Bundesgericht
Tribunal fédéral
Tribunale federale
Tribunal federal
7B_768/2024
Arrêt du 30 octobre 2024
IIe Cour de droit pénal
Composition
MM. les Juges fédéraux Abrecht, Président,
Hofmann et Hurni.
Greffière : Mme Nasel.
Participants à la procédure
A.________,
représenté par Me Nicola Meier, avocat,
recourant,
contre
B.________, procureur, p.a. Ministère public de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B,
1213 Petit-Lancy,
intimé.
Objet
Récusation,
recours contre l'arrêt de la Chambre pénale de recours de la Cour de justice de la République et canton de Genève du 10 juin 2024 (PS/32/2024 - ACPR/427/2024).
Faits :
A.
Une instruction pénale est dirigée contre A.________, né en 1988, de nationalité suisse, pour usure par métier (art. 157 ch. 2 CP), blanchiment d'argent (art. 305
bis CP), violation des art. 96 et 97 LTVA (RS 641.20) et de l' art. 116 al. 1 et 3 LEI (RS 142.20), soustraction d'impôt au sens de l'art. 175 LIFD (RS 642.11) en lien avec l'art. 186 LIFD et fraude fiscale au sens de l'art. 59 LHID (RS 642.14). A.________ a été interpellé le 8 avril 2024.
Le même jour, B.________, procureur au Ministère public de la République et canton de Genève (ci-après: le procureur intimé) qui instruit la procédure dirigée contre A.________, a adressé au Tribunal des mesures de contrainte de la République et canton de Genève (ci-après: le TMC) une demande de mise en détention provisoire le concernant. Cet acte comporte le passage suivant:
"Qu'il existe un risque de fuite (art. 221 al. 1 let. a CPP). Qu'en effet, le prévenu a vécu à une adresse clandestine à U.________ même pour échapper à tout contrôle inopiné et donner l'apparence d'un train de vie modeste. Qu'il pourrait sans difficulté faire de même à l'étranger, à V.________ où vit son frère ou dans les nombreux lieux où ce dernier aurait investi dans l'immobilier. Que les personnes de religion israélite disposent par ailleurs d'un droit au retour en Israël, un pays dans lequel l'entraide est difficile".
Le 10 avril 2024, le TMC, qui a retenu un risque de collusion, a ordonné la mise en détention provisoire de A.________ jusqu'au 8 mai 2024. Ce dernier n'a pas recouru contre cette ordonnance.
B.
Le 15 avril 2024, A.________ a demandé la récusation du procureur intimé, demande qui a été rejetée par la Chambre pénale de recours de la Cour de justice de la République et canton de Genève (ci-après: la cour cantonale ou l'autorité précédente) par arrêt du 10 juin 2024.
C.
Par acte du 11 juillet 2024, A.________ interjette un recours en matière pénale au Tribunal fédéral contre cet arrêt, en concluant principalement à son annulation ainsi qu'à l'admission de sa demande de récusation du procureur intimé. Subsidiairement, il demande le renvoi de la cause à l'autorité précédente pour nouvelle décision dans le sens des considérants.
Invités à se déterminer, l'autorité précédente s'est référée aux considérants de son arrêt, sans formuler d'observations, tandis que le procureur intimé a conclu au rejet du recours. Le recourant a persisté dans ses conclusions.
Considérant en droit :
1.
Le Tribunal fédéral examine d'office sa compétence (art. 29 al. 1 LTF) et contrôle librement la recevabilité des recours qui lui sont soumis (ATF 149 IV 9 consid. 2).
1.1. Une décision - rendue par une autorité statuant en tant qu'instance cantonale unique (art. 80 al. 2in fine LTF, 59 al. 1 let. b et 380 CPP) - relative à la récusation d'un membre du Ministère public peut faire immédiatement l'objet d'un recours en matière pénale, malgré son caractère incident (cf. art. 78 et 92 al. 1 LTF ).
1.2. Le recourant, qui est prévenu et dont la demande de récusation a été rejetée, a un intérêt juridique à l'annulation ou à la modification de l'arrêt attaqué (cf. art. 81 al. 1 let. a et b LTF ).
1.3. Pour le surplus, les conditions de recevabilité étant réunies, il y a lieu d'entrer en matière.
2.
2.1. Le recourant fait grief à l'autorité précédente d'avoir rejeté sa demande de récusation visant le procureur intimé en charge de la cause instruite à son sujet. Il voit un motif de prévention du procureur intimé dans le fait que ce dernier aurait érigé sa confession juive en composante du risque de fuite au sens de l'art. 221 al. 1 let. a CPP. Selon lui, les propos tenus par le procureur en cause traduiraient l'importance qu'il prêterait à ce critère, respectivement donneraient l'apparence qu'il considère que tout prévenu juif présenterait un risque de fuite de par sa confession juive. Il soutient enfin que le traitement différencié réservé à son co-prévenu - soit sa mise en liberté - sans faire aucune référence à sa confession ni à sa double nationalité, alors que le contexte serait identique et que les infractions reprochées seraient les mêmes, renforcerait l'apparence de partialité du magistrat intimé.
2.2. A teneur de l'art. 56 let. f CPP, toute personne exerçant une fonction au sein d'une autorité pénale est tenue de se récuser lorsque d'autres motifs, notamment un rapport d'amitié étroit ou d'inimitié avec une partie ou son conseil juridique, sont de nature à la rendre suspecte de prévention.
La disposition précitée a la portée d'une clause générale recouvrant tous les motifs de récusation non expressément prévus à l'art. 56 let. a à e CPP. L'art. 56 let. f CPP correspond à la garantie d'un tribunal indépendant et impartial instituée par les art. 30 Cst. et 6 CEDH (ATF 148 IV 137 consid. 2.2; 143 IV 69 consid. 3.2). Cet article du Code de procédure pénale concrétise aussi les droits déduits de l'art. 29 al. 1 Cst. garantissant l'équité du procès et assure au justiciable cette protection lorsque d'autres autorités ou organes que des tribunaux sont concernés (ATF 141 IV 178 consid. 3.2.2; arrêt 7B_189/2023 du 16 octobre 2023 consid. 2.2.1).
Si les art. 56 let. b à e CPP s'appliquent de manière similaire à celle prévalant pour les membres des autorités judiciaires, une appréciation différenciée peut s'imposer s'agissant de l'application de la clause générale posée à l'art. 56 let. f CPP lorsqu'une autorité au sens de l'art. 12 CPP est en cause. En effet, la différence de fonction existant entre une autorité judiciaire (art. 13 CPP) et un membre d'une autorité de poursuite pénale (art. 12 CPP) ne peut pas être ignorée. Les exigences de réserve, d'impartialité et d'indépendance prévalant pour la première catégorie peuvent donc ne pas être les mêmes s'agissant de la seconde (arrêt 1B_95/2021 du 12 avril 2021 consid. 2.1). La jurisprudence a ainsi reconnu que, durant la phase d'instruction, le ministère public peut être amené, provisoirement du moins, à adopter une attitude plus orientée à l'égard du prévenu ou à faire état de ses convictions à un moment donné de l'enquête; tout en disposant, dans le cadre de ses investigations, d'une certaine liberté, le magistrat reste cependant tenu à un devoir de réserve et doit s'abstenir de tout procédé déloyal, instruire tant à charge qu'à décharge et ne point avantager une partie au détriment d'une autre (ATF 141 IV 178 consid. 3.2.2; 138 IV 142 consid. 2.2.1). De manière générale, ses déclarations doivent ainsi être interprétées de manière objective, en tenant compte de leur contexte, de leurs modalités et du but apparemment recherché par leur auteur (arrêts 1B_398/2017 du 1
er mai 2018 consid. 3.2; 1B_384/2017 du 10 janvier 2018 consid. 4.1).
Les parties à une procédure ont cependant le droit d'exiger la récusation d'un membre d'une autorité dont la situation ou le comportement sont de nature à faire naître un doute sur son impartialité. Cette garantie tend notamment à éviter que des circonstances extérieures à la cause puissent influencer une appréciation en faveur ou au détriment d'une partie. Elle n'impose pas la récusation seulement lorsqu'une prévention effective est établie, car une disposition interne de l'intéressé ne peut guère être prouvée; il suffit que les circonstances donnent l'apparence de la prévention et fassent redouter une activité partiale. Seules des circonstances constatées objectivement doivent être prises en considération; les impressions individuelles d'une des parties au procès ne sont pas décisives (ATF 148 IV 137 consid. 2.2; 143 IV 69 consid 3.2).
Des décisions ou des actes de procédure qui se révèlent par la suite erronés ne fondent pas en soi une apparence objective de prévention; seules des erreurs particulièrement lourdes ou répétées, constitutives de violations graves des devoirs du magistrat, peuvent fonder une suspicion de partialité, pour autant que les circonstances dénotent que la personne en cause est prévenue ou justifient à tout le moins objectivement l'apparence de prévention. Il appartient en outre aux juridictions de recours normalement compétentes de constater et de redresser les erreurs éventuellement commises dans ce cadre. La procédure de récusation n'a donc pas pour objet de permettre aux parties de contester la manière dont est menée l'instruction et de remettre en cause les différentes décisions incidentes prises par la direction de la procédure (ATF 143 IV 69 consid 3.2; arrêt 7B_189/2023 du 16 octobre 2023 consid. 2.2.1).
2.3. En l'espèce, l'autorité précédente a considéré que par son raisonnement, le procureur intimé n'insinuait pas que tous les "Juifs" étaient, par essence, "fuyants", mais constatait que les personnes de cette confession pouvaient a priori bénéficier de la "Loi du retour", laquelle octroyait à tout (e) Juif ou Juive le droit d'immigrer en Israël; les implications inhérentes à une telle réflexion s'apparentaient ainsi à celles concernant n'importe quel ressortissant étranger, prévenu en Suisse, disposant de papiers qui lui permettraient de retourner à tout moment dans son pays d'origine. Selon la cour cantonale, même si l'argument avait pu paraître peu convaincant au recourant, en particulier dans la mesure où il niait toute attache avec l'État d'Israël, il n'en demeurait pas moins un critère pouvant, dans certaines circonstances, être pris en compte dans l'évaluation du risque de fuite. Elle a encore ajouté que le procureur intimé n'érigeait pas non plus ce constat en "axiome" puisqu'il avait considéré d'autres éléments - éludés par le recourant - sans faire primer l'un par rapport aux autres, pour étayer le risque de fuite retenu contre ce dernier, soit l'absence de domicile en Suisse et la possibilité d'un départ vers V.________; c'était ainsi la combinaison de tous ces éléments qui avait conduit le procureur intimé à soutenir un risque de fuite auprès du TMC et non exclusivement la confession du recourant. L'autorité précédente est ainsi parvenue à la conclusion qu'elle ne décelait aucun "antisémitisme" latent du procureur intimé, ni, plus généralement, une quelconque intention discriminatoire laissant supposer une inimitié à l'égard du recourant. Elle a par ailleurs relevé que le recourant plaidait en vain une inégalité de traitement insoutenable avec le sort du co-prévenu pour nourrir une vraisemblance d'inimitié. Elle a ainsi rejeté la demande de récusation.
2.4. Ce raisonnement ne saurait être suivi. L'art. 221 al. 1 let. a CPP prévoit que la détention provisoire peut être ordonnée s'il y a sérieusement lieu de craindre que le prévenu se soustraie à la procédure pénale ou à la sanction prévisible en prenant la fuite. Selon la jurisprudence, le risque de fuite doit s'analyser en fonction d'un ensemble de critères tels que le caractère de l'intéressé, sa moralité, ses ressources, ses liens avec l'État qui le poursuit ainsi que ses contacts à l'étranger, qui font apparaître le risque de fuite non seulement possible mais également probable (ATF 145 IV 503 consid. 2.2; arrêt 7B_618/2024 du 25 juin 2024 consid. 3.2.1). Ainsi, dans le cadre d'une décision ordonnant la détention provisoire, le critère des liens avec un pays étranger peut être pris en compte dans l'évaluation du risque de fuite.
En l'occurrence, le procureur intimé a retenu que le recourant présentait un risque de fuite au motif notamment qu'il pourrait vivre de manière clandestine à l'étranger, à V.________, où vit son frère, ou dans les nombreux lieux où il aurait investi dans l'immobilier, ajoutant que "les personnes de religion israélite disposent [...] d'un droit au retour en Israël, un pays dans lequel l'entraide est difficile". Le procureur intimé a ainsi évoqué, dans son évaluation du risque de fuite du recourant, le "droit au retour" des "personnes de religion israélite", sans fournir d'autres précisions quant aux convictions du recourant, dont on sait juste qu'il est de confession juive. Le procureur intimé n'a pas non plus mentionné quels liens concrets, pouvant faire apparaître le risque de fuite comme probable, le recourant aurait avec l'État d'Israël (famille, séjour, bien immobilier, projet d'établissement, etc.). Même en admettant que la "Loi du retour" permette effectivement au recourant de se réfugier en Israël, on ne distingue d'ailleurs pas ce qui justifierait de retenir que ce dernier, de nationalité suisse de surcroît, présenterait un risque de fuite dans cet État, dont la seule attache semble être en lien avec sa confession.
Dès lors, en motivant ainsi le risque de fuite du recourant dans le cadre de sa demande de mise en détention provisoie le concernant, et sachant que les autres éléments qui y sont évoqués étaient suffisants pour retenir un tel risque, le procureur intimé donne l'apparence qu'il traite le recourant différemment parce qu'il est de confession juive, respectivement considère que ce dernier présente un risque de fuite en Israël uniquement parce qu'il est de cette confession. Ces circonstances justifient à tout le moins objectivement l'apparence de prévention du procureur intimé à l'égard du recourant, cela indépendamment d'une prévention effective de celui-là.
La cour cantonale ne pouvait dès lors pas, sauf à violer le droit fédéral, considérer qu'il n'existait pas en l'espèce des éléments suffisants pour retenir une apparence de prévention du procureur intimé.
3.
Par conséquent, le recours doit être admis. L'arrêt du 10 juin 2024 de la cour cantonale doit ainsi être annulé et la demande de récusation du procureur intimé admise pour la procédure pénale dirigée contre le recourant (P/2437/2024). La cause doit enfin être renvoyée à l'autorité précédente pour qu'elle détermine les actes de la procédure P/2437/2024 qui doivent être annulés, procède à la nomination d'un nouveau procureur et rende une nouvelle décision sur les frais et dépens de la procédure cantonale.
Le recourant, qui obtient gain de cause avec l'assistance d'un avocat, a droit à des dépens à la charge du canton de Genève (cf. art. 68 al. 1 LTF). Il n'y a pas lieu de percevoir de frais judiciaires ( art. 66 al. 1 et 4 LTF ).
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :
1.
Le recours est admis. L'arrêt du 10 juin 2024 de la Chambre pénale de recours de la Cour de justice de la République et canton de Genève est annulé. La demande de récusation du Procureur B.________ est admise et la cause est renvoyée à l'autorité précédente pour qu'elle procède au sens des considérants.
2.
Une indemnité à titre de dépens, arrêtée à 2'500 fr., est allouée au recourant à la charge de la République et canton de Genève.
3.
Il n'est pas perçu de frais judiciaires.
4.
Le présent arrêt est communiqué au mandataire du recourant, au Ministère public de la République et canton de Genève et à la Chambre pénale de recours de la Cour de justice de la République et canton de Genève.
Lausanne, le 30 octobre 2024
Au nom de la IIe Cour de droit pénal
du Tribunal fédéral suisse
Le Président : Abrecht
La Greffière : Nasel