Tribunale federale
Tribunal federal
{T 0/2}
5C.51/2005 /frs
Arrêt du 2 septembre 2005
IIe Cour civile
Composition
MM. et Mmes les Juges Raselli, Président,
Nordmann, Escher, Hohl et Marazzi.
Greffier: M. Braconi.
Parties
A.________,
B.________,
recourants,
tous deux représentés par Me Jean-Pierre Gross, avocat,
contre
C.________,
intimée, représentée par Me Leila Roussianos, avocate,
Objet
droit de visite,
recours en réforme contre l'arrêt de la Chambre des tutelles du Tribunal cantonal du canton de Vaud du
7 janvier 2005.
Faits:
A.
A.________, né le 30 juillet 1994, est le fils de C.________, et de B.________, nés tous deux en 1972; ce dernier a reconnu l'enfant. Les parents se sont séparés le 1er juillet 1997 et ils sont convenus que l'enfant vivrait chez son père.
B.
B.a Le 26 août 1998, B.________ a adressé à la Justice de paix du cercle de Montreux une requête tendant à ce que l'autorité parentale et la garde sur l'enfant lui soient attribuées; il alléguait que la mère s'adonnait à la prostitution, consommait de l'alcool et des produits stupéfiants, et n'était pas apte à s'occuper de son fils. Par décision du 8 septembre 1998, la justice de paix a retiré provisoirement à la mère le droit de garde sur l'enfant, qu'il a confié au Service de protection de la jeunesse (SPJ); un mandat d'enquête a été donné à celui-ci et une expertise pédo-psychiatrique a été ordonnée.
Lors de l'audience du 8 septembre 1998, C.________ a formulé des accusations d'abus sexuels à l'égard de B.________. Dans le cadre de l'instruction de la plainte pénale pour dénonciation calomnieuse et atteinte à l'honneur que celui-ci a déposée, il est apparu que la mère avait commis des actes d'ordre sexuel sur son fils; l'intéressée a été condamnée à raison de ces faits.
Dans sa séance du 27 avril 1999, la justice de paix, se fondant sur une expertise déposée le 22 mars 1999 par M.________, psychologue et psychothérapeute, s'est exprimée en faveur du retrait de l'autorité parentale à la mère, institué une curatelle éducative et désigné le SPJ en qualité de curateur; le droit de visite de la mère a été fixé à deux heures tous les quinze jours auprès de l'Association Point Rencontre à Lausanne. Le 25 mai suivant, la justice de paix a prononcé le retrait de l'autorité parentale; cette décision a, cependant, été annulée le 25 mai 2000 par la Chambre des tutelles du Tribunal cantonal vaudois.
B.b Le 25 octobre 2001, C.________ a demandé un droit de visite usuel, un week-end sur deux et la moitié des vacances scolaires. Par décision du 27 novembre 2001, la justice de paix a fixé provisoirement ce droit à quinzaine, alternativement un samedi et un dimanche, pour une période de trois heures, auprès de l'Association Point Rencontre à Lausanne. Elle a, en outre, décidé de réévaluer la situation de l'enfant et les capacités éducatives respectives des père et mère; dans ce but, elle a confié une expertise au Service de psychiatrie et psychothérapie d'enfants et adolescents (SUPEA), dont le rapport (du Dr X.________) a été déposé le 10 juin 2002.
Par décision du 11 mai 2004, la justice de paix a pris acte du rapport du Dr X.________ (1), transmis le dossier à la Chambre des tutelles du Tribunal cantonal pour qu'elle prononce le retrait de l'autorité parentale de la mère (2), invité le Dr X.________ à se prononcer sur l'opportunité de la reprise du droit de visite de la mère en fixant, le cas échéant, les modalités de l'exercice de ce droit (3) et suspendu le droit de visite de la mère jusqu'à ce que les conclusions du Dr X.________ soient connues de la justice de paix (4).
B.c Statuant le 22 novembre 2004 sur le recours interjeté par C.________, la Chambre des tutelles du Tribunal cantonal vaudois a réformé la décision entreprise en ce sens que le droit de visite s'effectuera à quinzaine, alternativement un samedi et un dimanche pour une période de trois heures, auprès de l'Association Point Rencontre à Lausanne, étant précisé qu'il s'exercera exclusivement à l'intérieur des locaux de l'association et que, une fois sur deux, la mère est autorisée à amener sa fille R.________ lors des visites.
C.
Agissant par la voie du recours en réforme au Tribunal fédéral, le père et l'enfant concluent à titre principal au renvoi de la cause à l'autorité cantonale pour complément d'instruction et nouvelle décision, et à titre subsidiaire à la réforme de l'arrêt entrepris en ce sens que le droit de visite est supprimé.
L'intimée conclut au «rejet» du recours.
Le Tribunal fédéral considère en droit:
1.
Le Tribunal fédéral examine d'office et avec une pleine cognition la recevabilité du recours dont il est saisi (ATF 131 I 145 consid. 2 p. 147 et les arrêts cités).
1.1 Dirigé contre une décision qui règle les relations personnelles avec l'enfant, le recours est ouvert au regard de l'art. 44 let. d OJ (Hegnauer, Grundriss des Kindesrechts, 5e éd., n. 19.12; cf. pour la jurisprudence antérieure: ATF 118 Ia 473 consid. 2 p. 474 ss). Déposé en temps utile à l'encontre d'une décision finale prise en dernière instance cantonale, il l'est aussi sous l'angle des art. 48 al. 1 et 54 al. 1 OJ.
1.2 En instance de réforme, le Tribunal fédéral fonde son arrêt sur les faits tels qu'ils ont été constatés par la dernière autorité cantonale, à moins que des dispositions fédérales en matière de preuve n'aient été violées ou que des constatations ne reposent manifestement sur une inadvertance (art. 63 al. 2 OJ). Même si le litige est soumis - comme ici (ATF 122 III 404 consid. 3d p. 408) - à la maxime inquisitoire, il ne peut être présenté de nouveaux faits (art. 55 al. 1 let. c OJ; ATF 120 II 229 consid. 1c p. 231).
D'emblée, les recourants font valoir que l'état de fait de l'arrêt entrepris est «erroné et lacunaire», et qu'il doit être «corrigé et complété» dans le sens proposé par eux; au surplus, cette décision recèle des «erreurs importantes et manifestes qui sont le résultat d'inadvertances». Quoi qu'en pensent les intéressés, la décision attaquée ne souffre d'aucune inadvertance manifeste au sens de l'art. 63 al. 2 OJ (sur cette notion, cf. notamment: ATF 115 II 399 consid. 2a; 109 II 159 consid. 2b p. 162 et les références). Quant à l'art. 64 al. 1 OJ, il ne leur accorde pas la possibilité de compléter les constatations de la juridiction cantonale en affirmant que l'état de fait amendé conduirait à une solution conforme à leur thèse (arrêt 5C.112/2003 du 27 février 2004, consid. 1.3.2). Les nombreux compléments et précisions contenus dans l'acte de recours doivent, partant, être écartés.
2.
Le présent recours émane tant du père que de l'enfant.
2.1 Contrairement à l'opinion de l'intimée, le père a bien qualité pour recourir (Hegnauer, op. cit., n. 27.64; par exemple: ATF 127 III 295 ss [qualité pour recourir de la mère contre la fixation du droit de visite en faveur du père d'un enfant né hors mariage]), cette prérogative n'étant pas réservée à celui qui jouit d'un «droit légal sur l'enfant [i.e. autorité parentale ou droit de garde]», mais appartient, d'une façon générale, à quiconque invoque les intérêts de la personne à protéger ou se plaint d'une violation de ses propres droits ou intérêts (art. 420 CC; ATF 121 III 1 consid. 2a p. 3 et les références).
2.2 En revanche, la qualité pour recourir de l'enfant (mineur) n'est pas évidente. En effet, celui-ci est toujours légalement représenté par sa mère intimée (art. 298 al. 1 CC); il ne saurait être représenté par son père recourant, en qualité de curateur, vu le conflit d'intérêts manifeste qui en résulterait (art. 306 al. 2 CC); enfin, l'autorité tutélaire ne lui a désigné aucun curateur (art. 392 ch. 2 CC), le SPJ n'ayant été nommé à cette fonction qu'au titre de la curatelle éducative (art. 308 CC).
D'après la jurisprudence, la réglementation du droit de visite affecte les droits de la personnalité de l'enfant, en sorte qu'il peut procéder seul en justice, à condition d'être capable de discernement (ATF 120 Ia 369 consid. 1a p. 371; Hegnauer, op. cit., n. 26.24); en règle générale, cette capacité est considérée comme atteinte à l'âge de 12 ans (ATF 120 Ia 369 consid. 1a p. 371; Breitschmid, Basler Kommentar, 2e éd., n. 4 ad art. 144 CC; Bucher, Berner Kommentar, 3e éd., n. 71 ad art. 16 CC, avec d'autres références). Ce réquisit est satisfait en l'espèce. S'il est exact que l'enfant n'avait que 10½ ans à la date du dépôt du recours, il ressort de l'attestation médicale produite par les recourants, établie le 9 février 2005 par une pédopsychiatre, que l'intéressé a saisi la portée du contentieux; bien qu'il s'agisse là d'une pièce nouvelle, celle-ci est, néanmoins, recevable, dès lors qu'elle tend à établir une condition de recevabilité du recours (Poudret, COJ II, n. 1.5.3.4 ad art. 55 OJ et les arrêts cités). Enfin, le recourant a signé personnellement la procuration de son conseil (cf. ATF 120 Ia 369 consid. 1a in fine p. 372).
3.
3.1 En vertu de l'art. 314 ch. 1 CC - dans sa teneur en vigueur depuis le 1er janvier 2000 (RO 1999 p. 1139 et 1142) - avant d'ordonner une mesure de protection de l'enfant, l'autorité tutélaire ou le tiers nommé à cet effet entend l'enfant personnellement et de manière appropriée, pour autant que son âge ou d'autres motifs importants ne s'opposent pas à l'audition. Cette norme correspond à l'art. 144 al. 2 CC, relatif à l'audition des enfants dans le procès en divorce; ces dispositions sont applicables par analogie au droit de visite institué aux art. 273 ss CC (ATF 127 III 295 consid. 2a p. 296/297). L'audition est effectuée par la juridiction compétente elle-même (ATF 127 III 295 consid. 2a p. 297 et la doctrine mentionnée) ou, en cas de circonstances particulières, par un spécialiste de l'enfance, notamment un pédopsychiatre (ATF 127 III 295 consid. 2b p. 297).
L'art. 12 de la Convention des Nations Unies du 20 novembre 1989 sur les droits de l'enfant (CDE; RS 0.107) l'emporte, certes, sur les règles précitées (A. Bucher, L'enfant en droit international privé, n° 11), mais il n'accorde pas plus de garanties que le droit interne (arrêt 5P.322/2003 du 18 décembre 2003, consid. 3). C'est même le contraire qui est vrai, car cette disposition conventionnelle ne vise que l'enfant «capable de discernement», au sens de l'art. 16 CC (arrêt 5C.63/2005 du 1er juin 2005, consid. 1.1, destiné à la publication).
3.2 Il ressort des constatations - pas des plus claires - de l'autorité cantonale que l'enfant n'a été entendu qu'à une seule reprise, à savoir lors de l'expertise du 10 juin 2002. On peut laisser indécise la question de savoir s'il était justifié, dans le cas présent, de déléguer l'audition à un tiers, puisque la décision attaquée ne contient rien au sujet de l'avis exprimé par l'enfant à cette occasion. En outre, le Dr X.________ n'a pas revu l'enfant au moment de l'établissement de la seconde expertise, le 21 juillet 2004, qui devait se prononcer sur l'opportunité d'une reprise du droit de visite de la mère. L'intéressé n'a, dès lors, plus été entendu depuis juin 2002, sans que l'on connaisse, au demeurant, son opinion quant à l'exercice du droit de visite; son âge ne faisait pas obstacle à l'audition (sur ce dernier point: arrêt 5C.63/2005, précité, consid. 1.2 et les nombreuses citations).
La juridiction inférieure a également constaté que, au «cours des deux dernières années, la mère n'a pas exercé son droit de visite, sans que l'on sache vraiment pourquoi». S'il est vrai que le fait de ne pas se soucier sérieusement de l'enfant ne constitue pas, en soi, un motif qui justifie le refus ou le retrait des relations personnelles, encore faut-il qu'un tel comportement ne lèse pas le bien de l'enfant (ATF 118 II 21 consid. 3c p. 24). Or, il incombait à l'autorité cantonale, en vertu de la maxime inquisitoire (cf. à ce sujet: ATF 128 III 411 consid. 3.2.1 p. 413 et les citations; arrêt 5C.257/2004 du 9 mars 2005, consid. 2.2. et 2.3., en matière de retrait du droit de garde) d'élucider cet aspect, qui n'était pas dénué de pertinence (cf. ATF 118 II 21 consid. 3d p. 25).
Il s'ensuit que la cause doit être renvoyée à la juridiction précédente pour instruction complémentaire (ATF 128 III 411 consid. 3.2.1 p. 414 et la jurisprudence citée).
4.
En conclusion, le présent recours doit être admis dans la mesure où il est recevable, l'arrêt entrepris annulé et la cause renvoyée à l'autorité cantonale pour nouvelle décision dans le sens des considérants.
Les frais et dépens incombent à l'intimée, qui succombe (art. 156 al. 1 et 159 al. 1 OJ; ATF 119 Ia 1 consid. 6b p. 3).
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:
1.
Le recours est admis dans la mesure où il est recevable, l'arrêt attaqué est annulé et la cause est renvoyée à la juridiction précédente pour nouvelle décision dans le sens des considérants.
2.
Un émolument judiciaire de 2'000 fr. est mis à la charge de l'intimée.
3.
L'intimée versera aux recourants une indemnité de 2'000 fr. à titre de dépens.
4.
Le présent arrêt est communiqué en copie aux mandataires des parties et à la Chambre des tutelles du Tribunal cantonal du canton de Vaud.
Lausanne, le 2 septembre 2005
Au nom de la IIe Cour civile
du Tribunal fédéral suisse
Le Président: Le Greffier: