Bundesgericht
Tribunal fédéral
Tribunale federale
Tribunal federal
4A_596/2024
Arrêt du 28 avril 2025
I
Composition
MM. et Mme les Juges fédéraux
Hurni, Président, Rüedi et May Canellas.
Greffière : Mme Fournier.
Participants à la procédure
A.________ AG,
recourante,
contre
B.________ Sàrl,
représentée par Me Yama Sangin, avocat,
intimée.
Objet
contrat d'assurance; réticence,
recours contre l'arrêt rendu le 10 octobre 2024 par la Chambre des assurances sociales de la Cour de justice de la République et canton de Genève (A/689/2024, ATAS/779/2024).
Faits :
A.
A.a. C.________ (ci-après: le gérant), est l'associé-gérant de la société B.________ Sàrl (ci-après: la société), active notamment dans la restauration.
A.b. Le 26 septembre 2022, la société a conclu avec A.________ AG (ci-après: la société d'assurance) une assurance collective d'indemnités journalières pour cause de maladie, couvrant son personnel avec effet au 1er août 2022. Le gérant était considéré comme un salarié de la société. Dans le cadre des pourparlers précédant la conclusion du contrat d'assurance, la société d'assurance a fait remplir au gérant une déclaration de santé. À cette occasion, ce dernier a passé sous silence le fait qu'il avait subi une opération en raison d'une hernie discale en 2013. Il a ainsi répondu négativement aux questions l'interrogeant sur d'éventuels problèmes de santé ou sur des traitements qu'il aurait reçus par le passé.
A.c. Le gérant a été en incapacité de travail dès le 9 juin 2023 en raison d'une maladie. La société d'assurance en a été informée et lui a versé des indemnités journalières pour la période du 9 juin au 31 juillet 2023, après imputation d'un délai d'attente de quatorze jours.
Lors d'un entretien téléphonique du 29 juin 2023 entre la société d'assurance et le gérant, celui-ci a déclaré avoir subi une lourde opération du dos dix ans auparavant.
Le 7 août 2023, la société d'assurance a requis un rapport du médecin du gérant, au sujet de l'incapacité de ce dernier. Le rapport lui est parvenu le 31 août suivant. Il indiquait que l'incapacité de travail était causée par des lombalgies, le gérant ayant déjà subi une opération en 2013 en raison d'une hernie discale.
A.d. Par courrier du 10 novembre 2023, la société d'assurance a résilié le contrat avec effet rétroactif au 1er août 2022. Elle s'est prévalue de la réticence commise par le gérant dans la déclaration de santé. Elle affirmait que si le gérant avait répondu de manière véridique aux questions qui lui avaient été posées, elle n'aurait pas conclu le contrat d'assurance ou l'aurait passé à des conditions différentes. D'après elle, le gérant avait commis une tromperie illicite. Elle n'était dès lors pas liée par le contrat d'assurance et réclamait le remboursement des sommes qu'elle avait versées, soit 3'094 fr. alloués précédemment pour l'incapacité d'un autre employé et 3'077 fr. 10 pour celle du gérant.
B.
Le 26 février 2024, la société a déposé une demande à l'encontre de la société d'assurance auprès de la Chambre des assurances sociales de la Cour de justice du canton de Genève. Elle a conclu à ce qu'il soit constaté que la "décision" (sic) de résiliation rétroactive du 10 novembre 2023 était nulle, à ce qu'il soit dit que la somme de 3'094 fr. versée à son employé et celle de 3'077 fr. 10 versée au gérant ne devaient pas être remboursées à la société d'assurance et à ce que celle-ci soit enjointe à couvrir la perte de gain en cas de maladie du gérant. Subsidiairement, elle a conclu au renvoi de la cause à la société d'assurance pour nouvelle décision. Plus subsidiairement, elle a conclu à ce qu'il soit constaté que la société d'assurance devait "accorder ses prestations" pour l'incapacité de travail du gérant à compter du 9 juin 2023 et que les montants de 3'094 fr. et 3'077 fr. 10 correspondant aux prestations déjà versées ne devaient pas être restitués. En substance, la société a fait valoir que la société d'assurance aurait été informée le 31 août 2023 de la réticence du gérant, mais n'aurait déclaré résilier le contrat que le 10 novembre suivant. Elle n'aurait ainsi pas respecté le délai légal de péremption de quatre semaines durant lequel devait intervenir la résiliation (art. 6 al. 2 LCA); celle-ci ne serait dès lors pas valable. Par ailleurs, la société d'assurance ne pourrait pas se prévaloir des dispositions générales du droit des obligations sur les vices du consentement, en particulier celle sur le dol. Enfin, d'après la société, ni l'incapacité de l'employé, ni celle du gérant n'auraient de lien avec la réticence commise par ce dernier. En particulier, la société a prétendu que la pathologie actuelle du gérant serait sans rapport avec la hernie discale qu'il avait omis de déclarer au moment de la conclusion du contrat. La société d'assurance n'aurait ainsi pas droit au remboursement des indemnités journalières versées pour ces sinistres.
La défenderesse a conclu au rejet de la "plainte déposée contre elle" par la demanderesse. En bref, elle a reconnu ne pas avoir résilié le contrat dans le délai légal de quatre semaines. Cependant, d'après elle, le contrat serait nul sur la base des règles générales du CO, puisqu'elle aurait déclaré ne pas maintenir le contrat entaché d'un dol dans le délai légal d'une année courant dès la découverte de la tromperie.
Par arrêt du 10 octobre 2024, la Chambre des assurances sociales de la Cour de justice, statuant en qualité d'instance cantonale unique, a partiellement admis la demande. En substance, elle a dit que la résiliation de la police d'assurance était nulle et que cette police restait valable. En revanche, elle a déclaré ses conclusions condamnatoires en paiement d'indemnités journalières irrecevables, puisqu'elles n'étaient pas chiffrées.
Ses motifs seront évoqués dans les considérants en droit du présent arrêt, dans la mesure utile à la discussion des griefs.
C.
Contre cet arrêt, la société d'assurance (ci-après: la recourante) forme un recours en matière civile. Elle conclut à l'annulation de l'arrêt entrepris et au renvoi de la cause à la cour cantonale pour nouvelle décision.
L'autorité précédente a produit le dossier cantonal; elle n'a pas été invitée à se déterminer.
Le Tribunal fédéral n'a pas non plus requis le dépôt d'une réponse au recours de la part de la société (ci-après: l'intimée).
Considérant en droit :
1.
1.1. Conformément à l'art. 54 al. 1 LTF, le présent arrêt sera rendu en français, langue de l'arrêt attaqué, même si le recours est rédigé en allemand, comme l'autorise l'art. 42 al. 1 LTF.
1.2. Le litige porte sur une assurance complémentaire à l'assurance-maladie sociale, régie par la loi fédérale du 2 avril 1908 sur le contrat d'assurance (LCA; RS 221.229.1). Ce type de conflit ressortit à la matière civile au sens de l'art. 72 al. 1 LTF (ATF 138 III 2 consid. 1.1; 133 III 439 consid. 2.1).
Au surplus, l'arrêt attaqué est une décision finale (art. 90 LTF) rendue par la Cour de justice du canton de Genève statuant en qualité d'instance cantonale unique au sens de l'art. 7 CPC (art. 134 al. 1 let. c de la loi genevoise du 26 septembre 2010 sur l'organisation judiciaire [LOJ/GE; RS/GE E 2 05]; cf. art. 75 al. 2 let. a LTF et ATF 138 III 799 consid. 1.1). Aussi le présent recours est-il ouvert sans égard à la valeur litigieuse (art. 74 al. 2 let. b LTF). Interjeté au surplus par la société d'assurance, qui a partiellement succombé dans ses conclusions (art. 76 al. 1 LTF), dans le délai fixé par la loi (art. 100 al. 1 LTF), le recours en matière civile est en principe recevable.
1.3. Le mémoire de recours doit contenir des conclusions (art. 42 al. 1 LTF). Le recours en matière civile étant une voie de réforme (art. 107 al. 2 LTF), le recourant ne peut en principe pas se borner à demander l'annulation de la décision attaquée et le renvoi de la cause à l'instance cantonale; il doit également, sous peine d'irrecevabilité, prendre des conclusions sur le fond du litige (ATF 137 II 313 consid. 1.3; 134 III 379 consid. 1.3; arrêt 4A_278/2024 du 4 septembre 2024 consid. 1.2). Le Tribunal fédéral ne peut en effet aller au-delà des conclusions des parties (art. 107 al. 1 LTF). Cette règle souffre toutefois quelques exceptions. Parmi celles-ci, la pratique réserve le cas où la motivation du recours fait clairement apparaître en quoi l'arrêt attaqué doit être modifié (arrêts 4A_278/2024 précité consid. 1.2; 4A_297/2017 du 30 avril 2018 consid. 1.2; 4A_371/2016 du 14 octobre 2016 consid. 2.1).
En l'occurrence, dans les conclusions figurant en tête de son écriture, la recourante se limite à demander l'annulation de l'arrêt attaqué et le renvoi de la cause à l'autorité précédente. Or, on ne voit pas ce qui aurait empêché la recourante de prendre des conclusions réformatoires en bonne et due forme. Dans son mémoire, elle se borne à discuter l'applicabilité de l'art. 28 CO à la cause, sans expliciter les conséquences concrètes qu'elle en tire pour le cas d'espèce. Elle évoque toutefois avoir résilié le contrat avec effet
ex tunc. La question de savoir si une telle motivation permet de renoncer à l'exigence de conclusions réformatoires peut demeurer indécise, vu l'issue qu'il convient de réserver au recours.
2.
2.1. Le Tribunal fédéral statue sur la base des faits établis par l'autorité précédente (art. 105 al. 1 LTF). Il ne peut s'en écarter que si ces faits ont été établis de façon manifestement inexacte - ce qui correspond à la notion d'arbitraire au sens de l'art. 9 Cst. (ATF 140 III 115 consid. 2; 137 I 58 consid. 4.1.2; 137 II 353 consid. 5.1) - ou en violation du droit au sens de l'art. 95 LTF (art. 105 al. 2 LTF), et si la correction du vice est susceptible d'influer sur le sort de la cause (art. 97 al. 1 LTF).
Concernant l'appréciation des preuves, le Tribunal fédéral n'intervient, du chef de l'art. 9 Cst., que si le juge du fait n'a manifestement pas compris le sens et la portée d'un moyen de preuve, a omis sans raisons objectives de tenir compte des preuves pertinentes ou a effectué, sur la base des éléments recueillis, des déductions insoutenables (ATF 137 III 226 consid. 4.2; 136 III 552 consid. 4.2; 134 V 53 consid. 4.3).
La critique de l'état de fait retenu est soumise au principe strict de l'allégation énoncé par l'art. 106 al. 2 LTF (ATF 140 III 264 consid. 2.3 et les références citées). La partie qui entend attaquer les faits constatés par l'autorité précédente doit expliquer clairement et de manière circonstanciée en quoi ces conditions seraient réalisées (ATF 140 III 16 consid. 1.3.1 et les références citées). Si la critique ne satisfait pas à ces exigences, les allégations relatives à un état de fait qui s'écarterait de celui de la décision attaquée ne pourront pas être prises en considération (ATF 140 III 16 consid. 1.3.1). Les critiques de nature appellatoire sont irrecevables (ATF 130 I 258 consid. 1.3).
Le complètement de l'état de fait ne relève pas de l'arbitraire; un fait non constaté ne peut pas être arbitraire, c'est-à-dire constaté de manière insoutenable. En revanche, si un fait omis est juridiquement pertinent, le recourant peut obtenir qu'il soit constaté s'il démontre qu'en vertu des règles de la procédure civile, l'autorité précédente aurait objectivement pu en tenir compte et s'il désigne précisément les allégués et les offres de preuves qu'il lui avait présentés, avec référence aux pièces du dossier (ATF 140 III 86 consid. 2).
2.2. Le Tribunal fédéral applique le droit d'office (art. 106 al. 1 LTF). Compte tenu de l'exigence de motivation contenue à l' art. 42 al. 1 et 2 LTF , sous peine d'irrecevabilité (art. 108 al. 1 let. b LTF), il n'examine en principe que les griefs invoqués, sauf en cas d'erreurs juridiques manifestes. Il n'est pas tenu de traiter, comme le ferait une autorité de première instance, toutes les questions juridiques qui pourraient se poser, lorsque celles-ci ne sont plus discutées devant lui (ATF 140 III 86 consid. 2; 137 III 580 consid. 1.3). Par exception à la règle selon laquelle il applique le droit d'office, il n'examine la violation d'un droit constitutionnel que si le grief a été invoqué et motivé de façon détaillée (art. 106 al. 2 LTF; ATF 137 III 580 consid. 1.3; 135 III 397 consid. 1.4).
3.
À ce stade, seul est litigieux le point de savoir si la recourante pouvait se prévaloir des dispositions générales sur les vices du consentement (art. 23 ss CO), en particulier de l'art. 28 CO, en raison de la réticence commise par le gérant.
4.
La recourante fait grief à la cour cantonale d'avoir violé l'art. 28 CO.
4.1. Selon l'instance précédente, la recourante ne pouvait se fonder sur l'art. 28 CO pour se départir du contrat. D'après les juges cantonaux, la réglementation légale de la LCA en matière de réticence constitue une
lex specialis prévalant sur les règles générales régissant les vices du consentement. Il était ainsi exclu, pour la recourante, de se prévaloir des art. 23 ss CO en l'espèce, puisque les conditions d'une réticence étaient réalisées.
4.2. D'après la recourante, une entreprise d'assurance devrait pouvoir se prévaloir des dispositions générales sur les vices de consentement, même dans l'hypothèse d'un cas de réticence. Les art. 4 ss LCA ne seraient pas une
lex specialis par rapport à l'art. 28 CO: preuve en serait que certaines hypothèses réglementées par les art. 4 ss LCA ne seraient pas couvertes par l'art. 28 CO. Les deux régimes se chevaucheraient et pourraient être invoqués alternativement par l'assureur. En l'occurrence, les conditions d'un dol au sens de l'art. 28 CO seraient réalisées: il ressortirait de l'état de fait de l'arrêt cantonal que la recourante aurait été trompée par sa cocontractante quant à l'état de santé des personnes à assurer; cette tromperie serait illicite, car rien ne la justifierait; l'erreur engendrée aurait été causale pour la conclusion du contrat d'assurance. S'ensuivrait sa nullité
ex tunc.
4.3. Les art. 3 à 6 LCA régissent spécialement les devoirs précontractuels des parties au contrat d'assurance. En particulier, le proposant, futur assuré, doit déclarer à l'assureur, suivant un questionnaire ou en réponse à toute autre question, tous les faits qui sont importants pour l'appréciation du risque, soit les faits qui sont de nature à influer sur la décision de l'assureur de conclure le contrat ou de le conclure aux conditions convenues (art. 4 LCA). En cas de réticence, c'est-à-dire si le proposant a omis de déclarer ou inexactement déclaré un fait important qu'il connaissait ou devait connaître et sur lequel il a été questionné, l'assureur est en droit de résilier le contrat dans les quatre semaines dès qu'il en a eu connaissance ( art. 6 al. 1-2 LCA ). Ce devoir d'avis du proposant (art. 4 LCA), les conséquences de sa violation (art. 6 LCA) et les exceptions (art. 8 LCA) constituent une institution juridique particulière, dont la justification repose sur les caractéristiques de l'activité d'assurance (arrêt 4A_352/2014 du 9 février 2015 consid. 4.1.2; Vincent Brulhart, Droit des assurances privées, 2e éd. 2017, n. 634). Les art. 4 à 8 LCA règlent complètement la réticence et ses conséquences, à l'exclusion des dispositions générales du CO (ATF 118 II 333 consid. 3d; arrêts 4A_352/2014 précité consid. 4.1.2; 4A_112/2013 du 20 août 2013 consid. 3.5.1; Corinne Monnard Séchaud, in Commentaire romand, Loi sur le contrat d'assurance, 2022, n. 16 ad art. 6 LCA; Brulhart, loc.cit.; Hardy Landolt/Volker Pribnow, Privatversicherungsrecht, 2022, n. 268). La violation d'autres obligations demeure soumise aux règles du CO: ainsi, l'erreur dans la désignation de l'objet assuré est régie par les règles du CO sur les vices de la volonté, et non pas par les dispositions spéciales concernant le contrat d'assurance (art. 23 ss CO; ATF 118 II 333 consid. 3d; arrêt 4A_352/2014 précité consid. 4.1.2).
En dépit des critiques que lui adressent certains auteurs (Stephan Fuhrer, Schweizerisches Privatversicherungsrecht, 2011, n. 6.110; Andrea P. Stäubli, Die Regelung über die vorvertragliche Anzeigepflicht des Versicherungsnehmers nach Art. 4 ff. VVG und ihr Verhältnis zum allgemeinen Zivilrecht, 2019, n. 602 ss et n. 610 ss; Alexandre Lehmann, Importante relativisation du délai de quatre semaines pour invoquer la réticence - Commentaire de l'arrêt du Tribunal fédéral 9C_702/2018 du 16 mai 2019, in REAS 2019 405, p. 409), il n'y a pas lieu de revenir sur cette jurisprudence.
4.4. En l'espèce, il n'est pas contesté que le gérant de l'intimée a commis une réticence au sens de l'art. 6 al. 1 LCA et que la recourante était forclose au moment où elle a résilié le contrat (art. 6 al. 2 LCA). Les règles sur les conséquences de la réticence étant exclusives, la recourante ne saurait se prévaloir d'un vice du consentement au sens de l'art. 28 CO qui lui permettrait de bénéficier du délai d'un an (art. 31 CO) pour déclarer à sa cocontractante sa résolution de ne pas maintenir le contrat.
Le grief doit dès lors être rejeté.
5.
En définitive, le recours doit être rejeté, dans la mesure où il est recevable. La recourante, qui succombe, supportera les frais de procédure (art. 66 al. 1 LTF). Il n'y a pas lieu d'allouer de dépens à l'intimée qui n'a pas été invitée à se déterminer.
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :
1.
Le recours est rejeté, dans la mesure où il est recevable.
2.
Les frais judiciaires, arrêtés à 2'000 fr., sont mis à la charge de la recourante.
3.
Le présent arrêt est communiqué aux parties et à la Chambre des assurances sociales de la Cour de justice de la République et canton de Genève.
Lausanne, le 28 avril 2025
Au nom de la I re Cour de droit civil
du Tribunal fédéral suisse
Le Président : Hurni
La Greffière : Fournier