Bundesgericht
Tribunal fédéral
Tribunale federale
Tribunal federal
7B_665/2023
Arrêt du 29 avril 2025
IIe Cour de droit pénal
Composition
MM. et Mme les Juges fédéraux Abrecht, Président,
van de Graaf et Hofmann,
Greffière : Mme Rubin-Fügi.
Participants à la procédure
A.A.________ et B.A.________,
représentés par Me Gilles-Antoine Hofstetter, avocat,
recourants,
contre
Ministère public de la République et canton du Jura, Le Château, 2900 Porrentruy,
intimé.
Objet
Ordonnance de non-entrée en matière,
recours contre la décision de la Chambre pénale des recours du Tribunal cantonal de la République et canton du Jura du 21 août 2023 (CPR 44/2023).
Faits :
A.
A.a. En 2019, B.A.________ et A.A.________ ont consulté Me C.________ dans le cadre d'un litige civil les opposant à D.________. Ils reprochaient en substance à cet établissement plusieurs manquements dans la prise en charge médicale de leur fille E.A.________.
Dans le cadre de cette affaire, Me C.________ a mandaté le Dr F.________ en qualité de médecin-conseil, afin de déterminer si une erreur de diagnostic ou thérapeutique avait été commise par D.________. Le Dr F.________ a rendu un rapport préliminaire le 14 octobre 2021; en résumé, il en ressort qu'aucun manquement au devoir de diligence ne pouvait être imputé à D.________ et que "l'ensemble des signes présentés par E.A.________ pouvaient vraisemblablement trouver leur origine dans des maltraitances répétées sous forme d'attouchements, de viols et rapports anaux, sans qu'il soit possible de soupçonner un proche de l'entourage au regard d'une ambiance de secret familial". À la suite de ces observations, Me C.________ a adressé un courriel aux époux A.________ le 28 février 2022, les informant de son intention d'agir dans l'intérêt de leur fille E.A.________, "victime potentielle", avec le concours du Dr F.________.
Le 19 avril 2023, B.A.________ et A.A.________ ont déposé une plainte pénale contre le Dr F.________ pour diffamation (art. 173 ch. 1 CP) et calomnie (art. 174 ch. 1 CP) en lien avec ses propos tenus dans son rapport du 14 octobre 2021.
A.b. Par ordonnance du 30 mai 2023, le Ministère public de la République et canton du Jura (ci-après: le Ministère public) a refusé d'entrer en matière sur la plainte pénale du 19 avril 2023 au motif que celle-ci était tardive.
B.
Par arrêt du 21 août 2023, la Chambre pénale des recours du Tribunal cantonal de la République et canton du Jura (ci-après: la cour cantonale ou l'autorité précédente) a rejeté le recours formé par B.A.________ et A.A.________ contre l'ordonnance du 30 mai 2023.
C.
B.A.________ et A.A.________ interjettent un recours en matière pénale au Tribunal fédéral contre l'arrêt du 21 août 2023, en concluant principalement à sa réforme en ce sens que le Ministère public entre en matière sur leur plainte du 19 avril 2023 pour diffamation et calomnie. À titre subsidiaire, ils concluent à l'annulation de l'arrêt attaqué et au renvoi de la cause à l'autorité précédente pour nouvelle décision.
Il n'a pas été ordonné d'échanges d'écritures. L'autorité précédente a produit le dossier de la cause.
Considérant en droit :
1.
Le Tribunal fédéral examine d'office sa compétence (art. 29 al. 1 LTF) et contrôle librement la recevabilité des recours qui lui sont soumis (ATF 149 IV 9 consid. 2).
1.1. L'arrêt querellé est une décision finale (cf. art. 90 LTF), qui a été rendue, dans une cause pénale, par une autorité cantonale de dernière instance (cf. art. 80 al. 1 LTF). Il est donc susceptible de faire l'objet d'un recours en matière pénale (cf. art. 78 ss LTF), lequel a été déposé en temps utile (cf. art. 100 al. 1 LTF).
1.2. Les recourants font grief à la cour cantonale d'avoir conclu à un empêchement de procéder au sens de l'art. 310 al. 1 let. b CPP en raison du caractère tardif de leur plainte pénale (cf. art. 31 CP), qu'ils considèrent avoir déposée en temps voulu. Ce faisant, ils se plaignent d'une violation de leur droit de porter plainte, de sorte qu'ils ont la qualité pour recourir sur ce point (cf. art. 81 al. 1 ch. 6 LTF; arrêts 7B_385/2023 du 24 mai 2024 consid. 1.4; 7B_81/2022 du 13 juillet 2023 consid. 2.1).
L'objet du litige est cependant circonscrit par l'arrêt entrepris à la question de la tardiveté de la plainte pénale déposée par les recourants le 19 avril 2023, le Tribunal fédéral n'ayant pas à examiner le fond de la contestation; toutes autres considérations sont irrecevables (cf. art. 80 al. 1 LTF). Il en va en particulier ainsi des critiques des recourants relatives à l'absence d'examen par le Ministère public des éléments constitutifs des infractions dénoncées.
1.3. Indépendamment des conditions posées par l'art. 81 al. 1 LTF, la partie recourante est aussi habilitée à se plaindre d'une violation de ses droits de partie équivalant à un déni de justice formel. Elle ne peut toutefois pas faire valoir par ce biais, même indirectement, des moyens qui ne peuvent pas être séparés du fond (ATF 141 IV 1 consid. 1.1 et les références citées).
En l'occurrence, les recourants reprochent au Ministère public d'avoir commis un déni de justice, respectivement d'avoir violé leur droit d'être entendus en refusant d'entrer en matière sur leur plainte pénale sans avoir ordonné de mesures d'instruction, en particulier l'audition du Dr F.________ (ci-après: l'intimé) et celle de Me C.________ (cf. pp. 8-10 du recours). Ce faisant, ils ne cherchent toutefois pas à remettre en cause l'appréciation de la cour cantonale selon laquelle ces auditions - qu'ils n'ont pas même requises auprès du Ministère public - seraient inutiles pour s'assurer du respect du délai de leur plainte. À bien suivre les recourants, l'audition des prénommés aurait bien plutôt dû être mise en oeuvre afin de déterminer si d'éventuelles infractions de diffamation voire de calomnie auraient pu être commises, notamment après le 28 février 2022. Ce faisant, les critiques des recourants ne visent en réalité qu'à étayer leurs accusations contre le Dr F.________, respectivement à remettre en cause le refus du Ministère public d'instruire les faits dénoncés dans leur plainte pénale. Ces griefs sont dès lors indissociables de la cause au fond et sont partant irrecevables.
2.
2.1. Les recourants contestent la tardiveté du dépôt de leur plainte pour diffamation (art. 173 ch. 1 CP) respectivement calomnie (art. 174 ch. 1 CP). Ils invoquent une violation de l'art. 31 CP ainsi que l'arbitraire dans l'établissement des faits et l'appréciation des preuves.
2.2.
2.2.1. La poursuite de certaines infractions implique le dépôt d'une plainte pénale au sens de l'art. 30 CP. Tel est notamment le cas des infractions de diffamation et calomnie réprimées aux art. 173 ch. 1 respectivement 174 ch. 1 CP.
Selon l'art. 31 CP, le délai de plainte est de trois mois. Il court dès le jour où l'ayant droit a connaissance de l'auteur et de l'acte délictueux, c'est-à-dire des éléments constitutifs objectifs et subjectifs de l'infraction. Cette connaissance doit être suffisante pour permettre à l'ayant droit de considérer qu'il aurait de fortes chances de succès en poursuivant l'auteur, sans s'exposer au risque d'être attaqué pour dénonciation calomnieuse ou diffamation; de simples soupçons ne suffisent pas, mais il n'est pas nécessaire que l'ayant droit dispose déjà de moyens de preuve (ATF 126 IV 131 consid. 2; 121 IV 272 consid. 2a; arrêts 7B_385/2023 du 24 mai 2024 consid. 3.1; 7B_80/2023 du 6 février 2024 consid. 2.1.4). Il n'est pas nécessaire que l'ayant droit ait connaissance de la qualification juridique des faits (arrêts 7B_3/2022 du 1
er février 2024 consid. 5.1; 6B_1356/2021 du 9 juin 2023 consid. 2.1.3 et les arrêts cités). En outre, le délai ne court pas aussi longtemps que la commission d'une infraction demeure incertaine en raison de la situation factuelle (arrêts 7B_3/2022 du 1
er février 2024 consid. 5.1; 6B_1356/2021 du 9 juin 2023 consid. 2.1.3 et les arrêts cités).
2.2.2. Le Tribunal fédéral n'est pas une autorité d'appel, auprès de laquelle les faits pourraient être rediscutés librement. Il est lié par les constatations de fait de la décision entreprise (art. 105 al. 1 LTF), à moins qu'elles aient été établies en violation du droit ou de manière manifestement inexacte au sens des art. 97 al. 1 et 105 al. 2 LTF, soit pour l'essentiel de façon arbitraire au sens de l'art. 9 Cst. (sur cette notion, voir ATF 148 IV 356 consid. 2.1; 147 IV 73 consid. 4.1.2). Le Tribunal fédéral n'entre en matière sur de tels moyens que s'ils ont été invoqués et motivés de manière précise (art. 106 al. 2 LTF). Les critiques de nature appellatoire sont irrecevables (ATF 150 I 50 consid. 3.3.1; 149 IV 231 consid. 2.4).
2.3. En substance, la cour cantonale a retenu que les recourants avaient pris connaissance du rapport de l'intimé le 4 novembre 2021, par le biais de leur avocat Me C.________. En conséquence, le délai de trois mois prévu par l'art. 31 CP était largement échu au moment du dépôt de leur plainte pénale le 19 avril 2023. Cette conclusion s'imposait même en tenant compte d'un
dies a quo au 26 mai 2022, date à laquelle le dénommé Dr G.________ s'était prononcé sur le rapport litigieux transmis par les recourants. S'agissant du courriel du 28 février 2022, Me C.________ avait certes indiqué qu'il "allait agir dans l'intérêt de l'enfant E.A.________ avec le concours de [l'intimé]"; les recourants ne se prévalaient toutefois que "d'hypothétiques transmissions" du rapport à des tiers après cette date. En particulier, l'Autorité de protection de l'enfant et de l'adulte (ci-après: l'APEA) avait classé la procédure relative à l'enfant des recourants avant le 14 octobre 2021 et ces derniers n'alléguaient pas que le rapport aurait été envoyé à cette autorité ultérieurement. Il n'était ainsi pas établi que les infractions de diffamation et de calomnie reprochées à l'intimé - qui ne formaient pas une unité naturelle d'action - auraient été commises au-delà du 28 février 2022. En définitive, la cour cantonale a considéré que la plainte pénale du 19 avril 2023 était tardive, de sorte que le Ministère public n'avait pas à entrer en matière sur celle-ci en application de l'art. 310 al. 1 let. b CPP (cf. p. 4 de l'arrêt attaqué).
2.4. Les recourants ne contestent pas avoir pris connaissance du contenu du rapport de l'intimé - qu'ils estiment attentatoire à leur honneur - et de sa transmission à un tiers, leur avocat, le 4 novembre 2021. Ils considèrent néanmoins que les infractions de diffamation et de calomnie dénoncées ne seraient pas réalisées par la transmission de ce seul rapport, mais également par des "interventions" et des "démarches ultérieures" de l'intimé en lien avec "les propos diffamatoires/calomnieux" proférés contre eux.
Or les recourants n'évoquent aucun élément concret susceptible de démontrer que l'intimé aurait, de quelque manière que ce soit, tenu ou propagé de tels propos à un tiers après le 4 novembre 2021. Ils ne cherchent pas davantage à établir que de tels éléments ressortiraient de leur recours cantonal. En tant qu'ils se limitent à prétendre le contraire en évoquant - sans aucun développement - que les infractions dénoncées seraient également réalisées par "d'autres moyens de communication", ils procèdent de manière appellatoire et, partant, irrecevable (art. 106 al. 2 LTF). Il en va de même lorsqu'ils s'appuient sur le courriel que leur a envoyé Me C.________ le 28 février 2022 pour en déduire que "des démarches" illicites auraient été déployées par l'intimé. Ce faisant, ils se contentent d'opposer leur propre appréciation à celle de la cour cantonale, sans chercher à démontrer le caractère insoutenable de celle-ci. En tout état, la volonté manifestée par Me C.________ d'agir avec le Dr F.________ dans l'intérêt de l'enfant E.A.________ ne permet pas encore de retenir que le rapport médical ou tout autre renseignement potentiellement attentatoire à l'honneur des recourants aurait effectivement été communiqué à d'autres personnes après ledit courriel. Ainsi, la cour cantonale n'a pas versé dans l'arbitraire en retenant qu'une transmission du rapport litigieux par l'intimé à des tiers après le 28 février 2022 n'était qu'hypothétique, respectivement que rien n'indiquait que les infractions reprochées auraient été commises après cette date.
En outre, on ne saurait déduire de cette dernière formulation que les infractions dénoncées seraient réalisées jusqu'à la date précitée. Contrairement à ce que les recourants soutiennent, la cour cantonale ne s'est à aucun moment prononcée sur le bien-fondé des accusations des recourants, mais a limité son examen à la question du respect du délai de plainte prescrit par l'art. 31 CP (cf. consid. 1.2 et 2.3
supra). Or dès lors que les recourants étaient au courant dès le 4 novembre 2021 des circonstances pertinentes pour fonder une éventuelle responsabilité pénale de l'intimé, le délai précité arrivait à échéance au plus tard le 4 février 2022. Déposée le 19 avril 2023, la plainte pénale ne l'a donc pas été en temps utile, comme retenu dans l'arrêt attaqué. La situation ne serait du reste pas différente si les infractions dénoncées constituaient des délits continus (cf. sur cette notion, voir ATF 135 IV 6 consid. 3.2; 132 IV 49 consid. 3.1.2.2), question qui peut demeurer indécise en l'espèce. En effet, même s'il fallait considérer que l'intimé avait perpétué une situation illégale par des agissements diffamatoires ou calomnieux postérieurs au 4 novembre 2021, le
dies a quo correspondrait au jour où ceux-ci ont cessé (cf. ATF 132 IV 49 consid. 3.1.2.3). Dans la mesure où il n'est pas établi que les infractions dénoncées auraient pu être commises après le 28 février 2022, le délai de plainte était donc échu au plus tard depuis le 28 mai 2022, soit bien avant le dépôt de la plainte.
Enfin, les éventuelles infractions de diffamation ou de calomnie que l'intimé aurait pu commettre après le 28 février 2022 ne changent rien à ce qui précède. On rappellera que le délai prescrit par l'art. 31 CP ne court pas aussi longtemps que la commission d'une infraction demeure incertaine en raison de la situation factuelle; l'ayant droit doit notamment avoir une connaissance suffisante de l'infraction pour lui permettre de considérer qu'il aurait de fortes chances de succès en poursuivant l'auteur (cf. consid. 2.2.1
supra). Or tel n'est pas le cas en l'espèce s'agissant de simples soupçons d'actes attentatoires à leur honneur que les recourants imputent - sans pouvoir se fonder sur aucun indice tangible - à l'intimé après le 28 février 2022. Conformément à la jurisprudence précitée, ces agissements hypothétiques ne sauraient être couverts par la plainte du 19 avril 2023 ni faire partir le délai légal.
2.5. En conséquence, la cour cantonale n'a pas versé dans l'arbitraire ni violé le droit fédéral en considérant comme tardive la plainte pénale déposée le 19 avril 2023 pour diffamation (art. 173 ch. 1 CP) et calomnie (art. 174 ch. 1 CP) par les recourants. C'est donc à juste titre que la cour cantonale a confirmé l'ordonnance de non-entrée en matière du Ministère public (art. 310 al. 1 let. b CPP).
3.
Le recours doit par conséquent être rejeté dans la mesure où il est recevable. Les recourants, qui succombent, supporteront les frais judiciaires (art. 66 al. 1 LTF).
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :
1.
Le recours est rejeté dans la mesure où il est recevable.
2.
Les frais judiciaires, arrêtés à 3'000 fr., sont mis à la charge des recourants, solidairement entre eux.
3.
Le présent arrêt est communiqué aux parties et à la Chambre pénale des recours du Tribunal cantonal de la République et canton du Jura.
Lausanne, le 29 avril 2025
Au nom de la IIe Cour de droit pénal
du Tribunal fédéral suisse
Le Président : Abrecht
La Greffière : Rubin-Fügi