Bundesgericht
Tribunal fédéral
Tribunale federale
Tribunal federal
4A_160/2024
Arrêt du 22 avril 2025
I
Composition
M. et Mmes les Juges fédéraux
Hurni, Président, Kiss et May Canellas.
Greffière : Mme Monti.
Participants à la procédure
A.________ SA,
représentée par Me Pascal Pétroz, avocat,
défenderesse et recourante,
contre
1. B.________,
2. C.________,
toutes deux représentées par Me Aurèle Muller, avocat,
demanderesses et intimées.
Objet
bail à loyer; congé extraordinaire (pour justes motifs),
recours contre l'arrêt rendu le 12 février 2024 par la Chambre des baux et loyers de la Cour de justice du canton de Genève (C/7329/2021; ACJC/132/2024).
Faits :
A.
A.a. D.________ était le propriétaire de l'immeuble sis rue... à Genève. A sa mort, l'immeuble a passé à son hoirie, alors composée de sa veuve (E.________) et de ses deux filles (B.________ et C.________). Le défunt avait réservé le huitième étage du bâtiment pour ces deux dernières; de fait, elles ont occupé les lieux.
Le 23 mars 2005, l'hoirie a conclu deux contrats de bail à loyer, le premier cédant à C.________ l'usage de deux appartements au huitième étage de cet édifice (comprenant respectivement 3,5 pièces et 2 pièces, reliés par une porte communicante), moyennant un loyer total hors charges de 600 fr. par mois (ou de 7'200 fr./an), le second conférant à B.________ et à son époux F.________, décédé depuis lors, l'usage d'un appartement de 6 pièces, également au huitième étage, contre un loyer de 965 fr. par mois (ou de 11'580 fr./an). Valables dès le 1er janvier 2005, ces baux devaient durer à vie, soit jusqu'au décès des locataires. Ils pouvaient être annotés au Registre foncier - autorisation dont les locataires ont fait usage le 25 mai 2005.
A.b. L'hoirie a ensuite vendu l'immeuble à G.________, par contrat de vente à terme du 6 octobre 2005, au prix de 7'800'000 fr. Était joint un état locatif au 1er octobre 2005, affichant un loyer net total de 610'332 fr. par an, y compris les loyers payés par la veuve (7'200 fr./an pour E.________) et les deux filles (7'200 fr./an pour C.________, plus 11'580 fr./an pour B.________). Ces montants ont été déduits pour calculer le prix de vente, auquel les parties ont appliqué un taux de capitalisation de 7,5 %.
A.c. Le 17 février 2006 a été adopté un texte de loi autorisant, à certaines conditions, un dépassement du gabarit (art. 11 al. 4 de la loi genevoise sur les constructions et les installations diverses [LCI; rs/GE L 5 05]).
A.d. La société A.________ SA est devenue usufruitière, et donc bailleresse, ce dont les époux B.________ et F.________ et C.________ ont été informés par courriers du 27 janvier 2017; l'acquéreur G.________ demeurait nu-propriétaire.
A.e. Ce dernier a envisagé de surélever l'immeuble, ce qui devait lui permettre de créer treize logements supplémentaires. Une demande d'autorisation de construire a été déposée en ce sens le 25 septembre 2017. Étaient également projetés des travaux d'assainissement, consistant notamment à remplacer les fenêtres et les stores, à ravaler la façade, à rafraîchir les "communs" et à remplacer les boîtes aux lettres, ainsi que certaines portes palières. Devaient également être créés un local pour les vélos au sous-sol, un sas d'entrée, et un compartimentage coupe-feu des étages déjà existants.
Un courrier du 21 septembre 2018 a informé les époux B.________ et F.________ du dépôt d'une demande d'autorisation de surélever l'immeuble. Cette surélévation impliquait toutefois un déménagement au moins temporaire des locataires concernés durant la durée des travaux. Aussi le (nu-) propriétaire s'engageait-il à trouver un logement de remplacement, et à prendre en charge intégralement les frais y relatifs. Il s'engageait aussi à reloger ensuite les locataires dans l'immeuble surélevé, aux mêmes conditions contractuelles.
Le département concerné (soit le Département de l'aménagement, du logement et de l'énergie) a délivré une autorisation de construire le 22 mai 2019; il avait été informé de la protection dont les locataires bénéficiaient, et du fait qu'une surélévation n'entraînerait aucune hausse de loyer, ou autre modification du bail.
A.f. Les baux concernant B.________ et C.________ ont été résiliés, par avis du 22 mars 2021 pour le 30 juin 2021. Selon les explications fournies, l'autorisation requise était désormais entrée en force; elle permettait de surélever l'immeuble. Les travaux ne pouvaient toutefois intervenir que si les appartements concernés, dont ceux du huitième étage de l'immeuble, étaient libres de tout occupant. Or, les locataires persistaient à refuser d'être relogés durant les travaux, que ce soit pour intégrer un nouveau logement dans l'immeuble surélevé sans modification de loyer, ou pour déménager définitivement dans le logement de leur choix: le montant du loyer restait garanti, avec prise en charge des frais de déménagement et de relogement. La continuation des baux était dès lors devenue "manifestement intolérable", raison pour laquelle ceux-ci étaient résiliés pour de "justes motifs".
Par missive du 24 mars 2021, B.________ et C.________ ont rappelé à G.________ que le contrat de vente à terme mentionnait des baux à vie, ce qui avait été pris en compte dans le prix de vente. Tout en comprenant l'exaspération du propriétaire de ne pas pouvoir augmenter le rendement de l'immeuble, leur âge (respectivement 78 et 76 ans) les empêchait de quitter leur domicile, mesure qu'elles jugeaient "moralement impossible et traumatisant[e]".
B.
B.a. B.________ et C.________ ont alors déposé deux requêtes devant l'autorité genevoise de conciliation le 14 avril 2021. Vu les vaines tentatives de conciliation, elles ont ensuite porté leurs demandes respectives devant le Tribunal des baux et loyers le 8 juillet 2021. Agissant contre la bailleresse A.________ SA, elles concluaient principalement à ce que soit constatée l'inefficacité des congés; subsidiairement, elles demandaient leur annulation; plus subsidiairement, elles sollicitaient une prolongation de bail de quatre ans.
Quant à la partie actionnée, elle exigeait le déboutement de ces deux demanderesses/locataires, entendant faire constater la validité et l'efficacité de leurs congés; à titre reconventionnel, elle requérait l'évacuation des locataires ou de "tout autre occupant éventuel", au besoin avec l'aide de la force publique.
Le tribunal a ordonné la jonction des causes le 11 novembre 2021.
A.________ SA a chargé une entité spécialisée le 29 avril 2022 de rechercher des appartements de remplacement pour les demanderesses/locataires. Selon un rapport du 4 octobre 2022 établi par cette société, les intéressées ont visité divers biens présentant des caractéristiques non identiques à celles des objets litigieux, entre le 3 mai et le 27 juin 2022.
Le 20 décembre 2022, le Tribunal des baux et loyers du canton de Genève a rendu son jugement.
Il a déclaré "inefficaces" les congés notifiés le 22 mars 2021 pour le 30 juin 2021 à B.________ et C.________. Les parties ont au surplus été déboutées "de toutes autres conclusions".
B.b. Statuant le 12 février 2024 sur appel de A.________ SA, la Cour de justice genevoise, par sa Chambre des baux et loyers, a confirmé cette décision.
Ses considérants seront évoqués plus loin dans la mesure utile à la discussion des griefs.
C.
A.________ SA (la recourante, la bailleresse) interjette un "recours en matière civile". Elle demande au Tribunal fédéral de constater la validité et l'efficacité des congés notifiés le 22 mars 2021 pour le 30 juin 2021; elle requiert aussi l'évacuation immédiate de B.________ et de C.________, ou de tout autre occupant éventuel, le cas échéant avec l'aide de la force publique.
Dans leur réponse, B.________ et C.________ (les intimées, les locataires) ont conclu principalement au rejet du recours.
Un second échange d'écritures a eu lieu spontanément; les parties ont persisté dans leurs conclusions respectives.
Quant à la Cour de justice, elle s'est référée à son arrêt. Elle a également produit le dossier cantonal.
Considérant en droit :
1.
Les conditions de recevabilité du recours en matière civile sont réalisées sur le principe. Tel est notamment le cas pour la valeur litigieuse minimale, de 15'000 fr. dans cette affaire de bail à loyer (art. 74 al. 1 let. a LTF; cf. par ex. ATF 144 III 346 consid. 1.2.2; 137 III 389 consid. 1.1; art. 271a al. 1 let. e CO; GRÉGORY BOVEY,
in Commentaire de la LTF, 3e éd. 2022, n° 32 ad art. 74 LTF), ou encore quant au respect du délai (art. 100 al. 1 LTF).
Demeure réservée, à ce stade, la recevabilité des griefs en particulier.
2.
Il est constant que les parties ont été liées par des contrats de bail à loyer. Le coeur du litige consiste à déterminer si la bailleresse avait de "justes motifs" de congédier les intimées avant terme, soit ici avant leur décès respectif (art. 266g CO).
3.
La recourante déplore "une" constatation manifestement inexacte et "arbitraire" des faits dans l'arrêt attaqué. Elle dénonce aussi une appréciation "arbitraire" des preuves.
3.1. Le Tribunal fédéral statue sur la base des faits établis par l'autorité précédente (art. 105 al. 1 LTF). Relèvent de ces faits tant les constatations relatives aux circonstances touchant l'objet du litige que celles concernant le déroulement de la procédure conduite devant l'instance précédente et en première instance, c'est-à-dire les constatations ayant trait aux faits procéduraux (ATF 140 III 16 consid. 1.3.1 et les références). Le Tribunal fédéral ne peut rectifier ou compléter les constatations de l'autorité précédente que si elles sont manifestement inexactes, ou si elles découlent d'une violation du droit au sens de l'art. 95 LTF (art. 105 al. 2 LTF). "Manifestement inexactes" signifie ici "arbitraires" (ATF 140 III 115 consid. 2 p. 117; 135 III 397 consid. 1.5). Encore faut-il que la correction du vice soit susceptible d'influer sur le sort de la cause (art. 97 al. 1
in fine LTF).
La critique de l'état de fait retenu est soumise au principe strict de l'allégation énoncé à l'art. 106 al. 2 LTF (ATF 140 III 264 consid. 2.3 p. 266 et les références) : la partie qui entend attaquer les faits constatés par l'autorité précédente doit expliquer clairement, et de manière circonstanciée, en quoi ces conditions seraient réalisées (ATF 140 III 16 consid. 1.3.1 p. 18 et les références). Si elle souhaite obtenir un complètement de l'état de fait, elle doit aussi démontrer, par des renvois précis aux pièces du dossier, qu'elle a présenté aux autorités précédentes, conformément aux règles de procédure applicables, les faits juridiquement pertinents et les moyens de preuve adéquats (ATF 140 III 86 consid. 2 p. 90). Faute pour la partie recourante de satisfaire à ces exigences, les allégations relatives à un état de fait s'écartant de celui de la décision attaquée ne seront pas prises en compte (ATF 140 III 16 consid. 1.3.1 p. 18). Aucun fait nouveau ni preuve nouvelle ne peut être présenté, à moins de résulter de la décision de l'autorité précédente (art. 99 al. 1 LTF).
3.2.
In casu, la recourante voudrait faire compléter l'état de fait retenu par des " éléments pertinents ".
Elle omet, pour partie au moins, de relier ces faits (telle la surface des appartements "occupés") à des allégués introduits à temps, et conformément aux règles de la procédure applicable, ce qui constitue déjà un motif dirimant d'évacuer ses critiques.
Et encore faudrait-il que les faits en question soient décisifs pour l'issue du litige, ce qui est loin d'être le cas. La recourante, quand bien même elle rappelle cette exigence, croit à tort pouvoir faire pencher la balance de son côté en droit. Or, il est vain de se référer à des faits prétendument passés sous silence (qu'ils soient notoires - pour une définition du fait notoire, cf. par ex. ATF 143 IV 380 consid. 1.1.1 - et/ou recevables), si cette autre condition (caractère décisif du fait omis) n'est pas réalisée. Par exemple, il importe peu que la recourante ait obtenu confirmation en juillet 2020 seulement de l'entrée en force de l'autorisation de construire, pandémie du COVID oblige: démontrer l'incongruité éventuelle de la critique faite par les magistrats d'appel ne prouve pas encore qu'ils se soient fourvoyés dans l'application de l'art. 266g CO. Et d'ailleurs, il n'en demeure pas moins que la bailleresse/recourante n'a pas réagi immédiatement lorsqu'elle a obtenu confirmation de l'entrée en force de l'autorisation de construire, même si elle avance le contraire.
N'ont pas non plus d'incidences en droit le fait que les locataires intimées paient des loyers plus ou moins "symboliques" pour une surface "extraordinairement vaste", ou que des "solutions de relogement temporaires et définitives" plus ou moins "nombreuses " leur aient été proposées sans désagréments financiers. Concernant l'urgence du projet de surélévation, ce n'est pas à ce stade que la bailleresse peut introduire des faits en réaction au reproche formulé par l'autorité d'appel (arrêt p. 9 consid. 3.2). Et l'arrêt attaqué ne tait pas que des solutions de relogement financièrement indolores ont été vainement proposées: comme l'ont dit les Juges genevois, cette circonstance, ainsi que les autres relevées par la recourante, est inapte à faire modifier l'appréciation portée. L'âge des intimées reste une donnée intangible, que la recourante ne cherche du reste pas à contrer, non plus que les circonstances entourant la fixation du prix de vente, volontairement "avantageux" pour permettre aux intimées de rester dans l'immeuble ayant appartenu à leur défunt père; or, ces faits revêtent une grande importance pour jauger le bien-fondé de l'appréciation exercée par l'autorité précédente quant aux résiliations anticipées, et contestées.
3.3. La recourante invoque encore des " faits et moyens de preuve nouveaux ", qui seraient "exceptionnellement recevables ". Plus exactement, elle cherche à faire constater que l'autorisation de construire permettant la surélévation et l'assainissement de l'immeuble a fait l'objet d'une troisième et dernière prolongation d'une année jusqu'au 24 février 2025, qui deviendrait caduque si les travaux n'étaient pas entrepris dans l'intervalle.
Las pour elle, elle admet elle-même que ce fait est survenu après la décision attaquée; or, il est loin de "justifier" son recours. Il faut bien plutôt se résoudre à constater qu'il n'entre pas dans le champ de l'exception réservée à l'art. 99 al. 1 LTF, et explicitée par la jurisprudence (cf. entre autres ATF 150 III 89 consid. 3.1; 145 III 436 consid. 3; arrêt 4A_18/2010 du 15 mars 2010 consid. 2.1 non publié aux ATF 136 I 197, tous avec des références). Un auteur dit même expressément qu'il ne suffit pas qu'un fait soit postérieur à la décision attaquée pour remplir l'exception réservée par cette disposition, phrase qui s'applique au cas d'espèce (BOVEY,
op. cit., n° 35 ad art. 99 LTF) : le recours tend à faire vérifier que la décision entreprise ne soit pas entachée de violations du droit fédéral, non à faire juger plus vite une situation présentant de nouvelles données.
Pour le reste, l'autorité précédente a certes déclaré recevables les allégations et pièces nouvelles produites en appel, et plus particulièrement le fait que l'autorisation de construire soit alors prolongée une deuxième fois jusqu'au 26 février 2024, terme qui devait entraîner la caducité de l'autorisation si les travaux n'étaient pas entrepris dans l'intervalle. Mais cet événement n'a pas contribué à faire modifier l'appréciation portée en première instance, contrairement à ce qu'espérait la bailleresse alors appelante. Après avoir cité l'art. 317 CPC, l'autorité précédente a (implicitement) jugé que cet élément n'était pas pertinent pour l'issue du litige. A juste titre. La recourante ne démontre d'ailleurs pas efficacement le mal-fondé d'une telle appréciation, respectivement échoue à établir une transgression de l'art. 317 CPC.
3.4. En bref, la cour de céans est liée par l'état de fait retenu par l'autorité précédente. Elle n'y discerne aucun arbitraire, ou autre transgression du droit fédéral. Au demeurant, la recourante ne parvient pas à établir avec succès une telle violation, qui n'a en tous les cas rien de manifeste. Les précédents juges n'ont omis aucun fait " pertinen[t] ", c'est-à-dire propre à faire modifier leur "décision ", n'en déplaise à la bailleresse/recourante qui n'établit rien de ce point de vue.
4.
4.1. Le Tribunal fédéral applique le droit d'office (art. 106 al. 1 LTF). Cependant, compte tenu de l'exigence de motivation contenue à l' art. 42 al. 1 et 2 LTF sous peine d'irrecevabilité (art. 108 al. 1 let. b LTF), il n'examine en principe que les griefs invoqués, sauf en cas d'erreurs juridiques manifestes. Il n'est pas tenu de traiter, à l'instar d'une autorité de première instance, toutes les questions juridiques qui se posent lorsqu'elles ne sont plus discutées devant lui (ATF 140 III 86 consid. 2 p. 88 et s. et les arrêts cités; 140 III 115 consid. 2 spéc. p. 116; 137 III 580 consid. 1.3).
Par exception à la règle selon laquelle elle applique le droit d'office, l'autorité de céans n'examine la violation d'un droit constitutionnel que si le grief a été invoqué et motivé de façon détaillée (principe de l'allégation, art. 106 al. 2 LTF et consid. 3.1
supra; ATF 135 III 397 consid. 1.4
in fine).
4.2. Il a déjà été dit que le ou les fait (s) nouveau (x) ne fonde (nt) pas une exception propre à entraîner le complètement du présent état de fait, contrairement aux attentes de la recourante (consid. 3.3
supra). Aussi cet/ces élément (s) ne saurai (en) t contribuer à faire modifier l'appréciation juridique portée vu les données d'espèce.
5.
La recourante estime avoir eu de " justes motifs " de congédier les locataires/intimées de façon anticipée. Elle dénonce une transgression de l'art. 266g CO.
5.1. L'art. 266g CO énonce que "[s]i, pour de justes motifs, l'exécution du contrat devient intolérable pour une partie, celle-ci peut résilier le bail à n'importe quel moment, en observant le délai de congé légal" (al. 1). "Le juge statue sur les conséquences pécuniaires du congé anticipé, en tenant compte de toutes les circonstances" (al. 2).
La jurisprudence fédérale a notamment précisé que les contrats de durée doivent pouvoir être résiliés de façon anticipée, principe général exprimé à la disposition précitée, respectivement ce qui constitue un "juste motif" de donner un congé "extraordinaire": la ou les circonstance (s) doi (ven) t rendre la continuation du bail insupportable (la loi utilise l'adjectif "intolérable"), condition qui doit être réalisée tant au niveau subjectif qu'objectif; ce contexte doit être inconnu, et non prévisible lors de la conclusion du bail, respectivement non imputable à faute de la partie qui résilie (voir par ex. ATF 122 III 262 consid. 2a/aa et les références citées; arrêts 4A_54/2018 du 11 juillet 2018 consid. 3.1, 4A_20/2015 du 13 juillet 2015 consid. 3.1). Celle-ci assume une responsabilité causale fondée sur l'équité; aussi doit-elle une simple indemnité fondée sur l'équité, et non le plein intérêt à l'exécution du contrat (ATF 122 III 262 consid. 2a/aa). En d'autres termes, les circonstances invoquées doivent être si graves qu'elles rendent la poursuite du bail jusqu'à son terme objectivement et subjectivement insupportable. Il n'y a pas "de justes motifs" s'il apparaît que le cocontractant s'accommode de faits objectivement graves, et prouve ainsi que la poursuite de la relation contractuelle ne lui est pas insupportable (par ex. arrêt précité 4A_20/2015 consid. 3.1). La partie doit résilier immédiatement le bail après la survenance du juste motif, faute de quoi elle montre par son attitude que la continuation du contrat ne lui est pas insupportable (
eodem loco; voir aussi PIERRE WESSNER, La résiliation du bail à loyer pour justes motifs,
in 10e Séminaire sur le droit du bail, 1998, n° 6, spécialement pp. 15 ss).
Sont déterminantes les circonstances d'espèce, dont la situation financière des parties au moment du jugement: par exemple, il serait erroné de faire assumer une responsabilité à l'auteur du "dommage" se trouvant dans une situation modeste, tandis que la partie "lésée" vivrait dans le confort (ATF 122 III 262 consid. 2a/aa spéc. pp. 266-267 et les références citées).
Pour dire s'il existe de justes motifs, le juge doit appliquer les règles du droit et de l'équité (art. 4 CC). Il doit donc prendre en considération tous les éléments du cas particulier, sans perdre de vue le principe de la sécurité du droit et l'intérêt de l'autre partie au maintien du contrat.
Le Tribunal fédéral ne revoit qu'avec réserve la décision d'équité prise en dernière instance cantonale. Il intervient lorsque celle-ci s'écarte sans raison des règles établies par la doctrine et la jurisprudence en matière de libre appréciation, lorsqu'elle s'appuie sur des faits qui, dans le cas particulier, ne devaient jouer aucun rôle ou, au contraire, lorsqu'elle ignore des éléments qui auraient absolument dû être pris en considération; en outre, le Tribunal fédéral redresse les décisions rendues en vertu d'un pouvoir d'appréciation dont le résultat est manifestement injuste, ou dont l'iniquité choque (arrêt précité 4A_20/2015 consid. 3.1 et les références citées).
5.2. Un congé inefficace est dépourvu d'effets (sur cette notion, et sur la distinction entre congé nul, annulable ou inefficace, voir ATF 121 III 156 consid. 1c/aa p. 160 s.).
5.3. En l'espèce, la décision entreprise a d'abord rappelé le contenu de la disposition litigieuse (art. 266g al. 1 CO), ainsi que les principes développés par la jurisprudence fédérale au sujet de la notion de "justes motifs", notamment ceux évoqués ci-dessus. Ensuite, elle a retenu que les circonstances à l'appui du projet de surélévation n'étaient certes pas connues lors la conclusion des baux, et n'étaient pas imputables à faute de la bailleresse: les contrats - qui devaient échoir au décès des locataires - avaient été conclus en 2005, soit avant la modification de la LCI en 2006.
En revanche, ces circonstances n'étaient pas d'une gravité exceptionnelle; elles ne pouvaient donc pas être considérées comme de justes motifs rendant la continuation du bail "intolérable". Le projet de surélévation n'avait rien d'urgent; la bailleresse n'alléguait d'ailleurs pas le contraire, même dans sa procédure d'appel. Et elle n'avait résilié les contrats qu'en 2021, soit près de deux ans après la délivrance de l'autorisation de construire, le 22 mai 2019. Or, il fallait prendre en considération une telle circonstance: la bailleresse ne pouvait être considérée comme ayant résilié les baux immédiatement après la survenance d'un juste motif. Elle montrait bien plutôt que la poursuite des contrats ne lui était pas insupportable, et qu'elle n'avait donc pas de justes motifs de les résilier.
Concernant les travaux d'assainissement, pouvait rester indécis le fait de savoir s'ils étaient prévisibles lors de la conclusion des contrats, ou lorsque la bailleresse était devenue usufruitière: ils ne nécessitaient pas le départ des intimées, et ne rendaient ainsi pas la poursuite des baux objectivement insupportable.
Et il importait peu que la bailleresse et appelante ait proposé des solutions de relogement aux intimées, avant et après la notification des congés, cet élément ne rendait pas graves les circonstances invoquées, au point de rendre la poursuite des baux jusqu'à leur terme objectivement insupportable.
A également été pris en considération l'intérêt des locataires intimées au maintien des contrats, dont elles avaient spécifiquement négocié la durée pour pouvoir bénéficier jusqu'à leur décès de logements ayant jadis appartenu à leur père, moyennant un prix de vente avantageux pour l'acheteur.
En conclusion, le motif des congés ne permettait pas une résiliation extraordinaire.
Le jugement de première instance devait donc être confirmé.
5.4.
In casu, il importe peu que les deux locataires occupent des logements d'une surface "extraordinairement vaste", ou qu'il existe une "pénurie notoire" des logements de ce type. Peu importe aussi que l'autorisation de construire soit entrée en force en février 2020, ce que n'aurait confirmé le greffe du Tribunal administratif genevois qu'en juillet 2020, en raison de la pandémie COVID "notoire" qui sévissait alors. Le nombre exact de propositions faites quant aux solutions de relogement, la disponibilité de la bailleresse à assumer les coûts en découlant, respectivement le caractère indolore de ces changements pour les locataires/intimées, ou encore les autres arguments brandis par la recourante/bailleresse, ne sauraient faire changer d'avis: celle-ci ne conteste pas que la possibilité de surélever l'immeuble soit désormais très concrète: elle va même jusqu'à affirmer que ce projet "on ne peut plus concret" n'exige plus que la sortie des intimées. Que l'autorisation de construire soit par essence limitée dans le temps, ne garantissant éventuellement plus à la bailleresse - respectivement au nu-propriétaire - de pouvoir surélever l'immeuble "à l'avenir", ne saurait conduire à revoir cette décision d'appréciation, quitte à transgresser les principes régissant la matière. Les congés donnés à de telles locataires, vu leur âge et les autres circonstances d'espèce, notamment le prix de vente "favorable" destiné à leur donner la garantie de pouvoir rester en place jusqu'à leur décès, argument déjà utilisé par l'autorité précédente, et qui constitue le fer de lance de cette décision, en l'absence de contestations factuelles sur cette question précise, privent la bailleresse/recourante de justes motifs de résilier les baux de façon extraordinaire
in casu. Et il importe peu aussi que l'on ignore jusqu'à quand ces locataires auront encore l'avantage d'être en vie, même si cela peut durer "plusieurs décennies", pour reprendre les termes de la bailleresse/recourante, et que cela bloque les travaux de surélévation, si l'on suit cette dernière: contrairement à ce que celle-ci infère, cette circonstance, confrontée aux autres du cas d'espèce, ne saurait empiéter sur le pouvoir d'appréciation de la Haute Cour cantonale, et n'aboutit pas à un résultat manifestement injuste. Importe tout aussi peu l'urgence plus ou moins grande du projet de surélévation: la poursuite des baux "à vie", inscrits au Registre foncier, rappelle la bailleresse dans son recours, ne saurait être qualifiée d'"insupportable", dans le contexte dépeint sans arbitraire ni autre violation du droit par la Haute Instance cantonale.
En bref, l'on ne saurait taxer d'"arbitraire" la décision prise par les autorités cantonales, non plus que d'y voir une violation du droit fédéral, de l'art. 266g CO en particulier ou d'une autre disposition, respectivement une violation du pouvoir d'appréciation, auquel le Tribunal fédéral - on le rappelle - ne substitue pas le sien. La cour de céans n'ignore pas la jurisprudence relative à l'art. 266g CO, notamment le fait qu'une intolérance ressentie de façon subjective par les locataires concernées ne suffit pas - ce qu'avait au demeurant déjà rappelé l'autorité précédente -, ni le fait que chaque motif de congé n'a pas à être "juste" en cas de pluralité de raisons, ou encore qu'en l'espèce, la bailleresse n'invoque pas un "besoin propre urgent", l'urgence n'étant pas une condition nécessaire sous l'angle de l'art. 266g CO. L'appréciation juridique doit bel et bien porter sur toutes les circonstances d'espèce, ce qu'a fait l'autorité précédente
in casu, n'en déplaise à la bailleresse/recourante, qui s'escrime vainement à trouver des failles, ou à vouloir compléter l'arrêt entrepris, croyant à tort qu'elle pourra ainsi "faire pencher la balance" de son côté. L'on comprend son agacement, par exemples lorsqu'elle évoque un projet non négligeable de "plus d'un demi-million de francs suisses", qu'elle souligne le caractère non prévisible de la fin de baux "à vie", ou encore lorsqu'elle insiste sur la "nouvelle politique de logement" dans un contexte de pénurie "notoirement connue" frappant le centre-ville de Genève, que viserait précisément à combattre l'art. 11 al. 4 LCI: mais il n'en demeure pas moins qu'aucun de ces arguments ne saurait faire revoir l'appréciation exercée par la Haute Cour cantonale. Et la cour de céans ne voit pas non plus d'erreur (encore moins manifeste) des Juges genevois, n'en déplaise à la recourante: l'autorisation de construire a certes fait l'objet de recours, ce qui n'empêchait pas les juges d'appel de mentionner la date de délivrance de cette autorisation. L'âge de l'immeuble, qui daterait des années 70 aux dires de la recourante, n'y change rien non plus, lors même que l'autorité précédente, citant DAVID LACHAT, a noté que l'"état de l'immeuble" pouvait fournir de justes motifs de congé anticipé, notamment lorsque l'édifice mettait en danger ses occupants: on ne saurait voir
in casu une transgression de l'art. 266g CO, quand bien même la bailleresse insiste sur la "nécessité" de faire des travaux d'assainissement: elle ne va pas jusqu'à prétendre que la présence des locataires/intimées gênerait de tels travaux, ou que celles-ci ou d'autres locataires seraient
in casuen danger. Énoncer ces travaux - évoqués par l'autorité précédente, qui en a listé certains à titre exemplatif (arrêt attaqué p. 4) - n'est d'aucun secours à la bailleresse, non plus que d'évoquer les "directives du département". Qu'il soit plus logique, ou économique, de mener ces travaux de concert avec la surélévation de l'immeuble, sans parler du respect dû aux "locataires de l'ensemble de l'immeuble", ne change rien à cette affaire, non plus que d'évoquer l'"urgence climatique", ou encore l'"interdépendance des travaux projetés": il a déjà été dit qu'il n'y avait pas matière à introduire un "fait nouveau", consistant en l'espèce en l'octroi d'une troisième autorisation de surélévation, limitée dans le temps et peut-être impossible à l'avenir. Et l'on ne saurait non plus prendre une autre décision parce que la rénovation projetée devrait permettre de réduire les frais de chauffage et d'eau chaude, toujours selon la recourante.
En somme, il n'y a pas de quoi revenir sur l'absence de justes motifs de congé dans ce cas concret, comme l'a relevé à juste titre l'autorité précédente, en faisant légitimement usage de son pouvoir d'appréciation, et sans que le Tribunal fédéral n'ait de motif de le corriger (
cf. supra consid. 5.1
in fine). La recourante ne conteste pas le fait central selon lequel le prix de vente, avantageux, devait permettre aux deux intimées de rester jusqu'à leur mort dans l'immeuble ayant appartenu à leur défunt père. On ne saurait, dans un tel contexte, qualifier d' " intolérable " la poursuite des baux, même si la recourante plaide le contraire.
6.
Pour les motifs énoncés précédemment, et en conclusion, le présent recours doit être rejeté.
Les frais judiciaires seront mis à la charge de la partie recourante, soit ici la bailleresse ( art. 65 et 66 al. 1 LTF ), qui versera aux deux intimées, créancières solidaires, une indemnité de dépens ( art. 68 al. 1, 2 et 4 LTF ).
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :
1.
Le recours est rejeté.
2.
Les frais judiciaires, arrêtés à 6'000 fr., sont mis à la charge de la recourante.
3.
La recourante versera aux intimées, créancières solidaires, une indemnité de 7'000 fr. à titre de dépens.
4.
Le présent arrêt est communiqué aux parties et à la Chambre des baux et loyers de la Cour de justice du canton de Genève.
Lausanne, le 22 avril 2025
Au nom de la I re Cour de droit civil
du Tribunal fédéral suisse
Le Président : Hurni
La Greffière : Monti