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Tribunale federale 
Tribunal federal 
 
{T 0/2} 
4P.183/2002 /ech 
 
Arrêt du 28 novembre 2002 
Ire Cour civile 
 
Les juges fédéraux Walter, président de la Cour, Corboz, Klett, Rottenberg Liatowitsch et Favre, 
greffière Godat Zimmermann 
 
A.________, 
B.________, 
C.________, 
recourantes, toutes les trois représentées par Me Philippe Neyroud, avocat, rue de Hesse 8-10, case postale 5715, 1211 Genève 11, 
 
contre 
 
Z.________, 
intimée, représentée par Me Luc Hafner, avocat, rue Jargonnant 2, case postale 6045, 1211 Genève 6, 
Chambre civile de la Cour de justice du canton de Genève, case postale 3108, 1211 Genève 3. 
 
art. 9 Cst.; application arbitraire du droit étranger 
 
(recours de droit public contre l'arrêt de la Chambre civile de la Cour de justice du canton de Genève du 21 juin 2002) 
 
Faits: 
A. 
De nationalité française et domiciliée en France, D.________ était titulaire d'un compte d'épargne et d'un dossier-titres auprès de la Banque X.________ (ci-après: X.________). Ces avoirs n'étaient pas déclarés au fisc français. 
 
Le 19 octobre 1994, D.________ a donné une procuration générale avec effet post mortem à sa nièce par alliance, Z.________, également de nationalité française et domiciliée en France. 
 
Le 9 juillet 1997, cette dernière a ordonné le transfert de tous les avoirs du compte genevois de sa tante par alliance, soit 1'215'525 fr.95, sur des nouveaux comptes d'épargne et de dépôt qu'elle avait ouverts le jour même à son propre nom auprès de X.________; elle a spécifié sur le formulaire A de la banque que les biens appartenaient à D.________. 
 
Le 28 septembre 1997, D.________, alors âgée de 79 ans, est décédée ab intestat en France. Ses seules héritières légales mais non réservataires sont les filles de son frère, soit A.________, B.________et C.________, toutes trois de nationalité française et domiciliées en France. Les trois soeurs connaissaient l'existence de fonds en Suisse appartenant à leur tante. En effet, leurs grands-parents avaient déposé leur fortune dans ce pays et les avoirs en question provenaient de leur héritage, partagé entre D.________ et son frère. 
 
Par requête de mesures provisionnelles urgentes du 25 juin 1998, A.________, B.________et C.________ ont sollicité à l'encontre de Z.________ la saisie conservatoire de toute valeur provenant du compte d'épargne ou du dépôt-titres de la de cujus auprès de X.________ ou de tout avoir détenu par la fondée de procuration ou dont elle était l'ayant droit économique. Le Tribunal de première instance du canton de Genève a fait droit à cette requête par ordonnances provisoire et principale des 26 juin et 25 septembre 1998. L'exécution de l'ordonnance principale par huissier judiciaire a coûté 1'668 fr.60. 
B. 
A la suite de l'échec de la conciliation, A.________, B.________et C.________ont introduit, le 22 juillet 1999, une assignation en validation des mesures provisionnelles urgentes. Dans leurs dernières conclusions, elles demandaient que Z.________ soit condamnée à leur payer la somme de 1'215'525 fr.95 avec intérêts à 5% l'an dès le 9 juillet 1997; elles concluaient également à ce que la défenderesse soit condamnée à leur rembourser le montant de 1'668 fr.60 correspondant aux honoraires de l'huissier judiciaire. A l'appui de leur demande, les soeurs A.________, B.________, C.________ ont essentiellement invoqué la responsabilité de Z.________ fondée sur un acte illicite, soit l'abus de confiance qu'elle aurait commis en transférant sur ses comptes les avoirs genevois de sa tante par alliance. 
 
Par jugement sur incident du 4 novembre 1999, le Tribunal de première instance du canton de Genève s'est déclaré compétent ratione loci pour connaître de l'action formée par les consorts A.________, B.________, C.________, mais seulement en tant que celle-ci était fondée sur un acte illicite dont le résultat serait survenu en Suisse. 
 
Par jugement du 3 mai 2001, le tribunal a fait droit aux conclusions des demanderesses, sauf sur les intérêts, dont le taux a été ramené à 4,26%, et le dies a quo, fixé au prononcé de la décision. 
 
Statuant le 21 juin 2002 sur appel de Z.________, la Chambre civile de la Cour de justice du canton de Genève a annulé le jugement de première instance et débouté les demanderesses de toutes leurs conclusions. 
 
Parallèlement à cette procédure, Z.________ a été inculpée d'abus de confiance en date du 29 novembre 2000 sur plainte des soeurs A.________, B.________, C.________, déposée à Genève. Le séquestre pénal de ses avoirs auprès de X.________ a été ordonné. Par décision du 28 août 2001, le Ministère public genevois a suspendu la procédure pénale jusqu'à l'issue du procès civil; il estimait en effet que le caractère pénalement répréhensible des actes reprochés à Z.________ dépendait notamment de la question de savoir si l'inculpée pouvait disposer des fonds litigieux au regard des règles de droit privé applicables. 
C. 
A.________, B.________ et C.________ interjettent un recours de droit public contre l'arrêt du 21 juin 2002, dont elles demandent l'annulation. 
 
Par ordonnance du 24 septembre 2002, le Président de la Ière Cour civile du Tribunal fédéral a accordé l'effet suspensif au recours, comme les recourantes le requéraient. 
 
Z.________ propose le rejet du recours. 
 
Invitée à se prononcer, la Cour de justice se réfère aux considérants de son arrêt. 
 
Le Tribunal fédéral considère en droit: 
1. 
1.1 Le Tribunal fédéral examine d'office et librement la recevabilité des recours qui lui sont soumis (ATF 128 II 13 consid. 1a p. 16, 46 consid. 2a p. 47; 127 III 41 consid. 1a p. 42; 126 I 81 consid. 1 p. 83 et les arrêts cités). 
 
Le recours de droit public a un caractère subsidiaire par rapport aux autres moyens de droit (art. 84 al. 2 OJ). Il est donc irrecevable lorsque les griefs soulevés auraient pu être soumis au Tribunal fédéral par la voie du recours en réforme (art. 43 ss OJ) ou par celle du recours en nullité (art. 68 ss OJ). 
1.2 Les recourantes ne se plaignent pas du choix du droit français, mais de la manière dont la cour cantonale a appliqué ce droit. Un recours en réforme fondé sur l'art. 43a al. 1 let. a OJ n'entre dès lors pas en ligne de compte. Comme le présent litige est une contestation civile portant sur un droit de nature pécuniaire, le recours en réforme n'est pas non plus ouvert sur la base de l'art. 43a al. 2 OJ (cf. ATF 119 II 177 consid. 3e p. 182). Par ailleurs, l'application du droit étranger dans une telle contestation ne peut pas être revue par le Tribunal fédéral saisi d'un recours en nullité (Poudret, COJ II, n. 7 ad art. 68). 
 
Le recours de droit public est ainsi recevable sous l'angle de la subsidiarité (arrêt 4P.28/1997 du 15 décembre 1997, consid. 1b, reproduit in SJ 1998, p. 388; cf. également ATF 124 III 134 consid. 2b/aa/ddd p. 143). 
2. 
2.1 Invoquant l'art. 9 Cst., les recourantes reprochent tout d'abord à la Cour de justice d'avoir versé dans l'arbitraire en n'appliquant pas les règles du droit français sur les actes à cause de mort à un acte de disposition devant déployer ses effets au décès de D.________. Les recourantes estiment également que la cour cantonale a retenu de manière arbitraire l'existence en droit français d'un don manuel en faveur de l'intimée. 
2.2 Une décision est arbitraire si elle est manifestement insoutenable, si elle viole gravement une norme ou un principe juridique clair et indiscuté, ou si elle contredit de manière choquante le sentiment de la justice et de l'équité (ATF 128 I 177 consid. 2.1 p. 182; 128 II 259 consid. 5 p. 280/281; 127 I 54 consid. 2b p. 56, 60 consid. 5a p. 70; 126 I 168 consid. 3b p. 170). Par ailleurs, il ne suffit pas que la motivation critiquée soit insoutenable; encore faut-il que la décision apparaisse arbitraire dans son résultat (ATF 128 I 177 consid. 2.1 p. 182; 128 II 259 consid. 5 p. 280/281; 127 I 54 consid. 2b p. 56; 126 I 168 consid. 3a p. 170). Arbitraire et violation de la loi ne sauraient être confondus; une violation doit être manifeste et reconnue d'emblée pour être considérée comme arbitraire. Le Tribunal fédéral n'a pas à déterminer quelle est l'interprétation correcte que l'autorité cantonale aurait dû donner des dispositions applicables; il doit uniquement examiner si l'interprétation qui a été faite est défendable. Il n'y a pas arbitraire du seul fait qu'une autre solution paraît également concevable, voire même préférable (ATF 128 II 259 consid. 5 p. 280; 127 I 60 consid. 5a p. 70; 124 I 247 consid. 5 p. 250/251; 123 I 1 consid. 4a p. 5). 
2.3 Conformément au jugement sur incident du 4 novembre 1999, la compétence de la Cour de justice était limitée au point de savoir si la responsabilité délictuelle de l'intimée était engagée en droit français (art. 1382 du code civil français [ci-après: CCF]) et, le cas échéant, à la fixation des dommages-intérêts que les recourantes pouvaient obtenir à ce titre. Sur cette base, la Chambre civile a jugé que la remise de la procuration à l'intimée, associée à la preuve de l'intention libérale de D.________ envers sa nièce par alliance, constituait une donation manuelle, excluant tout fait générateur de responsabilité imputable à faute. 
2.3.1 Aux termes de l'art. 893 CCF, «on ne pourra disposer de ses biens, à titre gratuit, que par donation entre vifs ou par testament, dans les formes ci-après établies.» La donation entre vifs est un acte par lequel le donateur se dépouille actuellement et irrévocablement de la chose donnée, en faveur du donataire qui l'accepte (art. 894 CCF). Les donations sont soumises au principe de la solennité, sauf exceptions (cf. art. 931 CCF; François Terré/Yves Lequette, Droit civil - Les successions - Les libéralités, précis Dalloz, 3e éd., n. 454, p. 368; Philippe Malaurie, Les successions - Les libéralités, éd. Cujas, 3e éd., p. 219 ss). L'une de ces exceptions est le don manuel, qui consiste en une remise matérielle, «de la main à la main», c'est-à-dire une tradition de meubles corporels inspirée par une intention libérale (Terré/Lequette, op. cit., n. 489, p. 396; Malaurie, op. cit., n. 396, p. 225 et n. 402, p. 230). La remise d'une procuration sur un compte bancaire ne suffit pas pour opérer la tradition puisqu'elle n'implique pas, en tant que telle, une renonciation à la propriété des fonds (arrêt du 14 mai 1996 de la Cour de Cassation civile, in Juris-classeur périodique [JCP], éd. N, 1997, p. 1039; arrêt du 30 avril 1998 de la Cour d'Appel de Versailles, in Recueil Dalloz 1998, p. 167; arrêt du 11 septembre 1996 de la Cour d'appel de Metz, in Extrait de Droit de la Famille, Editions du Juris-classeur, octobre 1999, p. 22). Le don manuel pourra néanmoins résulter de la remise d'une procuration dès lors qu'est prouvée l'intention libérale du mandant à l'égard du mandataire, soit sa volonté d'effectuer une libéralité irrévocable; cette preuve peut être rapportée par tous moyens, notamment des témoignages (arrêt précité du 14 mai 1996 de la Cour de Cassation; arrêt précité du 30 avril 1998 de la Cour d'Appel de Versailles; arrêt précité du 11 septembre 1996 de la Cour d'Appel de Metz; arrêt du 30 juin 1994 de la Cour d'Appel de Douai, cité in Méga code civil, Dalloz 2001, n. 114 ad art. 895, p. 886; arrêt du 23 juin 1987 de la Cour d'Appel d'Aix-en-Provence, in Gazette du Palais, Journal du 17 octobre 1987, p. 622 ss). 
2.3.2 L'intimée a obtenu la possession des fonds litigieux grâce à la procuration dont elle bénéficiait sur le compte de D.________. Un tel mode d'appréhension ne suffit pas à réaliser un don manuel. Se fondant sur les notes et le témoignage de la gestionnaire du compte de D.________ à X.________, la cour cantonale a considéré toutefois que la preuve d'une intention libérale de la titulaire dudit compte envers l'intimée avait été rapportée. 
 
En réalité, ce qui a été démontré, c'est la volonté de D.________ que les avoirs de son compte genevois reviennent après son décès à sa nièce par alliance. Cette constatation figure expressément sous lettre J de l'arrêt attaqué. Elle correspond à ce que la gestionnaire du compte a déclaré lors de son audition (arrêt attaqué, lettre E). Du reste, l'intimée avait bien compris comme telle l'intention de sa tante puisque, lors du transfert litigieux, elle a rempli le formulaire A de la convention de diligence des banques; en effet, elle ne se considérait pas comme la «propriétaire économique» des fonds tant que D.________ était encore vivante (arrêt attaqué, lettre J). 
 
Comme on l'a vu, le don manuel est un acte entre vifs, qui suppose donc un dépouillement irrévocable du vivant du donateur ou, en tout cas, l'intention de donner de son vivant (cf. arrêt précité du 14 mai 1996 de la Cour de Cassation et le commentaire qui suit de Jean Guirec Raffray). Or, en l'espèce, une telle intention ne peut logiquement coexister avec la volonté établie de donner à cause de mort. En admettant que la remise d'une procuration assortie de la preuve d'une intention libérale à cause de mort constituait un don manuel, la cour cantonale a manifestement méconnu les règles du droit français en matière de donations entre vifs. Son arrêt est arbitraire sur ce point. 
 
Au surplus, le droit français distingue entre la donation à cause de mort (donatio mortis causa), nulle, et la donation post mortem, valable. La première relève à la fois de la donation, par sa nature contractuelle, et du testament, par son caractère révocable; elle est prohibée pour cette raison. La seconde confère au donataire, dès sa conclusion, un droit irrévocable dont l'exigibilité est reportée au décès du donateur (Terré/Lequette, op. cit., n. 242, p. 204 et n. 441, p. 358; Juris-classeur code civil- Art. 815 à 909, n. 113 ss ad art. 893 à 895; Malaurie, op. cit., n. 434, p. 246/247). Cette distinction n'a toutefois pas de portée pour les dons manuels, dont la validité est subordonnée à un dessaisissement irrévocable du vivant du donateur (Terré/Lequette, op. cit., n. 441, p. 359 et n. 495, p. 402). 
 
A défaut notamment de tout acte notarié, seul un don manuel pouvait être envisagé en l'occurrence, vu la remise d'une procuration. C'est dire qu'une donation post mortem est d'emblée exclue dans ces conditions. 
 
Sur le vu de ce qui précède, l'arrêt attaqué repose sur une application arbitraire du droit français. La Cour de justice ne pouvait rejeter les prétentions en dommages-intérêts des recourantes au motif que l'intimée était au bénéfice d'une donation. Il convient dès lors d'admettre le recours et d'annuler la décision attaquée. 
3. 
Il appartiendra à la cour cantonale de déterminer si les conditions d'une responsabilité délictuelle au sens de l'art. 1382 CCF sont réalisées en l'espèce et, en particulier, si le comportement qui est reproché à l'intimée constitue une faute. 
 
A ce propos, la cour cantonale réexaminera si la question de l'abus de confiance, imputé à l'intimée par les recourantes, doit être résolue en application du droit suisse (art. 138 CPS), du droit français (art. 314-1 du code pénal français), voire des deux (art. 13 LDIP; cf. Bernard Dutoit, Droit international privé suisse, Commentaire de la loi fédérale du 18 décembre 1987, 3e éd., n. 3 ad art. 13). 
 
Si une faute pénale devait être niée et malgré l'indépendance des fautes civile et pénale (Juris-classeur code civil - Art. 1382 à 1386, fasc. 120-1, feuillet 55), on pourrait alors se demander, à supposer qu'un mandat ait lié D.________ à l'intimée, s'il y a place en l'occurrence pour une faute civile propre à engager la responsabilité délictuelle de la mandataire, à côté de son obligation de restitution (cf. art. 1993 CCF), voire de sa responsabilité contractuelle (art. 1147 CCF). 
4. 
Comme les recourantes obtiennent gain de cause dans la procédure devant le Tribunal fédéral, il convient de mettre les frais judiciaires à la charge de l'intimée (art. 156 al. 1 OJ). Cette dernière versera en outre aux recourantes une indemnité à titre de dépens (art. 159 al. 1 OJ). 
 
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce: 
 
1. 
Le recours est admis et l'arrêt attaqué est annulé. 
2. 
Un émolument judiciaire de 13'000 fr. est mis à la charge de l'intimée. 
3. 
L'intimée versera aux recourantes, créancières solidaires, un montant de 15'000 fr. à titre de dépens. 
 
4. 
Le présent arrêt est communiqué en copie aux mandataires des parties et à la Chambre civile de la Cour de justice du canton de Genève. 
Lausanne, le 28 novembre 2002 
Au nom de la Ire Cour civile 
du Tribunal fédéral suisse 
 
Le président: La greffière: