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Bundesgericht 
Tribunal fédéral 
Tribunale federale 
Tribunal federal 
 
                 
 
 
1B_112/2019  
 
 
Arrêt du 15 octobre 2019  
 
Ire Cour de droit public  
 
Composition 
MM. les Juges fédéraux Fonjallaz, Juge présidant, 
Kneubühler et Muschietti. 
Greffier : M. Tinguely. 
 
Participants à la procédure 
A.________, représentée par Maîtres Jean-Christophe Diserens et Pierre de Preux, avocats, 
recourante, 
 
contre  
 
B.________, représentée par Me Maurice Harari, avocat, rue du Rhône 100, 1204 Genève, 
intimée, 
 
Ministère public de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy. 
 
Objet 
Procédure pénale; consultation de dossier, 
 
recours contre l'arrêt de la Cour de justice de la République et canton de Genève, Chambre pénale 
de recours, du 5 février 2019 
(P/13285/2017 ACPR/106/2019). 
 
 
Faits :  
 
A.  
 
A.a. Le 28 juin 2017, B.________ a déposé une plainte pénale auprès du Ministère public de la République et canton de Genève contre sa fille A.________, lui reprochant d'avoir détourné à son profit plus de 6 millions de francs, notamment en devenant seule titulaire du compte joint ouvert auprès de la banque C.________ au moyen d'un courrier qu'elle contestait avoir signé, puis en transférant la totalité des sommes qui s'y trouvaient sur un compte ouvert auprès de la banque D.________.  
Le 6 décembre 2017, le Ministère public a ouvert une instruction pénale dirigée contre A.________ pour abus de confiance (art. 138 CP) et faux dans les titres (art. 251 CP). 
 
A.b. A la fin de l'audience du 21 février 2018, au cours de laquelle A.________ avait été entendue en qualité de prévenue, B.________ a sollicité de pouvoir consulter l'ensemble des pièces produites au dossier, y compris la documentation bancaire relative aux comptes détenus auprès des banques précitées par sa fille.  
La prévenue a acquiescé dans un premier temps à la requête de la plaignante avant de revenir le lendemain sur son accord s'agissant de la documentation produite par la banque D.________, au motif qu'elle contenait des éléments qui relevaient de sa sphère privée. 
 
B.   
Par ordonnance du 5 septembre 2018, le Ministère public a autorisé B.________ à consulter le dossier. 
Le recours dirigé par A.________ contre cette ordonnance a été rejeté par arrêt du 5 février 2019 de la Chambre pénale de recours de la Cour de justice genevoise. 
 
C.   
A.________ forme un recours au Tribunal fédéral contre l'arrêt du 5 février 2019. Elle conclut, avec suite de frais et dépens, principalement à sa réforme en ce sens que la documentation bancaire produite par la banque D.________ est exclue de la consultation du dossier à laquelle B.________ est autorisée pour le surplus. Subsidiairement, elle conclut à sa réforme en ce sens que la consultation du dossier par B.________ est autorisée, celle de la documentation bancaire produite par la banque D.________ étant limitée aux seuls paiements faits pour le compte de B.________, aux virements effectués sur ses comptes et aux débits des cartes de crédit établies à son nom. Plus subsidiairement, elle conclut à l'annulation de l'arrêt et au renvoi de la cause à la cour cantonale pour nouvelle décision dans le sens des considérants. 
 
D.   
Invitée à se déterminer, la cour cantonale a renoncé à présenter des observations. Le Ministère public a pour sa part conclu au rejet du recours. Quant à B.________, laquelle a été admise à la procédure fédérale en qualité de partie intimée par ordonnance du 27 mars 2019 rendue par le Président de la Ire Cour de droit public du Tribunal fédéral, elle a conclu, avec suite de frais et dépens, au rejet du recours dans la mesure de sa recevabilité. 
A.________ et B.________ ont par la suite persisté dans leurs conclusions. 
 
E.   
Par ordonnance du 8 mai 2019, le Président de la Ire Cour de droit public du Tribunal fédéral a admis la requête d'effet suspensif. 
 
F.   
Le 12 juillet 2019, A.________ a requis la suspension de la présente cause jusqu'à droit connu quant au classement annoncé par le Ministère public dans son avis de prochaine clôture du 5 juillet 2019. B.________ s'est spontanément déterminée sur cette requête, concluant à son rejet. 
A.________ a renouvelé sa requête de suspension le 5 septembre 2019. Par acte du 17 septembre 2019, B.________ s'en est remise à justice. 
 
 
Considérant en droit :  
 
1.   
Le Tribunal fédéral examine d'office sa compétence (art. 29 al. 1 LTF) et contrôle librement la recevabilité des recours qui lui sont soumis (ATF 144 II 184 consid. 1 p. 186). 
 
1.1. L'arrêt attaqué a été rendu par une autorité cantonale statuant en tant que dernière instance cantonale (art. 80 LTF) dans le cadre d'une procédure pénale, de sorte que la voie du recours en matière pénale est en principe ouverte (art. 78 ss LTF). La recourante, prévenue qui a contesté l'accès au dossier de la partie plaignante devant la cour cantonale, a qualité pour recourir au sens de l'art. 81 al. 1 LTF.  
 
1.2. S'agissant d'une décision ne mettant pas un terme à la procédure pénale, elle revêt un caractère incident et le recours n'est recevable qu'aux conditions de l'art. 93 al. 1 let. a LTF, l'hypothèse prévue à l'art. 93 al. 1 let. b LTF n'entrant pas en considération dans le cas d'espèce. En matière pénale, le préjudice irréparable au sens de la disposition susmentionnée se rapporte à un dommage de nature juridique qui ne puisse pas être réparé ultérieurement par un jugement final ou une autre décision favorable au recourant (ATF 144 IV 127 consid. 1.3.1 p. 130). A cet égard, en tant que la recourante soutient que la consultation par l'intimée de la documentation bancaire en lien avec le compte ouvert auprès de la banque D.________ viole son droit au respect de sa sphère privée (art. 8 CEDH et 13 Cst.), il apparaît que la violation alléguée pourrait se concrétiser dès la consultation effective de la documentation litigieuse, qui a été autorisée par la cour cantonale. On ne voit pas qu'une décision contraire rendue ultérieurement puisse être susceptible de réparer le préjudice que pourrait subir la recourante. Ces éléments sont suffisants au stade de la recevabilité pour considérer que les conditions de l'art. 93 al. 1 let. a LTF sont réunies en l'espèce.  
Pour le surplus, le recours est formé en temps utile (art. 100 al. 1 LTF) et les conclusions présentées sont recevables au regard de l'art. 107 al. 2 LTF. Partant, il y a lieu d'entrer en matière. 
 
2.   
Selon l'art. 99 al. 1 LTF, aucun fait nouveau ni preuve nouvelle ne peut être présenté à moins de résulter de la décision de l'autorité précédente. 
S'agissant du rapport d'expertise graphologique établi le 23 janvier 2019 par le Dr E.________ et communiqué le 12 mars 2019 aux parties par le Ministère public, l'état du dossier cantonal ne permet pas de déterminer si ce rapport figurait au dossier lorsque l'autorité précédente a rendu l'arrêt attaqué en date du 5 février 2019. Pour les motifs qui suivent (cf. consid. 3.2.2 infra), le point de savoir s'il doit en être tenu compte dans la présente procédure peut toutefois demeurer indécis. 
Enfin, la recourante a produit diverses pièces à l'appui de ses demandes de suspension du 12 juillet et du 5 septembre 2019, dont notamment l'avis de prochaine clôture de l'instruction (art. 318 al. 1 CPP) établi le 5 juillet 2019 par le Ministère public. En tant que ces pièces sont postérieures à l'arrêt attaqué, elles ne peuvent pas être prises en considération par le Tribunal fédéral. Les demandes de suspension émises par la recourante qui sont fondées sur les pièces en cause doivent par conséquent être écartées. 
 
3.   
La recourante fait valoir que l'autorisation de consulter le dossier octroyée à l'intimée viole l'art. 108 al. 1 LTF
 
3.1. Aux termes de l'art. 101 al. 1 CPP, les parties peuvent, sous réserve de l'art. 108 al. 1 CPP, consulter le dossier d'une procédure pénale pendante, au plus tard après la première audition du prévenu et l'administration des preuves principales par le ministère public. Il s'agit là d'une composante du droit d'être entendu (cf. art. 107 al. 1 let. a CPP), qui bénéficie notamment à la partie plaignante (cf. art. 104 al. 1 let. b CPP; 118 al. 1 CPP). Le droit de consulter les pièces du dossier concrétise également le principe de l'égalité des armes, lequel suppose notamment que les parties aient un accès identique aux pièces versées au dossier (ATF 137 IV 172 consid. 2.6 p. 176; ATF 122 V 157 consid. 2b p. 163 s.).  
Le droit à la consultation du dossier n'est toutefois pas absolu. Ainsi, conformément à l'art. 108 al. 1 CPP, les autorités pénales peuvent restreindre le droit d'une partie à être entendue, et partant à consulter le dossier, lorsqu'il y a de bonnes raisons de soupçonner que cette partie abuse de ses droits (let. a) ou lorsque cela est nécessaire pour assurer la sécurité de personnes ou pour protéger des intérêts publics ou privés au maintien du secret (let. b). Des restrictions au droit de consulter le dossier doivent toutefois être ordonnées avec retenue et dans le respect du principe de la proportionnalité (arrêts 1B_245/2015 du 12 avril 2016 consid. 5.1; 1B_315/2014 du 11 mai 2015 consid. 4.4). 
C'est à la direction de la procédure qu'il appartient de statuer sur la consultation des dossiers. Elle prend dans ce cadre les mesures nécessaires pour prévenir les abus et les retards et pour protéger les intérêts légitimes au maintien du secret (art. 102 al. 1 CPP). 
 
3.2.  
 
3.2.1. Il n'est pas contesté que l'intimée dispose en l'espèce de la qualité de partie plaignante au sens de l'art. 118 al. 1 CPP. En vertu des art. 104 al. 1 let. b et 107 al. 1 let. a CPP, son droit d'être entendue inclut donc en principe, sous réserve des restrictions prévues par l'art. 108 CPP, celui de consulter le dossier.  
 
3.2.2. La recourante, qui se prévaut dans ce contexte d'un établissement arbitraire des faits (cf. art. 97 al. 1 LTF), reproche à la cour cantonale d'avoir ignoré le contexte familial et émotionnel particulier dans lequel évolueraient les parties. Ainsi, une quinzaine de procédures judiciaires, pour la plupart très conflictuelles, les opposerait à l'étranger, de même que leur fils et frère F.________, notamment quant au sort des actions de la société G.________ dont les précités auraient hérité à la suite du décès de leur époux et père.  
On ne distingue toutefois aucun arbitraire dans le raisonnement de la cour cantonale. Ainsi, si l'on comprend que, par ces développements, la recourante entendait soutenir qu'une restriction au sens de l'art. 108 al. 1 let. a CPP se justifiait, l'éventualité que l'intimée puisse se servir des données communiquées dans un autre contexte ne permet toutefois pas encore en l'espèce de soupçonner celle-ci d'abuser de ses droits. Il apparaît au contraire que, dans la mesure où la recourante a allégué que les fonds versés sur le compte ouvert auprès de la banque D.________ devaient lui servir à assumer l'entretien de l'intimée et qu'elle avait ainsi procédé, depuis ce compte, à divers paiements - de factures notamment - en faveur de l'intimée (cf. arrêt entrepris, consid. Bc p. 2 s.), la consultation par cette dernière de l'intégralité de la documentation bancaire versée au dossier relève d'une démarche légitime, propre à lui permettre de vérifier les dires de la recourante et d'exercer, le cas échéant, ses (autres) droits de partie, tels que celui de se prononcer au sujet de la cause et de déposer des propositions relatives aux moyens de preuves (cf. art. 107 al. 1 let. d et e CPP). A cet égard, dès lors que la procédure porte également sur l'infraction d'abus de confiance (art. 138 CP), il importe peu dans la présente procédure que l'expertise graphologique ordonnée par le Ministère public pourrait tendre à exclure que la recourante se soit rendue coupable de faux dans les titres (art. 251 CP). 
 
3.2.3. La recourante reproche en outre à la cour cantonale d'avoir ignoré que son intérêt à la protection de sa sphère privée (cf. art. 8 CEDH et 13 Cst.) était propre à constituer un motif de restriction au regard de l'art. 108 al. 1 let. b CPP.  
Il faut toutefois considérer que, dans la mesure où l'accès au dossier - et par conséquent celui à des données personnelles - constitue un inconvénient potentiel inhérent à l'existence d'une procédure pénale (cf. arrêts 1B_399/2018 du 23 janvier 2019 consid. 2.1; 1B_261/2017 du 17 octobre 2017 consid. 2), l'intérêt invoqué par la recourante doit passer au second plan par rapport à celui de l'intimée à pouvoir valablement exercer son droit d'être entendue, garanti notamment par les art. 6 par. 1 CEDH et 29 al. 2 Cst. Il en va de même en tant que la recourante invoque le secret bancaire, celui-ci n'étant pas susceptible d'empêcher les parties d'exercer leur droit d'être entendus, à tout le moins lorsqu'il s'agit de la consultation de pièces versées à un dossier pénal (cf. arrêts 1B_245/2015 du 12 avril 2016 consid. 6.6; 1B_315/2014 du 11 mai 2015 consid. 4.4). 
 
3.2.4. Pour le surplus, dès lors que l'art. 101 al. 1 CPP consacre le droit à la consultation au plus tard après la première audition du prévenu et l'administration des preuves principales par le Ministère public, c'est en vain que la recourante se prévaut d'une prétendue "absence d'urgence" de la consultation requise. C'est également en vain que la recourante soutient qu'à l'instar de l'intimée, elle n'a pas non plus pu consulter à ce stade la documentation bancaire litigieuse, étant observé à cet égard que, par son statut de prévenue, elle dispose également du droit à la consultation du dossier. Enfin, on ne voit pas, à ce stade de la procédure, que la consultation du dossier par l'intimée pourrait constituer une violation de la présomption d'innocence de la recourante.  
 
3.3. En définitive, l'autorisation de consulter le dossier octroyée à l'intimée doit être confirmée.  
 
4.   
Il s'ensuit que le recours doit être rejeté. La recourante, qui succombe, supporte les frais judiciaires (art. 66 al. 1 LTF). L'intimée obtient gain de cause avec l'assistance d'un avocat; elle a par conséquent droit à des dépens à la charge de la recourante (art. 68 al. 1 LTF). 
 
 
 Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :  
 
1.   
Le recours est rejeté. 
 
2.   
Les frais judiciaires, fixés à 2000 fr., sont mis à la charge de la recourante. 
 
3.   
Une indemnité de dépens, arrêtée à 2000 fr., est allouée à l'intimée, à la charge de la recourante. 
 
4.   
Le présent arrêt est communiqué aux mandataires des parties, au Ministère public de la République et canton de Genève et à la Cour de justice de la République et canton de Genève, Chambre pénale de recours. 
 
 
Lausanne, le 15 octobre 2019 
Au nom de la Ire Cour de droit public 
du Tribunal fédéral suisse 
 
Le Juge présidant : Fonjallaz 
 
Le Greffier : Tinguely