Bundesgericht
Tribunal fédéral
Tribunale federale
Tribunal federal
4A_649/2023
Arrêt du 17 septembre 2024
Ire Cour de droit civil
Composition
Mmes et M. les Juges fédéraux
Jametti, Présidente, Kiss et Rüedi.
Greffière : Mme Raetz.
Participants à la procédure
A.________,
représenté par Me Laurent Fischer, avocat,
recourant,
contre
B.________,
en sa qualité de liquidatrice judiciaire de
C.________,
représentée par Me Ronald Asmar et Me Romain Jordan, avocats,
intimée.
Objet
mainlevée définitive; requête introduite par la liquidatrice judiciaire étrangère,
recours contre l'arrêt rendu le 24 juillet 2023 par la Cour des poursuites et faillites du Tribunal cantonal du canton de Vaud (KC22.021043-221601 135).
Faits :
A.
A.a. Par jugement du 23 avril 2007, le Tribunal de commerce de K.________, en France, a converti la procédure de redressement judiciaire de C.________, ordonnée par jugement du 3 juillet 2006, en liquidation judiciaire. Il a en outre nommé D.________ en qualité de liquidatrice judiciaire, avant de transférer cette mission à B.________ (ci-après: B.________) le 7 janvier 2008.
A.b. Par jugement du 23 mai 2011, le Tribunal de commerce de K.________ a condamné solidairement entre eux E.________ et A.________ à payer à B.________, en qualité de liquidatrice judiciaire de C.________, les sommes de 928'000 euros et 2'000 euros.
A.c. Le 31 juillet 2021, à la réquisition de B.________, agissant en tant que liquidatrice judiciaire de C.________ (ci-après: la poursuivante), l'Office des poursuites et faillites du district de la Riviera-Pays-d'Enhaut a notifié à A.________ un commandement de payer le montant de 1'017'346 fr. avec intérêts, mentionnant le jugement français du 23 mai 2011 précité. Le poursuivi y a formé opposition totale.
B.
B.a. Le 21 mai 2022, la poursuivante a requis du Juge de paix du district de la Riviera-Pays-d'Enhaut qu'il reconnaisse et déclare exécutoire en Suisse le jugement français du 23 mai 2011 et qu'il prononce la mainlevée définitive de l'opposition à concurrence du montant susmentionné, avec intérêts.
Par prononcé non motivé du 1er novembre 2022, rectifié le 8 novembre 2022, le Juge de paix a accordé la mainlevée définitive de l'opposition à concurrence du montant de 1'017'346 fr. avec intérêts. Les motifs ont été adressés aux parties le 30 novembre 2022.
B.b. Par arrêt du 24 juillet 2023, la Cour des poursuites et faillites du Tribunal cantonal du canton de Vaud a rejeté le recours exercé par A.________.
B.c. Dans l'intervalle, le 4 juin 2021, à la réquisition de la poursuivante, l'Office des poursuites et faillites du district de Conthey a notifié à E.________ un commandement de payer le montant de 1'017'346 fr. avec intérêts, en faisant référence au jugement français du 23 mai 2011. Le poursuivi y a formé opposition totale. Par décision du 22 novembre 2022, la juge suppléante du Tribunal des districts d'Hérens et Conthey a rejeté la requête déposée par la poursuivante, tendant à ce que soit prononcée l'
exequatur du jugement précité et la mainlevée définitive de l'opposition. Par arrêt du 9 octobre 2023, le Tribunal cantonal valaisan a rejeté le recours intenté par la poursuivante à l'encontre de cette décision. En bref, il a considéré que la LDIP était applicable et que l'intéressée n'avait pas la faculté de conduire le procès. Cet arrêt a fait l'objet d'un recours au Tribunal fédéral (cause 4A_641/2023).
C.
A.________ (ci-après: le recourant) a exercé un recours en matière civile auprès du Tribunal fédéral à l'encontre de l'arrêt du 24 juillet 2023 du Tribunal cantonal vaudois. Il a conclu à sa réforme en ce sens que la réquisition d'
exequatur et de mainlevée formée par la poursuivante soit rejetée. Subsidiairement, il a conclu à son annulation et au renvoi de la cause à la cour cantonale pour nouvelle décision dans le sens des considérants.
Par ordonnance présidentielle du 8 décembre 2023, la requête d'effet suspensif a été admise.
Dans l'intervalle, par courriers des 25 octobre 2023 et 15 janvier 2024, le recourant a produit l'arrêt rendu le 9 octobre 2023 par le Tribunal cantonal valaisan, en indiquant qu'un recours était pendant. Il invitait le Tribunal fédéral à examiner si ces causes devaient être jointes.
Ces courriers et l'arrêt cantonal valaisan ont été transmis le 6 mars 2024 à la poursuivante (ci-après: l'intimée) et à la cour cantonale vaudoise.
Dans sa réponse, l'intimée a conclu au rejet du recours.
La cour cantonale vaudoise s'est référée aux considérants de son arrêt.
Le recourant a déclaré renoncer à déposer des déterminations.
L'arrêt du Tribunal cantonal valaisan a donné lieu à l'arrêt 4A_641/2023 rendu ce jour.
Considérant en droit :
1.
Les conditions de recevabilité du recours en matière civile sont réalisées sur le principe, notamment celles afférentes à la valeur litigieuse minimale de 30'000 fr. (art. 74 al. 1 let. b LTF) et au délai de recours (art. 46 al. 1 let. b et 100 al. 1 LTF).
2.
Dans la désignation des parties de l'arrêt cantonal, l'intimée est "B.________"; il n'est pas précisé qu'elle agit en tant que liquidatrice judiciaire de C.________. Or, c'est bien en cette qualité qu'elle a requis la notification d'un commandement de payer au poursuivi, comme il ressort des faits constatés par la cour cantonale, puis a déposé la requête de mainlevée (cf. requête du 21 mai 2022). Au demeurant, devant la cour cantonale, tant le recours que la réponse la désignaient en cette qualité; il en va de même auprès du Tribunal fédéral. Dès lors, il convient de désigner correctement la partie intimée, à savoir B.________, en sa qualité de liquidatrice judiciaire de C.________.
3.
Le recourant évoque la jonction de la présente procédure avec la cause 4A_641/2023. Certes, les recours interjetés au Tribunal fédéral présentent un lien très étroit. Ils concernent des poursuites exercées en Suisse par une liquidatrice judiciaire étrangère contre deux débiteurs d'un montant qu'ils ont été condamnés solidairement à payer par le même jugement français rendu le 23 mai 2011, produit en tant que titre de mainlevée, et dont l'exécution est ainsi demandée. Toutefois, vu qu'il s'agit de deux débiteurs poursuivis différents, ils n'opposent pas les mêmes parties. Pour ce motif, il n'y a pas lieu de joindre les causes, de sorte que la requête en ce sens, en tant qu'elle puisse être considérée comme telle, est rejetée.
Cependant, au vu des circonstances précitées, une solution uniforme doit s'imposer, tant s'agissant du droit applicable que de la faculté de la liquidatrice judiciaire étrangère de conduire le procès.
4.
4.1. Sous réserve de la violation des droits constitutionnels (art. 106 al. 2 LTF), le Tribunal fédéral applique le droit d'office (art. 106 al. 1 LTF). Il n'est toutefois lié ni par les motifs invoqués par les parties, ni par l'argumentation juridique retenue par l'autorité cantonale; il peut donc admettre le recours pour d'autres motifs que ceux invoqués par le recourant, comme il peut le rejeter en opérant une substitution de motifs (ATF 135 III 397 consid. 1.4 et l'arrêt cité).
4.2. Aucun fait nouveau ni preuve nouvelle ne peut être présenté à moins de résulter de la décision de l'autorité précédente (art. 99 al. 1 LTF). Le recourant a produit une liasse de 35 pièces. Il n'y a pas lieu d'examiner leur recevabilité puisque, quoi qu'il en soit, elles n'influent pas sur l'issue du litige (cf. consid. 5.4
infra).
5.
5.1. Outre ce qui est susmentionné s'agissant de la solution uniforme à apporter, et même si les parties n'abordent pas ce point, le Tribunal fédéral doit traiter de la question de savoir si l'intimée, liquidatrice judiciaire étrangère, était à même d'intenter un procès pour le compte de C.________, en liquidation judiciaire (cf. arrêt 4A_34/2021 du 18 mars 2022 consid. 2). En effet, la faculté de faire valoir en justice en son propre nom le droit d'un tiers est une condition de recevabilité de la demande (ATF 145 III 101 consid. 4.1.3; 144 III 552 consid. 4.1.2; 94 I 312 consid. 1b; arrêt 5C.194/2001 du 25 février 2002 consid. 2b; FABIENNE HOHL, Procédure civile, T. I, 2e éd. 2016, n. 824). Celle-ci devait être examinée d'office (art. 60 CPC).
5.2. Dans l'arrêt attaqué, la cour cantonale vaudoise a retenu que la Convention de Lugano concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale (CL; RS 0.275.12) était applicable, puisque le jugement étranger litigieux du 23 mai 2011 avait été rendu par une autorité judiciaire française dans le cadre d'un litige de nature civile ou commerciale (art. 1). Cela n'était pas contesté par les parties. Elle a manifestement prêté à la liquidatrice judiciaire étrangère la faculté de conduire le procès.
5.3. En ce qui concerne une faillite étrangère (ou liquidation judiciaire du droit français; cf. arrêts 5A_875/2022 du 14 juin 2023 consid. 2.3.2; 5A_87/2020 du 7 juillet 2020 consid. 2.1), la Suisse applique le principe de la territorialité (ATF 147 III 365 consid. 3.2.1). La question de savoir si l'administrateur de la faillite (ou le liquidateur judiciaire) étranger peut agir sur des biens situés en Suisse ne s'examine pas selon la CL (art. 1 al. 2 let. b CL, qui exclut les faillites, concordats et autres procédures analogues de son champ d'application), mais selon les art. 166 ss LDIP (ATF 139 III 236 consid. 4.2; 137 III 570 consid. 2; arrêts 4A_34/2021 du 18 mars 2022 consid. 2.1; 4A_496/2019 du 1er février 2021 consid. 2.1.1; 5A_520/2016 du 9 janvier 2017 consid. 2.1 et 2.2). En particulier, il est nécessaire que le jugement de faillite (ou de liquidation judiciaire) étranger ait été préalablement reconnu en Suisse, selon les conditions prévues à l'art. 166 LDIP; en d'autres termes, la validité de ce prononcé conditionne les pouvoirs dévolus à l'administration de la faillite (ou au liquidateur judiciaire), de sorte que celle-ci (celui-ci) doit faire reconnaître ce prononcé étranger (ATF 147 III 365 consid. 3.2.1 s.; 139 III 236 consid. 4.2; 137 III 631 consid. 2.3.3; 137 III 570 consid. 2; 135 III 40 consid. 2.4; arrêts précités 5A_875/2022 consid. 2.3.3; 4A_34/2021 consid. 2.2; 4A_496/2019 consid. 2.1.1; 5A_520/2016 consid. 2.1).
5.4. Il ressort de ce qui précède que du fait du statut de la requérante, liquidatrice judiciaire étrangère, la CL doit être d'emblée écartée, au profit de la LDIP (art. 1 al. 2 LDIP). L'analyse de la cour cantonale ne saurait ainsi être suivie.
Par ailleurs, dans la présente procédure (tout comme celle ayant donné lieu à la cause 4A_641/2023), la requérante n'a ni allégué, ni établi que la décision de liquidation judiciaire de C.________ prononcée en France le 23 avril 2007 avait été reconnue en Suisse. Or, cela est une condition nécessaire - entre autres - pour qu'elle puisse disposer de la capacité de procéder en Suisse pour le compte de C.________, en liquidation judiciaire. Ainsi, pour ce motif déjà, il y a lieu de retenir qu'elle n'avait manifestement pas cette capacité, de sorte qu'une des conditions de recevabilité de la requête faisait défaut. Sa requête devait dès lors être déclarée irrecevable. L'arrêt attaqué sera réformé en ce sens.
On peut préciser que l'arrêt cantonal valaisan soulevait l'absence de reconnaissance en Suisse de la décision de liquidation judiciaire de C.________, et constatait notamment sur cette base que l'intéressée n'avait pas la capacité de procéder. Dans le cadre de la présente procédure, cet arrêt a été transmis aux parties, sans qu'elles jugent nécessaire de se prononcer sur cette problématique.
6.
Au vu de ce qui précède, il n'y a pas à traiter les griefs invoqués par le recourant.
7.
En définitive, l'arrêt attaqué sera réformé en ce sens que la requête déposée le 21 mai 2022 par B.________, en sa qualité de liquidatrice judiciaire de C.________, est irrecevable; par ailleurs, la partie intimée est B.________, en sa qualité de liquidatrice judiciaire de C.________.
On doit considérer que le recourant obtient gain de cause. Les sûretés qu'il a déposées à la Caisse du Tribunal fédéral seront dès lors libérées. L'intimée supportera les frais judiciaires (art. 66 al. 1 LTF) et versera au recourant une indemnité pour ses frais d'avocat ( art. 68 al. 1 et 2 LTF ).
La cause est renvoyée à la cour cantonale pour nouvelle décision sur les frais judiciaires et les dépens de la procédure cantonale.
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :
1.
La requête de jonction de causes est rejetée.
2.
Le recours est admis. L'arrêt attaqué est réformé en ce sens que la requête déposée le 21 mai 2022 devant le Juge de paix du district de la Riviera-Pays-d'Enhaut par B.________, en sa qualité de liquidatrice judiciaire de C.________, est irrecevable; par ailleurs, la partie intimée est B.________, en sa qualité de liquidatrice judiciaire de C.________.
3.
Les frais judiciaires de la procédure fédérale, arrêtés à 12'000 fr., sont mis à la charge de l'intimée.
4.
L'intimée versera au recourant une indemnité de 14'000 fr. à titre de dépens.
5.
La Caisse du Tribunal fédéral restituera au recourant le montant de 14'000 fr. qu'il a versé pour garantir les dépens de l'intimée.
6.
La cause est renvoyée à la cour cantonale pour nouvelle décision sur les frais judiciaires et les dépens de la procédure cantonale.
7.
Le présent arrêt est communiqué aux parties et à la Cour des poursuites et faillites du Tribunal cantonal du canton de Vaud.
Lausanne, le 17 septembre 2024
Au nom de la Ire Cour de droit civil
du Tribunal fédéral suisse
La Présidente : Jametti
La Greffière : Raetz