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Tribunale federale 
Tribunal federal 
 
{T 0/2} 
1B_65/2008 
 
Arrêt du 15 avril 2008 
Ire Cour de droit public 
 
Composition 
MM. les Juges Féraud, Président, Reeb et Eusebio. 
Greffier: M. Kurz. 
 
Parties 
A.________, 
recourant, représenté par Me Alain Dubuis, avocat, 
 
contre 
 
Ministère public du canton de Vaud, rue de l'Université 24, 1005 Lausanne, 
Tribunal criminel de l'arrondissement de l'Est vaudois, rue du Simplon 22, case postale 496, 
1800 Vevey 1. 
 
Objet 
récusation d'un tribunal, 
 
recours contre l'arrêt de la Cour administrative du Tribunal cantonal du canton de Vaud du 20 février 2008. 
 
Faits: 
 
A. 
A.________ se trouve en détention préventive depuis le 2 février 2006. Il lui est reproché d'être à l'origine de la mort de sa mère B.________ et de l'amie de celle-ci, le 24 décembre 2005, et d'avoir fait disparaître sa soeur C.________. Par arrêt du 29 janvier 2008, le Tribunal d'accusation du Tribunal cantonal vaudois l'a renvoyé devant le Tribunal criminel de l'arrondissement de l'Est vaudois, comme accusé d'un triple assassinat. 
 
B. 
Le 8 février 2008, A.________ a requis la récusation du Tribunal d'arrondissement de l'Est vaudois dans son ensemble, et la désignation d'un tribunal criminel d'un autre arrondissement. Il estimait que l'enquête avait été menée exclusivement à charge, dans un contexte "médiatique et populaire extrêmement passionnel". Chaque étape de la procédure avait été couverte par la presse. Un reportage avait été diffusé dans une émission régionale de la Télévision Suisse Romande. Ces informations répétées pouvaient avoir un impact très important sur le Tribunal, dont huit des neuf membres étaient des laïcs. Le Tribunal d'accusation avait d'ailleurs justifié un refus de mise en liberté par le fait qu'une libération "provoquerait l'indignation au sein d'une partie de la population". Certaines personnes étaient intervenues spontanément auprès des enquêteurs. La famille de l'accusé était notoirement connue à Vevey: son père était un architecte renommé et un virulent conflit, relaté dans la presse, avait opposé la succession. Les jurés, domiciliés dans la ville où les meurtres s'étaient déroulés, auraient donc forcément un a priori sur la culpabilité de l'accusé, dans une affaire où l'intime conviction serait décisive, vu l'absence de preuves. 
Par arrêt du 20 février 2008, la Cour administrative du Tribunal cantonal vaudois a rejeté la demande. Si la presse avait relaté de manière suivie les différentes étapes de la procédure, cela tenait à la gravité des faits, mais ne signifiait pas que la population veveysanne était convaincue de la culpabilité de l'accusé. 
 
C. 
Par acte du 10 mars 2008, A.________ forme un recours en matière pénale. Il conclut à l'annulation de l'arrêt cantonal, subsidiairement à la récusation du Tribunal d'arrondissement de l'Est vaudois et au renvoi de la cause à l'autorité cantonale pour désignation d'un nouveau tribunal. 
La Cour administrative a renoncé à se déterminer, tout en relevant que la couverture médiatique de l'affaire s'étend au territoire cantonal ainsi qu'aux cantons avoisinants. Le Procureur général conclut au rejet du recours. 
 
Considérant en droit: 
 
1. 
Conformément aux art. 78 et 92 al. 1 LTF, une décision relative à la récusation d'un juge - ou d'un tribunal - pénal peut faire immédiatement l'objet d'un recours en matière pénale. L'accusé et auteur de la demande de récusation a qualité pour agir (art. 81 al. 1 LTF). Le recourant a agi dans le délai de trente jours prescrit à l'art. 100 al. 1 LTF. La décision attaquée est rendue en dernière instance cantonale. Le recours est donc recevable. 
 
2. 
Le recourant invoque les art. 6 par. 1 CEDH et 30 al. 1 Cst., ainsi que l'art. 29 al. 5 CPP/VD qui permet la récusation d'un tribunal "lorsqu'il existe dans le district une prévention locale au sujet du procès". Il relève que le Tribunal criminel est composé d'un Président, de deux juges au Tribunal d'arrondissement et de six jurés pris dans l'arrondissement, soit huit membres sans formation juridique particulière, ce qui justifierait une plus grande vigilance quant aux pressions externes qui peuvent s'exercer sur le Tribunal criminel. Le recourant considère que la campagne de presse continuelle - en particulier au stade du renvoi en jugement -, présentant systématiquement le recourant comme accusé d'un double, puis d'un triple assassinat, serait de nature à exercer une telle influence sur des personnes sans expérience de la procédure pénale, s'agissant en particulier d'une affaire où l'appréciation sera déterminante, faute de toute preuve matérielle. Si le Tribunal d'accusation a été influencé par l'indignation populaire qu'une mise en liberté provoquerait, il pourrait en aller de même du Tribunal criminel, ce d'autant que la famille du recourant est notoirement connue à Vevey. Le recourant évoque les interventions spontanées en cours d'enquête, qui refléteraient l'état d'esprit de la population. 
 
2.1 La garantie d'un tribunal indépendant et impartial instituée par les art. 30 al. 1 Cst. et 6 par. 1 CEDH - qui ont, sous cet angle, la même portée (ATF 116 Ia 135 consid. 2e p. 138) - permet, indépendamment du droit de procédure cantonal, d'exiger la récusation d'un juge dont la situation ou le comportement est de nature à susciter un doute quant à son impartialité; elle vise, notamment, à éviter que des circonstances extérieures à la cause ne puissent influencer le jugement en faveur ou au détriment d'une partie. Elle n'impose pas la récusation seulement lorsqu'une prévention effective est établie, car une telle disposition interne ne peut guère être prouvée; il suffit que les circonstances donnent l'apparence de la prévention, et fassent redouter une activité partiale du tribunal. Seules des circonstances objectivement constatées doivent être prises en compte; les impressions purement individuelles des parties au procès ne sont pas décisives (ATF 133 I 1 consid. 6.2 p. 6; 131 I 24 consid. 1.1 p. 25 et les arrêts cités). 
 
2.2 Selon la jurisprudence, la récusation d'un tribunal en corps ne peut être admise que pour des motifs graves, car le principe du juge naturel s'en trouve davantage touché que dans le cas de la récusation d'un seul magistrat (ATF 105 Ia 157 consid. 6b p. 164). Ainsi, une campagne de presse n'est susceptible d'influer sur les membres d'un tribunal, en particulier les juges laïcs, que si elle se révèle particulièrement violente et unilatérale (ATF 116 Ia 14 consid. 7 p. 22). De même, le cas spécial de récusation prévu à l'art. 29 al. 5 CPP/VD (récusation d'un tribunal d'arrondissement lorsqu'il existe une "prévention locale au sujet du procès") ne saurait être admis à la légère, sans qu'il existe des indices suffisants d'une telle prévention, susceptibles d'influencer le tribunal. 
 
2.3 En vertu de la liberté d'expression (art. 10 CEDH et 16 Cst.), les médias doivent pouvoir diffuser et le public recevoir des informations sur les activités des autorités judiciaires et des services de police à travers les médias; les journalistes peuvent librement relater et commenter les affaires pénales. Ces informations sont parfaitement compatibles avec le principe de publicité énoncé à l'art. 6 par. 1 CEDH, et permettent à la population d'exercer son droit de regard sur le fonctionnement de l'activité judiciaire. Toutefois, les opinions et informations concernant les procédures en cours ne doivent être diffusées que si cela ne porte pas atteinte à la présomption d'innocence (art. 6 par. 2 CEDH et 32 al. 1 Cst.; Recommandation Rec (2003)13 du Comité des Ministres du Conseil de l'Europe aux Etats membres, sur la diffusion d'informations par les médias en relation avec les procédures pénales). 
 
2.4 En l'occurrence, si la procédure pénale a fait l'objet d'une large couverture par la presse, il n'apparaît pas que celle-ci ait fait preuve de partialité à l'égard du recourant, en le désignant par avance comme coupable des faits qui lui sont reprochés. Au contraire, les articles produits par le recourant, qui se rapportent à l'acte d'accusation, ne présentent nullement comme établis les faits reprochés; ils relèvent l'absence de preuves matérielles et exposent comme tels les arguments de l'accusation, présentant également ceux de la défense. La transcription de l'émission de la Télévision Suisse Romande fait elle aussi apparaître que les arguments de l'accusation et de la défense ont été présentés sans parti pris. 
Dans le cadre de procédures attirant, comme en l'espèce, particulièrement l'attention du public, les autorités judiciaires et les services de police doivent informer les médias de leurs actes essentiels, sous réserve du secret de l'instruction et des besoins de l'enquête (Recommandation Rec (2003)13 précitée). C'est conformément à ces principes que le public a été régulièrement et objectivement informé, notamment au moment crucial du renvoi en jugement. Ces informations, dont le recourant ne conteste pas l'objectivité, n'ont rien à voir avec une campagne de presse violente et unilatérale pouvant porter atteinte à l'impartialité des juges appelés à trancher. 
Le recourant n'apporte pas non plus le moindre indice permettant de penser que l'opinion de la population locale serait d'ores et déjà formée en sa défaveur. Ni les termes employés par le Tribunal d'accusation à l'appui du refus de mise en liberté, ni les interventions spontanées en cours d'enquête - dont le recourant ne donne qu'un exemple isolé -, ni même la notoriété qui serait celle du recourant et de sa famille, ne permettent de penser qu'il existe une "prévention locale" propre à empêcher le Tribunal criminel de juger de manière indépendante et impartiale. Au demeurant, comme le rappelle le Ministère public, les jurés du Tribunal criminel de l'arrondissement de l'Est vaudois ne sont pas choisis uniquement parmi les habitants de la ville de Vevey, mais aussi dans les anciens districts de Lavaux, Aigle, Oron et Pays d'Enhaut. Conformément à l'art. 385 CPP/VD, ils seront appelés à prêter serment, selon une formule qui rappelle clairement leur obligation de ne fléchir ni par crainte, ni par faveur, ni par haine, et de se décider uniquement d'après les débats, suivant leur intime conviction et leur conscience. Il ne s'agit pas d'une simple figure de style, mais d'un rappel solennel dont la portée et l'importance ne peuvent échapper à un jury populaire (ATF 116 Ia 14 consid. 7c p. 26; CourEDH, arrêt Gregory c/ Royaume-Uni du 25 février 1995, Recueil CourEDH 1996-1 p. 296, par. 45 ss). Il n'existe par conséquent aucun indice sérieux permettant de mettre en doute l'indépendance et l'impartialité de la juridiction saisie. 
 
3. 
Il s'ensuit que c'est à juste titre que la requête de récusation a été écartée. Le recours en matière pénale est rejeté, aux frais de son auteur (art. 66 al. 1 LTF). 
 
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce: 
 
1. 
Le recours est rejeté. 
 
2. 
Les frais judiciaires, arrêtés à 1000 fr., sont mis à la charge du recourant. 
 
3. 
Le présent arrêt est communiqué au mandataire du recourant, au Tribunal d'arrondissement de l'Est vaudois, au Ministère public et à la Cour administrative du Tribunal cantonal du canton de Vaud. 
Lausanne, le 15 avril 2008 
Au nom de la Ire Cour de droit public 
du Tribunal fédéral suisse 
Le Président: Le Greffier: 
 
Féraud Kurz