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Bundesgericht 
Tribunal fédéral 
Tribunale federale 
Tribunal federal 
 
 
 
 
{T 0/2} 
 
1B_368/2014  
   
   
 
 
 
Arrêt du 5 février 2015  
 
Ire Cour de droit public  
 
Composition 
MM. les Juges fédéraux Fonjallaz, Président, 
Karlen et Chaix. 
Greffier : M. Kurz. 
 
Participants à la procédure 
A.________, représentée par Me Philippe Ciocca, avocat, 
recourante, 
 
contre  
 
B.B.________, 
C.B.________, 
tous deux représentés par Me Robert Assael, avocat, 
intimés, 
 
Ministère public de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy. 
 
Objet 
procédure pénale, consultation du dossier, 
 
recours contre l'arrêt de la Cour de justice de la République et canton de Genève, Chambre pénale de recours, du 3 octobre 2014. 
 
 
Faits :  
 
A.   
Le 6 septembre 2013, le Ministère public du canton de Genève a ouvert une instruction pénale contre A.________ pour appropriation illégitime, vol, tentative d'extorsion et de chantage, gestion déloyale et insoumission à une décision de l'autorité, sur plainte de B.B.________ et C.B.________. Des perquisitions et auditions ont été effectuées en octobre 2013. Le 7 janvier 2014, le Ministère public a refusé l'accès au dossier à A.________, celle-ci n'ayant pas encore été entendue. Elle l'a été le 12 février 2014 avec les plaignants, et a requis la consultation du dossier le 14 avril 2014. Cela lui a été à nouveau refusé au motif que l'audition n'avait pas porté sur tous les points soumis à l'enquête. Une nouvelle audition a eu lieu les 7 et 8 mai 2014. Par décision du 9 mai 2014, le Ministère public a encore une fois refusé l'accès au dossier, considérant que si la première audition de la prévenue avait eu lieu et si les preuves principales avaient été administrées, la consultation devait être limitée aux pièces sur lesquelles la prévenue avait déjà été interrogée; le solde ne serait accessible qu'après audition de la prévenue sur les actes d'instruction en cours. Le 20 mai 2014, le Ministère public a précisé qu'il existait un risque de collusion, à l'égard des actes d'instruction requis par les parties plaignantes. 
 
B.   
Par arrêt du 3 octobre 2014, la Chambre pénale de recours de la Cour de justice genevoise a rejeté le recours formé par A.________, après avoir écarté divers compléments considérés comme tardifs. Le Ministère public n'avait certes pas précisé les actes d'instruction qu'il entendait encore effectuer, mais une telle précision n'était pas nécessaire; deux témoins déjà entendus avaient évoqué des pressions, ce qui corroborait les craintes du Ministère public; la prévenue pouvait se prévaloir de son droit de se taire et le droit d'accès avait été accordé aux parties plaignantes dans la même mesure. Le Ministère public était toutefois enjoint de procéder sans tarder aux actes envisagés, afin de respecter le principe de la proportionnalité. 
 
C.   
Par acte du 6 novembre 2014, A.________ forme un recours en matière pénale par lequel elle demande au Tribunal fédéral de réformer l'arrêt cantonal en ce sens qu'elle est autorisée à consulter immédiatement l'intégralité du dossier pénal. 
La Chambre pénale de recours se réfère à son arrêt, sans observations. Les intimés B.B.________ et C.B.________ concluent à l'irrecevabilité, subsidiairement au rejet du recours. Le Ministère public ne s'est pas déterminé. La recourante a déposé de nouvelles déterminations, persistant dans la recevabilité et le bien-fondé de son recours. Dans le délai pour présenter d'éventuelles observations, les intimés ont persisté dans leurs motifs et leurs conclusions. 
 
 
Considérant en droit :  
 
1.   
La contestation portant sur la consultation du dossier en matière pénale, le recours au Tribunal fédéral est régi par les art. 78 ss LTF. Selon l'art. 81 al. 1 let. a et let. b ch. 1 LTF, l'accusé - respectivement le prévenu - a qualité pour agir. 
 
1.1. Le refus, confirmé en dernière instance cantonale, d'autoriser la recourante à consulter l'intégralité du dossier de la procédure pénale constitue une décision incidente puisqu'elle ne met pas fin à la procédure. Dès lors qu'elle n'entre pas dans le champ d'application de l'art. 92 LTF, elle ne peut faire l'objet d'un recours au Tribunal fédéral que si elle peut causer un préjudice irréparable (art. 93 al. 1 let. a LTF; l'hypothèse prévue à l'art. 93 al. 1 let. b LTF n'entre pas en considération ici). La partie recourante doit se trouver exposée à un dommage de nature juridique, qui ne puisse pas être réparé ultérieurement par un jugement final ou une autre décision qui lui serait favorable (ATF 136 IV 92 consid. 4 p. 95).  
 
1.2. La jurisprudence considère qu'avant sa première audition, le prévenu ne dispose pas d'un droit à consulter le dossier, et qu'un éventuel refus de répondre lors de sa première audition ne saurait lui être opposé pour exclure ensuite la consultation du dossier; il lui sera en principe loisible de consulter le dossier de la cause à l'issue de cette audience, sous réserve des hypothèses visées à l'art. 108 CPP (ATF 137 IV 172 consid. 2.4 p. 175 et les références). En revanche, après la première audition, le prévenu dispose d'un droit à la consultation du dossier en vertu de l'art. 101 al. 1 CPP, la deuxième condition étant en l'occurrence aussi remplie. Sous l'angle de la recevabilité, il apparaît qu'à ce stade de la procédure, la recourante peut en principe se prévaloir d'un droit à consulter le dossier sur la base de l'art. 101 al. 1 CPP, si bien que la décision attaquée est susceptible de lui causer un préjudice juridique irréparable au sens de l'art. 93 al. 1 let. a LTF (arrêt 1B_597/2011 du 7 février 2012 consid. 1.2). Les autres conditions de recevabilité étant remplies, il y a lieu d'entrer en matière sur le recours.  
 
2.   
La recourante critique l'établissement des faits par la cour cantonale. L'arrêt attaqué ne mentionnerait pas qu'une première audition a eu lieu en date du 1 er novembre 2013 et que le Ministère public lui aurait déjà posé toutes les questions en rapport avec les faits qui lui sont reprochés. L'avocat des plaignants aurait interrogé ses propres clients lors de l'audience du 8 mai 2014 pour indiquer qu'il avait encore des questions à poser à la recourante. Les actes d'instruction requis par les plaignants auraient été exécutés en octobre 2013 déjà. L'arrêt attaqué passerait aussi sous silence que l'accès au dossier serait très limité puisqu'il porte sur des éléments qui remontent à une année.  
 
2.1. Le Tribunal fédéral est lié par les faits constatés par l'autorité précédente (art. 105 al. 1 LTF). Le recourant ne peut critiquer la constatation des faits, susceptibles d'avoir une influence sur l'issue du litige, que si ceux-ci ont été établis de manière manifestement inexacte (art. 97 al. 1 et 105 al. 2 LTF), c'est-à-dire arbitraire (cf. ATF 136 II 447 consid. 2.1 p. 450; sur la notion d'arbitraire voir par ex.: ATF 138 III 378 consid. 6.1 p. 379 et les arrêts cités). En bref, pour qu'il y ait arbitraire, il ne suffit pas que la décision attaquée apparaisse discutable ou même critiquable; il faut qu'elle soit manifestement insoutenable et cela non seulement dans sa motivation, mais aussi dans son résultat (ATF 140 IV 97 consid. 1.4.1 p. 100).  
 
2.2. Les faits évoqués par la recourante n'ont pas d'influence sur l'issue du litige. En effet, l'arrêt attaqué reconnaît que la recourante a déjà été interrogée sur l'ensemble des charges et relève que l'accès au dossier n'a été reconnu que partiellement. Les précisions apportées par la recourante sur ces points ne sont pas de nature à modifier le prononcé attaqué, essentiellement fondé sur un risque de collusion, de sorte que le grief doit être écarté.  
 
3.   
La recourante invoque aussi son droit d'être entendue. Elle reproche à la cour cantonale d'avoir écarté les pièces produites avec son complément au recours du 5 septembre 2014, soit deux ordonnances du Ministère public du 18 août 2014 dont il ressort que deux témoins auraient faussement affirmé avoir subi des pressions de la part de la recourante. 
 
3.1. Le droit d'être entendu garanti par l'art. 29 al. 2 Cst. comprend notamment le droit pour l'intéressé de produire des preuves pertinentes, d'obtenir qu'il soit donné suite à ses offres de preuve lorsque cela est de nature à influer sur la décision à rendre (ATF 135 II 286 consid. 5.1 p. 293; 135 I 279 consid. 2.3 p. 282). L'autorité peut cependant renoncer à procéder à des mesures d'instruction lorsque les preuves administrées lui ont permis de forger sa conviction et que, procédant d'une manière non arbitraire à une appréciation anticipée des preuves qui lui sont encore proposées, elle a la certitude que ces dernières ne pourraient l'amener à modifier son opinion (ATF 140 I 285 consid. 6.3.1 p. 299 et les arrêts cités).  
 
3.2. Les dispositions générales sur les voies de recours (art. 379-392 CPP) ne prévoient aucune réglementation restrictive concernant le sort des faits et moyens de preuve nouveaux. Ainsi, l'art. 385 al. 1 let. c CPP prescrit uniquement au recourant d'indiquer, précisément mais sans autre restriction, les moyens de preuve qu'il invoque. Pour sa part, l'autorité se fonde sur les preuves administrées pendant la procédure préliminaire et la procédure de première instance (art. 389 al. 1). L'administration des preuves peut être répétée aux conditions de l'art. 389 al. 2 CPP et l'autorité peut administrer d'office ou sur requête les preuves nécessaires au traitement du recours (al. 3).  
Les dispositions relatives au recours au sens strict (art. 393-397 CPP) ne posent pas non plus de prescriptions particulières en matière de faits et de moyens de preuve nouveaux. Ainsi, le code de procédure pénale a instauré de manière générale des voies de recours permettant à l'autorité cantonale de deuxième instance de disposer d'un plein pouvoir d'examen. Le législateur a renoncé à introduire un régime restrictif en matière d'allégations et de preuves nouvelles, sauf dans le cas très particulier de l'art. 398 al. 4 CPP. Par conséquent, avec la majorité de la doctrine, il faut admettre que le recourant peut produire devant l'instance de recours des faits et des moyens de preuve nouveaux (arrêts 1B_768/2012 du 13 janvier 2013 consid. 2.1 rendu en matière de détention provisoire et la doctrine citée; 1B_332/2013 consid. 6.2). 
 
3.3. Le recours cantonal a été déposé le 22 mai 2014. Les intimés et le Ministère public se sont déterminés les 23 et 24 juin 2014. Un délai a été fixé le 1 er juillet 2014 pour produire d'éventuelles observations complémentaires, ce que la recourante a fait le 7 juillet 2014. La recourante a ensuite produit les deux ordonnances du 18 août 2014 par lettre du 5 septembre 2014, alors que l'instruction du recours pouvait être considérée comme close. Néanmoins, il s'agissait de pièces nouvelles dont elle ne pouvait se prévaloir auparavant et dont l'autorité de recours devait en principe tenir compte, puisqu'elles figuraient au dossier de la procédure pénale au moment où elle a statué. Les pièces ont au demeurant été produites sans retard, et dans un délai qui permettait à la cour cantonale d'en tenir compte puisque celle-ci a statué près d'un mois plus tard. Ces pièces présentaient a priori une certaine pertinence pour l'issue du litige. En effet, ni le Ministère public ni la cour cantonale n'ont précisé les actes d'instruction dont l'issue pouvait être compromise par un accès complet au dossier; le seul motif concret retenu réside dans les pressions prétendument subies par deux témoins. Or, les ordonnances produites par la recourante, qui portent sur l'admissibilité du refus de témoigner, retiennent que les évènements relatés à ce sujet par les témoins ne sauraient être assimilés à des pressions inadmissibles.  
La cour cantonale s'est au surplus fondée sur l'art. 385 al. 2 CPP. Cette disposition se rapporte à la possibilité de compléter un recours qui ne satisfait pas aux exigences de l'art. 385 al. 1 CPP. Or, il n'est pas prétendu que l'écriture du 22 mai 2014 ait été insuffisamment motivée. Dans ces conditions, le refus de tenir compte des ordonnances du 18 août 2014 apparaît constitutif d'une violation du droit d'être entendu. 
 
4.   
Le recours doit dès lors être admis partiellement pour ce motif formel, sans qu'il y ait lieu d'examiner les griefs de fond. L'arrêt cantonal est annulé et la cause est renvoyée à la cour cantonale afin que celle-ci statue à nouveau, à brève échéance. Conformément aux art. 66 al. 1 et 68 al. 2 LTF, les frais judiciaires et les dépens alloués à la partie qui obtient gain de cause sont mis à la charge de celle qui succombe. En l'occurrence, le recours est admis pour des motifs d'ordre procédural imputables aux autorités cantonales. Il y a donc lieu d'allouer à la recourante une indemnité de dépens mise pour moitié à la charge des intimés (qui se sont opposés en vain au recours) et pour moitié à la charge du canton de Genève. Les frais judiciaires, à la charge exclusive des intimés (art. 66 al. 4 LTF), peuvent être réduits. 
 
 
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :  
 
1.   
Le recours est admis. L'arrêt attaqué est annulé et la cause est renvoyée à la Chambre pénale de recours de la Cour de justice du canton de Genève pour nouvelle décision dans le sens des considérants. 
 
2.   
Une indemnité de dépens de 2'000 fr. est allouée à la recourante, pour moitié à la charge solidaire des intimés B.B.________ et C.B.________ et pour moitié à la charge du canton de Genève. 
 
3.   
Les frais judiciaires, arrêtés à 1'000 fr., sont mis à la charge solidaire des intimés B.B.________ et C.B.________. 
 
4.   
Le présent arrêt est communiqué aux mandataires des parties, au Ministère public et à la Cour de justice de la République et canton de Genève, Chambre pénale de recours. 
 
 
Lausanne, le 5 février 2015 
Au nom de la Ire Cour de droit public 
du Tribunal fédéral suisse 
 
Le Président : Fonjallaz 
 
Le Greffier : Kurz