Bundesgericht
Tribunal fédéral
Tribunale federale
Tribunal federal
9C_22/2024
Arrêt du 21 mars 2025
IIIe Cour de droit public
Composition
Mmes et MM. les Juges fédéraux
Moser-Szeless, Présidente, Stadelmann, Parrino, Beusch et Bollinger.
Greffière : Mme Vuadens.
Participants à la procédure
Service des contributions de la République et canton de Neuchâtel (SCCO), rue du Docteur-Coullery 5, 2300 La Chaux-de-Fonds,
recourant,
contre
A.________,
représentée par M e Laurent Feld, avocat,
intimée.
Objet
Impôt sur les gains immobiliers du canton de Neuchâtel, période fiscale 2019,
recours contre l'arrêt du Tribunal cantonal de la République et canton de Neuchâtel du 30 novembre 2023 (CDP.2023.11-FISC/der).
Faits :
A.
Par acte notarié du 11 décembre 2019 intitulé "donation immobilière avec constitution d'un usufruit", A.________ a transmis à ses trois enfants l'unité d'étage xxx du cadastre de U.________ constituée d'un appartement de 90 m2, en s'en réservant l'usufruit et en échange de la reprise par ces derniers de la dette hypothécaire.
Par courriel du 1er octobre 2021 adressé au mandataire de A.________, le Service des contributions de la République et canton de Neuchâtel (ci-après: le Service cantonal) a indiqué qu'il allait traiter le transfert du 11 décembre 2019 non pas comme une donation mais comme une vente au plan de l'impôt sur les gains immobiliers. En effet, ce transfert avait donné lieu à une contre-prestation de 501'501 fr. 85, composée de la reprise de la dette hypothécaire (280'000 fr.) et de la valeur capitalisée de l'usufruit (221'515 fr. 85). Or cette contre-prestation n'était pas inférieure à la valeur vénale supposée de l'immeuble, que le Service cantonal avait déterminée en se fondant sur des biens immobiliers comparables. Dans ces circonstances, le transfert immobilier ne pouvait pas bénéficier du report de l'imposition à titre de donation.
Par décision de taxation sur les gains immobiliers du 14 décembre 2021, confirmée sur réclamation de la contribuable le 8 décembre 2022, le Service cantonal a fixé le prix de vente de l'immeuble à 501'501 fr. 85 et, après déductions, le gain immobilier à 230'200 fr. Il en découlait un impôt sur les gains immobiliers de 28'766 fr. 40.
B.
A.________ a recouru contre la décision sur réclamation du 8 décembre 2022 auprès du Tribunal cantonal, Cour de droit public, de la République et canton de Neuchâtel (ci-après: le Tribunal cantonal), concluant en substance à son annulation et à l'octroi du report de l'imposition; subsidiairement, au renvoi de la cause au Service cantonal pour nouvelle décision dans le sens des considérants.
Le Tribunal cantonal a statué par arrêt du 30 novembre 2023. Il a jugé qu'en vertu du droit cantonal neuchâtelois, l'imposition est toujours différée à titre de donation lorsque le transfert immobilier intervient, comme en l'espèce, en contrepartie de la constitution d'un usufruit en faveur de l'aliénateur ou - ici, et - de la reprise de la dette hypothécaire par l'acquéreur. Il a partant admis le recours et annulé la décision de taxation du 14 mai [recte: décembre] 2021 ainsi que la décision sur réclamation du 8 décembre 2022.
C.
Contre cet arrêt, le Service cantonal forme un recours en matière de droit public au Tribunal fédéral, concluant à son annulation et à la confirmation de sa décision sur réclamation du 8 décembre 2022.
A.________ conclut au rejet du recours.
Considérant en droit :
1.
Le recours est dirigé contre une décision finale (art. 90 LTF), rendue en dernière instance cantonale par un tribunal supérieur (art. 86 al. 1 let. d et al. 2 LTF) dans une cause de droit public (art. 82 let. a LTF) ne tombant pas sous le coup de l'une des exceptions prévues à l'art. 83 LTF. La voie du recours en matière de droit public est par conséquent ouverte (cf. aussi, s'agissant d'une matière harmonisée, l'art. 73 al. 1 LHID [RS 642.14]). Le recourant, qui a qualité pour recourir (art. 73 al. 2 LHID et art. 89 al. 2 let. d LTF) a par ailleurs agi dans les formes requises (art. 42 LTF) et en temps utile, compte tenu des féries (art. 46 al. 1 let. c et art. 100 al. 1 LTF). Le recours est donc recevable.
2.
2.1. Saisi d'un recours en matière de droit public, le Tribunal fédéral applique le droit d'office (art. 106 al. 1 LTF). Toutefois, conformément à l'art. 106 al. 2 LTF, il ne connaît de la violation des droits fondamentaux ainsi que celle de dispositions de droit cantonal que si le grief a été invoqué et motivé, c'est-à-dire s'il a été exposé de manière claire et détaillée (ATF 149 III 81 consid. 1.3; 148 I 127 consid. 4.3).
2.2. Le Tribunal fédéral examine librement la conformité du droit cantonal harmonisé et de sa mise en pratique par les instances cantonales aux dispositions de la LHID, à moins que les dispositions de cette loi fédérale ne laissent une marge de manoeuvre aux cantons. Dans ce dernier cas, son pouvoir d'examen se limite aux griefs constitutionnels invoqués de manière conforme aux exigences de l'art. 106 al. 2 LTF, en particulier à l'arbitraire (ATF 150 II 346 consid. 1.5.2 et les références; 144 II 313 consid. 5.3). L'étendue de l'autonomie dont le législateur cantonal dispose dans le cadre de la loi fédérale d'harmonisation et, partant, celle du pouvoir de cognition du Tribunal fédéral se détermine par l'interprétation (ATF 150 II 478 consid. 7.2.1; 128 II 56 consid. 3b et les références).
2.3. Le Tribunal fédéral statue sur la base des faits établis par l'autorité précédente (art. 105 al. 1 LTF), sous réserve des cas prévus à l'art. 105 al. 2 LTF. Par ailleurs, selon l'art. 97 al. 1 LTF, le recours ne peut critiquer les constatations de fait que si les faits ont été établis de façon manifestement inexacte - notion qui correspond à celle d'arbitraire (art. 9 Cst.) - ou en violation du droit au sens de l'art. 95 LTF et si la correction du vice est susceptible d'influer sur le sort de la cause (ATF 150 II 346 consid. 1.6 et les références).
3.
Le litige porte sur le point de savoir si c'est à juste titre que le Tribunal cantonal a jugé que le transfert par A.________ de l'unité d'étage xxx du cadastre de U.________ à ses enfants devait bénéficier du report de l'imposition sur les gains immobiliers dans le canton de Neuchâtel à titre de donation.
4.
Invoquant l'art. 97 LTF et l'art. 9 Cst., le Service cantonal fait d'abord grief au Tribunal cantonal d'avoir établi les faits de manière arbitraire.
4.1. En matière d'appréciation des preuves et d'établissement des faits, il n'y a arbitraire (art. 9 Cst.) que lorsque l'autorité ne prend pas en compte, sans aucune raison sérieuse, un élément de preuve propre à modifier la décision, lorsqu'elle se trompe manifestement sur son sens et sa portée ou encore lorsque, en se fondant sur les éléments recueillis, elle en tire des constatations insoutenables (ATF 148 I 127 consid. 3; 147 V 35 consid. 4.2). Conformément aux exigences de motivation de l'art. 106 al. 2 LTF (supra consid. 2.1), le recourant doit expliquer de manière circonstanciée en quoi ces conditions sont réalisées.
4.2. En l'occurrence, le Service cantonal reproche aux juges précédents de s'être limités à mentionner, dans l'arrêt attaqué, qu'il s'était fondé sur le prix de biens immobiliers comparables qu'il avait trouvés pour conclure que la donation stipulée de l'unité d'étage xxx devait être requalifiée de vente et d'avoir omis de préciser qu'il avait dans ce cadre notamment tenu compte de la vente d'une unité d'étage d'une surface similaire à celle de l'unité d'étage xxx et qui était située dans le même immeuble, que A.________ avait réalisée pour le prix de 480'000 fr. en 2017. Le Tribunal cantonal s'était donc mépris sur un fait pertinent important, ce qui avait eu pour conséquences qu'il avait constaté de manière inexacte que le transfert litigieux avait constitué une donation et, par ailleurs, qu'un "examen des conditions d'application de l'art. 12 al. 3 LHID, respectivement 58 al. 1 let. a et al. 3 LCdir devait être effectué".
4.3. Par cette motivation, le Service cantonal n'explique pas en quoi le seul fait de ne pas avoir précisé qu'il avait aussi pris en compte une vente comparable effectuée par A.________ en 2017 serait arbitraire en soi. Il ne démontre pas non plus que cette omission a abouti à un résultat arbitraire. En effet, quand il soutient que cette omission a eu pour conséquence le constat inexact que le transfert litigieux a constitué une donation, il ne tient pas compte du fait que les juges précédents ont précisément retenu que le report de l'imposition à titre de donation devait être accordé indépendamment de toute comparaison entre les prestations, conformément au droit cantonal neuchâtelois. Or le point de savoir si cette solution cantonale peut être confirmée est une question de droit, qui sera examinée ci-après en lien avec le grief de violation de la LHID que le Service cantonal fait aussi valoir.
4.4. Le grief d'arbitraire dans l'établissement des faits est partant rejeté.
5.
Le Service cantonal reproche ensuite au Tribunal cantonal d'avoir violé l'art. 12 al. 1 et al. 3 let. a LHID en accordant le report de l'imposition au transfert litigieux.
5.1. Selon l'art. 12 al. 1 LHID, l'impôt sur les gains immobiliers a pour objet les gains réalisés lors de l'aliénation de tout ou partie d'un immeuble faisant partie de la fortune privée du contribuable ou d'un immeuble agricole ou sylvicole, à condition que le produit de l'aliénation soit supérieur aux dépenses d'investissement (prix d'acquisition ou autre valeur s'y substituant, impenses). L'art. 12 al. 3 LHID contient une liste d'opérations (let. a à e) qui entraînent un report de l'imposition. Selon la jurisprudence, cette liste est exhaustive et ne laisse pas de marge de manoeuvre aux cantons (ATF 141 II 207 consid. 2.2.4; 130 II 202 consid. 3.2). Un canton viole donc la LHID s'il prévoit d'autres cas de reports que ceux de l'art. 12 al. 3 LHID (SILVIA HUNZIKER/MORITZ SEILER, in Bundesgesetz über die Harmonisierung der direkten Steuern der Kantone und Gemeinden [StHG], Kommentar, 4e éd. 2022, n° 94 ad art. 12 LHID).
5.2. En vertu de l'art. 12 al. 3 let. a LHID, l'imposition est différée en cas de transfert de propriété par succession (dévolution d'hérédité, partage successoral, legs), avancement d'hoirie ou donation.
5.2.1. Dans le contexte des impôts directs, la notion de donation est harmonisée et le report de l'imposition à ce titre en vertu de l'art. 12 al. 3 let. a LHID doit être admis non seulement en cas de donation pure mais également en cas de donation mixte (comp. arrêt 2C_785/2020 du 18 mars 2021 consid. 2.5.5; cf. aussi arrêt 9C_335/2023 du 26 octobre 2023 consid. 3.8 non publié in ATF 150 I 1 mais in StE 2024 B 44.11 Nr. 17 et traduit dans RDAF 2023 II 421). Selon la jurisprudence rendue en matière d'impôts directs (art. 24 let. a LIFD et art. 7 al. 3 let. c LHID), une donation est une libéralité entre vifs qui est effectuée avec une intention de donner. Cette intention peut être présumée entre personnes proches, lorsque les autres conditions d'une donation sont remplies (ATF 146 II 6 consid. 8.5.1 et les références). Dans le cas d'une donation mixte, les parties ont l'intention de faire une attribution à titre gratuit, en ce sens qu'elles fixent délibérément le prix en dessous de la valeur réelle de l'objet afin de faire bénéficier l'acheteur de la différence à titre gratuit (arrêt 9C_335/2023 du 26 octobre 2023 consid. 3.7.4 non publié in ATF 150 I 1 mais in StE 2024 B 44.11 Nr. 17 et traduit dans RDAF 2023 II 421, qui se réfère à la jurisprudence rendue en droit civil). La donation mixte suppose objectivement qu'il existe une contre-prestation mais qu'il y a une disproportion entre les prestations. La donation mixte se caractérise ainsi objectivement par l'existence d'une disproportion entre les prestations et, subjectivement, par la volonté de donner (arrêt précité 9C_335/2023 consid. 3.7.4 non publié in ATF 150 I 1; arrêt 2C_785/2020 du 18 mars 2021 consid. 2.4.4).
5.2.2. Pour certains auteurs, le principe d'harmonisation verticale commande que la notion de donation mixte soit définie selon des critères uniformes dans la LIFD et la LHID. Or ils constatent que la diversité des pratiques cantonales à cet égard empêche une application uniforme du droit fédéral, ce qui ne peut plus être justifié seulement par des motifs tirés du fédéralisme au regard du but de la LHID (LAETITIA FRACHEBOUD/OLIVIER MARGRAF, Gemischte Schenkungen im Grundstückgewinnsteuerrecht, Revue fiscale 1/2022 p. 6 § 2.4.2; pour l'aperçu des pratiques cantonales, cf. p. 10 ss § 3.3). Ces auteurs se demandent en particulier s'il ne faudrait pas retenir une définition harmonisée du produit de l'aliénation au sens de l'art. 12 al. 1 LHID (FRACHEBOUD/MARGRAF, op. cit., p. 17 § 4.1).
Imposer aux cantons des critères uniformes pour définir ce qu'est une donation mixte dans le contexte des impôts directs aurait notamment et nécessairement pour conséquences qu'il faudrait uniformiser la notion de contre-prestation et également déterminer de manière uniformisée à partir de quel écart entre les prestations respectives il faut admettre que celles-ci sont en disproportion. La jurisprudence du Tribunal fédéral ne semble toutefois pas aller aussi loin dans l'harmonisation.
5.2.2.1. Ainsi, s'agissant de la contre-prestation, le Tribunal fédéral a encore récemment rappelé que, comme la notion de produit de l'aliénation qui apparaît à l'art. 12 al. 1 LHID n'est pas définie dans la loi, cela signifie que la LHID laisse une certaine marge de manoeuvre aux cantons pour la définir (arrêt 9C_335/2023 du 26 octobre 2023 consid. 3.1 non publié in ATF 150 I 1 mais in StE 2024 B 44.11 Nr. 17 et traduit dans RDAF 2023 II 421), même s'il qualifie régulièrement cette marge de manoeuvre de limitée ("beschränkter Gestaltungsraum"), parce que l'impôt sur les gains immobiliers et l'impôt sur le revenu sont étroitement liés et doivent être coordonnés (ATF 143 II 382 consid. 3.1; 131 II 722 consid. 2.1; arrêts 2C_337/2012 du 19 décembre 2012 consid. 2.3; 2C_705/2011 du 26 avril 2012 consid. 1.5.3; 2A.118/2007 du 24 août 2007 consid. 2.1; 2A.9/2004 du 21 février 2005 consid. 3.1). Concernant en particulier la réserve de l'usufruit, le Tribunal fédéral a jugé que la LHID ne restreignait pas la marge de manoeuvre des cantons au point de leur interdire de considérer qu'elle représente une contre-prestation, quand bien même la jurisprudence rendue en matière d'impôt sur le revenu retient, en s'adossant au droit civil, que la réserve de l'usufruit n'est pas une contre-prestation car l'immeuble est transféré déjà grevé du droit d'usage stipulé, c'est-à-dire à une valeur réduite de la valeur capitalisée de l'usufruit ("deductio servitutis"; cf. arrêt 2C_719/2017 du 26 avril 2019 consid. 2.5 et 2.6; cf. aussi dans le même sens, dans une affaire toutefois antérieure à la LHID, l'arrêt 2P.253/2001 du 23 janvier 2002 consid. 2b et 2c).
Il faut en revanche retenir que la marge de manoeuvre limitée des cantons pour définir ce qui constitue une contre-prestation ne leur permet pas d'exclure la reprise de la dette hypothécaire de la contre-prestation dans le contexte des impôts directs. En effet, dès lors que, dans le cadre d'un contrat de vente immobilière, il n'est pas rare que les parties conviennent que le prix (soit la contre-prestation) sera réglé pour partie par la reprise des hypothèques existantes, il n'y a pas de raison objective de raisonner différemment dans le contexte de l'art. 12 al. 3 let. a LHID, lorsque la reprise de la dette par l'acquéreur est prévue dans un contrat de donation. Cette approche correspond aussi à ce que retient la doctrine: ainsi, FRACHEBOUD/MARGRAF qualifient la reprise de la dette hypothécaire de "Gegenleistung" (op. cit., p. 17 s.); pour sa part, Moritz SEILER est d'avis qu'il est approprié ("sachgerecht") de considérer la reprise de la dette hypothécaire comme une contre-prestation (Grundstückgewinnsteuerliche Folgen der Schenkung mit Nutzniessungsvorbehalt, in Archives 80, p. 644; cf. aussi HUNZIKER/ SEILER, op. cit., n° 104 ad art. 12 LHID).
5.2.2.2. S'agissant ensuite de la notion de disproportion entre les prestations qui caractérise la donation mixte (supra consid. 5.2.1), le Tribunal fédéral a jugé que la pratique cantonale consistant à retenir qu'il y a disproportion lorsque la différence entre la prestation et la contre-prestation atteint 25 % était conforme à la LHID, une telle différence constituant une disproportion manifeste ("offensichtliches Missverhältnis"; arrêt 2A.9/2004 du 21 février 2005 consid. 4.2). Mais il a récemment précisé que cela n'excluait pas que le report de l'imposition à titre de donation mixte puisse être accordé si la différence entre la contre-prestation et la valeur vénale de l'immeuble est inférieure à 25 % (arrêt 9C_335/2023 du 26 octobre 2023 consid. 3.8 non publié in ATF 150 I 1 mais in StE 2024 B 44.11 Nr. 17 et traduit dans RDAF 2023 II 421). Il faut en déduire que les cantons disposent d'une certaine marge de manoeuvre pour déterminer quand il y a une disproportion. Cela étant, un canton ne peut pas retenir qu'il y a une disproportion si la valeur des contre-prestations est proche de ou équivalente à la valeur vénale de l'immeuble transféré car une telle conception n'est pas compatible avec la notion même de disproportion.
5.3. Il découle de ce qui précède que, si la notion de donation mixte est harmonisée en ce sens que le report de l'imposition doit être accordé en cas de donation mixte, les cantons gardent néanmoins une certaine marge de manoeuvre pour déterminer si un transfert immobilier doit être qualifié une donation mixte. Les cantons ne disposent donc pas d'autonomie sur ce point, en ce sens qu'ils ne peuvent pas adopter une définition de la donation mixte qui n'est pas compatible avec la notion telle qu'elle ressort du droit fédéral (supra consid. 5.2.1). Le pouvoir d'examen du Tribunal fédéral pour déterminer si la solution cantonale est conforme à l'art. 12 al. 3 let. a LHID n'est donc pas limité à l'arbitraire.
6.
6.1. En droit cantonal neuchâtelois, le report de l'imposition sur les gains immobiliers est réglé à l'art. 58 de la loi cantonale du 21 mars 2000 sur les contributions directes (LCdir; RSN 631.0). Cette disposition a la teneur suivante:
1 L'imposition est différée:
a) en cas de transfert de propriété par succession (dévolution d'hérédité, partage successoral, que le bien immobilier soit attribué en nature ou contre le versement d'une soulte, legs), avancement d'hoirie ou donation;
(...)
3 L'imposition est également différée en cas d'avancement d'hoirie ou de donation lorsque la prestation du cessionnaire consiste exclusivement en la reprise d'une charge constituée de créances hypothécaires en faveur de tiers ou en la constitution d'un droit d'habitation ou d'un usufruit en faveur du cédant.
4 L'imposition n'est plus différée, lorsque les prestations du cessionnaire vont au-delà de celles énoncées à l'alinéa 3.
6.2.
6.2.1. Dans l'arrêt attaqué, les juges précédents ont d'abord retenu que si les cantons ont l'obligation d'accorder le report de l'imposition en cas de donation pure et en cas de donation mixte, ils gardent cependant une marge de manoeuvre pour apprécier le caractère de disproportion. Ils relèvent que les alinéas 3 et 4 de l'art. 58 LCdir ont été introduits dans la loi cantonale au 1er janvier 2008 et qu'il ressort des travaux préparatoires que le législateur cantonal a voulu par là faire en sorte que l'imposition sur les gains immobiliers ne soit déclenchée que lorsque l'aliénateur dispose "des liquidités nécessaires au paiement de l'impôt", mais pas lorsque le transfert n'intervient qu'en contrepartie de la reprise de charges par l'acquéreur. Pour les juges précédents, l'art. 58 al. 3 et 4 LCdir doit ainsi être compris en ce sens que la cession d'un immeuble par la reprise de la dette hypothécaire ou la constitution d'un usufruit n'est "pas réputée [être] une transaction à titre onéreux", quelle que soit la valeur de transfert et le cadre de la transaction, et qu'elle doit donc toujours donner lieu au report de l'imposition à titre de donation. En l'occurrence, ils ont constaté que A.________ avait cédé son immeuble en contrepartie de la reprise de la dette hypothécaire par ses enfants et en se réservant l'usufruit de l'immeuble, sans autre contre-prestation. En conséquence, le report de l'imposition à titre de donation devait être accordé à la contribuable, conformément à l'art. 58 al. 3 et 4 LCdir.
6.2.2. À l'encontre de l'arrêt attaqué, le Service cantonal rappelle que le report de l'imposition doit être accordé en cas de donation ou de donation mixte, ce qui implique qu'en présence de contre-prestations à tout le moins équivalentes à la valeur vénale du bien-fonds ou sans disproportion manifeste, il s'agit d'une vente immobilière. À défaut de toute contre-prestation, on est en présence d'une donation (pure), respectivement de donation mixte en cas de disproportion manifeste entre la prestation et la contre-prestation. Pour le Service cantonal adopter une définition de la donation mixte qui fait abstraction du critère de la disproportion revient à accorder le report de l'imposition à titre de donation à un transfert qui ne se caractériserait pas par une telle disproportion, ce qui viderait l'art. 12 al. 3 let. a LHID de sa substance. Le Service cantonal en conclut qu'il incombait aux juges précédents d'interpréter l'art. 58 al. 3 LCdir de manière conforme à l'art. 12 al. 3 let. a LHID, c'est-à-dire en procédant à une comparaison des prestations pour déterminer si elles étaient en disproportion manifeste. En l'occurrence, il soutient qu'au regard de la valeur vénale de l'immeuble que A.________ a cédé à ses enfants et de la valeur totale des contre-prestations, le transfert de cette immeuble doit être qualifié de vente car les prestations ne sont pas en disproportion. À titre subsidiaire, le Service cantonal soutient que les juges cantonaux ont mal appliqué l'art. 58 al. 3 LCdir car, selon sa lettre, cette disposition ne concerne que la situation où un immeuble est transféré contre une réserve d'usufruit ou une reprise de la dette mais pas lorsqu'il intervient contre une réserve d'usufruit et une reprise de la dette.
6.2.3. Dans sa réponse, A.________ fait valoir que, selon la jurisprudence, la réserve de l'usufruit ne doit pas être considérée comme une contre-prestation et que, comme la valeur vénale de l'immeuble qu'elle a cédé à ses enfants est supérieure tant à la valeur de son estimation cadastrale qu'à la reprise de la dette hypothécaire, il est exclu de requalifier ce transfert de vente immobilière. Elle en conclut que si l'application de l'art. 58 al. 3 LCdir ne suffit pas à admettre le report de l'imposition, ce report doit lui être accordé en vertu de l'art. 12 al. 3 let. a LHID.
6.3. L'art. 58 al. 3 et 4 LCdir contient une définition de la donation telle qu'elle revient à accorder d'emblée le report de l'imposition à ce titre lorsque le transfert a lieu contre la reprise de l'usufruit et /ou la reprise de la dette hypothécaire. Cette définition repose exclusivement sur la forme de la contre-prestation (usufruit ou reprise de dette) et non pas sur le rapport entre la prestation et la contre-prestation. Elle fait donc entièrement abstraction de la condition de la disproportion entre les prestations, pourtant nécessaire pour que l'on puisse accorder un report de l'imposition à titre de donation mixte (supra consid. 5.2 et 5.3). L'art. 58 al. 3 et 4 LCdir est donc contraire à l'art. 12 al. 3 let. a LHID en tant qu'il aboutit à accorder, sans autre condition, le report de l'imposition à titre de donation quand le transfert de l'immeuble intervient avec réserve de l'usufruit et/ou reprise de la dette hypothécaire, sans examiner si le transfert en cause remplit les conditions pour être qualifiée de donation (mixte). En accordant d'emblée le report de l'imposition dans le cas d'espèce en vertu du droit cantonal neuchâtelois, les juges cantonaux ont aussi violé l'art. 12 al. 3 let. a LHID.
6.4. Le grief du Service cantonal est partant fondé.
7.
Ce qui précède conduit à l'admission du recours. L'arrêt attaqué est annulé et la cause renvoyée au Tribunal cantonal pour nouvel examen et nouvelle décision. Il n'appartient en effet pas à la Cour de céans de procéder elle-même à l'examen du transfert litigieux pour déterminer s'il peut bénéficier du report de l'imposition. Outre que les cantons gardent une marge de manoeuvre, même si elle est limitée, pour déterminer s'il y a disproportion, la Cour de céans ne disposerait de toute manière pas des éléments nécessaires. S'agissant en particulier de la condition de la disproportion entre les prestations, le calcul suppose de connaître la valeur vénale de l'unité d'étage xxx, qui n'est pas constatée dans l'arrêt attaqué, mais aussi de savoir si le droit cantonal neuchâtelois inclut ou non la réserve de l'usufruit dans la contre-prestation (ce qui pourrait découler du libellé de l'art. 58 al. 3 et 4 LCdir, qui qualifie l'usufruit de "prestation du cessionnaire"), étant rappelé que les cantons peuvent adopter l'une ou l'autre conception sans violer la LHID (supra consid. 5.2.2.1).
8.
Au vu de l'issue du recours, les frais judiciaires seront mis à la charge de l'intimée, qui succombe (art. 66 al. 1 LTF).) Il n'y a pas lieu d'allouer des dépens (art. 68 al. 3 LTF).
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :
1.
Le recours est admis.
2.
L'arrêt de la Cour de droit public du Tribunal cantonal de la République et canton de Neuchâtel du 30 novembre 2023 est annulé et la cause lui est renvoyée pour nouvel examen et nouvelle décision dans le sens des considérants.
3.
Les frais judiciaires, arrêtés à 2'000 fr., sont mis à la charge de l'intimée.
4.
Le présent arrêt est communiqué aux parties, au Tribunal cantonal de la République et canton de Neuchâtel, Cour de droit public, et à l'Administration fédérale des contributions.
Lucerne, le 21 mars 2025
Au nom de la IIIe Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse
La Présidente : Moser-Szeless
La Greffière : Vuadens