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Bundesgericht 
Tribunal fédéral 
Tribunale federale 
Tribunal federal 
 
 
 
 
{T 0/2} 
 
4A_77/2014  
   
   
 
 
 
                                             Arrêt du 21 mai 2014  
 
Ire Cour de droit civil  
 
Composition 
Mmes et M. les Juges fédéraux Klett, présidente, Kolly, Hohl, Kiss et Niquille. 
Greffier: M. Ramelet. 
 
Participants à la procédure 
1. A.________, 
2. B._______ _, 
3. C.________, tous représentés par Me Alain De Mitri, avocat, 
recourants, 
 
contre 
 
1. D.________ SA, représentée par Me Anne Sonnex Kyd, avocate, 
2. E.________et dame E.________, 
représentés par Me Marc Mathey-Doret, avocat, 
intimés. 
 
Objet 
société à responsabilité limitée; responsabilité des associés gérants, 
 
recours contre l'arrêt de la Cour de justice du canton de Genève, Chambre civile, du 13 décembre 2013. 
 
 
Faits:  
 
A.   
 
A.a. F.________ Sàrl, dont le siège social était à Genève, a été créée le *** 2000; elle avait pour but l'étude, la conception, la réalisation, la commercialisation et les opérations accessoires relatives aux activités du bâtiment et du second oeuvre.  
 
A.________ et B.________ ont été les associés gérants de F.________ dès le 5 juillet 2002. C.________ a également été associée gérante de cette société à partir du 22 novembre 2002 jusqu'au 13 décembre 2003. 
 
A.b. En janvier 2001, D.________ SA, société sise à G.________ active dans le bâtiment et le génie civil, a adjugé divers travaux de construction à F.________ pour un montant total de 977'000 fr.; les travaux ont été effectués entre janvier et décembre 2001. Le 19 septembre 2002, D.________ SA a adressé à F.________ une facture de 254'921 fr.27 représentant essentiellement des pénalités de retard sur le chantier. Une expertise ordonnée à titre provisionnel a en outre révélé que les travaux réalisés par F.________ présentaient des défauts (fonctionnement des stores, étanchéité des façades), dont le coût de réparation était estimé à 102'000 fr.  
 
En novembre 2001, E.________ et dame E.________ ont conclu avec F.________ un contrat d'entreprise en vue de la réalisation d'une véranda en aluminium dans leur villa, laquelle a été construite en avril 2002. L'expert mandaté par les précités a constaté des défauts dans la construction de cette véranda pour un montant de 8'450 fr. 
 
Dès février 2002, F.________ a rencontré des difficultés. Le 5 février 2003, elle a fait l'objet de cinq poursuites pour près de 570'000 fr. 
 
Le 2 septembre 2003, A.________ et B.________ ont fondé la société H.________ Sàrl, dont le but social était quasiment identique à celui de F.________. C.________ en a été la gérante jusqu'au 11 juillet 2006, puis une associée gérante avec A.________. 
 
Selon une « édition provisoire » imprimée d'un bilan au 31 décembre 2003, les actifs de F.________, par 576'421 fr.45, ne couvraient plus les dettes, qui se montaient à 600'410 fr.51. 
 
Par jugement du 30 mars 2004, le Tribunal de première instance de Genève a prononcé la faillite de F.________. Les créances produites par D.________ SA et par les époux E.________ ont été portées à l'état de collocation (lequel faisait état de dettes de la faillie se montant en tout à 1'412'420 fr.) respectivement pour 288'150 fr.15 et 13'100 fr.90. Le 16 novembre 2006, D.________ SA a reçu un acte de défaut de biens portant sur la totalité de sa production. Les conjoints E.________ n'ont pas pu récupérer dans la faillite le montant de leur créance. 
 
La masse en faillite a renoncé à engager elle-même une action en responsabilité contre les trois associés gérants de la société faillie. Le 20 avril 2005, l'administration de la masse en faillite a cédé la prétention en réparation du dommage subi par F.________ à D.________ SA, aux époux E.________ ainsi qu'aux sociétés créancières I.________ SA et J.________ SA, avec un délai de deux ans pour procéder, étant précisé que le préjudice subi par la faillie a été chiffré à 1'511'808 fr.03, correspondant au découvert total alors prévisible. 
 
F.________ a été radiée d'office du registre du commerce le *** 2006 après la clôture de la procédure de faillite. 
 
B.   
Par un acte unique de demande daté du 4 avril 2007 déposé le lendemain devant le Tribunal de première instance de Genève, D.________ SA ainsi que E.________ et dame E.________ (demandeurs), déclarant agir comme consorts, ont requis la condamnation de A.________, B.________ et C.________ (défendeurs) à leur payer la somme de 350'000 fr. plus intérêts à 5% l'an dès le 30 mars 2004. Les demandeurs ont reproché aux défendeurs d'avoir omis de prendre les mesures requises par la loi en cas de surendettement, qui serait apparu depuis 2002, et de ne pas avoir tenu une comptabilité commerciale conforme aux prescriptions légales. 
 
Les défendeurs se sont opposés à la demande. Il ont soutenu avoir toujours tenu une comptabilité « sur un logiciel informatique » et nié que la société en responsabilité limitée fût en situation de surendettement. 
 
Il a été retenu que, parmi les pièces comptables imprimées, qui ont fait l'objet d'un inventaire par l'Office des faillites, ne figuraient, pour les exercices 2000 à 2004, ni bilans définitifs de la société faillie, ni comptes d'exploitation définitifs. 
 
Une expertise comptable a été confiée à K.________, avec pour mission de déterminer, le cas échéant, depuis quand la société a été surendettée et si les pièces comptables produites par les parties et celles en mains de l'Office des faillites correspondaient à une comptabilité complète au sens des statuts et de la loi. 
 
Dans son rapport du 4 septembre 2008, l'expert judiciaire a relevé, sans avoir consulté les pièces comptables en mains de l'Office des faillites, l'absence d'une comptabilité imprimée pour les années 2002 à 2004, d'où son incapacité à déterminer à partir de quand la société faillie avait été surendettée. 
 
Par jugement du 5 mars 2009, le Tribunal de première instance a condamné les trois défendeurs à payer solidairement aux demandeurs, créanciers solidaires, la somme de 350'000 fr. avec intérêts à 5% l'an dès le 30 mars 2004. 
 
Saisie d'un appel des défendeurs, la Cour de justice du canton de Genève, par arrêt du 21 mai 2010, a annulé le jugement précité et retourné la cause au tribunal pour nomination d'un nouvel expert avec la même mission que le précédent, étant précisé qu'il lui appartenait d'obtenir toutes les pièces comptables existantes, y compris celles se trouvant auprès de l'Office des faillites ou en possession de tout tiers. 
 
Le Tribunal de première instance a confié la seconde expertise comptable à L.________. Dans son rapport du 31 mai 2011, l'expert, au vu de l'absence de documents comptables complets sous forme papier pour les exercices 2002, 2003 et 2004 et de la découverte d'écritures issues d'un programme informatique se rapportant à des décomptes TVA pour l'année 2003, a conclu qu'une comptabilité avait été tenue de manière irrégulière par les défendeurs, de sorte qu'il lui était impossible de dire à partir de quelle date la faillie était en surendettement de façon reconnaissable pour ses organes. 
 
Entendu le 15 septembre 2011, l'expert judiciaire a déclaré n'avoir trouvé ni bilans signés, ni comptes de résultat signés pour les quatre exercices 2001 à 2004, si bien que l'obligation de conserver les livres avait été violée par les organes de la faillie. 
 
Dans son rapport complémentaire du 29 février 2012, sur la base des documents imprimés à disposition pour 2002, l'expert judiciaire a constaté que la faillie était en état de surendettement manifeste au 31 décembre 2002, avec un découvert de 83'920 fr. 
 
Par jugement du 26 février 2013, le Tribunal de première instance a condamné les défendeurs, pris conjointement et solidairement, à payer à D.________ SA ainsi qu'aux conjoints E.________, conjointement et solidairement, la somme de 350'000 fr. plus intérêts à 5% l'an dès le 30 mars 2004. Admettant que les demandeurs, cessionnaires des droits de la masse à l'encontre des défendeurs, avaient la qualité d'exercer l'action sociale sans le concours d'autres cessionnaires, cette autorité a jugé que les défendeurs avaient violé leurs devoirs d'organe pour n'avoir pas tenu une comptabilité claire, régulière et complète ainsi que pour n'avoir pas conservé les pièces comptables pendant dix ans; cette violation était causale pour le retard prononcé dans la faillite de F.________, lequel avait provoqué un dommage à cette société largement supérieur à la somme réclamée de 350'000 fr., qui représentait le montant total (augmenté des intérêts et des frais) des créances des demandeurs admises à l'état de collocation. 
 
Statuant sur l'appel des défendeurs, la Cour de justice, par arrêt du 13 décembre 2013, a confirmé ledit jugement. En substance, la cour cantonale a jugé que, malgré l'existence d'autres créanciers cessionnaires qui ont renoncé à agir, les demandeurs formaient entre eux la consorité nécessaire pour agir contre les défendeurs. Elle a retenu, s'agissant du dommage subi par la société faillie, que le surendettement de la société précitée était de 83'920 fr. au 31 décembre 2002, que le découvert prévisible au moment de la faillite de celle-ci était de 1'511'808 fr.03, de sorte que le surendettement avait augmenté de 1'421'888 fr. 03 (recte: 1'427'888 fr.03) entre la fin 2002 et le 30 mars 2004, ce dernier montant représentant le préjudice supporté par la faillie. Les défendeurs avaient tous enfreint leur devoir d'établir et de conserver une comptabilité conforme à la loi. Ils avaient en outre omis de prendre dès le 31 décembre 2002 les mesures commandées par le surendettement de la société, prescrites par l'art. 725 al. 2 aCO. La violation de ces devoirs, commise à tout le moins par négligence coupable, était propre à augmenter le découvert de la société. La cour cantonale en a déduit que les défendeurs devaient répondre solidairement du dommage total causé à la faillie et qu'ils devaient donc payer le montant réclamé par les demandeurs, correspondant à une part mineure dudit préjudice. 
 
C.   
A.________, B.________ et C.________ forment, par mémoires séparés de contenu identique, trois recours en matière civile contre l'arrêt cantonal. Les recourants concluent principalement à l'annulation de cette décision, chacun d'eux devant être libéré de toute responsabilité. A titre subsidiaire, ils requièrent le renvoi de la cause à la Cour de justice pour nouvelle décision dans le sens des considérants. 
 
D.________ SA (intimée n° 1) conclut à ce que les recourants soient déboutés de toutes leurs conclusions. 
 
E.________ et dame E.________ (intimés nos 2) proposent le rejet des trois recours dans la mesure de leur recevabilité. 
 
 
Considérant en droit:  
 
1.   
Les trois recours étant dirigés contre la même décision, il se justifie de statuer par un arrêt unique. 
 
2.   
 
2.1. Interjeté par les parties défenderesses qui ont entièrement succombé dans leurs conclusions libératoires et qui ont ainsi la qualité pour recourir (art. 76 al. 1 LTF), dirigé contre un arrêt final (art. 90 LTF) rendu en matière civile (art. 72 al. 1 LTF) par un tribunal supérieur statuant sur recours (art. 75 LTF) dans une affaire pécuniaire dont la valeur litigieuse dépasse largement le seuil de 30'000 fr. de l'art. 74 al. 1 let. b LTF, le recours est par principe recevable, puisqu'il a été déposé dans le délai (art. 100 al. 1 LTF) et la forme (art. 42 LTF) prévus par la loi.  
 
2.2. Le recours en matière civile peut être interjeté pour violation du droit fédéral (art. 95 let. a LTF), y compris le droit constitutionnel (ATF 136 I 241 consid. 2.1 p. 247; 136 II 304 consid. 2.4 p. 313). Le Tribunal fédéral applique ce droit d'office (art. 106 al. 1 LTF). Il n'est pas lié par l'argumentation des parties (ATF 138 II 331 consid. 1.3 p. 336) et apprécie librement la portée juridique des faits; il s'en tient cependant aux questions juridiques que la partie recourante soulève dans la motivation du recours et ne traite donc pas celles qui ne sont plus discutées par les parties (art. 42 al. 2 LTF; ATF 137 III 580 consid. 1.3 p. 584). Le Tribunal fédéral n'examine la violation d'un droit constitutionnel que si le grief a été invoqué et motivé de façon détaillée (art. 106 al. 2 LTF; ATF 135 III 397 consid. 1.4 in fine).     
 
 
2.3. Le Tribunal fédéral doit conduire son raisonnement juridique sur la base des faits constatés dans la décision attaquée (art. 105 al. 1 LTF). Les allégations de fait et les moyens de preuve nouveaux sont en principe irrecevables (art. 99 al. 1 LTF). La juridiction fédérale peut compléter ou rectifier même d'office les constatations de fait qui se révèlent manifestement inexactes, c'est-à-dire arbitraires au sens de l'art. 9 Cst. (ATF 137 I 58 consid. 4.1.2 p. 62), ou établies en violation du droit comme l'entend l'art. 95 LTF (art. 105 al. 2 LTF). La partie recourante est autorisée à attaquer des constatations de fait ainsi irrégulières si la correction du vice est susceptible d'influer sur le sort de la cause (art. 97 al. 1 LTF). Il lui incombe alors d'indiquer de façon précise en quoi les constatations critiquées sont contraires au droit ou entachées d'une erreur indiscutable, à défaut de quoi le grief est irrecevable (ATF 137 I 58 ibidem).  
 
3.   
 
3.1. Deux des recourants sont domiciliés en France, si bien que la cause revêt un caractère international (ATF 131 III 76 consid. 2).  
 
Aucune des parties n'a soulevé de griefs à propos du droit appliqué par la cour cantonale, soit le droit suisse. Dans un tel contexte, on peut se demander si le Tribunal fédéral, saisi d'un recours en matière civile, doit se saisir de son propre chef de la question du droit applicable. En effet, le principe de l'application du droit d'office (art. 106 al. 1 LTF) est limité dans la procédure devant le Tribunal fédéral, en ce sens que, compte tenu de l'obligation de motiver qui incombe au recourant (art. 42 al. 2 LTF), cette autorité n'examine que les questions juridiques qui sont soulevées devant lui (ATF 140 III 86 consid. 2 p. 88 ss). Ce point souffre de rester indécis. 
 
Le Tribunal fédéral contrôlera in casu le droit applicable, selon la LDIP (RS 291). 
 
3.2. Sous réserve des rattachements spéciaux prévus aux art. 156 à 161 LDIP, qui n'entrent pas en ligne de compte, l'art. 155 LDIP dispose que le droit applicable à la société - déterminé conformément à l'art. 154 LDIP - régit notamment la responsabilité pour violation des prescriptions du droit des sociétés (let. g). A teneur de l'art. 154 al. 1 LDIP, les sociétés sont régies par le droit de l'Etat en vertu duquel elles sont organisées si elles répondent aux conditions de publicité ou d'enregistrement prescrites par ce droit ou, dans le cas où ces prescriptions n'existent pas, si elles se sont organisées selon le droit de cet Etat.  
 
En l'espèce, la société à responsabilité limitée faillie avait son siège à Genève avant d'être radiée d'office du registre du commerce le *** 2006 à l'issue de la procédure de faillite. Il n'est pas contesté que, du temps de son existence, elle satisfaisait aux conditions de publicité ou d'enregistrement prescrites par le droit de l'Etat d'incorporation, qui était le droit suisse. C'est donc ce droit qui régit l'action en responsabilité - soumise au droit de la société anonyme (par le renvoi de l'art. 827 aCO) - intentée contre les associés gérants par des créanciers sociaux, cessionnaires des droits de la masse en faillite (cf. Gericke/Waller, in Basler Kommentar, Obligationenrecht II, 4e éd. 2012, n° 4 ad Vor. Art. 754-761 CO). 
 
3.3. Les actes, prétendument contraires à leurs devoirs de gérants, qui sont reprochés aux trois défendeurs se sont déroulés entre 2002 et le 30 mars 2004, date où la société en responsabilité limitée dont ils étaient organes est tombée en faillite. C'est ainsi à la lumière du droit antérieur à la modification du droit comptable du 23 décembre 2011, entrée en vigueur le 1er janvier 2013 (art. 957 à 963b CO; RO 2012 6696/6697), et également du droit antérieur à la modification du droit de la société à responsabilité limitée du 16 décembre 2005, entrée en vigueur le 1er janvier 2008 (art. 772 à 827 CO; RO 2007 4835 et 4838), qu'il sied de statuer sur le présent différend.  
 
4.   
 
4.1. Avant d'examiner les divers griefs du recours, pour clarifier le débat, il convient de rappeler liminairement certains principes.  
 
D'après l'art. 827 aCO, la responsabilité des gérants d'une société à responsabilité limitée est soumise aux règles prescrites pour la société anonyme (ATF 126 V 237 consid. 4 p. 238 s. et les arrêts cités). Il convient à cet égard d'appliquer les art. 754 ss CO, l'associé gérant se trouvant dans une position analogue à celle de l'administrateur d'une société anonyme. 
 
La responsabilité civile des associés gérants est subordonnée, à l'instar de celle des administrateurs, à la réunion de quatre conditions générales cumulatives: la violation d'un devoir, une faute (intentionnelle ou par négligence), un dommage et l'existence d'un lien de causalité (naturelle et adéquate) entre la violation du devoir et le dommage (arrêt 4A_375/2012 du 20 novembre 2012 consid. 2.1, non publié in ATF 139 III 24; ATF 132 III 342 consid. 4.1). 
 
L'action dont dispose le créancier social envers les organes de la société est fonction du type de dommage subi. Selon la jurisprudence (cf. ATF 132 III 564 consid. 3 p. 568 ss), trois situations sont envisageables, qui exercent une influence sur la qualité pour agir du créancier lésé. 
 
Le créancier peut être directement touché dans son patrimoine par le comportement des organes, indépendamment de tout dommage causé à la société. Le créancier subit dans ce cas un dommage direct. Il peut agir à titre individuel et réclamer des dommages-intérêts aux organes responsables. La réparation de ce dommage peut être invoquée en tout temps par l'intéressé, peu importe que la société ait été mise ou non en faillite (ATF 132 III 564 consid. 3.2.1 p. 569; 127 III 374 consid. 3a p. 377). 
 
Le créancier peut subir un dommage indirect du fait que la société tombe en faillite. Les manquements des organes occasionnent en premier lieu un préjudice à la société, le créancier social n'étant lésé que par ricochet. Seule l'administration de la masse en faillite peut agir contre les organes pour réclamer la réparation du préjudice que leur comportement a causé à la société. Si l'administration de la faillite renonce à exercer l'action sociale (art. 757 al. 2 CO), un créancier social peut introduire l'action de la communauté des créanciers sur la base d'un mandat procédural, c'est-à-dire en qualité de cessionnaire des droits de la masse en application de l'art. 260 LP, le produit éventuel de l'action servant à couvrir ses prétentions telles qu'elles ont été colloquées (ATF 132 III 342 consid. 2.1 et 2.2). 
 
Le comportement de l'organe peut porter directement atteinte au patrimoine de la société et à celui du créancier social. Lorsque la société est également lésée, un créancier social ne peut agir individuellement contre un organe en réparation du dommage direct qu'il a subi que dans la mesure où il est à même d'invoquer un acte illicite, une  culpa in contrahendo ou la violation d'un devoir du droit des sociétés conçu exclusivement pour protéger les créanciers (ATF 132 III 564 consid. 3.2.3).  
 
4.2. Il résulte de l'arrêt attaqué que les intimés ont obtenu, le 20 avril 2005, la cession des droits de la masse en faillite de la société à responsabilité limitée, telle que l'entend l'art. 260 LP, pour leur permettre de rechercher en responsabilité les anciens gérants de la faillie pour le dommage qu'ils ont causé à celle-ci. Les intimés, créanciers sociaux, n'ont pas prétendu avoir subi un préjudice direct, indépendant du dommage de la société, pas plus qu'ils n'ont fondé leur action sur un acte illicite (art. 41 CO), une  culpa in contrahendo ou la transgression d'une norme du droit des sociétés ayant exclusivement pour fin de protéger les créanciers. Leurs prétentions reposent sur le dommage causé directement à la société et indirectement à eux-mêmes en tant que créanciers, du moment qu'ils n'ont pas pu récupérer les sommes que leur devait la société dans le cadre de la faillite de celle-ci.  
 
Partant, seule entre en ligne de compte la responsabilité des trois associés gérants recourants pour le dommage indirect (réfléchi) supporté par les intimés. 
 
5.   
A la fin de leurs mémoires de recours, les recourants affirment, en se prévalant d'une violation des art. 97 al. 1 LTF et 8 CC ainsi que « du droit fédéral ordinaire », que les intimés n'avaient pas qualité pour agir en responsabilité contre les associés gérants de la société faillie. Ils prétendent que l'administration de la faillite a cédé les droits de la masse à deux autres créanciers, qui n'ont pas agi en justice à leur encontre. Or, poursuivent-ils, si l'action en responsabilité n'est pas introduite par tous les créanciers auxquels la masse en faillite a cédé le droit d'agir selon l'art. 260 LP, lesquels seraient des litisconsorts nécessaires, elle devrait être déclarée mal fondée pour défaut de légitimation active des créanciers qui ont agi en justice. 
 
5.1. Le succès de toute action soumise au droit civil fédéral suppose que les parties au procès aient respectivement, sur chacune des prétentions en cause, qualité pour agir et pour défendre au regard de ce droit; il s'agit de points décisifs que le juge doit élucider d'office (ATF 136 III 365 consid. 2.1 p. 367; 126 III 59 consid. 1a p. 63).  
 
A l'ATF 121 III 291 consid. 3a p. 294 s., le Tribunal fédéral a jugé que les créanciers cessionnaires des droits de la masse en faillite ont le droit d'agir à la place de la masse, mais ne sont pas obligés d'ouvrir action contre les organes responsables; il n'y a ainsi consorité qu'entre les cessionnaires qui ont décidé de faire usage de la cession. 
 
Cette jurisprudence a été confirmée récemment dans un arrêt publié à l'ATF 138 III 628 consid. 5.3.2 p. 634/635. 
 
5.2. In casu, le 20 avril 2005, l'administration de la masse a cédé l'action sociale en responsabilité contre les trois associés gérants aux intimés ainsi qu'à deux sociétés créancières tierces, en leur fixant à tous un délai de deux ans pour agir. Dans le délai en question, seuls les intimés ont ouvert action contre les recourants par un acte unique daté du 4 avril 2007. Les intimés ont déclaré dans leur demande qu'ils agissaient en tant que consorts.  
 
Il apparaît ainsi que les deux sociétés créancières susmentionnées n'ont pas fait usage de la faculté qui leur a été octroyée d'agir à la place de la masse au sens de l'art. 260 LP, en leur propre nom, pour leur propre compte et à leurs propres risques. Au vu de la jurisprudence susrappelée, cette circonstance n'a pas entravé la qualité pour agir des intimés, lesquels ont procédé, ainsi qu'on l'a vu, comme consorts. 
 
Les recourants affirment que l'ATF 138 III 628 n'est pas pertinent pour la question à résoudre, car la cession des droits de la masse n'a été offerte, selon les faits à la base de cet arrêt, qu'au seul créancier admis à l'état de collocation. En pure perte. Ce précédent traite de la portée générale de la cession de droits instituée par l'art. 260 LP, comme l'exprime son consid. 5.3 en p. 633 dudit recueil officiel.  
 
Le moyen est dénué de fondement. 
 
6.   
Pour les recourants, trois des quatre conditions pour que leur responsabilité soit engagée à l'égard des intimés ne sont pas réalisées. 
Comme on l'a vu ci-dessus, la responsabilité des associés gérants pour le dommage indirect des créanciers sociaux suppose un manquement desdits organes à leurs devoirs, une faute, un préjudice et un rapport de causalité naturelle et adéquate entre les manquements qui leur sont reprochés et le dommage (art. 754 al. 1 CO par le renvoi de l'art. 827 aCO). Il incombe au demandeur à l'action en responsabilité de prouver la réalisation de ces conditions (art. 8 CC), lesquelles sont cumulatives (ATF 132 III 564 consid. 4.2 p. 572). 
 
6.1.   
 
6.1.1. Invoquant pêle-mêle une transgression de l'art. 725 al. 2 aCO (dans sa teneur avant le 1er janvier 2008), une violation de leurs droits d'être entendus et une omission de tenir compte des faits pertinents (art. 97 al. 1 LTF), les recourants plaident longuement que la faillite de la société à responsabilité limitée n'a pas été causée par un état de surendettement, dès l'instant où le second expert judiciaire a constaté l'absence de surendettement en 2003. Selon eux, la faillite de la société trouve sa cause dans son déficit de trésorerie dû à des problèmes de recouvrement de créances. Ils prétendent ainsi que l'intimée n° 1 n'a pas payé les importantes dettes qu'elle devait à la société et qu'elle a dans cette mesure tiré profit de la déconfiture de la société.  
 
Par ce moyen, les recourants cherchent à établir qu'il n'ont pas violé leur devoir d'aviser le juge en cas de surendettement de la société dont ils étaient les associés gérants. 
 
A l'instar d'une société anonyme, la faillite d'une société à responsabilité limitée peut être prononcée en cas de surendettement, lequel entraîne l'avis au juge au moyen d'une décision valablement prise par les gérants (cf. art. 725 al. 2 aCO dans sa version antérieure au 1er janvier 2008 [RO 1992 771/772] par le renvoi de l'art 817 al. 1 aCO; cf. ATF 135 III 509 consid. 3.2.1 p. 511). 
 
Toutefois, dans le cas présent, on peut se dispenser de trancher le point de savoir si les recourants, avant que la faillite de la société ne soit prononcée, ont effectivement manqué à leur devoir d'avertir le juge que celle-ci était en état de surendettement. En effet, si un autre manquement à leur mission de gérants devait être retenu à leur encontre, cela suffirait pour que la condition générale de responsabilité prise de la violation d'un devoir soit satisfaite. 
 
6.1.2. Les recourants reprochent à la cour cantonale d'avoir admis qu'ils avaient transgressé leur devoir d'établir et de conserver une comptabilité conforme à la loi. A l'appui de leur moyen, fondé apparemment sur une entorse aux art. 754 CO et 8 CC, ils citent une phrase de l'expert judiciaire L.________ extraite de son rapport du 31 mai 2011, où il écrit « penser », contrairement à l'avis du premier expert, « qu'une comptabilité a été tenue ... ».  
 
6.1.2.1. A teneur de l'art. 957 al. 1 aCO (dans sa version en vigueur avant le 1er janvier 2013), quiconque a l'obligation de faire inscrire sa raison de commerce au registre du commerce doit tenir et conserver, conformément aux principes de régularité, les livres exigés par la nature et l'étendue de ses affaires; ceux-ci refléteront à la fois la situation financière de l'entreprise, l'état des dettes et des créances se rattachant à l'exploitation, de même que le résultat des exercices annuels. L'art. 780 al. 1 aCO (dans sa version avant le 1er janvier 2008) prescrivait que la société à responsabilité limitée était inscrite sur le registre du commerce du lieu où elle a son siège.  
 
 A considérer ces deux normes légales, il est manifeste que la société faillie avait l'obligation de tenir une comptabilité. Il appartenait aux gérants de veiller au respect de l'art. 957 aCO, qui impliquait l'obligation pour la société de posséder les livres exigés par la nature et l'étendue de ses affaires (Pascal Montavon, Droit suisse de la SARL, 2008, § 23 ch. 2.3.1, p. 486/487). 
 
L'art. 961 aCO (dans sa version en vigueur avant le 1er janvier 2013) imposait aux personnes chargées de la gestion (en particulier d'une société à responsabilité limitée) l'obligation de signer le compte d'exploitation et le bilan. Par leurs signatures, les gérants confirmaient que les indications données dans le compte de résultat et dans le bilan étaient définitifs et corrects (Neuhaus/Blättler, in Basler Kommentar, op. cit., n° 8 ad art. 961 CO). 
 
D'après l'art. 962 al. 1 aCO (dans sa version antérieure au 1er janvier 2013), les livres, les pièces comptables et la correspondance devaient être conservés pendant dix ans. 
 
6.1.2.2. En l'espèce, il a été retenu, sur la base de l'appréciation des preuves administrées, que, s'agissant des exercices 2001 à 2004 de la société à responsabilité limitée, aucun bilan définitif signé ni comptes de résultat signés n'ont été retrouvés dans les pièces comptables de ladite société. Si la comptabilité a pu être établie, à certaines époques indéfinies, à l'aide d'un programme informatique, celle-ci, à dire d'expert, a été tenue de manière irrégulière.  
 
Force est donc de retenir que les recourants ont failli à leur devoir d'établir les comptes annuels, au mépris des art. 957 et 961 aCO, ainsi qu'à l'obligation de conserver les livres et pièces comptables, ancrée aux art. 957 al. 1 et 962 al. 1 aCO. 
 
La première condition générale de responsabilité (manquement des gérants à leurs devoirs) est réalisée. 
 
6.2.   
 
6.2.1. Se rapportant à l'art. 754 CO, les recourants soutiennent que la société n'a pas subi de dommage du fait de leurs comportements. Ils allèguent que la mauvaise tenue de la comptabilité n'est pas susceptible d'occasionner un préjudice au créancier social de la société tombée en faillite.  
 
6.2.2. Dire s'il y a eu dommage et quelle en est la quotité est une question de fait qui lie le Tribunal fédéral saisi d'un recours en matière civile. C'est en revanche une question de droit de dire si la notion juridique du dommage a été méconnue et de déterminer si l'autorité cantonale s'est fondée sur des principes de calcul admissibles pour le fixer (ATF 132 III 359 consid. 4 p. 366; 130 III 145 consid. 6.2).  
 
Il résulte des faits déterminants (art. 105 al. 1 LTF) qu'au 31 décembre 2002 la société à responsabilité limitée présentait un découvert de 83'920 fr. Après que sa faillite a été prononcée le 30 mars 2004, l'état de collocation indiquait que le passif de la faillie se montait à plus de 1'400'000 fr.  
 
Si les comptes de la société avaient été tenus conformément aux exigences légales, la société aurait pu être contrôlée au point de vue comptable, de sorte qu'il aurait été possible de résorber le passif, dès son apparition, par la prise de mesures d'assainissement. 
 
En fonction des faits constatés dans l'arrêt attaqué, il n'apparaît pas que la cour cantonale ait méconnu la notion juridique du préjudice. 
 
La deuxième condition de responsabilité (dommage de la société) est réalisée. 
 
6.3.   
 
6.3.1. A suivre les recourants, le rapport de causalité qui doit exister entre le préjudice subi par la société et la violation de leurs devoirs de gérants ferait défaut.  
 
6.3.2. Lorsqu'ils font état de manoeuvres commises par l'intimée n° 1, lesquelles auraient provoqué la faillite de la société, les recourants se réfèrent à des faits non constatés. Dénué pour le reste de toute motivation, le moyen est irrecevable (art. 42 al. 2 LTF).  
 
De toute manière, il est conforme à l'expérience de la vie d'admettre que si la comptabilité d'une société est mal tenue pendant plusieurs années, cela est susceptible de provoquer sa faillite. 
 
6.4. La cour cantonale a jugé que les recourants, qui ont tous les trois enfreint leur devoir d'établir (ou de faire établir) une comptabilité répondant aux exigences légales, ont agi au moins par négligence coupable, sinon de façon intentionnelle, du moment qu'ils ont préféré gérer, dès septembre 2003, une nouvelle société au but social presque identique à celui de la société dont ils étaient les gérants depuis 2002.  
 
Les recourants ne s'en prennent pas à cette déduction. 
 
La question de la faute n'a ainsi pas à être examinée (art. 42 al. 2 LTF). 
 
7.   
En définitive, le recours doit être rejeté dans la mesure de sa recevabilité. 
 
Les recourants, qui succombent, supporteront solidairement les frais de justice et verseront, avec solidarité entre eux, à chacun des intimés (intimée no 1 et intimés nos 2), qui sont représentés par un avocat différent, une indemnité à titre de dépens (art. 66 al. 1 et 5, 68 al. 1, 2 et 4 LTF). 
 
 
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:  
 
1.   
Le recours est rejeté dans la mesure où il est recevable. 
 
2.   
Les frais judiciaires, arrêtés à 6'500 fr., sont mis solidairement à la charge des recourants. 
 
3.   
Les recourants verseront solidairement à D.________ SA une indemnité de 7'500 fr. à titre de dépens. 
 
4.   
Les recourants verseront solidairement à E.________ et dame E.________, créanciers solidaires, une indemnité de 7'500 fr. à titre de dépens. 
 
5.   
Le présent arrêt est communiqué aux parties et à la Cour de justice du canton de Genève, Chambre civile. 
 
 
Lausanne, le 21 mai 2014 
 
Au nom de la Ire Cour de droit civil 
du Tribunal fédéral suisse 
 
La Présidente: Klett 
 
Le Greffier: Ramelet