé contre la décision du Tribunal administratif fédéral qui confirme le refus d'accorder la naturalisation facilitée à la recourante, le recours est recevable comme recours en matière de droit public (art. 82 let. a et 86 al. 1 let. a LTF). Le motif d'exclusion de l'art. 83 let. b LTF n'entre pas en ligne de compte, dès lors qu'il s'agit en l'espèce de la naturalisation facilitée et non pas de la naturalisation ordinaire. Pour le surplus, la recourante a la qualité pour recourir au sens de l'art. 89 al. 1 LTF et les conditions formelles de recevabilité sont remplies, de sorte qu'il y a lieu d'entrer en matière.
2.
Dans un grief d'ordre formel qu'il convient d'examiner en premier lieu, la recourante se plaint d'une violation de son droit d'être entendue (art. 29 al. 2 Cst.). Elle reproche au Tribunal administratif fédéral d'avoir statué par substitution de motifs, en se référant à l'absence de communauté conjugale effective, sans lui avoir donné l'occasion de se prononcer sur ce point avant de rendre l'arrêt querellé.
2.1. Il découle notamment du droit d'être entendu garanti par l'art. 29 al. 2 Cst. que, à titre exceptionnel, les parties doivent être interpellées sur des questions juridiques lorsque l'autorité concernée entend se fonder sur une norme ou une considération juridique qui n'a pas été évoquée au cours de la procédure et dont la prise en compte ne pouvait pas être raisonnablement prévue par les parties (ATF 145 I 167 consid. 4.1 et les références citées).
2.2. En l'occurrence, le SEM a rejeté la demande de naturalisation facilitée de l'intéressée, en se fondant sur le fait que la condition relative au respect de la sécurité et de l'ordre publics n'était pas remplie. Il a ainsi appliqué les art. 20 al. 1 et 12 al. 1 let. a LN.
Le Tribunal administratif fédéral a quant à lui procédé par substitution de motifs. Il a considéré en substance qu'il existait des doutes quant à l'effectivité de la communauté conjugale avant le décès du mari de la recourante. Il a ainsi appliqué l'art. 21 al. 1 LN et la notion d'union conjugale.
L'argumentation juridique du TAF repose donc non seulement sur un article différent de la loi mais aussi sur des faits qui ne ressortent pas tous de la décision du SEM. La recourante n'a ainsi pas eu l'occasion de se déterminer sur les faits qui ont permis à l'instance précédente de retenir une absence de communauté conjugale avant le décès de son mari. L'instance précédente ne peut se contenter de ce que la recourante avait été auditionnée par la police sur la question de l'effectivité de sa communauté conjugale dans le cadre d'un rapport d'enquête demandé par le SEM lorsque, comme en l'espèce, la question de la stabilité de l'union conjugale n'a été mentionnée ni dans la décision du SEM, ni dans le recours déposé auprès du TAF, ni dans les déterminations du SEM transmises par le TAF à la recourante.
Dans ces circonstances, la motivation de l'arrêt attaqué a pris la recourante au dépourvu. Le Tribunal administratif fédéral aurait dû lui offrir la possibilité de se prononcer sur la nouvelle argumentation juridique sur laquelle il entendait fonder son arrêt. Le grief tiré de la violation du droit d'être entendu est ainsi bien fondé.
2.3. Le droit d'être entendu est une garantie de nature formelle, dont la violation entraîne en principe l'annulation de la décision attaquée, indépendamment des chances de succès du recours sur le fond (ATF 144 IV 302 consid. 3.1 et les références). Sa violation peut cependant être réparée lorsque la partie lésée a la possibilité de s'exprimer devant une autorité de recours jouissant d'un pouvoir d'examen complet en fait et en droit (ATF 145 I 167 consid. 4.4 et les références). Lorsque la violation du droit d'être entendu porte sur une question juridique, le Tribunal fédéral peut la réparer s'il dispose du même pouvoir d'examen que l'instance précédente (arrêts 1C_69/2022 du 8 mars 2022 consid. 2.3; 9C_345/2021 du 11 août 2021 consid. 3.3 et la référence).
En l'espèce, une réparation de la violation du droit d'être entendu de la recourante dans le cadre de la procédure devant le Tribunal de céans n'entre pas en considération car les questions débattues devant le TAF ne se limitent pas à une question juridique. Le Tribunal fédéral ne dispose dès lors pas du même pouvoir d'examen que l'autorité précédente (art. 97 al. 1 LTF).
La violation du droit d'être entendu constatée entraîne l'annulation de l'arrêt attaqué, compte tenu de la nature formelle de cette garantie procédurale, sans qu'il soit nécessaire d'examiner les autres griefs soulevés dans le recours et, partant, les chances de succès de celui-ci sur le fond. La cause doit être renvoyée à l'autorité précédente pour qu'elle offre à la recourante la possibilité de se déterminer sur la question de la stabilité de la communauté conjugale avant le décès de son mari et prenne en compte les éventuelles explications fournies dans ce cadre par l'intéressée avant de rendre une nouvelle décision.
3.
Il s'ensuit que le recours est admis, l'arrêt du 5 septembre 2023 du Tribunal administratif fédéral est annulé et la cause est renvoyée à celui-ci pour qu'il statue à nouveau en respectant le droit de la recourante d'être entendue.
Il n'est pas perçu de frais judiciaires ( art. 66 al. 1 et 4 LTF ). La recourante, qui obtient gain de cause avec l'aide d'un mandataire professionnel, a droit à des dépens à la charge de la Confédération (Secrétariat d'État aux migrations) (cf. art. 68 al. 1 et 2 LTF ).
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :
1.
Le recours est admis et l'arrêt du 5 septembre 2023 est annulé. La cause est renvoyée au Tribunal administratif fédéral pour nouvelle décision dans le sens des considérants.
2.
Il n'est pas perçu de frais judiciaires.
3.
Une indemnité de 1'500 fr. est allouée à la recourante à titre de dépens pour la procédure devant le Tribunal fédéral, à la charge de la Confédération (Secrétariat d'État aux migrations).
4.
Le présent arrêt est communiqué au mandataire de la recourante, au Secrétariat d'État aux migrations et au Tribunal administratif fédéral (Cour VI).
Lausanne, le 17 septembre 2024
Au nom de la Ire Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse
Le Président : Kneubühler
La Greffière : Tornay Schaller