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Tribunale federale 
Tribunal federal 
 
{T 0/2} 
1P.94/2002/col 
 
Arrêt du 6 mai 2002 
Ire Cour de droit public 
 
Les juges fédéraux Aemisegger, président de la Cour et vice-président du Tribunal fédéral, 
Reeb, Fonjallaz, 
greffier Kurz. 
 
C.________, 
la société G.________, 
recourants, 
tous deux représentés par Mes Luc Argand et Jean-Cédric Michel, avocats, rue François-Bellot 6, 1206 Genève, 
 
contre 
 
L.________, J.________, R.________, V.________, 
intimés, 
tous représentés par Me Pierre Schifferli, avocat, rue Bellot 3, 1206 Genève, 
Juge d'instruction du canton de Genève, Daniel Devaud, case postale 3344, 1211 Genève 3, 
Procureur général du canton de Genève, place du Bourg-de-Four 1, case postale 3565, 1211 Genève 3, 
Chambre d'accusation du canton de Genève, place du Bourg-de-Four 1, case postale 3108, 1211 Genève 3. 
 
procédure pénale, saisie conservatoire d'un compte bancaire 
 
(recours de droit public contre l'ordonnance de la Chambre d'accusation du canton de Genève du 9 janvier 2002) 
 
Faits: 
A. 
Le 1er novembre 2001, des actionnaires de la banque brésilienne N.________ ont déposé plainte pénale à Genève pour escroquerie et blanchiment d'argent, en raison de détournements dont N.________ aurait fait l'objet de la part d'un ancien directeur du département international, pour 242 millions d'US$, dont 122 auraient abouti dans des banques suisses. Une partie des fonds serait parvenue auprès de la banque E.________, sur le compte n° xxx et sur un compte détenu dans le même établissement par O.________, ressortissant du Nigeria impliqué dans les détournements. 
 
Le 15 décembre 2000, le juge d'instruction genevois chargé de la cause a procédé à la saisie du compte n° xxx, détenu par la société panaméenne G.________, dont l'actionnaire majoritaire est C.________. Entre 1997 et 1998, 5,8 millions d'US$ étaient parvenus sur ce compte. C.________ expliqua que G.________ avait été créée pour les besoins de ses activités au Nigeria; il s'était désigné comme ayant droit économique auprès de la banque (formulaire A), alors qu'il ne détenait qu'un peu plus de la moitié des actions, ce qui lui valut une inculpation pour faux dans les titres, le 26 avril 2001. Il expliqua par la suite avoir reçu, en trois fois, 4,62 millions d'US$ de la part de O.________, par le biais d'un compte X.________ dont l'ayant droit était le dénommé A.________, lui aussi impliqué dans les détournements. Cette somme correspondait à l'achat de 5% des actions de G.________. Des dividendes avaient été versés à O.________, puis une somme de 1,22 millions d'US$ correspondant à un abattement sur le prix de vente des actions; celles-ci furent entièrement rachetées par G.________ pour 3,475 millions d'US$. 
Par ordonnance du 27 juin 2001, la Chambre d'accusation genevoise a confirmé un refus du juge d'instruction de lever la saisie du compte de G.________. Une confiscation n'était pas exclue, C.________ n'ayant pas produit le contrat d'achat des actions, ni expliqué pourquoi le prix en avait été versé par le biais d'un compte sans rapport avec O.________. 
B. 
Le 2 octobre 2001, C.________ a saisi la Chambre d'accusation d'un nouveau recours dirigé contre le silence du juge d'instruction, assimilé à un refus de lever la mesure de saisie. 
 
Par ordonnance du 9 janvier 2002, la Chambre d'accusation a rejeté le recours. L'instruction n'avait pas encore permis d'établir la nature des relations entre C.________, O.________ et A.________. Il n'était pas démontré que C.________ ignorait l'origine des fonds versés sur son compte. La transaction avec O.________ présentait en outre certaines particularités: le prix considérable versé pour 5% des actions, l'intervention d'un compte dont C.________ ignorait tout, la mention inexacte sur le formulaire A et l'impossibilité de produire le contrat. On ne pouvait exclure la participation à une opération de blanchissage, et, partant, une confiscation. 
C. 
C.________ et G.________ forment un recours de droit public contre cette dernière ordonnance. Ils en demandent l'annulation, ainsi que la levée immédiate de la saisie du compte n° xxx. 
 
La Chambre d'accusation se réfère aux considérants de son ordonnance. Le Juge d'instruction, le Procureur général et les parties civiles concluent au rejet du recours. 
 
Le Tribunal fédéral considère en droit: 
1. 
Le Tribunal fédéral examine d'office et librement la recevabilité des recours qui lui sont soumis, notamment en ce qui concerne le recours de droit public (ATF 127 I 92 consid. 1 p. 93 et les arrêts cités). 
1.1 Le recours est dirigé contre une ordonnance de saisie confirmée en dernière instance cantonale. La saisie se rapporte tant à la documentation bancaire (saisie probatoire) qu'aux avoirs déposés sur le compte (saisie conservatoire). Dans cette dernière mesure en tout cas, le recours satisfait aux exigences de l'art. 87 OJ car, s'il est dirigé contre une décision incidente, la jurisprudence considère que les décisions de saisie engendrent généralement un préjudice irréparable, en particulier lorsqu'elles portent sur des valeurs patrimoniales (ATF 126 I 97 consid. 1b p. 100): l'atteinte au patrimoine de l'intéressé, temporairement privé de la libre disposition des objets ou avoirs séquestrés, n'est pas susceptible d'être réparée par une décision ultérieure favorable (cf. les arrêts cités dans l'ATF 126 I 97 précité, ATF 82 I 145 consid. 1 p. 148). 
1.2 Titulaire, respectivement ayant droit du compte visé, les recourants ont qualité pour agir au sens de l'art. 88 OJ
1.3 Les recourants concluent non seulement à l'annulation de l'arrêt cantonal, mais également à ce que la levée de la saisie du compte soit ordonnée directement par le Tribunal fédéral. Selon eux, la jurisprudence récente relativiserait la nature cassatoire du recours de droit public, et une exception à ce principe serait justifiée en l'occurrence, compte tenu du grave préjudice causé par la saisie et du délai qui pourrait s'écouler entre l'arrêt du Tribunal fédéral et son exécution par l'autorité cantonale. 
Le principe de la nature cassatoire du recours de droit public connaît des exceptions dans les cas, notamment, où la simple annulation de l'arrêt attaqué ne suffit pas au rétablissement de l'ordre constitutionnel. Ces exceptions sont clairement définies par la jurisprudence (libération d'un prévenu - ATF 124 I 327 -, mainlevée d'opposition - ATF 126 III 536 -, octroi d'une autorisation - ATF 115 Ia 134; cf. les autres exemples mentionnés dans l'ATF 124 I 327 consid. 4b p. 332-333), et il n'y a pas lieu de les étendre au recours dirigé contre la saisie d'un compte bancaire; en cas d'admission d'un tel recours, l'autorité cantonale n'a pas à prendre de mesures d'exécution particulières et la levée de la saisie peut avoir lieu pratiquement sans délai. L'adoption d'une mesure positive ne se justifie donc pas, et la conclusion allant au-delà de l'annulation de l'ordonnance attaquée est irrecevable. 
2. 
Outre l'interdiction de l'arbitraire (art. 9 Cst.), les recourants invoquent la garantie de la propriété (art. 26 Cst.), en rapport avec le principe de la proportionnalité (art. 36 al. 3 Cst.). Ils croient pouvoir en déduire que le pouvoir d'examen du Tribunal fédéral serait libre. Il n'en est rien car, quel que soit le grief invoqué, s'agissant de juger d'une mesure provisoire fondée sur le droit cantonal, le pouvoir d'examen du Tribunal fédéral est limité à l'arbitraire (ATF 122 I 279 consid. 8c p. 291). 
2.1 Une décision est arbitraire, au sens de l'art. 9 Cst., lorsqu'elle viole gravement une règle de droit ou un principe juridique clair et indiscuté, ou lorsqu'elle contredit d'une manière choquante le sentiment de la justice et de l'équité. Le Tribunal fédéral ne s'écarte de la solution retenue que si celle-ci est insoutenable, en contradiction manifeste avec la situation effective, si elle a été adoptée sans motif objectif ou en violation d'un droit certain. La décision doit apparaître arbitraire tant dans ses motifs que dans son résultat (ATF 126 I 168 consid. 3a p. 170 et la jurisprudence citée). 
2.2 Le séquestre pénal ordonné par le juge d'instruction est une mesure conservatoire fondée sur le droit cantonal - en l'espèce, l'art. 181 du code de procédure pénale genevois -, destinée à permettre l'exécution d'une mesure de confiscation que le juge du fond pourrait être amené à prononcer, en vertu de l'art. 59 CP. Dans ce cadre, il est exclu pour l'autorité compétente d'examiner si toutes les conditions nécessaires à une confiscation sont réunies. Un tel examen est souvent impossible tant que l'instruction de la cause n'est pas totalement achevée (ATF 116 Ib 96 consid. 3a p. 100) et tant que subsiste une probabilité de confiscation, l'intérêt public commande le maintien du séquestre pénal (SJ 1994 p. 97, 102). 
3. 
Selon les recourants, la possibilité d'une confiscation pourrait déjà être exclue à ce stade, et la Chambre d'accusation aurait arbitrairement apprécié les faits pour parvenir à la conclusion inverse. Les recourants n'avaient pas à s'interroger sur le titulaire du compte originaire des versements, dès lors que les avis de crédit mentionnaient O.________ comme donneur d'ordre, sans donner de détail sur le compte d'origine; C.________ pouvait donc ignorer l'intervention de A.________. La cour cantonale soutient que le prix payé par O.________ pour l'acquisition de 5% du capital de G.________ serait "considérable", alors que cette somme correspondait à la valeur réelle du groupe. Les dividendes versés à O.________ étaient comparables à ceux versés aux autres actionnaires. Le contrat initial n'avait pu être retrouvé, mais la transaction était attestée par de nombreuses autres pièces. Même si le formulaire A avait été rempli de manière inexacte, la banque avait été complètement renseignée. La Chambre d'accusation aurait par ailleurs méconnu les lenteurs inadmissibles de l'instruction, incompatibles avec le principe de la proportionnalité. Les sommes ayant été restituées à O.________, seule une créance compensatrice pourrait être envisagée. En dépit d'une instruction menée depuis 14 mois et désormais complète, il serait établi que C.________ ne connaissait que O.________, à l'exclusion de tout autre auteur des détournements, que la transaction était réelle et valable et qu'il ignorait l'utilisation d'un compte tiers appartenant à A.________. 
 
Les intimés relèvent pour leur part que la création de G.________ concorderait avec la commission des détournements, que C.________ avait recommandé O.________ auprès de la banque et que, pour avoir versé 4,62 millions d'US$ pour les actions, O.________ se serait vu restituer 5,2 millions d'US$ au total. 
3.1 En dépit de l'argumentation à décharge présentée par les recourants, la possibilité d'une confiscation ne peut être exclue à ce stade de la procédure. Il n'est pas contesté que le compte de la recourante a effectivement été alimenté par des sommes provenant des détournements commis au préjudice de la banque brésilienne. Dans la perspective d'une éventuelle confiscation, il conviendra de déterminer si les recourants connaissaient la provenance illicite des versements opérés par O.________. Il n'est toujours pas exclu que l'ensemble de l'opération (vente de titres, versement de dividendes, rachat de la participation) ait été simulée, dans le but de recycler le produit de l'infraction, la question à résoudre étant de savoir si les recourants s'y sont prêtés volontairement ou non. Or, les arguments des recourants ne permettent pas d'apporter une réponse définitive à cette question. L'arrêt cantonal n'est, par conséquent, pas arbitraire. 
3.2 Sous l'angle du principe de la proportionnalité, les recourants soutiennent que l'instruction aurait connu des retards inadmissibles, rallongeant d'autant la mesure de saisie. Toutefois, la manière dont est menée l'instruction est sans incidence directe sur le principe même de la saisie. Par ailleurs, le respect du principe de la proportionnalité suppose une pesée entre l'intérêt public lié aux besoins de la procédure pénale et l'intérêt de la personne touchée par la mesure. Or, si l'intérêt public ne peut être nié à ce stade, les recourants ne disent mot sur la nécessité de disposer des sommes actuellement bloquées. L'argument ne répond donc pas aux exigences de l'art. 90 al. 1 let. b OJ
4. 
Sur le vu de ce qui précède, le recours de droit public doit être rejeté, dans la mesure où il est recevable. Conformément à l'art. 156 al. 1 OJ, un émolument judiciaire est mis à la charge des recourants qui succombent, de même qu'une indemnité de dépens allouée aux intimés (art. 159 al. 1 OJ). 
 
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce: 
1. 
Le recours est rejeté dans la mesure où il est recevable. 
2. 
Un émolument judiciaire de 4000 fr. est mis à la charge des recourants. 
3. 
Une indemnité de dépens de 3000 fr. est allouée aux intimés, à la charge solidaire des recourants. 
4. 
Le présent arrêt est communiqué en copie aux mandataires des parties, au Juge d'instruction, au Procureur général et à la Chambre d'accusation du canton de Genève. 
Lausanne, le 6 mai 2002 
Au nom de la Ire Cour de droit public 
du Tribunal fédéral suisse 
 
Le président: Le greffier: