Bundesgericht
Tribunal fédéral
Tribunale federale
Tribunal federal
4A_406/2024
Arrêt du 30 septembre 2024
Ire Cour de droit civil
Composition
Mmes et M. les Juges fédéraux
Kiss, juge présidant, Rüedi et May Canellas.
Greffier: M. O. Carruzzo.
Participants à la procédure
A.________,
représentée par Me Claude Ramoni, avocat,
requérante,
contre
B.________,
représenté par Me Philippe Ciocca, avocat,
intimé.
Objet
arbitrage international en matière de sport,
demande de révision de la sentence rendue le 22 février 2024 par le Tribunal Arbitral du Sport (CAS 2022/O/9354).
Faits :
A.
Le 30 septembre 2021, l'équipe de cyclisme (...) A.________ (ci-après: A.________) a engagé le cycliste professionnel (...) B.________ (ci-après: le cycliste) en qualité de coureur cycliste indépendant pour les saisons 2022 et 2023. La rémunération mensuelle convenue était de 125'000 euros (EUR) pour la saison 2022 et de 150'000 EUR pour la saison 2023. Le cycliste a également signé un document, intitulé " Acknowledgment and Recognition of Ethical Principles ", conformément à la réglementation adoptée par l'Union Cycliste Internationale (UCI).
En mai 2022, le cycliste a pris part au Tour d'Italie mais il a dû abandonner quelques jours après le début de la compétition en raison d'une blessure à la cuisse gauche.
Le 20 juillet 2022, le cycliste s'est vu notifier, à l'aéroport de Madrid, une citation à comparaître dans le cadre d'une procédure pénale conduite par les autorités espagnoles liée à la distribution de médicaments illégaux et de produits dopants à des athlètes par le Dr C.________. Un colis contenant des produits à base de ménotropine, prétendument envoyé par le Dr C.________ au cycliste, a été intercepté par la Garde civile espagnole.
Le 22 juillet 2022, A.________, ayant appris que le cycliste était potentiellement impliqué dans " l'affaire du Dr C.________ ", a décidé de suspendre immédiatement le sportif à titre préventif et de cesser de lui verser sa rémunération.
Le 31 juillet 2022, après avoir recueilli les explications du cycliste, A.________ a accepté de le réintégrer dans l'équipe, à certaines conditions. Tout d'abord, l'échéance du contrat liant les parties a été fixée au 31 décembre 2022 au lieu du 31 décembre 2023. Ensuite, celles-ci sont convenues qu'aucune rémunération ne serait versée au cycliste jusqu'à la confirmation, par les autorités chargées de la lutte antidopage, qu'aucune infraction n'avait été commise par ce dernier. Enfin, le cycliste s'est engagé à informer A.________ de tout nouveau développement concernant sa situation devant les autorités judiciaires ou celles responsables de la lutte antidopage. Le contrat conclu le 30 septembre 2021 a été amendé par les parties afin de tenir compte desdits éléments.
Entre le 19 août et le 11 septembre 2022, le cycliste a participé à la "Vuelta de España". Il a subi divers contrôles antidopage qui se sont tous révélés négatifs et aucun incident n'a été rapporté s'agissant de son passeport biologique.
Le 5 octobre 2022, le cycliste a informé A.________ que sa citation à comparaître en qualité de personne sous investigation avait été annulée par les autorités espagnoles.
Le 24 octobre 2022, l'UCI a indiqué à A.________ qu'aucune procédure antidopage n'était ouverte à l'encontre du cycliste.
Le 22 novembre 2022, A.________ et le cycliste ont conclu un nouveau contrat, en vertu duquel ce dernier s'est engagé à fournir ses services pour la saison 2023 moyennant le versement d'un salaire annuel de 1'000'000 EUR, payable en douze mensualités.
Le 28 novembre 2022, un physiothérapeute de A.________ a révélé à cette dernière le contenu d'un rapport figurant au dossier de la procédure pénale conduite par les autorités espagnoles, document qui contenait des messages échangés entre le Dr C.________ et le cycliste à l'époque du Tour d'Italie 2022.
Le 9 décembre 2022, A.________ a décidé de résilier les contrats conclus avec le cycliste en 2021 et 2022. Pour justifier cette décision, elle a indiqué avoir reçu, quelques jours auparavant, de nouvelles informations établissant l'existence d'une collaboration entre le Dr C.________ et le cycliste et l'implication de ce dernier dans les faits ayant donné lieu à l'ouverture d'une enquête pénale en Espagne.
B.
Le 28 décembre 2022, le cycliste a introduit une requête d'arbitrage devant le Tribunal Arbitral du Sport (TAS) à l'encontre de A.________ en vue d'obtenir le paiement des montants de 750'000 EUR et de 1'000'000 EUR au titre de la rémunération qu'il estimait encore due pour les saisons 2022 et 2023.
Une Formation de trois membres a été constituée.
Le 15 mai 2023, l'International Testing Agency a informé le cycliste de l'ouverture d'une procédure disciplinaire à son encontre pour cause d'éventuelles infractions à la réglementation antidopage de l'UCI en raison de la prétendue utilisation de ménotropine par lui dans les semaines précédant le Tour d'Italie 2022.
Le 25 mai 2023, A.________ a sollicité la suspension de la procédure d'arbitrage jusqu'à droit connu sur ladite procédure disciplinaire.
Le 6 juin 2023, la Formation a rejeté cette requête.
Le 25 juillet 2023, l'UCI a décidé de suspendre immédiatement le cycliste à titre provisionnel. Elle a communiqué cette décision à A.________ le même jour.
La Formation a tenu une audience à Lausanne le 31 octobre 2023.
Par sentence finale du 22 février 2024, la Formation, admettant partiellement la demande, a condamné A.________ à payer au demandeur la somme de 662'500 EUR, intérêts en sus, montant correspondant à la rémunération due pour la période du 22 juillet au 9 décembre 2022. En bref, elle a estimé que le cycliste avait enfreint ses obligations contractuelles en faisant appel aux services du Dr C.________ sans avoir recueilli l'autorisation préalable de A.________. Celle-ci était dès lors fondée à mettre un terme aux rapports contractuels, raison pour laquelle il n'était pas nécessaire de déterminer si le cycliste avait également utilisé des substances interdites, telle la ménotropine. La Formation a également considéré qu'un éventuel lien de causalité entre le prétendu usage de ménotropine et la blessure subie par le cycliste lors du Tour d'Italie 2022 n'était pas établi, raison pour laquelle l'incapacité de travail résultant de cette blessure ne pouvait pas être qualifiée de fautive. Poursuivant son analyse, elle a jugé que le cycliste avait contractuellement droit à la rémunération convenue jusqu'au moment de la résiliation. A cet égard, elle a notamment relevé qu'aucune procédure disciplinaire n'avait été ouverte à l'encontre du cycliste au moment de la résiliation du contrat, de sorte que A.________ ne pouvait pas se fonder sur la deuxième condition, objet de l'amendement du 31 juillet 2022, pour ne pas verser à l'intéressé la rémunération convenue. La Formation a, en revanche, estimé que le cycliste n'avait pas droit aux montants réclamés pour la période postérieure à la résiliation.
Les parties n'ont pas formé de recours au Tribunal fédéral contre cette sentence dans le délai prévu à cet effet.
C.
Le 26 juillet 2024, A.________ (ci-après: la requérante) a présenté une demande de révision de ladite sentence, en concluant à son annulation.
Les mesures d'instruction requises par l'intéressée dans sa demande de révision ont été écartées par ordonnance présidentielle du 30 juillet 2024.
Le cycliste (ci-après: l'intimé) et le TAS n'ont pas été invités à se déterminer sur la demande de révision.
Considérant en droit :
1.
D'après l'art. 54 al. 1 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le Tribunal fédéral rédige son arrêt dans une langue officielle, en règle générale dans la langue de la décision attaquée. Lorsque cette décision a été rendue dans une autre langue (ici l'anglais), le Tribunal fédéral utilise la langue officielle choisie par les parties. Devant le TAS, celles-ci se sont servies de l'anglais, tandis que, dans le mémoire qu'elle a adressé au Tribunal fédéral, la requérante a employé le français. Conformément à sa pratique, le Tribunal fédéral rendra, par conséquent, son arrêt en français.
2.
Le siège du TAS se trouve à Lausanne. Aucune des parties n'avait son siège respectivement son domicile en Suisse au moment déterminant. Les dispositions du chapitre 12 de la loi sur le droit international privé (LDIP; RS 291) sont donc applicables (art. 176 al. 1 LDIP).
3.
Toute loi de procédure prévoit un moment à partir duquel les décisions de justice sont définitives, qu'elles émanent d'autorités étatiques ou de tribunaux privés. Effectivement, il arrive toujours un moment où la vérité matérielle, si tant est qu'elle puisse être établie, doit s'effacer devant la vérité judiciaire, quelque imparfaite qu'elle soit, sous peine de mettre en péril la sécurité du droit. Il est cependant des situations extrêmes où le sentiment de la justice et de l'équité requiert impérativement qu'une décision en force ne puisse pas prévaloir, parce qu'elle est fondée sur des prémisses viciées. C'est précisément le rôle de la révision que de permettre d'y remédier (ATF 142 III 521 consid. 2.1 et les références citées).
3.1. Dans sa version en vigueur depuis le 1er janvier 2021 (RO 2020 p. 4184), la LDIP contient des dispositions relatives à la révision des sentences arbitrales internationales.
3.2. Le Tribunal fédéral est l'autorité judiciaire compétente pour connaître d'une demande de révision visant une sentence arbitrale internationale et la procédure est régie par l'art. 119a LTF (art. 191 LDIP). Selon l'art. 119a al. 2 LTF, la procédure de révision est régie par les art. 77 al. 2bis et 126 LTF . Si le Tribunal fédéral admet la demande de révision, il annule la sentence et renvoie la cause au tribunal arbitral pour qu'il statue à nouveau, ou fait les constatations nécessaires (art. 119a al. 3 LTF).
3.3. La demande de révision doit être déposée devant le Tribunal fédéral, sous peine de déchéance, dans les 90 jours qui suivent la découverte du motif de révision (art. 190a al. 2 LDIP). Il s'agit là d'une question qui relève de la recevabilité, et non du fond. La découverte du motif de révision implique que le requérant a une connaissance suffisamment sûre du fait nouveau pour pouvoir l'invoquer, même s'il n'est pas en mesure d'en apporter une preuve certaine; une simple supposition ne suffit pas. Il appartient à la partie requérante d'établir les circonstances déterminantes pour la vérification du respect du délai (ATF 149 III 277 consid. 4.1.2 et les références citées).
4.
Aux termes de l'art. 190a al. 1 let. a LDIP, une partie peut demander la révision d'une sentence si elle découvre après coup des faits pertinents ou des moyens de preuve concluants qu'elle n'a pu invoquer dans la procédure précédente bien qu'elle ait fait preuve de la diligence requise; les faits ou moyens de preuve postérieurs à la sentence sont exclus. Une demande de révision fondée sur l'art. 190a al. 1 let. a LDIP obéit aux mêmes conditions que celle introduite sur la base de l'art. 123 al. 2 let. a LTF. En effet, la formulation de l'art. 190a al. 1 let. a LDIP correspond, en substance, à celle de l'art. 123 al. 2 let. a LTF. Aussi peut-on se référer à la jurisprudence relative à la disposition précitée de la LTF (ATF 149 III 277 consid. 4.1.1 et les références citées).
4.1. La révision pour le motif tiré de la découverte de faits nouveaux suppose la réalisation de cinq conditions: 1° le requérant invoque un ou des faits; 2° ce ou ces faits sont "pertinents", dans le sens d'importants, c'est-à-dire qu'ils sont de nature à modifier l'état de fait qui est à la base de la décision et à conduire à une solution différente en fonction d'une appréciation juridique correcte; 3° ces faits existaient déjà lorsque la décision a été rendue: il s'agit de pseudo-nova, c'est-à-dire de faits antérieurs à la décision ou, plus précisément, de faits qui se sont produits jusqu'au moment où, dans la procédure principale, des allégations de fait étaient encore recevables; 4° ces faits ont été découverts après coup; 5° le requérant n'a pas pu, malgré toute sa diligence, invoquer ces faits dans la procédure précédente (ATF 147 III 238 consid. 4.1; 143 III 272 consid. 2.2 et les références citées; arrêt 4A_606/2021 du 28 avril 2022 consid. 3.2.1).
4.2. Quant à la demande de révision fondée sur la découverte de preuves concluantes, elle suppose en bref aussi la réunion de cinq conditions: 1° les preuves doivent porter sur des faits antérieurs (pseudo-nova); 2° elles doivent être concluantes, c'est-à-dire propres à entraîner une modification du jugement dans un sens favorable au requérant; 3° elles doivent avoir déjà existé lorsque le jugement a été rendu (plus précisément jusqu'au dernier moment où elles pouvaient encore être introduites dans la procédure principale); 4° elles doivent avoir été découvertes seulement après coup; 5° le requérant n'a pas pu les invoquer, sans faute de sa part, dans la procédure précédente (ATF 147 III 238 consid. 4.2; arrêt 4A_606/2021, précité, consid. 3.2.2). Il n'y a pas motif à révision du seul fait que le tribunal paraît avoir mal interprété des faits connus déjà lors de la procédure principale. L'appréciation inexacte doit être, bien plutôt, la conséquence de l'ignorance ou de l'absence de preuve de faits essentiels pour le jugement (arrêt 4A_606/2021, précité, consid. 3.2.2).
5.
5.1. A l'appui de sa demande de révision, fondée sur l'art. 190a al. 1 let. a LDIP, la requérante fait valoir que le Tribunal antidopage de l'UCI, en mai 2024, a reconnu l'intimé coupable d'une violation des règles antidopage pour usage et possession d'une substance interdite (ménotropine) à l'époque du Tour d'Italie 2022 et, partant, lui a infligé une suspension de quatre ans, cette sanction déployant ses effets à partir du 25 juillet 2023. Elle précise avoir découvert ces informations le 29 mai 2024, date à laquelle l'UCI a publié un communiqué de presse relatant la condamnation de l'intimé. Selon la requérante, la Formation, si elle avait eu connaissance de l'infraction antidopage commise par l'intimé dans le contexte du Tour d'Italie 2022, aurait reconnu qu'elle avait refusé à juste titre de ne pas verser à l'intimé la rémunération convenue pour la période comprise entre le 22 juillet et le 9 décembre 2022, étant donné que ce dernier n'avait pas respecté ses obligations contractuelles. A en croire la requérante, ces " faits nouvellement découverts, respectivement confirmés " auraient été de nature à conduire à une solution différente. La requérante prétend en outre que les éléments fondant la présente demande de révision existaient déjà avant le prononcé de la sentence attaquée.
5.2. Semblable argumentation n'emporte pas la conviction de la Cour de céans.
Force est d'emblée de relever que la requérante fonde en l'occurrence sa demande de révision sur la décision rendue par le Tribunal disciplinaire de l'UCI en mai 2024, soit un moyen de preuve postérieur au prononcé de la sentence entreprise. Or, il ressort clairement du texte de l'art. 190a al. 1 let. a LDIP qu'une partie ne peut pas se prévaloir de faits ou de moyens de preuve postérieurs à la sentence querellée. La requérante, qui cherche à contourner ce problème en affirmant que l'organe disciplinaire de l'UCI a nécessairement dû se baser sur des moyens de preuve qui existaient déjà au moment de la reddition de la sentence arbitrale pour retenir que l'intimé avait enfreint la réglementation antidopage lors du Tour d'Italie 2022, ne saurait être suivie, car pareille démarche est incompatible avec la lettre de l'art. 190a al. 1 let. a LDIP (ATF 149 III 277 consid. 4.3 et les références citées; arrêt 4A_69/2022 du 23 septembre 2022 consid. 4.4 non publié in ATF 148 III 436).
Mais il y a plus. Au cours de la procédure d'arbitrage, la Formation et la requérante savaient pertinemment qu'une procédure disciplinaire avait été ouverte en mai 2023 à l'encontre de l'intimé car ce dernier était suspecté d'avoir utilisé de la ménotropine à l'époque du Tour d'Italie 2022. Ainsi, le prétendu nouvel élément allégué par la requérante - à savoir l'usage par l'intimé d'une substance interdite lors du Tour d'Italie 2022 - n'a en réalité pas été découvert après coup. Seule la sanction prononcée par le Tribunal disciplinaire de l'UCI à raison de ces faits, postérieurement au prononcé de la sentence attaquée, est nouvelle. Cette seule circonstance n'est toutefois pas déterminante. La lecture de la sentence attaquée permet en effet de constater que la Formation a considéré qu'elle était saisie d'un litige d'ordre contractuel et qu'il ne lui appartenait pas de déterminer si l'intimé avait commis ou non une infraction à la réglementation antidopage (sentence, n. 117). La Formation avait du reste refusé de suspendre la cause pendante devant elle jusqu'à droit connu sur la procédure disciplinaire initiée contre l'intimé. Autrement dit, les arbitres ont visiblement considéré, à tort ou à raison, que le point de savoir si l'intimé avait enfreint la réglementation antidopage n'avait aucune incidence sur le sort du présent litige. Il s'ensuit que les éléments prétendument nouveaux invoqués par la requérante ne présentent pas un caractère pertinent respectivement concluant, puisqu'ils ne sont pas de nature à entraîner une modification de la sentence entreprise, eu égard aux considérations émises par les arbitres pour justifier la solution retenue par eux.
6.
Au vu de ce qui précède, la demande de révision doit être rejetée. La requérante, qui succombe, supportera les frais de la présente procédure (art. 66 al. 1 LTF). Il n'y a pas lieu à l'allocation de dépens.
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :
1.
La demande de révision est rejetée.
2.
Les frais judiciaires, arrêtés à 8'500 fr., sont mis à la charge de la requérante.
3.
Le présent arrêt est communiqué aux mandataires des parties et au Tribunal Arbitral du Sport (TAS).
Lausanne, le 30 septembre 2024
Au nom de la Ire Cour de droit civil
du Tribunal fédéral suisse
La Juge présidant : Kiss
Le Greffier : O. Carruzzo