Bundesgericht
Tribunal fédéral
Tribunale federale
Tribunal federal
4A_593/2023
Arrêt du 20 août 2024
I
Composition
Mmes et M. les Juges fédéraux
Jametti, Présidente, Kiss et Rüedi.
Greffier : M. Douzals.
Participants à la procédure
A.________,
représenté par Me Giuseppe Donatiello, avocat,
recourant,
contre
B.________ SA,
représentée par Me Emma Lombardini Ryan, avocate,
intimée.
Objet
contrat de travail; interprétation d'une clause contractuelle,
recours en matière civile contre l'arrêt rendu le 22 septembre 2023 par la Chambre des prud'hommes de la Cour de justice du canton de Genève
(C/21284/2019-4; CAPH/100/2023).
Faits :
A.
A.a. Par contrat de travail du 24 avril 2017, B.________ SA (ci-après: l'employeuse, la défenderesse ou l'intimée) a engagé A.________ (ci-après: le travailleur, le demandeur ou le recourant) en qualité de gestionnaire de fortune à compter du 1er mai 2017 et pour une durée indéterminée. Le salaire brut annuel de base initial s'élevait à 100'000 fr. pour un temps plein.
L'art. 5 al. 2 dudit contrat prévoit, en substance, que le salaire de base du travailleur sera adapté en janvier et en juillet de chaque année selon un tableau prévoyant différents paliers. Il précise que le calcul du salaire de base sera basé sur la moyenne mensuelle des avoirs totaux sous gestion en dépôt ("
deposited ") sur les comptes le semestre précédent.
A.b. Par courrier du 10 décembre 2018, le travailleur a notamment requis de l'employeuse qu'elle lui versât, conformément à l'art. 5 du contrat de travail, un salaire de base à hauteur de 250'000 fr. annuels avec effet rétroactif depuis janvier 2018, dès lors qu'à compter du mois de décembre 2017, il gérait des avoirs totaux de plus de 200'000'000 fr.
L'employeuse a contesté la teneur dudit courrier.
A.c. Par courrier du 28 janvier 2019, l'employeuse a résilié le contrat la liant au travailleur avec effet au 31 mars 2019.
B.
B.a. Après que la tentative de conciliation a échoué, le travailleur a déposé sa demande auprès du Tribunal des prud'hommes du canton de Genève le 11 février 2020. En substance, il a conclu à ce que l'employeuse défenderesse fût condamnée à lui verser divers montants totalisant 211'310 fr., intérêts en sus, et à lui remettre un certificat de travail.
Par jugement du 30 juin 2021, le Tribunal des prud'hommes a, en substance, condamné l'employeuse à verser au travailleur la somme brute de 800 fr., avec intérêts à 5 % l'an dès le 1er février 2020, au titre d'indemnité de transport, ainsi que la somme nette de 20'000 fr., intérêts en sus, au titre d'indemnité pour congé abusif. Il a également condamné l'employeuse à remettre au travailleur un certificat de travail.
B.b. Statuant par arrêt du 22 septembre 2023 sur appel du travailleur et sur appel joint de l'employeuse, la Chambre des prud'hommes de la Cour de justice du canton de Genève a, en substance, confirmé le jugement de première instance s'agissant de l'indemnité de transport, considéré que le congé n'était pas abusif et condamné l'employeuse à fournir au travailleur un certificat de travail.
C.
Contre cet arrêt, qui lui avait été notifié le 6 novembre 2023, le travailleur a formé un recours en matière civile auprès du Tribunal fédéral le 6 décembre 2023. En substance, il conclut à ce que l'arrêt entrepris soit partiellement annulé et réformé, en ce sens que l'employeuse soit condamnée à lui verser 159'642 fr. 35, intérêts en sus, et à lui remettre un certificat de travail. Subsidiairement, il requiert le renvoi de la cause à la cour cantonale pour nouvelle décision dans le sens des considérants.
L'employeuse intimée conclut au rejet du recours.
Les parties ont chacune déposé des observations complémentaires.
La cour cantonale se réfère aux considérants de son arrêt.
Considérant en droit :
1.
Interjeté dans le délai fixé par la loi (art. 100 al. 1 LTF) par le demandeur, qui a partiellement succombé dans ses conclusions (art. 76 al. 1 LTF), et dirigé contre une décision finale (art. 90 LTF) rendue sur appel par le tribunal supérieur du canton de Genève (art. 75 LTF) dans une affaire civile de droit du travail (art. 72 al. 1 LTF) dont la valeur litigieuse dépasse 15'000 fr. (art. 74 al. 1 let. a LTF), le recours en matière civile est en principe recevable.
2.
2.1. Le Tribunal fédéral statue sur la base des faits établis par l'autorité précédente (art. 105 al. 1 LTF). Il ne peut s'en écarter que si ces faits ont été établis de façon manifestement inexacte - ce qui correspond à la notion d'arbitraire au sens de l'art. 9 Cst. (ATF 140 III 115 consid. 2; 137 I 58 consid. 4.1.2; 137 II 353 consid. 5.1) - ou en violation du droit au sens de l'art. 95 LTF (art. 105 al. 2 LTF), et si la correction du vice est susceptible d'influer sur le sort de la cause (art. 97 al. 1 LTF).
Concernant l'appréciation des preuves, le Tribunal fédéral n'intervient, du chef de l'art. 9 Cst., que si le juge du fait n'a manifestement pas compris le sens et la portée d'un moyen de preuve, a omis sans raisons objectives de tenir compte des preuves pertinentes ou a effectué, sur la base des éléments recueillis, des déductions insoutenables (ATF 137 III 226 consid. 4.2; 136 III 552 consid. 4.2; 134 V 53 consid. 4.3; 133 II 249 consid. 1.4.3; 129 I 8 consid. 2.1).
La critique de l'état de fait retenu est soumise au principe strict de l'allégation énoncé par l'art. 106 al. 2 LTF (ATF 140 III 264 consid. 2.3 et les références citées). La partie qui entend attaquer les faits constatés par l'autorité précédente doit expliquer clairement et de manière circonstanciée en quoi ces conditions seraient réalisées (ATF 140 III 16 consid. 1.3.1 et les références citées). Si elle souhaite obtenir un complètement de l'état de fait, elle doit aussi démontrer, par des renvois précis aux pièces du dossier, qu'elle a présenté aux autorités précédentes, en conformité avec les règles de la procédure, les faits juridiquement pertinents à cet égard et les moyens de preuve adéquats (ATF 140 III 86 consid. 2). Si la critique ne satisfait pas à ces exigences, les allégations relatives à un état de fait qui s'écarterait de celui de la décision attaquée ne pourront pas être prises en considération (ATF 140 III 16 consid. 1.3.1). Les critiques de nature appellatoire sont irrecevables (ATF 130 I 258 consid. 1.3).
2.2. Le Tribunal fédéral applique en principe d'office le droit (art. 106 al. 1 LTF) à l'état de fait constaté dans l'arrêt cantonal (ou à l'état de fait qu'il aura rectifié). Cela ne signifie pas que le Tribunal fédéral examine, comme le ferait un juge de première instance, toutes les questions juridiques qui pourraient se poser. Compte tenu de l'obligation de motiver imposée par l'art. 42 al. 2 LTF, il ne traite que les questions qui sont soulevées devant lui par les parties, à moins que la violation du droit ne soit manifeste (ATF 140 III 115 consid. 2, 86 consid. 2).
Le recours en matière civile peut être formé pour violation du droit fédéral (art. 95 let. a LTF), y compris le droit constitutionnel (ATF 134 III 379 consid. 1.2; 133 III 446 consid. 4.1, 462 consid. 2.3). Il ne peut en revanche pas être interjeté pour violation du droit cantonal en tant que tel. Il est toutefois possible de faire valoir que la mauvaise application du droit cantonal constitue une violation du droit fédéral, en particulier qu'elle est arbitraire au sens de l'art. 9 Cst. ou contraire à d'autres droits constitutionnels (ATF 138 I 1 consid. 2.1; 134 III 379 consid. 1.2; 133 III 462 consid. 2.3).
2.3. Le recourant reproche à la cour cantonale d'avoir constaté les faits de manière manifestement inexacte en retenant que l'employeuse l'avait doté d'un montant de l'ordre de 200'000'000 fr. lorsqu'il avait été engagé.
Dès lors que le recours doit en tout état de cause être déclaré irrecevable (cf.
infra consid. 3), la correction du prétendu vice n'est pas susceptible d'influer sur le sort de la cause. Le Tribunal fédéral ne s'écartera donc pas de l'état de fait constaté par la cour cantonale (cf.
supra consid. 2.1).
3.
Seule demeure litigieuse l'interprétation de l'art. 5 al. 2 du contrat de travail et, plus particulièrement, le terme "
deposited " qui y est prévu. Le recourant reproche à la cour cantonale d'avoir mal interprété cette clause contractuelle et d'avoir ainsi violé les art. 1, 8 et 322 al. 1 CO .
3.1.
3.1.1. En droit suisse des contrats, la question de savoir si les parties ont conclu un accord est soumise au principe de la priorité de la volonté subjective sur la volonté objective (ATF 144 III 93 consid. 5.2.1; 123 III 35 consid. 2b).
Lorsque les parties se sont exprimées de manière concordante (échange de manifestations de volonté concordantes;
übereinstimmende Willenserklärungen), qu'elles se sont effectivement comprises et, partant, ont voulu se lier, il y a accord de fait (
tatsächlicher Konsens); si au contraire, alors qu'elles se sont comprises, elles ne sont pas parvenues à s'entendre, ce dont elles étaient d'emblée conscientes, il y a un désaccord patent (
offener Dissens) et le contrat n'est pas conclu (ATF 144 III 93 consid. 5.2.1).
Subsidiairement, si les parties se sont exprimées de manière concordante, mais que l'une ou les deux n'ont pas compris la volonté interne de l'autre, ce dont elles n'étaient pas conscientes dès le début, il y a désaccord latent (
versteckter Dissens) et le contrat est conclu dans le sens objectif que l'on peut donner à leurs déclarations de volonté selon le principe de la confiance; en pareil cas, l'accord est de droit (ou normatif) (ATF 144 III 93 consid. 5.2.1; 123 III 35 consid. 2b; arrêt 4A_269/2022 du 5 octobre 2022 consid. 3.1.2 et les arrêts cités).
3.1.2. Dans un premier temps, le juge doit donc rechercher la réelle et commune intention des parties (interprétation subjective), le cas échéant empiriquement, sur la base d'indices. Constituent des indices en ce sens non seulement la teneur des déclarations de volonté - écrites ou orales -, mais encore le contexte général, soit toutes les circonstances permettant de découvrir la volonté réelle des parties, qu'il s'agisse de déclarations antérieures à la conclusion du contrat ou de faits postérieurs à celle-ci, en particulier le comportement ultérieur des parties établissant quelles étaient à l'époque les conceptions des contractants eux-mêmes (ATF 144 III 93 consid. 5.2.2 et les arrêts cités).
L'appréciation de ces indices concrets par le juge, selon son expérience générale de la vie, relève du fait. Si le juge parvient à la conclusion que les parties se sont comprises ou, au contraire, qu'elles ne se sont pas comprises, il s'agit de constatations de fait qui lient le Tribunal fédéral (art. 105 al. 1 LTF), à moins qu'elles ne soient manifestement inexactes (art. 97 al. 1 et 105 al. 2 LTF), c'est-à-dire arbitraires au sens de l'art. 9 Cst. (ATF 144 III 93 consid. 5.2.2 et les arrêts cités).
3.2. La cour cantonale a constaté que les parties s'opposaient sur la signification à donner au terme "
deposited " utilisé à l'art. 5 al. 2 du contrat de travail; tandis que le travailleur considérait qu'il s'agissait de l'ensemble des avoirs figurant (" déposés " dans le sens passif du terme) en compte durant le semestre, l'employeuse soutenait qu'il s'agissait des seuls avoirs dont le compte avait été augmenté (" déposés " dans le sens actif du terme) durant le semestre.
La cour cantonale s'est fondée sur le texte et le but du contrat, retenant que le terme litigieux ne pouvait que viser des avoirs apportés à l'employeuse par l'activité du travailleur dans le cadre des objectifs que celle-ci lui avait fixés, ainsi que sur le comportement des parties après la conclusion du contrat de travail, soit l'absence de réaction du travailleur aux dates fixées pour l'ajustement de son salaire de base.
Elle en a conclu que l'interprétation du contrat effectuée par le Tribunal des prud'hommes devait être confirmée au détriment de celle proposée par le travailleur, à savoir que " les parties avaient la volonté de fonder l'augmentation du salaire de base d[u travailleur] uniquement sur l'apport de nouveaux actifs par ce dernier ".
3.3. Le recourant soutient qu'après avoir constaté le désaccord entre les parties sur le sens à donner à la clause contractuelle litigieuse, la cour cantonale a interprété le contrat " selon le principe de la confiance ", en " procéd[ant] à une analyse des clauses contractuelles litigieuses du contrat de travail du recourant selon le sens qu'elles devaient - selon elle - revêtir au regard de l'ensemble des circonstances ". Il indique que c'est précisément cette analyse qu'il remet en cause, dès lors qu'il reproche à la cour cantonale d'avoir mal appliqué le principe de la confiance, grief que le Tribunal fédéral pourrait examiner librement.
3.4. Contrairement à ce que soutient le recourant, la cour cantonale a constaté la réelle et commune intention des parties, en se fondant sur le contrat de travail litigieux et sur le comportement ultérieur des parties. La prise en compte dudit comportement n'aurait du reste pas été permise dans le contexte d'une interprétation selon le principe de la confiance (arrêts 4A_587/2023 du 20 août 2024 consid. 3.4; 4A_227/2020 du 28 janvier 2021 consid. 3.3.3).
Dès lors que la cour cantonale a constaté la réelle et commune intention des parties, que cette constatation de fait lie le Tribunal fédéral à moins qu'elle ne soit arbitraire et que le recourant n'invoque ni n'établit que ladite constatation serait arbitraire, la critique du recourant ne s'en prend pas à la motivation de l'arrêt entrepris et son grief est donc irrecevable.
4.
Au vu de ce qui précède, le recours doit être déclaré irrecevable.
Les frais judiciaires et les dépens seront mis à la charge du recourant, qui succombe (art. 66 al. 1 et art. 68 al. 1 et 2 LTF ).
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :
1.
Le recours est irrecevable.
2.
Les frais judiciaires, arrêtés à 5'500 fr., sont mis à la charge du recourant.
3.
Le recourant versera à l'intimée une indemnité de 6'500 fr. à titre de dépens.
4.
Le présent arrêt est communiqué aux mandataires des parties et à la Chambre des prud'hommes de la Cour de justice du canton de Genève.
Lausanne, le 20 août 2024
Au nom de la I re Cour de droit civil
du Tribunal fédéral suisse
La Présidente : Jametti
Le Greffier : Douzals