[AZA 0]
5C.52/2000
IIe COUR CIVILE
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18 avril 2000
Composition de la Cour: MM. les juges Reeb, président, Weyermann
et Bianchi. Greffier: M. Abrecht.
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Dans la cause civile pendante
entre, d'une part
L.________, etP. ________ SA en liquidation, défendeurs et recourants, tous deux représentés par Me François Roulet, avocat à Genève,
et, d'autre part
W.________, etE. ________, demandeurs et intimés, tous deux représentés par Me Pierre-Bernard Petitat, avocat à Genève;
(action révocatoire)
Vu les pièces du dossier d'où ressortent
les f a i t s suivants:
A.- Le 21 juin 1991, la boutique X.________ - "représentée" par B.________, qui exploitait cette enseigne en raison individuelle - et L.________, agissant conjointement et solidairement, ont pris à bail une arcade au rez-de-chaussée ainsi qu'un sous-sol sis dans une rue commerciale à Genève, pour un loyer mensuel de 7'400 fr. Sur le plan des rapports internes, le loyer était partagé entre B.________ et L.________ à raison de 60%/40%, proportion ensuite modifiée à 50%/50%.
La boutique X.________, qui vendait des partitions musicales, occupait le rez-de-chaussée, tandis que L.________ exploitait au sous-sol une librairie, d'abord en son nom puis par le biais de la société P.________ SA. Dès septembre 1993, c'est E.________ et W.________ qui se sont occupés, en qualités d'employés, de la boutique X.________, qui s'est retrouvée en difficulté financière. En juillet 1994, B.________ et P.________ SA ont convenu que cette dernière occuperait l'entier des locaux et prendrait à sa charge la totalité du loyer.
B.- Avec l'accord de B.________, P.________ SA a vendu dans ses locaux une partie du stock de la boutique X.________, réalisant ainsi un montant de 2'000 fr. Par ailleurs, entre novembre 1994 et janvier 1995, B.________ a vendu lui-même, avec l'aide de personnel mis à sa disposition par L.________, le solde du stock de marchandises dans d'anciens locaux de la librairie Payot, en consentant d'importants rabais aux acheteurs. Il a ainsi encaissé une somme de 16'000 fr., qui a été versée directement par P.________ SA au représentant du bailleur, en diminution de l'arriéré de loyer à charge de B.________.
C.- Le 15 juin 1995, le Tribunal de première instance de Genève a prononcé la faillite de B.________.
E.________ et W.________ ont produit leurs créances, qui ont été colloquées en cinquième classe. Le 2 décembre 1997, ils ont obtenu de l'administration de la faillite la cession selon l'art. 260 LP d'une "prétention à action révocatoire" à l'encontre de L.________ et P.________ SA pour un montant de 106'250 fr.
D.- Le 14 avril 1998, E.________ et W.________ ont ouvert action devant le Tribunal de première instance de Genève contre L.________ et P.________ SA. Ils ont conclu à la révocation de la remise de la marchandise de la boutique X.________ aux défendeurs et à la restitution par ceux-ci de ladite marchandise ou de sa contre-valeur par 106'250 fr.
P.________ SA a admis de verser la somme de 2'000 fr. et de restituer quelques partitions encore en sa possession.
Par jugement du 18 mai 1999, le Tribunal de première instance a condamné les défendeurs à verser aux demandeurs la somme de 2'000 fr. et à leur remettre le solde des partitions issues du stock de la boutique X.________ encore en leur possession; il a débouté les demandeurs pour le surplus et les a condamnés aux dépens, comprenant une indemnité de 5'000 fr. à titre de participation aux honoraires d'avocat des défendeurs.
E.- Ce jugement a été réformé par arrêt rendu le 10 décembre 1999 par la Chambre civile de la Cour de justice du canton de Genève sur appel des demandeurs et appel incident des défendeurs. Ces derniers ont été condamnés à verser aux demandeurs la somme de 18'000 fr. et à leur restituer le stock de partitions de la boutique X.________ encore en leur possession; ils ont en outre été condamnés aux dépens de première instance et d'appel, comprenant dans leur totalité une indemnité de 3'000 fr. à titre de participation aux honoraires d'avocat des demandeurs.
F.- Contre cet arrêt, les défendeurs exercent en parallèle un recours en réforme et un recours de droit public au Tribunal fédéral: le premier tend, avec suite des frais et dépens des instances cantonales et fédérale, à la réforme de l'arrêt attaqué dans le sens de la confirmation du jugement de première instance; le second vise à l'annulation de l'arrêt attaqué en tant que celui-ci statue sur les dépens de première instance et d'appel.
Par arrêt de ce jour, la Cour de céans a admis le recours de droit public et annulé l'arrêt attaqué en tant que celui-ci statuait sur les dépens de première instance et d'appel.
Une réponse n'a pas été requise.
Considérant en droit :
1.- Les droits contestés dans la dernière instance cantonale dépassent la valeur d'au moins 8'000 fr. dont l'art. 46 OJ fait dépendre la recevabilité du recours en réforme dans les affaires pécuniaires autres que celles visées à l'art. 45 OJ; le recours est donc recevable sous cet angle. Déposé en temps utile contre une décision finale prise en dernière instance cantonale, il est également recevable du chef des art. 54 al. 1 et 48 al. 1 OJ.
2.- a) La cour cantonale a considéré que le paiement de 16'000 fr. au représentant du bailleur en remboursement des arriérés de loyer de B.________ était un acte révocable selon l'art. 288 LP. En effet, B.________ avait bradé son stock dans le but précis de rembourser ses arriérés de loyer, en libérant ainsi L.________, codébiteur solidaire vis-à-vis du bailleur. En versant la somme de 16'000 fr. à son bailleur, B.________ avait rompu l'égalité entre les créanciers, ce dont les défendeurs avaient bénéficié puisqu'à concurrence de cette somme - qui avait transité par les comptes de P.________ SA -, L.________ ne pouvait plus être recherché personnellement par le bailleur en sa qualité de codébiteur solidaire (arrêt attaqué, consid. 5 à 7; cf., pour le cas analogue de la caution solidaire libérée par le paiement effectué par le débiteur, Daniel Staehelin, Kommentar zum Bundesgesetz über Schuldbetreibung und Konkurs, SchKG III, 1998, n. 5 ad art. 290 LP).
b) Les défendeurs soutiennent qu'en retenant que le paiement par B.________ de sa dette envers son bailleur entraînait une inégalité de traitement entre les différents créanciers, la cour cantonale aurait omis de prendre en considération la position particulière du bailleur. En effet, en vertu de l'art. 268 al. 1 CO, ce dernier bénéficiait en garantie du loyer d'un droit de rétention portant notamment sur le stock de la boutique X.________. Dès lors, en vendant son stock et en versant le produit de ces ventes à son bailleur, B.________ n'aurait pas agi au détriment de ses autres créanciers, puisque le bailleur avait de par la loi un droit préférentiel sur ledit stock.
c) Le droit de rétention du bailleur de locaux commerciaux selon l'art. 268 al. 1 CO - qui s'étend notamment aux marchandises propriété du locataire qui garnissent les locaux loués (ATF 120 III 52 consid. 8a et les références citées) - est considéré comme un gage mobilier dans l'exécution forcée (ATF 124 III 215 consid. 2a). Il naît avec l'arrivée des meubles dans les locaux loués (ATF 101 II 91 consid. 1), la prise d'inventaire de l'art. 283 LP ne faisant que lui donner une manifestation extérieure (Higi, Zürcher Kommentar, Band V/2b, 1995, n. 68 ad art. 268-268b CO ).
Corollairement, le droit de rétention s'éteint dès que les meubles sortent définitivement - et non seulement temporairement, l'intention du locataire étant déterminante à cet égard - des locaux loués, pour autant qu'il n'y ait pas eu d'inventaire selon l'art. 283 LP et sous réserve du droit de suite du bailleur selon l'art. 268b CO (Higi, op. cit. , n. 72 ad art. 268-268b CO ).
En l'espèce, la cour cantonale a constaté souverainement (art. 63 al. 2 OJ) que les partitions dont la vente a rapporté la somme litigieuse de 16'000 fr. avaient précisément quitté définitivement les locaux loués pour être vendues dans d'anciens locaux de la librairie Payot. Force est ainsi de constater qu'au moment où elles ont été vendues, les partitions en question ne faisaient plus l'objet du droit de rétention du bailleur. Ce dernier, qui n'avait pas requis de prise d'inventaire ni exercé son droit de suite, se trouvait par conséquent sur un pied d'égalité avec les autres créanciers non privilégiés. La cour cantonale n'a donc pas violé le droit fédéral en retenant que B.________ avait rompu l'égalité de traitement entre ses créanciers.
3.- En définitive, le recours se révèle mal fondé et ne peut par conséquent qu'être rejeté. L'arrêt attaqué sera ainsi confirmé dans la mesure où il condamne les défendeurs à verser aux demandeurs la somme de 2'000 fr. et à leur restituer le stock de partitions de la boutique X.________ encore en leur possession, étant rappelé que cet arrêt a été annulé par arrêt de ce jour en tant qu'il statuait sur les frais et dépens de première instance et d'appel. Les défendeurs, qui succombent, supporteront les frais judiciaires, solidairement entre eux ( art. 156 al. 1 et 7 OJ ). Il n'y a en revanche pas lieu d'allouer de dépens dès lors que les demandeurs n'ont pas été invités à répondre au recours en réforme et n'ont en conséquence pas assumé de frais à cet égard (Poudret/Sandoz-Monod, Commentaire de la loi fédérale d'organisation judiciaire, vol. V, 1992, n. 2 ad art. 159 OJ).
Par ces motifs,
le Tribunal fédéral,
vu l'art. 36a OJ:
1. Rejette le recours et confirme l'arrêt attaqué dans la mesure où il condamne les défendeurs à verser aux demandeurs la somme de 18'000 fr. et à leur restituer le stock de partitions de la boutique X.________ encore en leur possession.
2. Met un émolument judiciaire de 2'500 fr. à la charge solidaire des défendeurs.
3. Communique le présent arrêt en copie aux mandataires des parties et à la Chambre civile de la Cour de justice du canton de Genève.
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Lausanne, le 18 avril 2000 ABR/frs
Au nom de la IIe Cour civile
du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE :
Le Président, Le Greffier,