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Bundesgericht 
Tribunal fédéral 
Tribunale federale 
Tribunal federal 
 
                 
 
 
1B_603/2020  
 
 
Arrêt du 10 mars 2021  
 
Ire Cour de droit public  
 
Composition 
MM. les Juges fédéraux Chaix, Juge présidant, 
Haag et Merz. 
Greffier : M. Tinguely. 
 
Participants à la procédure 
A.________, représentée par Me Pierre-Damien Eggly, avocat, 
recourante, 
 
contre  
 
Administration fédérale des contributions, Eigerstrasse 65, 3003 Berne. 
 
Objet 
Droit pénal administratif; mesures spéciales d'enquête; séquestre, 
 
recours contre la décision du Tribunal pénal fédéral, Cour des plaintes, du 28 octobre 2020 (BV.2020.29). 
 
 
Faits :  
 
A.  
 
A.a. Le 13 mars 2017, le Chef du Département fédéral des finances (ci-après: le Chef du DFF) a autorisé l'Administration fédérale des contributions (ci-après: AFC), en collaboration avec les administrations fiscales cantonales concernées, à mener une enquête fiscale spéciale au sens des art. 190 ss de la loi fédérale du 14 décembre 1990 sur l'impôt fédéral direct (LIFD; RS 642.11), en raison de soupçons fondés de graves infractions fiscales, contre B.________, ainsi que contre les sociétés C.________ Ltd (siège à U.________), et D.________ Ltd (siège à V.________). L'autorisation précisait " [qu']en cas de soupçon (s) fondé (s), l'enquête p[ouvait] à tout moment être étendue par le chef de la DAPE [AFC, Division affaires pénales et enquêtes] à d'autres personnes physiques ou morales ayant collaboré, avec les personnes susmentionnées, à la commission de graves infractions fiscales ".  
En substance, il est reproché à B.________ d'avoir soustrait, durant les périodes fiscales 2005 à 2015, des montants importants de l'impôt sur le revenu en ne déclarant pas tous ceux qu'il aurait perçus, sous la forme de dividendes dissimulés, notamment par C.________ Ltd et D.________ Ltd, alors que les bénéfices de ces sociétés proviendraient de l'activité d'intermédiaire exercée par B.________ dans le commerce d'oeuvres d'art. 
Durant la période considérée, B.________ aurait été domicilié en Suisse, bien qu'il eût déclaré quitter la Suisse pour Singapour en 2009. Quant à C.________ Ltd et D.________ Ltd, elles n'auraient pas déposé de déclarations fiscales en Suisse durant la période considérée, alors qu'elles y auraient été administrées et y auraient généré des bénéfices imposables. 
 
A.b. Le 20 octobre 2017, le Chef de la DAPE a étendu l'enquête précitée à A.________, ressortissante bulgare domiciliée en Principauté de Monaco. Il était apparu, dans le cadre de l'enquête, que des commissions, à hauteur de plusieurs dizaines de millions de francs, auraient été versées lors des périodes fiscales 2007 à 2015 par C.________ Ltd et D.________ Ltd à des sociétés dont A.________ aurait été l'ayant droit économique, de sorte que cette dernière - domiciliée dans le canton de Genève au moment des faits - aurait directement ou indirectement bénéficié de ces revenus.  
 
B.  
 
B.a. Par courrier du 16 juin 2020, l'enquêteur de l'AFC a remis à A.________, par l'intermédiaire de son conseil, un document intitulé " Procédure écrite ", comportant diverses questions auxquelles elle était invitée à répondre d'ici au 30 juin 2020. L'enquêteur a précisé à l'attention de A.________ que cette démarche était mise en oeuvre à titre exceptionnel afin de lui permettre d'exercer son droit d'être entendue, alors qu'elle n'était pas en mesure de se rendre en Suisse pour y être interrogée, ceci en raison de son état de santé et de la situation sanitaire liée au Covid-19. Le document précité mentionnait notamment ce qui suit:  
 
" [...] [N]ous vous [A.________] soupçonnons d'avoir commis, durant les périodes fiscales 2005 à 2009, des soustractions portant sur des montants importants d'impôt sur le revenu, par le fait que vous n'avez pas déclaré tous les revenus qui vous ont été versés par les sociétés de M. B.________, soit C.________ Ltd et D.________ Ltd, par l'intermédiaire de sociétés offshore situées dans des paradis fiscaux qui détiennent uniquement des comptes bancaires et dont vous êtes ayant droit économique, à savoir E.________ SA, F.________ Corp, G.________ et H.________ Inc. ". 
Le 30 juin 2020, A.________ a requis par courrier adressé à l'AFC, outre une prolongation du délai imparti pour répondre aux questions écrites, que celle-ci lui indique le fondement de la procédure dirigée contre elle, respectivement qu'elle lui communique l'autorisation du Chef du DFF à cet égard. Elle a en outre requis, si cette autorisation devait être inexistante, que l'AFC mette sous scellés l'ensemble du dossier fiscal constitué par ses enquêteurs, annonçant par ailleurs qu'elle refuserait de répondre aux questions écrites. 
Par courrier du 9 juillet 2020, le Chef de la DAPE a relevé à l'attention de A.________ que le document remis le 16 juin 2020 " formul[ait] un soupçon faux ". Il s'agissait d'une " erreur de l'enquêteur " qui devait être corrigée par le retranchement du dossier de ce document ainsi que de la lettre d'accompagnement. Le Chef de la DAPE a précisé que l'enquête " ne portait pas sur d'éventuelles propres soustractions d'impôt commises par [A.________] ", mais qu'elle devait permettre de " déterminer son rôle dans les soustractions d'impôts qu'auraient commises C.________ Inc., D.________ Ltd et B.________ ", relevant encore que " les actes d'enquête qui seront exécutés dans le cadre [de l'enquête instruite à son encontre] seront fondés exclusivement sur le soupçon de participation au sens de l'art. 177 LIFD ". 
 
B.b. Par courrier du 13 juillet 2020, A.________ a requis de l'AFC qu'elle constate la nullité absolue des mesures spéciales dirigées à son égard et à lui restituer sans délai l'intégralité des pièces la concernant.  
Par décision du 20 juillet 2020, l'AFC, traitant le courrier du 13 juillet 2020 comme une requête de levée du séquestre probatoire (cf. art. 46 al. 1 de la loi fédérale du 22 mars 1974 sur le droit pénal administratif [DPA; RS 313.0]), a maintenu les actes du dossier qui avaient fait l'objet d'un séquestre et a refusé de les retrancher du dossier. 
Saisie d'une plainte (art. 26 DPA) formée par A.________ contre la décision du 20 juillet 2020, la Cour des plaintes du Tribunal pénal fédéral l'a rejetée par décision du 28 octobre 2020, ce qui rendait par ailleurs sans objet la requête d'effet suspensif assortie à la plainte. 
 
C.   
Par acte du 30 novembre 2020, A.________ forme un recours en matière pénale au Tribunal fédéral contre la décision du 28 octobre 2020. Elle conclut principalement, avec suite de frais et dépens, à sa réforme en ce sens que sont constatées l'illicéité et la nullité des mesures spéciales d'enquête dirigées contre elle, que les séquestres ordonnés sont en conséquence levés, que toutes les pièces réunies dans ce cadre lui sont donc restituées immédiatement et qu'il est fait interdiction à l'AFC d'entreprendre à son encontre des actes d'enquête fondés sur les art. 190 ss LIFD. Subsidiairement, elle conclut à l'annulation de la décision et au renvoi de la cause à l'autorité précédente pour nouvel examen dans le sens des considérants. Elle demande à titre préalable l'octroi de l'effet suspensif à son recours en ce sens qu'il est interdit à l'AFC, jusqu'à droit connu sur le recours, d'entreprendre des mesures de contrainte et d'autres actes d'enquête à son encontre. 
Invitée à se déterminer, l'AFC conclut au rejet du recours, pour autant qu'il est recevable. La Cour des plaintes persiste dans les termes de la décision attaquée et renonce à formuler des observations au sujet du recours. 
A.________ persiste dans les conclusions de son recours. L'AFC et la Cour des plaintes ne se sont plus prononcées dans le délai fixé au 25 février 2021. 
 
D.   
Par ordonnance du 24 décembre 2020, le Président de la Ire Cour de droit public du Tribunal fédéral a rejeté la demande d'effet suspensif. 
 
 
Considérant en droit :  
 
1.   
Selon l'art. 79 LTF, le recours en matière pénale est irrecevable contre les décisions de la Cour des plaintes du Tribunal pénal fédéral, sauf si elles portent sur des mesures de contrainte, par quoi l'on entend des mesures investigatrices ou coercitives prises, à titre incident, au cours du procès pénal, telles que l'arrestation, la détention, le séquestre, la fouille ou la perquisition (ATF 143 IV 85 consid. 1.2 p. 87; 136 IV 92 consid. 2.1 p. 93). 
En l'espèce, la recourante conclut principalement au constat " de l'illicéité et de la nullité " de l'enquête ouverte à son égard en vertu des art. 190 ss LIFD (" Mesures spéciales d'enquête de l'AFC "), l'annulation des séquestres ordonnés dans ce cadre n'étant requise par la recourante qu'en tant qu'il s'agit selon elle d'une conséquence de la nullité de l'enquête. Dans les développements de son acte de recours, la recourante s'attache du reste exclusivement à se prévaloir, en invoquant une violation de l'art. 190 al. 1 LIFD, que l'enquête n'a pas été valablement mise en oeuvre, à défaut pour l'AFC de disposer d'une autorisation idoine du Chef du DFF. Pour autant, elle ne précise pas en quoi elle dispose de droits sur des objets qui auraient été séquestrés en cours de procédure, ni dans quelle mesure les éventuels séquestres ordonnés par l'AFC à son égard consacreraient une violation de l'art. 46 DPA
Dans ce contexte, il n'y a rien d'évident à considérer que la présente cause porte effectivement sur des mesures de contrainte. La recevabilité du recours en matière pénale est en conséquence douteuse au regard de l'art. 79 LTF. Vu l'issue de la cause, il n'est toutefois pas nécessaire d'examiner cet aspect plus avant. 
 
2.   
Comme déjà relevé, la recourante se plaint d'une violation de l'art. 190 al. 1 LIFD. Elle conteste que l'autorisation délivrée le 13 avril 2017 par le Chef du DFF puisse servir de fondement aux mesures spéciales d'enquête dirigées contre elle. 
 
2.1.  
 
2.1.1. Selon l'art. 190 al. 1 LIFD, la mise en oeuvre par l'AFC de mesures spéciales d'enquête (cf. art. 190 ss LIFD) est subordonnée à l'existence d'un soupçon fondé de graves infractions fiscales ainsi qu'à l'autorisation du chef du DFF.  
Il est déduit de la formulation de cette disposition (" [...] le chef du DFF  peut autoriser l'AFC à mener une enquête [...] ") que celui-ci statue selon le principe d'opportunité des poursuites et peut donc se laisser guider par des motifs étrangers au droit pénal (DONATSCH/ABO YOUSSEF, in: Kommentar zum Schweizerischen Steuerrecht, Bundesgesetz über die direkte Bundessteuer, 3e éd., 2017, n° 26 ad art. 190 LIFD; PETER GYR, Die Besko: Eine Analyse der Steuerfahndung nach Art. 190 ff. DBG, thèse, 1995, p. 338).  
L'art. 2 al. 2 de l'ordonnance du 31 août 1992 sur les mesures spéciales d'enquête de l'AFC [OMSE; RS 642.132] précise toutefois que l'autorisation doit mentionner les motifs de suspicion ainsi que les noms des personnes connues au début de l'enquête, contre lesquelles celle-ci est ouverte. 
 
2.1.2. Les mesures spéciales d'enquête de l'AFC, qu'elles soient dirigées contre les auteurs, complices ou instigateurs des infractions fiscales en cause, sont régies par les art. 19 à 50 DPA (cf. art. 191 al. 1 LIFD). Ainsi, l'AFC peut ordonner dans ce cadre les différentes mesures de contrainte prévues par ces dispositions (en particulier le séquestre [art. 46 s. DPA] et la perquisition [art. 48 ss DPA]), à l'exception de l'arrestation provisoire (art. 19 al. 3 DPA).  
A l'issue de la procédure, si l'AFC aboutit à la conclusion qu'une soustraction de l'impôt (cf. art. 175 et 176 LIFD) a été commise, elle requiert l'autorité cantonale compétente de l'impôt fédéral direct d'engager la procédure en soustraction (art. 194 al. 1 LIFD); lorsque l'AFC estime qu'un délit a été commis, elle le dénonce à l'autorité pénale cantonale compétente (art. 194 al. 2 LIFD). 
 
2.2. L'autorité précédente a relevé que, dans sa missive du 13 mars 2017 octroyant à l'AFC l'autorisation de mener des mesures spéciales d'enquête contre B.________ et les sociétés C.________ Ltd et D.________ Ltd, le Chef du DFF avait donné la possibilité au Chef de la DAPE d'étendre l'enquête, le cas échéant, à d'autres personnes physiques ou morales ayant collaboré avec les personnes précitées à la commission de graves infractions fiscales.  
Dans ce contexte, dès lors qu'il était apparu en cours d'instruction que la recourante avait probablement bénéficié - directement ou indirectement - de revenus non déclarés issus de soustractions commises par B.________ et les sociétés précitées, il n'était pas critiquable que, par ordonnance du 20 octobre 2017, le Chef de la DAPE eût étendu la procédure à l'égard de la recourante. 
Il s'ensuivait que les mesures spéciales d'enquête menées à l'endroit de la recourante par l'AFC avaient été valablement ordonnées (cf. décision attaquée, consid. 2.3.3 p. 8 s.). 
 
2.3. Il est observé que, contrairement à ce que les considérants en droit de la décision attaquée pourraient laisser entendre (cf. consid. 2.3.2 p. 8), les soupçons justifiant les mesures spéciales d'enquête dirigées contre la recourante ne portent pas sur une soustraction d'impôt qu'elle aurait personnellement commise (cf. art. 175 LIFD) ou tenté de commettre (cf. art. 176 LIFD) quant à son propre chapitre fiscal.  
Il ressort en effet sans ambiguïté de la partie " en fait " de la décision attaquée que les mesures spéciales d'enquête dirigées contre la recourante sont exclusivement fondées sur le soupçon de participation aux infractions fiscales reprochées à B.________ et aux sociétés C.________ Ltd et D.________ Ltd (cf. art. 177 LIFD; décision attaquée, let. E p. 3), ce que l'AFC avait du reste assuré à la recourante dans son courrier du 9 juillet 2020 (cf. dossier de la Cour des plaintes, act. 1.7 p. 1), puis confirmé tant dans ses déterminations du 30 juillet 2020 à l'autorité précédente (cf. dossier de la Cour des plaintes, act. 2 p. 11) que dans celles adressées le 21 décembre 2020 au Tribunal fédéral (cf. dossier du Tribunal fédéral, act. 10 p. 6). 
 
2.4. Cela étant, on ne voit pas qu'il était proscrit au Chef du DFF, jouissant d'un très large pouvoir d'appréciation en la matière, de déléguer par anticipation au Chef de la DAPE l'examen de l'opportunité d'une extension de l'enquête aux éventuelles personnes ayant participé de manière accessoire aux graves infractions fiscales reprochées à B.________ et consorts.  
Ainsi, l'art. 190 al. 1 LIFD n'exige pas, pour que l'AFC soit habilitée à mener des mesures spéciales d'enquête contre des personnes soupçonnées d'avoir participé à de graves infractions fiscales, que leur identité soit nécessairement connue au moment de la délivrance de l'autorisation du chef du DFF. La formulation de l'art. 2 al. 2 OMSE tend pour sa part à permettre une approche évolutive de l'enquête (" l'autorisation mentionne [...] les noms des  personnes connues au début de l'enquête "), donnant ainsi la possibilité pour l'AFC d'étendre l'enquête, sans nouvelle autorisation formelle, à de nouveaux éléments susceptibles d'être révélés en cours d'instruction, à la condition qu'ils soient connexes aux infractions visées par l'autorisation initiale (cf. en ce sens PETER LOCHER, Kommentar zum Bundesgesetz über die direkte Bundessteuer, III. Teil, 2e éd., 2019, n° 6 ad art. 190 LIFD; ALEXANDRE DUMAS, Quelques distinctions au travers de la notion de graves infractions fiscales, in: HURTADO POZO/THORMANN, Droit pénal économique, 2011, p. 420 s.).  
Pour autant, la recourante ne conteste pas que les soupçons de participation ayant justifié l'extension de l'enquête à son égard entrent en relation de connexité avec ceux concernant la soustraction fiscale qui aurait été commise par B.________, C.________ Ltd et D.________ Ltd. En particulier, elle ne remet pas en cause l'existence de versements par C.________ Ltd de plusieurs millions de francs, entre 2007 et 2015, sur les comptes bancaires de sociétés offshore dont elle aurait été la bénéficiaire, versements qui ne s'expliqueraient ni par l'activité d'interprète qu'elle aurait fournie à B.________ ou à ses sociétés dans le cadre de son commerce d'oeuvres d'art, ni à une rémunération qui lui aurait été allouée pour avoir permis la mise en relation entre B.________ et un riche collectionneur russe. 
 
2.5. Il résulte de ce qui précède que l'autorité précédente n'a pas violé le droit fédéral en estimant que les mesures spéciales d'enquête visant la recourante avaient été valablement mises en oeuvre.  
 
3.   
Le recours doit dès lors être rejeté dans la mesure où il est recevable. 
La recourante, qui succombe, supporte les frais judiciaires (art. 66 al. 1 LTF). Il n'y a pas lieu d'allouer de dépens (art. 68 al. 3 LTF). 
 
 
 Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :  
 
1.   
Le recours est rejeté dans la mesure où il est recevable. 
 
2.   
Les frais judiciaires, fixés à 3000 fr., sont mis à la charge de la recourante. 
 
3.   
Le présent arrêt est communiqué au mandataire de la recourante, à l'Administration fédérale des contributions et au Tribunal pénal fédéral, Cour des plaintes. 
 
 
Lausanne, le 10 mars 2021 
Au nom de la Ire Cour de droit public 
du Tribunal fédéral suisse 
 
Le Juge présidant : Chaix 
 
Le Greffier : Tinguely