Bundesgericht
Tribunal fédéral
Tribunale federale
Tribunal federal
4A_576/2021
Arrêt du 26 août 2022
I
Composition
Mmes les Juges fédérales
Hohl, Présidente, Kiss et May Canellas,
greffière: Monti.
Participants à la procédure
1. A.________,
2. B.________ SA,
représentés par Me Jérôme Magnin, avocat,
recourants,
contre
Z.________ SA,
représentée par Me Christophe Claude Maillard, avocat,
intimée.
Objet
contrat d'entreprise; hypothèque légale des artisans et entrepreneurs,
recours en matière civile contre l'arrêt rendu le 4 octobre 2021 par la I re Cour d'appel civil du Tribunal cantonal du canton de Fribourg (101 2020 171).
Faits :
A.
L'architecte A.________ (ci-après le maître de l'ouvrage, ou le maître) était propriétaire de la parcelle 1 de la commune de... (FR). Par contrats d'entreprise du 30 août 2011, il a chargé la société Z.________ SA d'exécuter des travaux de maçonnerie et de terrassement moyennant un prix respectif de 540'000 fr. et 65'000 fr. S'y est ajouté un avenant du 24 octobre 2011 prévoyant l'isolation des murs du sous-sol pour 11'048 fr. 80.
Ces conventions avaient été établies sur la base des soumissions conçues par le maître de l'ouvrage lui-même et de l'offre proposée par l'entreprise de maçonnerie précitée. Elles comportaient les mentions suivantes:
- "Aucun travail non commandé et n'ayant fait l'objet d'un devis accepté par la direction des travaux (DT) et le maître de l'ouvrage (MO) ne pourra être pris en considération."
- "La présente adjudication est notamment régie par les normes SIA (n° 118 et celles concernant directement les travaux à exécuter)."
Une facture finale a été émise le 23 juillet 2012. Elle affichait un total de 659'563 fr. 05 et des acomptes de 493'000 fr., soit un solde de 166'563 fr. 05 dont le maître a refusé de s'acquitter.
B.
B.a. Le 6 septembre 2012, l'entreprise de maçonnerie a demandé par voie provisionnelle l'inscription d'une hypothèque légale des artisans et entrepreneurs à hauteur de 166'563 fr. 05 plus intérêts sur la parcelle 1 du maître de l'ouvrage.
Le Président du Tribunal civil de l'arrondissement de la Veveyse a fait droit à cette requête urgente par ordonnance du 7 septembre 2012, confirmée le 28 novembre 2012.
Le 4 mars 2013, l'entreprise a déposé une demande tendant à l'inscription définitive de l'hypothèque sur ledit fonds.
Parallèlement, elle a introduit une action en paiement dont les conclusions présentées dans sa demande du 20 mars 2013 ascendaient à 166'563 fr. 05 plus intérêts.
Par courrier du 25 juillet 2013, un notaire mandaté par le maître a annoncé au tribunal la division de la parcelle 1 et a sollicité le report de l'hypothèque provisoire sur les parcelles nouvellement créées. Le maître a encore confirmé cette requête le 19 novembre 2013.
Le 8 janvier 2014, le président du tribunal a ordonné que l'hypothèque provisoirement inscrite en garantie d'une créance de 166'563 fr. 05 soit reportée comme gage collectif sur les quatre biens-fonds issus de la division parcellaire (1, 2, 3 et 4), qui appartenaient tous au maître.
Le tribunal a chargé un ingénieur civil diplômé de l'ETHZ d'effectuer une expertise judiciaire dont le résultat a été consigné dans un rapport du 2 août 2016 suivi d'un complément du 30 août 2017.
A l'audience des débats du 16 janvier 2019, l'entreprise a d'entrée de cause modifié ses allégués et conclusions. D'une part, elle a réduit sa demande en paiement à 109'243 fr. 75 plus intérêts. D'autre part, elle a requis que l'hypothèque grève les parcelles 1, 2, 3 et 4 au prorata de leur surface respective, soit à raison de 33'100 fr. 85, 28'075 fr. 65, 23'924 fr. 40 et 24'142 fr. 8[5].
Le 9 juillet 2019, le maître de l'ouvrage a vendu ces quatre parcelles à la société B.________ SA (ci-après: la nouvelle propriétaire), fraîchement constituée le 21 juin 2019 et dont il était l'administrateur unique avec signature individuelle.
Le conservateur du registre foncier a informé le tribunal de cette transaction le 16 décembre 2019.
Statuant le 24 février 2020, le Tribunal civil a condamné le maître à payer 109'243 fr. 75 plus intérêts à l'entreprise demanderesse, laquelle a obtenu un délai de trente jours dès l'entrée en force de la décision pour ouvrir une action en inscription définitive d 'hypothèques légales contre l'actuelle propriétaire des parcelles 1, 2, 3 et 4. Le tribunal a jugé que celle-ci ne pouvait pas succéder au maître dans le procès parce que la vente immobilière était postérieure à la clôture de la procédure probatoire.
B.b. Le maître a fait appel de ce jugement. Ses griefs visaient aussi bien l'action en paiement que l'action en inscription définitive d'une hypothèque légale.
Le Tribunal cantonal fribourgeois a déclaré rouvrir la procédure probatoire au motif que le premier juge aurait dû appliquer l'art. 83 al. 1 CPC et demander à la nouvelle propriétaire si elle entendait succéder au maître dans le procès relatif à l'hypothèque. Interpellée en ce sens, l'intéressée a simplement signifié qu'elle acceptait de reprendre le procès en lieu et place du maître, sans introduire aucun élément supplémentaire ou argument nouveau.
Par arrêt du 4 octobre 2021, la I re Cour d'appel civil du Tribunal cantonal a partiellement admis l'appel et réformé la décision entreprise:
- Concernant la
demande en paiement, le point de départ de l'intérêt moratoire alloué sur la somme de 109'243 fr. 75 devait être modifié.
- Quant à la
demande
en inscription définitive d'une hypothèque légale des artisans et entrepreneurs, elle devait être rejetée (dans la mesure de sa recevabilité) en tant qu'elle concernait les parcelles 2, 3 et 4. Partant, l'inscription provisoire grevant celles-ci devait être radiée.
L'entreprise avait modifié tardivement ses conclusions pour y inclure ces trois nouvelles parcelles.
- En revanche, devait être ordonnée l'inscription définitive d'une hypothèque de 27'310 fr. 95 sur la parcelle 1, propriété de B.________ SA.
L'entreprise avait réduit à 33'100 fr. 85 ses conclusions concernant cette parcelle qui était visée par la demande initiale, ce qu'elle pouvait faire en tout état de cause. La valeur totale de la somme à garantir (109'243 fr. 75) devait être répartie également sur les quatre parcelles à la surface quasi identique, soit 27'310 fr. 95 pour la parcelle 1 (109'243 fr. 75 : 4).
C.
Le maître de l'ouvrage et la nouvelle propriétaire ont déposé conjointement un recours en matière civile auprès du Tribunal fédéral, qu'ils ont ensuite assorti d'une demande d'effet suspensif.
Les conclusions prises au pied du mémoire prescrivent le rejet de la demande en paiement, respectivement le rejet de la demande du 4 mars 2013 tendant à l'inscription définitive d'une hypothèque légale sur (l'ancienne) parcelle 1, étant entendu que les modifications requises le 16 janvier 2019 devraient être déclarées irrecevables. Est en outre exigée la radiation de l'inscription provisoire grevant les parcelles 1, 2, 3 et 4.
L'entreprise intimée a conclu au rejet du recours dans la mesure de sa recevabilité, provoquant une réplique spontanée des recourants à laquelle elle a brièvement dupliqué.
L'autorité précédente s'est référée à son arrêt.
Par ordonnance présidentielle du 3 février 2022, l'effet suspensif a été accordé pour le seul chiffre I/2.2 du dispositif de l'arrêt attaqué, ordonnant l'inscription définitive d'une hypothèque de 27'310 fr. 95 sur la parcelle 1.
Considérant en droit :
1.
Les recourants, dont l'appel n'a été admis que partiellement (art. 76 al. 1 LTF), ont entrepris en temps utile (art. 100 al. 1 LTF) une décision finale (art. 90 LTF) rendue sur recours par le tribunal supérieur du canton (art. 75 LTF) dans un conflit de nature civile (art. 72 al. 1 LTF) dont la valeur litigieuse excède 30'000 fr. (art. 74 al. 1 let. b LTF).
Aussi le présent recours en matière civile est-il recevable sur le principe, moyennant la réserve suivante: la cour cantonale a d'ores et déjà jugé irrecevable la modification des conclusions concernant les parcelles 2, 3 et 4. Partant, elle a rejeté dans cette mesure la demande en inscription définitive d'une hypothèque légale et ordonné la radiation de l'inscription provisoire grevant lesdites parcelles. L'entreprise demanderesse ayant renoncé à former recours, il y a force de chose jugée à cet égard.
2.
2.1. Le Tribunal fédéral statue sur la base des faits établis par l'autorité précédente (art. 105 al. 1 LTF). Il peut rectifier ou compléter ses constatations si elles sont manifestement inexactes - c'est-à-dire arbitraires - ou découlent d'une violation du droit au sens de l'art. 95 LTF (art. 105 al. 2 LTF). La critique de l'état de fait retenu est soumise au principe de l'allégation (cf. consid. 2.2
i.f.
infra et ATF 140 III 264 consid. 2.3 p. 266). Le recourant doit expliquer clairement et de manière circonstanciée en quoi des constatations seraient entachées d'arbitraire (ATF 140 III 16 consid. 1.3.1 p. 18 et les références). S'il tente de compléter l'état de fait, il doit démontrer, en désignant précisément les écritures et pièces du dossier topiques, qu'il a introduit régulièrement en procédure les faits pertinents et les moyens de preuve adéquats (ATF 140 III 86 consid. 2 p. 90).
Il y a arbitraire dans l'établissement des faits et l'appréciation des preuves si le juge a méconnu le sens et la portée d'un moyen de preuve, a omis sans raisons objectives de prendre en compte des preuves pertinentes ou tiré des déductions insoutenables des éléments recueillis. L'arbitraire ne résulte pas du seul fait qu'une autre solution serait défendable, voire préférable (ATF 140 III 264 consid. 2.3 p. 266; 136 III 552 consid. 4.2).
2.2. Le recours en matière civile peut être exercé pour violation du droit fédéral, notion qui inclut le droit constitutionnel (art. 95 let. a LTF). Le Tribunal fédéral applique le droit d'office (art. 106 al. 1 LTF). Eu égard, toutefois, à l'exigence de motivation qu'impose l'art. 42 al. 2 LTF sous peine d'irrecevabilité (art. 108 al. 1 let. b LTF), il se contente d'examiner les questions soulevées par les parties, sauf en cas d'erreurs juridiques manifestes (ATF 140 III 115 consid. 2, 86 consid. 2). Pour la violation des droits constitutionnels tels que la prohibition de l'arbitraire prévaut le principe d'allégation (art. 106 al. 2 LTF) : le recourant doit préciser quel droit constitutionnel a été violé en expliquant par le menu détail en quoi consiste cette violation (ATF 134 II 244 consid. 2.2; 133 II 396 consid. 3.2).
3.
Il est constant que le maître de l'ouvrage et l'entreprise intimée se sont liés par des contrats d'entreprise (art. 363 ss CO) intégrant la norme SIA 118 dans sa teneur de 1991.
A ce stade, le litige comporte deux volets:
- d'une part, le solde dû par le maître en contrepartie des travaux exécutés par l'entreprise, que les juges cantonaux ont arrêté à 109'243 fr. 75;
- d'autre part, l'inscription définitive d'une hypothèque légale de 27'310 fr. 95 sur la parcelle 1 acquise par B.________ SA en cours de procédure.
Le maître a la légitimation passive exclusivement pour le premier pan, tandis que la société précitée, nouvelle propriétaire des parcelles, en dispose pour le second pan (sur la possibilité de dissocier les actions en paiement du prix de l'ouvrage et en inscription définitive de l'hypothèque légale, cf. ATF 126 III 467 consid. 3; arrêts 4A_271/2007 du 8 janvier 2008 consid. 2.1.2 et 4P.226/2002 du 21 janvier 2003 consid. 2.2; sur la légitimation passive dans le procès en inscription définitive d'une hypothèque légale, voir par ex. SCHUMACHER/REY, Das Bauhandwerkerpfandrecht, 4e éd. 2022, n. 1636 ss).
Le Tribunal fédéral traitera d'abord les griefs concernant l'action en paiement, puis ceux afférents à l'inscription définitive de l'hypothèque.
I. Griefs concernant l'action en paiement
4.
Le maître déplore un établissement des faits arbitraire ou contraire au droit fédéral, à divers égards.
4.1. On relèvera en préambule la teneur particulière du considérant censé contenir l'état de fait: ce chapitre se borne à retracer le déroulement de la procédure. Il est néanmoins possible de reconstituer jusqu'à un certain point la trame des événements, moyennant un travail de puzzle qui implique de passer au crible les considérants juridiques de la décision entreprise et du premier jugement, auquel l'autorité d'appel s'est implicitement référée. Aussi la cour de céans renoncera-t-elle à sanctionner ce procédé discutable en faisant usage de l'art. 112 al. 1 LTF - ce que n'exigent pas les recourants. Ceci dit, les détails livrés sur les travaux litigieux restent étiques et le maître doit composer avec, dans la mesure où il n'a pas démontré qu'il y avait matière à compléter l'état de fait.
4.2. Le premier grief se cristallise autour de trois éléments:
- Le maître conteste avoir "régulièrement suivi le chantier et pu constater les travaux effectués". Cette constatation serait démentie par les propos d'un ex-employé de l'entreprise, ayant concédé qu'ils n'avaient "pas dit, en cours de chantier, que tel ou tel article était hors soumission". Le Tribunal fédéral ne discerne aucun rapport direct entre le fait querellé et la déclaration invoquée: le premier pourrait même expliquer la seconde. En d'autres termes, il n'y a pas là de contradiction éclatante qui interdirait de retenir le fait en question. La même conclusion vaut pour les autres déclarations de ce collaborateur.
- Le maître réfute avoir omis de s'opposer "aux factures qui lui étaient soumises malgré l'absence de devis préalable". Il se serait au contraire "farouchement opposé" aux factures du 23 juillet 2012. L'arrêt attaqué est peu clair à cet égard. On comprend toutefois en filigrane que les juges cantonaux ont simplement voulu reprendre à leur compte cette constatation du premier juge selon laquelle "aucun élément du dossier ne démontre que [le maître] se serait opposé [aux travaux] qu'il refuse aujourd'hui de payer, faute de devis préalable". On ne décèle aucun arbitraire dans celle-ci. Au surplus, on concédera que s'opposer aux
travaux ou aux
factures émises sont deux choses différentes. Il est acquis que le maître a refusé de payer le solde de la facture finale, respectivement qu'il a apporté des corrections sur celle-ci. Quant au fait qu'il a tout de même admis certaines positions "hors soumission", l'intéressé objecte qu'il n'a pas été allégué. Il n'apparaît pas que ce moyen ait déjà été soulevé en appel (consid. 5
infra). Au demeurant, les explications fournies par le recourant ne suffisent pas à démontrer que les juges fribourgeois seraient sortis du cadre des allégués en reconnaissant que certains postes hors soumission avaient été admis par le maître (cf. consid. 8.2.2
i.f
infra).
- Enfin, le maître déplore que la nature des travaux liés au "prétendu glissement du collecteur d'eau claire" reste totalement obscure. Il n'en est rien. La cour cantonale a expliqué qu'après un affaissement du terrain sur le chantier, il avait fallu remettre en place la canalisation et effectuer des travaux de bétonnage. Elle a dressé la liste de ces travaux en se référant à la facture finale et à l'expertise. Si le maître fait une autre lecture de ce rapport, il est bien loin d'apporter la démonstration d'un quelconque arbitraire.
En bref, le jugement cantonal résiste au grief d'arbitraire sur ces trois points litigieux.
5.
Le maître de l'ouvrage reproche deuxièmement à la cour cantonale d'avoir retenu divers faits qui n'avaient pas été allégués.
L'arrêt attaqué ne traite aucun grief de cette sorte et le maître ne dénonce pas une violation de son droit d'être entendu sur ce point. Le moyen apparaît dès lors nouveau, et partant, irrecevable (ATF 146 III 203 consid. 3.3.4; 143 III 290 consid. 1.1; arrêt 5A_570/2021 du 29 juin 2022 consid. 4). Par surabondance, la cour cantonale a pris la peine de citer les allégués de l'intimée concernant les travaux liés à des problèmes géologiques (arrêt attaqué p. 13 consid. 3.3.2
in limine et p. 14 consid. 3.3.3
in limine) et s'est référée aux explications de l'expert. L'argumentation du recourant est insuffisante pour mettre en lumière un dépassement du cadre défini par les allégués.
6.
Troisièmement, plusieurs pages du mémoire de recours ciblent les considérants cantonaux relatifs à l'expertise judiciaire, qui devrait être écartée du dossier en raison des graves vices dont elle serait entachée.
6.1. La cour cantonale a reproché au recourant d'enfreindre le principe de la bonne foi en procédure (art. 52 CPC) en attendant le stade de l'appel pour critiquer l'expertise. Elle a sanctionné ce procédé par une irrecevabilité des griefs, qu'elle a étayée de la façon suivante:
L'expert avait déposé son rapport le 2 août 2016. Dans ses déterminations du 6 avril 2017, le maître avait souhaité savoir qui, de l'expert ou du collaborateur dont il s'était adjoint les services, avait effectué les constatations nécessaires à l'analyse des métrés. L'expert s'était expliqué dans un avenant du 30 août 2017.
Le Tribunal civil avait communiqué cet
addendum aux parties le 1er septembre 2017 en leur demandant s'il pouvait clore la procédure probatoire. Or, le dernier jour du délai qui avait été prolongé au 15 janvier 2018, le maître s'était borné à mettre en question les méthodes de métrage utilisées par l'expert et avait demandé à pouvoir l'interroger sans détailler les questions qu'il entendait encore poser; subsidiairement, il avait requis de pouvoir se déterminer sur le rapport complémentaire. Il avait ainsi bénéficié de plus de quatre mois pour émettre les critiques qu'il soulevait désormais dans son appel - le recours aux services d'un collaborateur, la renonciation à une séance de mise en oeuvre précédant l'expertise, l'omission de se faire remettre différentes pièces nécessaires (dont les procès-verbaux du chantier), la mise à l'écart de pièces pertinentes, ou encore le fait de s'exprimer sur le caractère nécessaire de certains travaux sans avoir des éléments suffisants pour en juger.
Si le maître estimait que l'expert avait imparfaitement exécuté sa mission, il devait s'en prévaloir dans les délais qui lui avaient été impartis pour se déterminer sur le rapport d'expertise et son complément. En attendant l'appel pour soulever ses moyens, le maître avait contrevenu au principe de loyauté.
6.2. Pour contrer cette motivation, le maître se borne à plaider sur un mode appellatoire qu'il avait exposé de manière circonstanciée ses griefs contre le rapport d'expertise et répète qu'il suffisait de demander l'audition de l'expert. Il ne s'attelle pas à démontrer que les constatations sur le contenu de ses écritures seraient arbitraires, ni à trouver les failles du raisonnement tenu par la cour cantonale. Au surplus, il ne nie pas avoir eu le temps nécessaire pour se déterminer. Ceci scelle le sort du grief tiré d'une prétendue violation de l'art. 52 CPC et de son droit d'être entendu.
Partant, la cour de céans est dispensée d'examiner le bien-fondé de l'analyse ayant conduit les juges d'appel à rejeter les griefs déployés contre l'expertise: ils n'ont fait là que présenter une motivation alternative à laquelle il est vain de recourir, vu ce qui précède. On mentionnera au passage l'ordonnance du Tribunal civil enjoignant à l'expert de ne consulter aucun procès-verbal de chantier qui ne soit pas déjà versé au dossier et l'absence de critique à ce sujet.
7.
Quatrièmement, le maître reproche à l'autorité précédente d'avoir restreint indûment son pouvoir de cognition au mépris de son propre droit d'être entendu. Plus précisément, elle aurait jugé à tort qu'en appel, "le litige ne port[ait] [...] plus que sur les positions hors soumission f[aisant] l'objet des allégués pour lesquels, en première instance, le [maître] faisait valoir l'absence de devis préalable".
Savoir ce que celui-ci avait contesté dans sa réponse en justice et dans son mémoire d'appel relève de l'établissement des faits; or, il n'invoque, pas plus qu'il ne démontre, l'arbitraire des constatations cantonales sur ces points.
En bref, aucun des moyens de fait n'atteint sa cible.
8.
Le recourant enchaîne en dénonçant une "violation des art. 1 ss CO en relation avec la norme SIA 118". L'autorité précédente aurait méconnu qu'il devait consentir aux travaux hors soumission, ou au moins les ratifier après exécution, conformément à l'art. 45 al. 1 de la norme SIA 118.
8.1. Cette règle, intégrée aux contrats dans sa teneur de 1991, énonce ce qui suit:
"Art. 45
1 Les travaux en régie non prévus par le contrat (art. 44 al. 1) ne peuvent être exécutés qu'avec l'assentiment de la direction des travaux; l'al. 2 est réservé.
2 L'entrepreneur a néanmoins le droit, sans attendre l'ordre de la direction, d'exécuter en régie les travaux urgents indispensables pour prévenir un danger ou un dommage. Il en informe aussitôt la direction des travaux. Celle-ci a, en tout temps, le droit de les faire interrompre. L'entrepreneur qui les poursuit néanmoins n'a pas droit à une rémunération."
8.2. L'autorité précédente a subdivisé en deux groupes les travaux "hors soumission" dont l'entreprise exigeait le paiement:
8.2.1. Le premier groupe comprend les travaux consécutifs au glissement de terrain, qui ont porté sur la stabilisation du talus et le collecteur d'eau claire.
Selon l'arrêt attaqué, le maître a été informé du glissement de terrain et a demandé l'intervention d'un géologue, se tournant d'abord vers l'entreprise de son choix, qui n'était pas disponible puis, vu l'urgence, vers la personne travaillant habituellement avec l'entreprise de maçonnerie. Cet affaissement était dû à la géologie et non à une faute de l'entreprise.
Les travaux de stabilisation du talus étaient urgents et indispensables pour prévenir un dommage; ils relevaient donc de l'art. 45 al. 2 de la norme SIA 118. Ils avaient été dûment signalés au maître de l'ouvrage qui n'avait pas exigé leur interruption.
La même conclusion s'imposait pour les travaux sur le collecteur d'eau claire, entrant également dans le champ de l'art. 45 al. 2.
Le recourant ne déploie pas d'argumentation circonstanciée propre à établir un arbitraire dans les faits retenus, et l'analyse juridique qui en découle ne prête pas le flanc à la critique.
8.2.2. Les autres travaux litigieux "hors soumission" sont au nombre de quatre:
- S'agissant du piquage de molasse avec montabert pratiqué sur les canalisations, facturé 1'838 fr., l'expert a jugé "plausible" l'assertion selon laquelle un tel travail était nécessaire. Comme il n'avait aucun moyen de vérifier le nombre d'heures facturé, il a proposé un partage équitable. Le maître n'ayant pas critiqué de façon spécifique cette solution, l'autorité précédente l'a adoptée.
On ne trouve pas trace, dans le recours, d'une critique motivée sur ce dernier point. Au demeurant, il est constant que le maître a suivi régulièrement le chantier et a pu constater les opérations effectuées; architecte de métier, il avait personnellement établi les soumissions. Dans des circonstances aussi peu étayées, on ne voit pas que le droit fédéral aurait été enfreint.
- Les trois autres types de travaux hors soumission concernent la maçonnerie, soit la pose de sauts-de-loup préfabriqués fixés contre le mur du sous-sol (4'320 fr.), la fourniture et pose de cadres, grilles et caillebotis zingués, mailles normales, à raison de 4 pièces (840 fr.) et enfin la fourniture et pose de cadres, grilles et caillebotis zingués, à raison de 8 pièces (1'440 fr.).
D'après la Cour d'appel, ces positions figuraient dans le contrat de base, avec des dimensions et prix unitaires différents. Dans la facture "corrigée" par le maître, il a indiqué que ces positions étaient admises, bien que signalées "hors soumission". Il s'agit là de constatations de fait dont le maître ne prétend pas qu'elles seraient entachées d'arbitraire, ce qui ôte toute consistance à ses griefs.
9.
Finalement, le maître de l'ouvrage reproche à la cour cantonale d'avoir violé son droit d'être entendu en omettant de traiter son objection tirée du fait que toute prestation hors contrat devait être précédée d'un devis adressé à la direction des travaux.
Ce reproche est infondé. Les juges d'appel ont tenu compte du moyen, comme l'attestent divers passages de leur décision (cf. consid. 3.1, consid. 3.2 p. 11 et consid. 3.3 p. 12, ou encore consid. 3.3.4 p. 15
in limine puis §§ 2 et 3). Quant à savoir s'ils ont donné une réponse adéquate, cela ne ressortit plus au droit d'être entendu.
Encore une fois, le maître, fort de sa formation d'architecte, a suivi le chantier et eu connaissance des travaux effectués. A défaut de plus amples détails, on peut inférer qu'il les a acceptés
a posteriori, ce qui est de nature à lever la réserve contractuelle tenant à l'exigence d'un devis préalable. Vu les circonstances d'espèce, il est vain d'invoquer la doctrine préconisant de ne pas admettre trop facilement une modification contractuelle tacite. Au surplus, l'exigence contractuelle s'efface logiquement en présence de travaux urgents et nécessaires pour éviter un dommage.
Le dernier grief soulevé par le maître se révèle donc lui aussi voué à l'échec.
II. Griefs afférents à l'inscription définitive d'une hypothèque légale sur la parcelle 1
10.
La nouvelle propriétaire croit discerner deux failles (violation des art. 227 et 230 CPC , respectivement de l'art. 798 CC) dans la décision ordonnant l'inscription définitive d'une hypothèque légale de 27'310 fr. 95 sur l'immeuble 1. L'entreprise créancière, pour sa part, s'est accommodée de l'arrêt sur appel; elle a renoncé à critiquer le rejet de son action (respectivement l'irrecevabilité de ses conclusions) en tant qu'elle concernait les trois autres parcelles (2-4). Conformément au principe précité (consid. 2.2
supra), la cour de céans n'examinera que les moyens soulevés.
10.1. Premièrement, la nouvelle propriétaire conteste que la modification de la demande opérée le 16 janvier 2019 (let. B.a
supra) puisse s'analyser comme une réduction de conclusions recevable "en tout état de cause" en tant qu'elle concerne la parcelle 1. Elle concède que le numéro du bien-fonds est resté le même, mais soutient qu'il s'agit d'un nouvel immeuble distinct issu d'une division parcellaire, si bien qu'il eût fallu modifier les conclusions en temps utile, et non pas plusieurs années après l'événement topique, sous peine de violer les art. 227 al. 3 CPC et 230 al. 1 CPC.
Pour mémoire, le maître de l'ouvrage et ancien propriétaire a divisé sa parcelle 1 en quatre alors qu'elle était déjà grevée d'une hypothèque provisoire. Les nouvelles parcelles ont été immatriculées au registre foncier avec les numéros 1, 2, 3 et 4 (let. B.a
supra). C'est dire que le feuillet primitif a été maintenu pour une partie de la parcelle - un numéro de feuillet ne peut être utilisé qu'une seule fois (cf. art. 18 al. 4 et 153 al. 1 ORF [RS 211.432.1]; URS FASEL, Grundbuchverordnung [GBV], Kommentar, 2e éd. 2013, n° 11 ad art. 18 ORF et nos 4-6 ad art. 153 ORF). Qui plus est, l'inscription provisoire a été modifiée le 8 janvier 2014, en ce sens qu'un gage collectif de 166'563 fr. a été inscrit sur chacune des quatre parcelles issues de la division.
Sur le vu de ce qui précède, et en gardant à l'esprit que les conclusions s'interprètent à la lumière de la motivation qui les sous-tend (arrêts 5A_868/2021 du 21 juin 2022 consid. 1.2; 4A_375/2012 du 20 novembre 2012 consid. 1.2 et les arrêts cités), l'on admettra qu'en déclarant recevable la conclusion en inscription définitive d'une hypothèque de 33'100 fr. 85 sur la parcelle 1, l'autorité précédente n'a pas enfreint les règles procédurales précitées.
10.2. Deuxièmement, la nouvelle propriétaire reproche à l'entreprise de ne pas avoir produit un décompte des travaux accomplis sur la parcelle 1, alors qu'il faudrait précisément déterminer quelle plus-value les travaux ont apportée à ce bien-fonds en particulier. En répartissant l'hypothèque à parts égales sur les quatre parcelles (109'243 fr. 75 : 4 = 27'310 fr. 95) en fonction de leur surface (identique ou quasi identique), l'autorité précédente aurait violé l'art. 798 al. 2 CC.
Il est vrai que lorsque les travaux portent sur
plusieurs immeubles, l'hypothèque doit en principe être demandée sous la forme de droits de gage partiels, grevant chaque immeuble pour la partie de créance relative à celui-ci (cf. art. 798 al. 2 CC). Ce qui implique pour les artisans et entrepreneurs de tenir un décompte séparé des travaux accomplis sur chaque parcelle (ATF 146 III 7 consid. 2.1.2; arrêts 5A_924/2014 du 7 mai 2015 consid. 4.1.3 et 4.1.3.1; 5A_682/2010 du 24 octobre 2011 consid. 3.2; PAUL-HENRI STEINAUER, Les droits réels, tome III, 5e éd. 2021, n. 4497).
Cependant, la situation présente est autre: les travaux ont été effectués sur un seul fonds qui a été divisé postérieurement. Or, "lorsque le gage est déjà inscrit, même provisoirement, au moment où le propriétaire décide de diviser l'immeuble grevé", l'ATF 119 II 421 distingue deux hypothèses: soit la division est suivie de l'aliénation d'une (ou plusieurs) des parcelles nouvellement créées, auquel cas la garantie est répartie proportionnellement à la valeur estimative des divers immeubles (selon l'art. 833 al. 1 CC); soit les biens-fonds issus de la division restent en mains du même propriétaire, et le gage est alors reporté en son entier sur tous les nouveaux immeubles en tant que gage collectif (art. 87 al. 1 aORF [RO 1987 1607]; ATF 119 précité consid. 3b p. 425, résumé entre autres par STEINAUER, op. cit., n. 4029 et 4040).
Cet arrêt s'est rallié au courant doctrinal majoritaire (note de PAUL-HENRI STEINAUER in DC 1994 p. 111). Il n'a ainsi pas entériné l'opinion qui préconisait une répartition en proportion des travaux effectués sur chaque parcelle (DIETER ZOBL, Das Bauhandwerkerpfandrecht de lege lata und de lege ferenda, in RDS 1982 II 129 sous-note 541, suivi par ARTHUR MATHIS, Das Bauhandwerkerpfandrecht in der Gesamtüberbauung und im Stockwerkeigentum, 1988, p. 146,
contra ANDRÉ BRITSCHGI, Das belastete Grundstück beim Bauhandwerkerpfandrecht, 2008, p. 88, favorable à la solution du Tribunal fédéral). Par ailleurs, l'autorité de céans n'a pas eu l'occasion de discuter l'avis exprimé postérieurement, plaidant pour une répartition proportionnelle à la valeur des parcelles, y compris lorsqu'elles restent en mains du même propriétaire (JOSETTE MOULLET OBERSON, La division des biens-fonds, 1993, p. 238-240).
Il appert ainsi que la jurisprudence précitée ne prescrit en tout cas pas de répartir le gage en fonction de la
valeur des travaux. L'entreprise a adopté la prémisse que le gage collectif n'était pas possible (procès-verbal d'audience du 16 janvier 2019), quand bien même une telle garantie avait été provisoirement inscrite sur les quatre parcelles; elle a sollicité une répartition en fonction de la surface. L'autorité précédente a suivi cette conclusion en tant qu'elle se rapportait à la parcelle 1, dont elle a retenu qu'elle était identique (ou quasi identique) aux autres. Force est d'admettre que cette solution - dont l'entreprise ne s'est pas plainte - ne viole pas le droit fédéral
au préjudice de la nouvelle propriétaire.
Par surabondance, le maître et précédent propriétaire avait déclaré à l'audience du 16 janvier 2019 que les quatre parcelles comprenaient deux fois deux villas jumelées (une sur chaque parcelle) et que "les quatre unités [étaie]nt parfaitement identiques" (arrêt p. 20
i.f.). La recourante objecte que
la plus-value des travaux n'est pas nécessairement identique pour chaque unité. Il est pourtant concevable d'interpréter en ce sens les propos tenus par le maître, qui sont teintés d'ambiguïté. La recourante brandit une dénégation insuffisamment motivée; elle invoque à titre d'exemple "[d]es différences dans l'exécution des travaux de terrassement entre les villas D1/D2 et C1/C2". La lecture des allégués auxquels elle renvoie permet tout au plus d'en constater le caractère obscur, ce qui clôt la discussion.
III. Conclusion
11.
En définitive, le recours doit être rejeté dans la mesure où il est recevable. Les recourants supporteront l'intégralité des frais judiciaires, à parts égales et solidairement entre eux ( art. 66 al. 1 et 5 LTF ). Ils seront tenus, dans cette même mesure, de verser une indemnité à leur adverse partie pour ses frais d'avocat ( art. 68 al. 1, 2 et 4 LTF ).
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :
1.
Le recours est rejeté dans la mesure où il est recevable.
2.
Les frais de procédure, fixés à 5'000 fr., sont mis à la charge des recourants, solidairement entre eux.
3.
Les recourants sont condamnés solidairement à verser à l'intimée une indemnité de 6'000 fr. à titre de dépens.
4.
Le présent arrêt est communiqué aux parties et à la I re Cour d'appel civil du Tribunal cantonal du canton de Fribourg.
Lausanne, le 26 août 2022
Au nom de la I re Cour de droit civil
du Tribunal fédéral suisse
La Présidente : Hohl
La Greffière : Monti