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[AZA 0/2] 
 
4C.128/2001 
 
Ie COUR CIVILE 
**************************** 
 
3 juillet 2001 
 
Composition de la Cour: M. Walter, président, M. Leu, 
M. Corboz, Mme Klett et M. Nyffeler, juges. Greffière: 
Mme de Montmollin Hermann. 
 
__________ 
 
Dans la cause civile pendante 
entre 
X.________ S.A., défenderesse et recourante, représentée par Me Serge Fasel, avocat à Genève, 
 
et 
Y.________ SpA, demanderesse et intimée, représentée par Me Charles Poncet, avocat à Genève; 
 
(révocation de l'assignation) 
Vu les pièces du dossier d'où ressortent 
les faits suivants: 
 
A.- a) En 1995, grâce à l'intervention de A.________ Ltd, société spécialisée dans la recherche de bailleurs de fonds (ci-après: A.________), la succursale genevoise de la banque française Z.________ (devenue X.________, ci-après: la banque) s'est déclarée disposée à accorder à la société italienne Y.________ SpA (ci-après: 
Y.________) un prêt de 20'000'000 US$ à certaines conditions, essentiellement la remise d'une garantie bancaire irrévocable et inconditionnelle. 
 
Lors d'une réunion tenue à Genève le 3 mars 1995, Y.________ a donné à la succursale de la banque l'ordre irrévocable de transférer la somme de 440'000 US$ sur le compte de A.________ dans un délai de 45 jours, si la banque ne recevait pas une lettre de crédit irrévocable de 2'000'000 US$ en faveur de A.________ (à titre de commission) avant le 20 mars 1995. 
 
Ce transfert supposait l'ouverture préalable de comptes par Y.________ et A.________ auprès de l'établissement bancaire genevois; ces démarches ont été accomplies le même jour. 
 
Le 10 mars 1995, Y.________ a remis un chèque de 440'000 US$ à la banque afin de couvrir l'exécution de l'ordre irrévocable. Cette dernière n'a cependant pas procédé au versement des 440'000 US$ dans le délai de 45 jours, faute de couverture suffisante car elle n'avait pas pu encaisser le chèque, refusé par la banque tirée. 
 
b) Les garanties exigées n'ayant pas été fournies, Y.________ n'a pas obtenu le prêt de 20'000'000 US$. Par courrier du 14 juin 1995, elle a formellement révoqué toutes les instructions données par le passé en rapport avec son compte auprès de la succursale genevoise de la banque, y compris celles qui figuraient dans le document du 3 mars 1995. Simultanément, elle informait la banque qu'elle avait pris des dispositions pour que son compte soit couvert. Ce dernier a été crédité le 22 juin 1995 de 500'000 US$. 
 
Par courrier du 27 juin 1995, la banque a répondu que, selon le droit suisse, les instructions données par Y.________ le 3 mars 1995 étaient irrévocables et qu'en conséquence elle était légalement tenue de procéder au transfert des 440'000 US$ sur le compte de A.________; elle a par ailleurs affirmé que l'ordre de virement avait déjà été exécuté, ce qui était faux. L'opération en question a été effectuée le lendemain, soit le 28 juin 1995. 
 
B.- Le 24 décembre 1996, Y.________ a assigné devant les tribunaux genevois la banque en paiement de 535 700 fr. (contre-valeur de 440'000 US$), intérêts en sus. 
 
Par jugement du 31 mai 2000, le Tribunal de première instance a condamné la banque à verser à Y.________ la somme de 505 120 fr. (contre-valeur au 28 juin 1995 de 440'000 US$) avec intérêts à 5% dès le 28 juin 1995. 
 
Par arrêt du 16 février 2001, la Chambre civile de la Cour de justice genevoise a confirmé ce jugement. 
 
En substance, la cour cantonale a retenu que Y.________ avait conclu avec la banque un contrat de giro bancaire, que celle-ci s'était écartée des instructions reçues en procédant au transfert malgré la révocation de l'ordre et qu'elle devait réparer le dommage causé par la violation du mandat. 
 
C.- X.________ S.A. recourt en réforme au Tribunal fédéral contre l'arrêt du 16 février 2001. La banque conclut à l'annulation de celui-ci et principalement au rejet de la demande, subsidiairement au renvoi de la cause à l'autorité cantonale. 
 
L'intimée propose le déboutement de sa partie adverse et la confirmation de l'arrêt attaqué. 
 
Considérant en droit : 
 
1.- Le Tribunal fédéral ne peut pas aller au-delà des conclusions des parties, lesquelles ne peuvent prendre de conclusions nouvelles (art. 55 al. 1 let. b in fine OJ). En revanche, il n'est lié ni par les motifs invoqués par les parties (art. 63 al. 1 OJ), ni par l'argumentation juridique retenue par la cour cantonale (art. 63 al. 3 OJ; ATF 126 III 59 consid. 2a; 123 III 246 consid. 2). 
 
2.- a) La cour cantonale a admis la compétence des tribunaux suisses, en se référant à l'art. 5 ch. 5 de la Convention du 16 septembre 1988 concernant la compétence judiciaire et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale (Convention de Lugano, CL; RS 0.275. 11), considérant que la contestation se rapportait à l'exploitation de la succursale genevoise d'une banque française. Il ressort cependant des constatations cantonales - sans qu'aucune contestation ne s'élève à ce sujet - que la recourante a succédé aux droits et obligations de cette succursale; comme la recourante est elle-même une société anonyme ayant son siège en Suisse, elle peut évidemment, en tant que personne morale distincte, être recherchée en paiement devant les tribunaux suisses, sans qu'il y ait lieu de se référer à la disposition citée (cf. art. 2 al. 1 CL; art. 21 al. 1 LDIP). 
 
b) Selon les constatations cantonales - qui lient le Tribunal fédéral saisi d'un recours en réforme (art. 63 al. 2 OJ) -, l'intimée a transféré, le 22 juin 1995, la somme de 500'000 US$ sur son compte auprès de la banque recourante. 
A réception de cette somme, la banque est donc devenue débitrice de ce montant à l'égard de sa cliente, l'intimée. 
 
La défenderesse soutient qu'elle s'est libérée, à concurrence de 440'000 US$, en exécutant, le 28 juin 1995, l'ordre de transfert qui lui avait été donné le 3 mars 1995. 
La demanderesse considère pour sa part que la banque n'était pas en droit d'effectuer cette opération, parce que l'ordre avait été révoqué par la lettre du 14 juin 1995. 
 
Pour trancher la question litigieuse, il faut tout d'abord procéder à la qualification juridique de l'ordre de transfert donné le 3 mars 1995. 
 
c) La qualification doit être opérée selon la loi du for (ATF 127 III 123 consid. 2c). 
 
L'ordre donné à la banque se caractérise comme une assignation au sens de l'art. 466 CO. L'ordre de paiement émis le 3 mars 1995 par la cliente de la banque en faveur d'un tiers constituait un acte juridique par lequel l'assignant autorisait l'assigné à remettre à l'assignataire une somme d'argent, que l'assignataire était autorisé par le même assignant à recevoir chez l'assigné (ATF 121 III 109 consid. 2). 
 
 
d) Il ne résulte pas de l'état de fait cantonal qu'une élection de droit ait été convenue (cf. art. 116 LDIP). 
 
En pareille situation, le contrat est régi par le droit de l'Etat avec lequel il présente les liens les plus étroits (art. 117 al. 1 LDIP). Ces liens sont réputés exister avec l'Etat dans lequel la partie qui doit fournir la prestation caractéristique a sa résidence habituelle ou, si le contrat est conclu dans l'exercice d'une activité professionnelle ou commerciale, son établissement (art. 117 al. 2 LDIP). 
Comme l'assignation a pour objet un service, il faut considérer que ce service constitue la prestation caractéristique (art. 117 al. 3 let. c LDIP; ATF 127 III 123 consid. 2b). En conséquence, l'assignation, en droit international privé suisse, est régie, en l'absence d'élection, par le droit de l'Etat dans lequel l'assigné a sa résidence habituelle ou son établissement (ATF 121 III 109 consid. 2; 100 II 200 consid. 5b). 
 
 
Dès lors que la recourante a conclu le contrat dans l'exercice de son activité professionnelle ou commerciale, c'est le lieu de son établissement qui est déterminant (art. 117 al. 2 LDIP). L'établissement d'une société se trouve dans l'Etat dans lequel elle a son siège ou une succursale (art. 21 al. 3 LDIP; ATF 127 III 123 consid. 2c). 
 
 
 
En l'espèce, il a été constaté que le contrat a été passé avec la succursale genevoise de la banque française, de sorte que le droit suisse est applicable. 
 
e) Selon les constatations cantonales souveraines, l'assignant a révoqué l'assignation par lettre du 14 juin 1995. 
 
Il faut donc examiner, à la lumière du droit suisse, si et à quelles conditions l'assignant peut révoquer l'assignation à l'égard de l'assigné. 
 
aa) On constatera tout d'abord que l'assignation du 3 mars 1995 avait été déclarée irrévocable. 
 
L'art. 470 al. 2 CO permet cependant à l'assignant de révoquer l'assignation à l'égard de l'assigné, tant que celui-ci n'a pas notifié son acceptation à l'assignataire. 
 
Il a déjà été jugé que cette disposition était impérative et accordait à l'assignant un droit de révocation auquel il ne pouvait valablement renoncer (ATF 122 III 237 consid. 3c et la référence citée). 
 
La clause prévoyant que l'ordre est irrévocable est donc dépourvue d'effet juridique. 
 
bb) A teneur de l'art. 470 al. 2 CO, la révocation n'est cependant possible qu'aussi longtemps que l'assigné n'a pas notifié son acceptation à l'assignataire. 
 
Il ne faut pas confondre ici l'acceptation à l'égard de l'assignant (cf. art. 467 al. 3 CO) et l'acceptation à l'égard de l'assignataire (art. 468 al. 1 CO). 
 
Lorsque la banque assignée accepte l'assignation que lui adresse l'assignant - comme c'est manifestement le cas en l'espèce -, elle conclut avec lui le contrat d'assignation. 
 
Si, en plus d'accepter l'assignation, la banque assignée notifie son acceptation à l'assignataire sans faire de réserve (art. 468 al. 1 CO), elle devient directement débitrice à son égard et il s'agit alors d'une dette abstraite, qui oblige l'assigné sans que celui-ci ne puisse faire valoir des exceptions tirées du rapport de couverture ou de valeur (ATF 124 III 253 consid. 3b; 122 III 237 consid. 1b; 121 III 109 consid. 3a). 
 
L'acceptation de l'assigné à l'égard de l'assignataire suppose une manifestation de volonté adressée à ce dernier; elle n'a pas besoin de revêtir une forme spéciale et peut résulter d'actes concluants (ATF 122 III 237 consid. 3b; 121 III 109 consid. 3a). Il faut cependant que l'assignataire puisse croire de bonne foi, en se fondant sur la manifestation de volonté, que l'assigné a l'intention de s'engager à son égard (ATF 122 III 237 consid. 3b et les arrêts cités). 
 
En l'espèce, il ne ressort pas des constatations cantonales que la banque, avant la révocation, avait adressé à l'assignataire une communication manifestant expressément la volonté de s'engager à son égard. Il reste donc à examiner s'il y aurait eu de sa part une attitude concluante. 
 
Il convient de rappeler que le paiement n'est intervenu qu'après la révocation. Le seul indice en faveur d'une acceptation est la remise lors de la séance du 3 mars 1995 d'une copie de l'ordre de transfert. Il faut donc examiner, selon la théorie de la confiance, si un tel acte peut être interprété comme une volonté de s'obliger de manière abstraite à l'égard de l'assignataire (sur la théorie de la confiance: cf. ATF 126 III 375 consid. 2e/aa; sur le pouvoir d'examen du Tribunal fédéral dans ce cadre: cf. ATF 126 III 10 consid. 2b; 125 III 305 consid. 2b; 123 III 165 consid. 3a). 
 
 
Selon les usages commerciaux, la simple remise d'une copie traduit un souci d'information, mais ne permet pas de déduire la volonté de prendre un engagement distinct. 
La banque a manifestement voulu permettre à l'assignataire, qui était présent lors de la réunion, de compléter son dossier. 
Il aurait fallu cependant une mention plus précise pour que l'assignataire puisse en déduire de bonne foi une volonté de la banque de s'engager à son égard. Il faut d'ailleurs rappeler qu'il est apparu lors de la réunion que ni l'assignant ni l'assignataire n'avaient encore de comptes auprès de la défenderesse, de sorte que celle-ci n'était à l'évidence pas provisionnée et qu'il était invraisemblable dans ces circonstances qu'elle prenne un engagement abstrait dont on ne voit pas le fondement économique. On doit déduire de ces circonstances, selon les règles du droit fédéral sur l'interprétation des manifestations de volonté, que la banque n'avait pas manifesté envers l'assignataire la volonté de s'engager à son égard. 
 
cc) Il en résulte que la révocation de l'assignation est intervenue en temps utile selon la disposition impérative de l'art. 470 al. 2 CO de sorte que la banque n'était plus en droit, dans ses rapports contractuels avec la demanderesse, d'exécuter l'ordre de transfert. 
 
f) Il a été constaté que la demanderesse avait transféré 500'000 US$, le 22 juin 1995, sur son compte auprès de la défenderesse. Il est évident que la banque est débitrice de cette somme (cf. art. 481 CO; Daniel Guggenheim, Les contrats de la pratique bancaire suisse, 4e éd., p. 151 s.). 
 
Les considérations qui précèdent montrent que l'assignation du 3 mars 1995 avait été valablement révoquée par la lettre du 14 juin 1995. Il ressort du pli du 27 juin 1995 que la défenderesse avait reçu la révocation; celle-ci déployait donc ses effets. En exécutant néanmoins le transfert le 28 juin 1995, la banque a procédé sans droit. Elle ne s'est donc pas libérée par ce transfert à l'égard de son client; elle ne peut lui opposer une opération contraire à ses instructions. En conséquence, le transfert n'a pas de fondement juridique à l'égard du client et la défenderesse reste débitrice de la somme qui lui a été confiée en compte. 
 
La condamnation de la défenderesse à payer la contre-valeur de la somme transférée ne viole donc pas le droit fédéral. 
 
g) Toute discussion sur l'existence d'un dommage est ici vaine. Il ne s'agit en effet pas de réparer un préjudice. 
La banque est redevable à l'égard de son client de la somme que celui-ci lui a confiée, dès lors que le transfert auquel elle a procédé n'avait pas de fondement. 
 
La défenderesse aurait pu éventuellement exciper de compensation avec une créance pour enrichissement illégitime, en établissant que le transfert avait enrichi l'intimée, notamment en diminuant son passif (sur cette question: cf. ATF 121 III 109 consid. 4a p. 116). 
 
Il ne ressort cependant pas des constatations cantonales que l'intéressée aurait soulevé une telle exception - qui ne peut pas être invoquée pour la première fois dans un recours en réforme (art. 55 al. 1 let. c 3ème phrase OJ; Corboz, Le recours en réforme au Tribunal fédéral, in SJ 2000 II p. 1 ss, p. 46 n° 355). 
 
3.- La recourante qui succombe doit être condamnée aux frais et dépens (art. 156 al. 1 et 159 al. 1 OJ). 
 
Par ces motifs, 
 
le Tribunal fédéral : 
 
1. Rejette le recours et confirme l'arrêt attaqué; 
 
2. Met un émolument judiciaire de 10'000 fr. à la charge de la recourante; 
 
3. Dit que la recourante versera à l'intimée une indemnité de 12'000 fr. à titre de dépens; 
 
4. Communique le présent arrêt en copie aux mandataires des parties et à la Chambre civile de la Cour de justice genevoise. 
 
___________ 
Lausanne, le 3 juillet 2001 ECH 
 
Au nom de la Ie Cour civile 
du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE: 
Le président, 
 
La greffière,