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Tribunale federale 
Tribunal federal 
 
{T 0/2} 
4C.344/2002 /ech 
 
Arrêt du 12 novembre 2003 
Ire Cour civile 
 
Composition 
MM. et Mme les Juges Corboz, président, Walter, Rottenberg Liatowitsch, Nyffeler et Favre. 
Greffière: Mme de Montmollin. 
 
Parties 
A.________ (anciennement dénommée Z.________), défenderesse et recourante, représentée par Me Shelby du Pasquier et Me Daniel Tunik, 
La République X.________, intervenante et recourante, représentée par Me Manuel Bianchi Della Porta, 
 
contre 
 
Groupe B.________, 
demanderesse et intimée, représentée par Me Patrick Schellenberg. 
 
Objet 
assignation 
 
recours en réforme contre l'arrêt de la Chambre civile de la Cour de justice du canton de Genève du 13 septembre 2002. 
 
Faits: 
A. 
Groupe B.________ (ci-après: B.________) est une société de droit libanais active dans le domaine des travaux publics et privés ainsi que de leur financement. 
 
Z.________ SA, actuellement A.________ (ci-après: Z.________), est une société de droit X.________ qui exploite divers gisements pétroliers dans la République de X.________. Elle est au bénéfice d'une concession pour laquelle elle verse mensuellement une redevance minière dont le montant dépend de la production réalisée. 
 
Durant les années 90, la République X.________ a mis en oeuvre un programme de construction d'équipements publics. Plusieurs chantiers ont été exécutés par l'une des filiales de B.________, C.________ SA. 
 
Par conventions des 27 avril 1992 (n° 560) et 9 mars 1993 (n° 569), B.________ a accordé des prêts à la République X.________ en vue de la réalisation d'ouvrages de travaux publics. Le remboursement devait intervenir par versements semestriels, échelonnés selon deux échéanciers déterminés. Afin d'assurer le service des prêts à ces échéances, la République X.________ a instruit Z.________ de verser à due concurrence le montant des redevances minières à B.________. Il était précisé que ces paiements vaudraient pleine et entière libération de Z.________ à l'égard de la République X.________ et que les instructions étaient irrévocables. Les 5 juin 1992 et 16 avril 1993, Z.________ a confirmé à B.________ qu'elle appliquerait les "instructions irrévocables" données par la République X.________. 
 
Z.________ a régulièrement versé les montants dus pour couvrir les échéances arrivées à terme jusqu'en mai 1995. Les parties ont alors reporté certaines échéances et confirmé la teneur des conventions n°s 560 et 569, par accords du 19 janvier 1996 pour la République X.________ et B.________, et du 24 janvier 1996 pour Z.________. Les parties ont notamment rappelé que les paiements honorés par Z.________ étaient effectués à concurrence des montants dont elle était redevable envers la République X.________ à titre de redevances minières et que l'exécution des instructions susdécrites était indépendante de l'exécution des conventions n°s 560 et 569. 
 
Alors qu'elle avait régulièrement rempli ses engagements jusque-là, Z.________ n'a effectué qu'un versement partiel à l'échéance de mai 1998. 
 
Le 26 mai 1998, elle a informé B.________ qu'elle ne pouvait plus honorer l'intégralité du service du crédit en raison de la baisse du prix du pétrole et d'un tassement de sa production, qui l'obligeaient à répartir les redevances au prorata entre divers ayants droit. 
 
Le même jour, le président du Tribunal de commerce de Y.________, dans la République de X.________, a rendu une ordonnance de référé interdisant à Z.________ de prélever une partie de la redevance minière pour la virer à B.________. 
 
Le 25 mars 1999, la République X.________ a saisi la Cour internationale d'arbitrage d'une demande dirigée contre B.________ concernant l'exécution des conventions n°s 560 et 569. 
B. 
Le 1er septembre 1998, B.________ a assigné Z.________ en paiement du solde de l'échéance du 30 mai 1998, amplifiant régulièrement sa demande des montants du remboursement dû pour chaque échéance, dont la défenderesse ne s'acquittait plus. Par jugement du 20 septembre 2001, le Tribunal de première instance du canton de Genève a condamné Z.________ à verser à B.________ 64'219'030 fr. 88, intérêts en sus. La société pétrolière a recouru contre cette décision. En cours de procédure, B.________ a de nouveau amplifié ses conclusions en raison du non-respect d'une échéance de paiement, et la République X.________ est intervenue afin d'appuyer les conclusions prises par Z.________. 
 
Le Tribunal arbitral a rendu une sentence partielle le 4 juin 2002. 
 
Par arrêt du 13 septembre 2002, la Cour de justice du canton de Genève a confirmé le jugement de première instance et fait droit aux conclusions additionnelles de B.________, par 8'041'989 fr. avec intérêts. En substance, la Cour de justice a retenu que les parties étaient liées par un rapport d'assignation se rapprochant d'un accréditif, en raison du caractère irrévocable des instructions. L'ordonnance de référé rendue par le président du Tribunal de commerce de Y.________ ne constituait pas un cas d'impossibilité au sens de l'art. 119 CO libérant Z.________ de son obligation d'honorer les échéances de paiement. Cet arrêt précise que doit être écartée une demande de suspension de la procédure jusqu'à droit connu sur la procédure arbitrale, car il n'est pas établi que celle-ci soit de nature à influencer le sort du litige et qu'on ne dispose d'aucune information concrète sur sa durée qui n'en est qu'au stade d'une sentence partielle dont il vient d'être demandé l'interprétation. Pour la même raison, il n'y a pas lieu de donner suite aux requêtes tendant à rouvrir l'instruction de la cause. 
C. 
L'arrêt du 13 septembre 2002 a fait l'objet d'une demande en révision sur le plan cantonal, ainsi que de deux recours en réforme et d'un recours de droit public au Tribunal fédéral. Les procédures ouvertes devant le Tribunal fédéral ont été suspendues jusqu'à droit connu sur le recours en révision cantonal, formé par l'intervenante. 
D. 
La Cour de justice genevoise a déclaré le pourvoi en révision irrecevable en date du 16 mai 2003. Par arrêt de ce jour, le Tribunal fédéral a rejeté le recours de droit public interjeté contre cette décision. 
E. 
Z.________ est l'auteur de l'un des deux recours en réforme, ainsi que du recours de droit public - lui aussi rejeté par arrêt de ce jour -, dirigés contre l'arrêt du 13 septembre 2002. Dans le recours en réforme, Z.________ conclut principalement au déboutement de B.________, subsidiairement au renvoi de la cause à l'instance précédente. Selon elle, la cour cantonale a violé l'art. 119 CO en n'admettant pas que ses obligations envers B.________ étaient devenues impossibles en raison de l'ordonnance rendue par le tribunal de Y.________; la cour cantonale consacrerait également un abus de droit prohibé par l'art. 2 al. 2 CC en permettant au groupe libanais d'obtenir par le biais du rapport d'assignation des montants considérablement supérieurs à ceux qui lui sont dus en vertu du rapport de valeur. 
 
Le second recours en réforme interjeté contre l'arrêt du 13 septembre 2002 émane de la République X.________. Reprenant les conclusions de Z.________, l'intervenante invoque une inadvertance manifeste et une violation de l'art. 2 CC
 
B.________ conclut au rejet du recours de la défenderesse, à l'irrecevabilité, subsidiairement au rejet, de celui de l'intervenante. 
La Cour de justice du canton de Genève ne formule pas d'observations. 
 
Le Tribunal fédéral considère en droit: 
1. 
Aux termes de l'art. 53 al. 1 OJ, les garants et les intervenants ont aussi le droit de recourir en réforme ou de faire un recours joint, si la législation cantonale leur confère les mêmes droits qu'aux parties et s'ils ont pris part au procès devant la dernière juridiction cantonale. La législation cantonale détermine leur rôle dans la procédure. 
 
En droit genevois, l'intervention est réglée aux art. 109 ss de la loi de procédure civile genevoise (ci-après: LPC/GE). Selon l'art 111, si l'intervention est admise, comme en l'espèce, l'intervenant - sans que l'on ne distingue à cet égard s'il s'agit d'une intervention à titre principal ou, dans notre cas, d'une intervention à caractère accessoire - peut demander la communication des écritures et des pièces produites jusqu'alors par les parties principales. L'instruction postérieure et le jugement lui deviennent commun avec elles. Autrement dit, aussitôt que sa démarche a été admise, l'intervenant participe, comme les autres parties, au déroulement de la procédure en cours (Bertossa/Gaillard/Guyet/Schmidt, Commentaire de la LPC/GE, n° 1 ad art. 111; cf. aussi Tevini Du Pasquier, Le crédit documentaire en droit suisse, note de pied de page 220 et ss, p. 274). 
 
Il s'ensuit que le recours de l'intervenante est admissible du chef de l'art. 53 OJ
 
Déposés pour le reste dans les formes et délai légaux, les recours en réforme sont recevables. 
2. 
A l'instar de la cour cantonale, les plaideurs ne discutent ni l'existence d'un for en Suisse, ni le fait que les contrats en cause comme les actes des intéressés doivent être analysés, interprétés et qualifiés à la lumière du droit suisse. Même en l'absence de constatations dans la décision attaquée à propos d'une éventuelle attache du litige, de nature patrimoniale - en l'occurrence le siège genevois des établissements bancaires intervenant dans les divers paiements litigieux -, il faudrait admettre l'existence d'un for et l'applicabilité du droit suisse, dans la mesure où ces points ne sont pas contestés par les parties (cf. arrêt 4P.263/1989 du 17 avril 1990 consid. 3c; art. 116, 5 al. 3 et 6 LDIP). 
3. 
La qualification des relations entre les parties de rapport d'assignation au sens des art. 466 ss CO n'est pas davantage remise en question par les plaideurs, ce avec raison. Ceux-ci ne reviennent pas non plus, à juste titre, sur l'opinion des instances cantonales selon laquelle les accords résultant des courriers de confirmation adressés par la défenderesse à la demanderesse les 5 juin 1992 et 16 avril 1993, comme la confirmation rédigée par la défenderesse le 24 janvier 1996, constituent des engagements de paiement irrévocables et indépendants de la part de la défenderesse à l'égard de la demanderesse (art. 468 al.1, 470 al. 2 CO). 
4. 
4.1 L'ordonnance que le président du Tribunal de commerce de Y.________ a rendu le 26 mai 1998 fait interdiction à la défenderesse de "prélever une partie de la redevance minière proportionnelle payée en vertu de la convention d'établissement du 17 octobre 1968 pour la virer sur le compte spécial ouvert dans les livres de la banque CIBC pour règlement en faveur de (la demanderesse)". La cour cantonale a considéré qu'elle ne constituait pas un cas d'impossibilité au sens de l'art. 119 CO. Pour elle en effet, une prestation de genre, notamment d'argent, n'est jamais impossible; ensuite, l'art. 119 CO ne s'applique pas en cas d'impossibilité temporaire, et de toute façon la jurisprudence n'a admis que très rarement l'existence de circonstances non imputables au débiteur. La cour souligne encore qu'en l'occurrence, les parties avaient stipulé que les instructions données à la défenderesse, assignée, étaient irrévocables quels que soient les événements qui pourraient intervenir pendant la vie du prêt; la décision dite "de Y.________" n'est enfin qu'une décision provisionnelle rendue sans instruction et sans que le fond de l'affaire ne soit abordé. 
4.2 Selon l'art. 119 al. 1 CO, l'obligation s'éteint lorsque l'exécution devient impossible par suite de circonstances non imputables au débiteur. Cette disposition régit l'impossibilité subséquente, par opposition à l'impossibilité originaire, qui rend le contrat nul en vertu de l'art. 20 al. 1 CO. L'impossibilité subséquente peut être matérielle - par exemple le décès d'un cheval dont le débiteur devait assurer l'entretien et le dressage (ATF 107 II 144 consid. 3) - ou juridique - ainsi une interdiction d'exportation qui empêche le débiteur de fournir la prestation (ATF 111 II 352 consid. 2a); certains distinguent également selon que l'impossibilité est objective, c'est-à-dire que ni le débiteur ni des tiers ne sont en mesure d'effectuer la prestation contractuelle (Pascal Pichonnaz, Impossibilité et exorbitance, thèse Fribourg 1997, n° 325 et les références; Thévenoz, Commentaire romand, n° 4 ad art. 119 CO) ou subjective, lorsqu'une prestation devient impossible parce qu'elle se heurte à un obstacle insurmontable pour le débiteur (Pichonnaz, op. cit., n° 340; Wiegand, Commentaire bâlois, 3e éd., n° 1 ad art. 119 CO, n° 11 ss ad art. 97 CO; contre cette distinction: cf. Pichonnaz, op. cit., n° 508 ss; von Tuhr/Escher, Allgemeiner Teil des Schweizerischen Obligationenrechts, Band II, 3e éd., § 68 p. 94; cf. aussi Aepli, Commentaire zurichois, n° 49 ad art.119 CO, qui exclut les cas d'impossibilité subjective du champ d'application de l'art. 119 CO). Le Tribunal fédéral adopte quant à lui une position plutôt large (ATF 57 II 532; 82 II 332 consid. 5; 116 II 512 consid. 2; cf. aussi 126 III 75 consid. 2 b et c; arrêt 4C.378/2000 du 5 mars 2001 in SJ 2001 I 445, consid. 3b). En soi, une décision judiciaire est donc susceptible de constituer un motif d'impossibilité, pour autant qu'on ne puisse en rendre le débiteur responsable - ce que rien ne permet de retenir dans les constatations de fait des magistrats cantonaux, qui lient le Tribunal fédéral (art. 63 al. 2 OJ). 
 
Si l'unanimité règne en doctrine pour dire que l'insolvabilité ou le manque d'argent ne tombe jamais sous le coup de l'art. 119 CO (von Tuhr/Escher, op. cit., p. 96; cf. aussi Thévenoz, op. cit., n° 6 ad art. 119 CO), certains se montrent plus nuancés s'agissant de l'exclusion du champ d'application de l'art. 119 CO des prestations portant sur des choses de genre en général (Aepli, op. cit., n° 49 et 50 ad art. 119 CO, et les références). De son côté, le Tribunal fédéral, saisi d'une affaire présentant beaucoup de similitudes avec le présent litige, a motivé son refus de mettre en oeuvre l'art. 119 CO non pas en raison de l'objet de la dette, mais par le manque de sanction en Suisse d'une interdiction, prononcée en France pendant la première guerre mondiale, d'exécuter toute obligation pécuniaire au profit de ressortissants allemands (ATF 42 II 179 consid. 4). Mais peu importe en l'espèce; il n'y a pas besoin de trancher le point de savoir si la cour cantonale a considéré à juste titre ou non que, par définition, une obligation portant sur le paiement d'une somme d'argent ne peut jamais tomber sous le coup de l'art. 119 CO, ou alors si, comme la défenderesse le prétend, l'impossibilité matérielle de la prestation n'est pas déterminante du moment que l'empêchement est juridique. Il n'est également pas nécessaire d'examiner quels sont les effets d'une ordonnance rendue à l'étranger sur une obligation exécutoire en Suisse. En effet, il est constant dans la présente affaire que la décision invoquée comme source d'impossibilité est de nature provisoire. Quand bien même la durée de validité de l'ordonnance litigieuse ne ressort pas des constatations de fait de la Cour de justice genevoise, il n'est pas allégué qu'elle doive dépasser le dernier terme de remboursement, prévu pour le 30 mai 2004. On ne se trouve donc pas dans la situation d'une durée imprévisible assimilable à un empêchement durable décrite par les auteurs (Wiegand, op. cit., n° 16 ad art. 97 CO; Aepli, op. cit., n° 121 ss ad art. 119 CO; Pichonnaz, op. cit., n° 698 ss; von Tuhr/Escher, op. cit., p. 96). En ne faisant pas application de l'art. 119 CO, la cour cantonale n'a pas violé le droit fédéral. 
5. 
Les instances cantonales ont jugé que la défenderesse ne pouvait invoquer à son profit la procédure arbitrale pendante entre la demanderesse et l'intervenante. D'une part, on ne disposait d'aucune information concrète quant à cette procédure, qui n'en était qu'au stade d'une sentence partielle venant de faire l'objet d'une demande d'interprétation. D'autre part, il n'était pas établi qu'elle soit de nature à influencer le sort du litige, vu l'indépendance des rapports entre la défenderesse et la demanderesse, relativement au litige qui oppose la demanderesse à l'intervenante. La défenderesse et l'intervenante voient là une violation de l'art. 2 CC. Reconnaissant qu'en droit suisse l'assignation a un caractère abstrait, elles font valoir que cette particularité reste toujours soumise à la limite de l'abus de droit, et elles invoquent à ce propos un arrêt rendu le 28 mars 2001 par le Tribunal fédéral (4C.172/2000 reproduit in PJA 4/2002 p. 464 ss), ainsi que la pratique en matière de crédit documentaire et de garanties bancaires. 
 
L'intervenante soulève de plus le moyen tiré de l'inadvertance manifeste, pour reprocher à la cour cantonale de n'avoir pas pris en considération le fait que la décision sur la demande d'interprétation formulée à l'encontre de la sentence d'arbitrage a été rendue et régulièrement versée à la procédure avant le prononcé de l'arrêt attaqué. 
5.1 Le principe est bien établi que l'assigné qui a accepté sans réserve l'assignation ne peut pas refuser de s'exécuter envers l'assignataire en soulevant des exceptions tirées de ses relations avec l'assignant (rapport de provision) ou avec l'assignataire (rapport de valeur) (ATF 127 III 553 consid. 2e/bb; 124 III 253 consid. 3b; 122 III 237 consid. 1b; 121 III 109 consid. 3a). L'assigné peut uniquement faire valoir des objections concernant ses relations personnelles avec l'assignataire ou le contenu de l'assignation, à l'exclusion de celles qui dérivent de ses rapports avec l'assignant (art. 468 al. 1 CO). Cette limitation est conforme au système et tient compte du caractère relatif des droits de créance (ATF 124 III 253 consid. 3b). 
Il en découle que la défenderesse est en principe tenue d'effectuer les versements litigieux, sauf à admettre que la demanderesse commette un abus de droit à exiger l'exécution du rapport d'assignation. 
 
Selon l'art. 2 al. 2 CC, l'abus manifeste d'un droit n'est pas protégé par la loi. L'existence d'un abus de droit se détermine selon les circonstances concrètes du cas (ATF 121 III 60 consid. 3d), en s'inspirant des diverses catégories mises en évidence par la jurisprudence et la doctrine (ATF 129 III 493 consid. 5.1, et les nombreuses références). Les cas typiques sont l'absence d'intérêt à l'exercice d'un droit, l'utilisation d'une institution juridique contrairement à son but, la disproportion manifeste des intérêts en présence, l'exercice d'un droit sans ménagement ou l'attitude contradictoire (ATF 120 II 105 consid. 3a). S'agissant de l'assignation, le Tribunal fédéral a récemment précisé, comme les recourantes l'invoquent, les conditions dans lesquelles l'assigné peut se prévaloir d'un abus de droit et refuser de s'exécuter du fait d'un vice affectant le rapport de valeur - en l'occurrence l'immoralité de celui-ci (4C.172/2000, déjà cité, consid. 4b et c, commenté par Koller in PJA 4/2002 p. 467 ss; cf. aussi, en matière bancaire, ATF 124 III 253 consid. 3b et c, commenté par Tevini Du Pasquier, op. cit., n° 12 et 13 ad art. 468 CO). Selon cet arrêt, le recours à l'art. 2 CC ne se justifie que dans une situation particulièrement grave. Il faut que l'illicéité ou la contrariété aux moeurs de la créance litigieuse soit évidente; le vice doit être patent sur le plan juridique, et sa démonstration doit pouvoir être apportée de façon immédiate en fait; le moment déterminant pour juger de la réalisation de ces conditions est celui où l'assignataire réclame l'exécution de l'assignation; on ne prendra donc pas, dans la règle, en considération les objections résultant de la fixation d'un délai, de la prescription, de la compensation, de même que les vices du consentement éventuellement allégués par l'assignant pour mettre en doute la créance résultant d'un rapport de valeur. On admet en revanche que l'assignataire abuse de son droit lorsqu'il sait ou doit savoir qu'il ne dispose d'aucun droit actuel ou futur en vertu du rapport de valeur, sur la base de preuves immédiatement disponibles. 
 
Il suit de ce qui précède que, pour que l'on puisse invoquer l'extinction de la créance résultant du rapport de base, il faut que celle-ci soit manifeste, établie sans aucun doute possible. En doctrine également, on insiste sur le caractère évident de l'extinction alléguée (par exemple Schütze, Das Dokumentenakkreditiv im internationalen Handelsverkehr, 5e éd., n° 427 ss; Schönle, in RSJ 1983 p. 74; Nicolas de Gottrau, Le crédit documentaire et la fraude, thèse, Genève, 1999, p. 194 ss). 
En l'occurrence, les recourantes soutiennent que l'extinction résulte de la sentence arbitrale du 4 juin 2002. Elles allèguent que cette décision tranche l'essentiel des prétentions de l'assignataire et fixe des règles précises pour régler les deux points qui restent ouverts, à savoir les intérêts dus sur la convention n° 569 et la question de dommages de guerre réclamés à l'assignante par l'assignataire, étrangers au rapport d'assignation. L'examen de la sentence arbitrale, notamment à la lumière de la décision en interprétation, aurait conduit la Cour de justice à constater que l'exécution de sa décision procurait à l'assignataire un enrichissement illégitime pour des montants considérables. 
 
La simple lecture de cette argumentation laisse voir que les conditions strictes permettant de reconnaître l'existence d'un abus de droit ne sont pas réalisées, du seul fait déjà que la sentence alléguée n'est que partielle. En refusant d'en ordonner la production au dossier, la cour cantonale n'a pas violé l'art. 8 CC, ni l'art. 2 CC. Les plaideurs, y compris les recourantes, se livrent dans leurs écritures à de longues considérations sur la signification de la sentence et ses implications financières, notamment en ce qui concerne l'imputabilité des dommages de guerre sur la convention 569. Le calcul des intérêts dus dans le cadre de la convention 569 doit encore être validé par le tribunal arbitral, et l'établissement des dommages de guerre - sur lesquels le Tribunal arbitral a admis sa compétence à statuer dans le cadre du litige portant sur les conventions de prêt soumises à son jugement - faire l'objet d'une expertise. C'est dire que les conditions d'un abus de droit à exiger l'exécution de l'assignation ne sont pas remplies. Que la Cour de justice se soit peut être rendue coupable d'inadvertance manifeste en omettant de prendre en considération la décision rendue sur la demande d'interprétation dirigée contre la sentence du 4 juin 2002 ne change rien au caractère partiel de celle-ci (sans compter l'éventualité d'un recours contre la sentence finale que rendra le tribunal arbitral). Le moyen soulevé à cet égard par l'intervenante dans son recours s'avère dès lors également vain, dans la mesure où il porte sur un fait dénué de pertinence. 
6. 
Les deux recours en réforme sont mal fondés. Les recourantes supporteront les frais de justice à parts égales. Elles verseront aussi chacune une indemnité de dépens à l'intimée qui a répondu aux deux recours. Dans la mesure où ces derniers soulevaient des griefs se recoupant en partie, l'indemnité de dépens sera réduite de moitié. 
 
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce: 
1. 
Les recours de la défenderesse et de l'intervenante sont rejetés. 
2. 
Un émolument judiciaire de 70'000 fr. est mis à la charge des recourantes, solidairement entre elles. 
3. 
Les recourantes verseront chacune à l'intimée B.________ une indemnité de 40'000 fr. à titre de dépens. 
4. 
Le présent arrêt est communiqué en copie aux mandataires des parties et à la Chambre civile de la Cour de justice du canton de Genève. 
Lausanne, le 12 novembre 2003 
Au nom de la Ire Cour civile 
du Tribunal fédéral suisse 
Le président: La greffière: