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Bundesgericht 
Tribunal fédéral 
Tribunale federale 
Tribunal federal 
 
                 
 
 
6B_1185/2019  
 
 
Arrêt du 13 janvier 2020  
 
Cour de droit pénal  
 
Composition 
M. et Mmes les Juges fédéraux Denys, Président, Jacquemoud-Rossari et van de Graaf. 
Greffière : Mme Kistler Vianin. 
 
Participants à la procédure 
A.________ SA, 
représentée par Maîtres Nicolas Jeandin et Alisa Ramelet-Telqiu, avocats, 
recourante, 
 
contre  
 
Ministère public de la République et canton de Genève, 
intimé. 
 
Objet 
Ordonnance de non-entrée en matière (abus de confiance, faux dans les titres, etc.), 
 
recours contre l'arrêt de la Cour de justice de la République et canton de Genève, Chambre pénale de recours, du 12 septembre 2019 (P/13413/2018 ACPR/699/2019). 
 
 
Faits :  
 
A.   
Par ordonnance du 15 avril 2019, le Ministère public genevois a refusé d'entrer en matière sur la plainte pénale déposée par A.________ SA contre, notamment, B.________, C.________, D.________ et E.________ SA pour les infractions définies aux art. 138, 164, 165, 166, 167, 251 et 325 CP. 
 
B.   
Par arrêt du 12 septembre 2019, la Chambre pénale de recours de la Cour de justice genevoise a admis partiellement le recours formé par A.________ SA dans la mesure de sa recevabilité. Elle a déclaré irrecevable le recours en ce qui concerne les infractions aux art. 251, 166 et 325 CP pour défaut de qualité pour recourir. Elle a confirmé l'ordonnance de non-entrée en matière attaquée concernant l'infraction à l'art. 138 CP et annulé cette ordonnance dans la mesure où elle portait sur les infractions définies aux art. 164, 165 et 167 CP, renvoyant la cause au Ministère public genevois pour qu'il procède dans le sens des considérants. 
 
En substance, elle a retenu les faits suivants: 
 
B.a. Au début des années 2000, A.________ SA, société qui exploite un bureau d'architecture à F.________, a établi un projet de construction de vingt villas contiguës en terrasse sur une parcelle de la commune de G.________.  
En février 2006, la dite parcelle a été acquise par H.________ SA, constituée spécialement pour réaliser ce projet immobilier. Trois personnes siégeaient au conseil d'administration de H.________ SA, à savoir B.________ (en qualité de président), D.________ (jusqu'en 2013) et C.________ (de 2006 à 2013). E.________ SA était le réviseur de la société (jusqu'en 2014). 
 
B.b. Il a été convenu que H.________ SA, mandatée en qualité d'entrepreneur général par les acquéreurs des villas, rémunérerait les quatre types de prestations suivantes exécutées par A.________ SA: celles dites " ordinaires ", correspondant au projet initial (1); l'activité induite par les modifications effectuées à la demande de H.________ SA (2) ou des propriétaires des maisons (3); le temps consacré à l'examen de certaines requêtes des acquéreurs, in fine non réalisées (4). Dans la mesure où A.________ SA n'entretenait aucune relation contractuelle avec les maîtres de l'ouvrage, H.________ SA facturerait à ces derniers les prestations susmentionnées, à savoir (3) et (4), qu'elle rétrocéderait ensuite à la société d'architecte en tout ou en partie selon les cas.  
Après l'achèvement des travaux, H.________ SA a refusé de rétrocéder à A.________ SA les honoraires d'architecte lui revenant. Par arrêt du 23 juin 2017, la Chambre civile de la Cour de justice genevoise a chiffré à 876'373 fr. le solde d'honoraires dû à A.________ SA, avec intérêts à 5% l'an dès le 15 avril 2008, sous imputation de la somme de 13'022 fr., plus intérêts à 5 % l'an dès le 17 décembre 2008. 
Entre 2009 et 2016, une provision relative aux honoraires réclamés par A.________ SA a été inscrite au passif des bilans de H.________ SA. Initialement créée en 2009 à hauteur de 970'000 fr. pour le " litige architecte ", cette provision ne subsistait qu'à hauteur de 255'000 fr. en 2016. 
 
H.________ SA a été déclarée en faillite le 28 septembre 2017. 
 
B.c. Le 16 juillet 2018, A.________ SA a déposé une plainte pénale contre les administrateurs et le réviseur de H.________ SA pour les infractions définies aux art. 138, 164, 165, 166, 167, 251 et 325 CP.  
 
En substance, elle a fait valoir que H.________ SA, à savoir pour elle ses administrateurs, s'était - en conservant les honoraires des prestations (3) et (4) qu'elle avait facturés au nom et pour le compte de l'architecte - appropriée ces montants, qu'elle avait utilisés à d'autres fins que celles convenues, essentiellement pour enrichir ses actionnaires et les proches de B.________ (art. 138 CP). Pour légitimer cet enrichissement, elle aurait procédé à un montage comptable, en réduisant progressivement la provision " litige architecte ", au mépris du principe de prudence pourtant applicable en la matière; ce montage serait constitutif de faux dans les titres (art. 251 CP), puisqu'il aurait eu pour conséquence de faire apparaître la société comme saine, repoussant de plusieurs années un dépôt de bilan inéluctable, le temps de vider H.________ SA de sa substance. Les agissements de cette dernière seraient, par ailleurs, constitutifs d'infractions dans la faillite, notamment de diminution de l'actif au préjudice des créanciers (art. 164 CP) - réalisée par le biais tant du versement de dividendes que du paiement de montants substantiels à la " sphère B.________ " -, de gestion fautive (art. 165 CP) - au vu de l'absence de dépôt de bilan en temps utile, absence qui aurait provoqué une aggravation du passif -, voire d'avantages accordés à certains créanciers (art. 167 CP) - privilégiant, alors qu'elle se savait insolvable, le règlement de certaines factures (supposément dues) au détriment du solde de la créance litigieuse. H.________ SA aurait également enfreint les art. 166 CP (violation de l'obligation de tenir une comptabilité) et 325 al. 1 CP (inobservation des prescriptions légales sur la comptabilité), en procédant aux manipulations comptables sus-décrites. Pour finir, elle aurait violé l'art. 325 al. 2 CP, en s'abstenant de conserver, pendant dix ans, une documentation comptable complète pour les années 2007 et 2008 - l'office compétent ne disposant que d'une partie des pièces relatives à ces exercices -, vraisemblablement pour dissimuler l'utilisation qu'elle aurait faite des nombreux fonds reçus, à cette époque, des propriétaires de villas. 
 
C.   
Contre cet arrêt cantonal, A.________ SA dépose un recours en matière pénale devant le Tribunal fédéral. Elle conclut à l'annulation de l'arrêt attaqué en tant qu'il confirme l'ordonnance de non-entrée en matière s'agissant des infractions définies aux art. 138, 166, 251 et 325 CP et au renvoi de la cause au Ministère public pour qu'il ouvre formellement une instruction à l'encontre de H.________ SA en liquidation, B.________, C.________, D.________, E.________ SA pour ces infractions. 
 
 
Considérant en droit :  
 
1.   
Le Tribunal fédéral examine d'office sa compétence (art. 29 al. 1 LTF) et contrôle librement la recevabilité des recours qui lui sont soumis (ATF 144 II 184 consid. 1 p. 186; 143 IV 357 consid. 1 p. 358). 
 
1.1. Dans la mesure où l'arrêt attaqué déclare le recours cantonal de la recourante irrecevable en ce qui concerne les infractions aux art. 166, 251 et 325 CP en raison d'un défaut d'un intérêt juridiquement protégé, cela équivaut à un déni de justice formel, sur lequel il convient d'entrer en matière (cf. ATF 143 I 344 consid. 1.2 p. 346). La cour de céans traitera donc la question de l'irrecevabilité du recours cantonal concernant ces infractions sous considérant 2.  
 
1.2. Pour le surplus, l'arrêt attaqué confirme l'ordonnance de non-entrée en matière pour l'infraction d'abus de confiance et renvoie la cause au ministère public pour certaines infractions dans la faillite, infractions dénoncées dans le contexte de la réalisation du projet immobilier sur la commune de G.________. Dans cette mesure, il constitue une décision incidente (cf. ATF 133 IV 137 consid. 2.3 p. 139; arrêt 6B_88/2019 du 25 mars 2019 consid. 1.1.3; arrêt 1B_405/2011 précité consid. 1.3, publié in RtiD 2012 II 182 consid. 1 et 2). Dès lors que le même contexte de fait est concerné pour les éventuelles infractions dans la faillite et l'abus de confiance, une décision partielle (art. 91 LTF) ne saurait entrer en considération pour l'abus de confiance. Une procédure indépendante est donc exclue pour cette infraction. Comme l'arrêt attaqué ne porte pas sur la compétence ou sur une demande de récusation (art. 92 LTF), il ne peut faire l'objet d'un recours en matière pénale (art. 78 ss LTF) qu'aux conditions de l'art. 93 al. 1 LTF, à savoir s'il peut causer un préjudice irréparable à son destinataire (art. 93 al. 1 let. a LTF) ou si l'admission du recours peut conduire immédiatement à une décision finale qui permet d'éviter une procédure probatoire longue et coûteuse (art. 93 al. 1 let. b LTF). Il appartient au recourant d'expliquer en quoi la décision incidente qu'il attaque remplit les conditions de l'art. 93 al. 1 LTF, à moins que celles-ci ne fassent d'emblée aucun doute (ATF 136 IV 92 consid. 4 p. 95; plus récemment: arrêt 6B_587/2018 du 22 août 2018 consid. 1.2).  
 
La cour de céans ne voit pas en quoi l'arrêt attaqué pourrait causer en l'espèce un préjudice irréparable à la recourante. Par préjudice irréparable, on entend un préjudice juridique, c'est-à-dire qui ne peut pas être réparé ultérieurement, notamment par un jugement final (ATF 133 IV 137 consid. 2.3 p. 139). Un dommage de pur fait, comme la prolongation de la procédure ou un accroissement des frais de celle-ci, n'est pas considéré comme irréparable (ATF 138 III 190 consid. 6 p. 192; 133 IV 139 consid. 4 p. 141 et les références citées). Dès lors que le ministère public doit ouvrir une instruction pour déterminer si une infraction dans la faillite a été commise, il ne peut pas être exclu qu'il découvre en cours d'enquête des éléments susceptibles de justifier la réouverture de la procédure pour les autres infractions, en particulier l'abus de confiance (art. 310 al. 2 CPP; art. 323 CPP). En outre, la recourante pourra, si nécessaire, toujours attaquer le jugement final concernant ces autres infractions (art. 93 al. 3 LTF). Par ailleurs, on ne se trouve pas dans un cas où l'admission du recours pourrait conduire immédiatement à une décision finale qui permettrait d'éviter une procédure longue et couteuse (art. 93 al. 1 let. b LTF). Ainsi, aucune des deux conditions alternatives de l'art. 93 al. 1 LTF n'est réalisée. L'arrêt attaqué ne peut donc pas faire l'objet d'un recours immédiat au Tribunal fédéral en ce qui concerne l'abus de confiance. 
 
2.   
Selon l'art. 382 al. 1 CPP, toute partie qui a un intérêt juridiquement protégé à l'annulation ou à la modification d'une décision a qualité pour recourir contre celle-ci. L'art. 104 al. 1 let. b CPP précise que la qualité de partie est reconnue à la partie plaignante. 
 
2.1. Aux termes de l'art. 118 al. 1 CPP, on entend par partie plaignante le lésé qui déclare expressément vouloir participer à la procédure pénale comme demandeur au pénal ou au civil. La notion de lésé est définie à l'art. 115 CPP. Il s'agit de toute personne dont les droits ont été touchés directement par une infraction. En règle générale, seul peut se prévaloir d'une atteinte directe le titulaire du bien juridique protégé par la disposition pénale qui a été enfreinte (ATF 141 IV 1 consid. 3.1 p. 5 s.).  
 
2.2. L'art. 251 CP protège, en tant que bien juridique, d'une part, la confiance particulière placée dans un titre ayant valeur probante dans les rapports juridiques et, d'autre part, la loyauté dans les relations commerciales (ATF 142 IV 119 consid. 2.2 p. 121 s. et les références citées). Le faux dans les titres peut également porter atteinte à des intérêts individuels, en particulier lorsqu'il vise précisément à nuire à un particulier (ATF 140 IV 155 consid. 3.3.3 p. 159; 119 Ia 342 consid. 2b p. 346 s. et les références citées). Tel est le cas lorsque le faux est l'un des éléments d'une infraction contre le patrimoine, la personne dont le patrimoine est menacé ou atteint ayant alors la qualité de lésé (ATF 119 Ia 342 consid. 2b p. 346 s.; arrêts 6B_655/2019 du 12 juillet 2019 consid. 4.3.3; 6B_1274/2018 du 22 janvier 2019 consid. 2.3.1).  
 
L'art. 166 CP punit le débiteur qui contrevient à l'obligation légale de tenir régulièrement ou de conserver ses livres de comptabilité, ou de dresser un bilan, de façon qu'il est devenu impossible d'établir sa situation ou de l'établir complètement s'il a été déclaré en faillite ou si un acte de défaut de biens a été dressé contre lui à la suite d'une saisie. L'art. 325 CP sanctionne l'inobservation des prescriptions légales sur la comptabilité; il est subsidiaire à l'art. 166 CP, dans la mesure où il n'exige pas que l'auteur ait été déclaré en faillite ni qu'un acte de défaut de biens ait été dressé contre lui (arrêt 6S.132/2000 du 24 août 2000 consid. 2a). 
 
L'obligation de tenir une comptabilité et de dresser un bilan sert tant à informer l'entreprise elle-même que les créanciers qui ont accordé des crédits. Si la situation patrimoniale d'une société ne peut pas être établie, parce qu'il n'existe pas de bilan ou un bilan défectueux, sont mis en danger les intérêts financiers des personnes précitées, mais aussi, selon les circonstances, le déroulement des procédures de poursuite et faillite ainsi que la sauvegarde des preuves (arrêt 6S.132/2000 du 24 août 2000 consid. 2a; JULIEN DÉLÈZE, in Commentaire romand, Code pénal II, 2017, n° 1 ad art. 325 CP; NIGGLI/ HAGENSTEIN, Strafrecht II, 4e éd., 2019, n° 7 ss ad art. 325 CP). 
 
2.3. La recourante reproche à H.________ SA de ne pas lui avoir rétrocédé le montant des honoraires d'architecte versés par les acquéreurs des villas, mais de les avoir utilisés pour enrichir ses actionnaires et les proches de B.________. Selon la recourante, pour légitimer cet enrichissement, H.________ SA aurait procédé à un " montage " comptable, en réduisant progressivement la provision " litige architecte ", procédé qui serait constitutif de faux dans les titres et qui contreviendrait aux art. 164, 165 ou 167 CP.  
 
Dans l'arrêt attaqué, la cour cantonale a nié tout abus de confiance, mais a considéré qu'il existait des soupçons suffisants de la commission d'une ou plusieurs infractions dans la faillite et a renvoyé la cause au Ministère public pour qu'il ouvre une instruction. Elle n'a notamment pas exclu que la diminution progressive du montant inscrit comme provision contreviendrait aux art. 164, 165 ou 167 CP (arrêt attaqué p. 14). 
 
La cour cantonale a dénié la qualité pour recourir à la recourante s'agissant des infractions aux art. 166, 251 et 325 CP au motif que son patrimoine n'aurait pas été directement lésé par la commission de ces infractions. Elle a exposé que la recourante n'avait été lésée que dans la mesure où elle n'avait pas pu récupérer le montant (intégral) de ses honoraires à la suite de la faillite, ce qui était le propre d'un dommage par ricochet. 
 
Ce raisonnement ne peut toutefois pas être suivi. En effet, les infractions aux art. 166, 251 et 325 CP, qui auraient permis selon la recourante de maquiller la situation comptable réelle de H.________ SA, sont en lien direct avec les infractions dans la faillite. A l'instar de celles-ci, le faux dans les titres est donc propre à nuire aux intérêts de la recourante en sa qualité de créancière. Les art. 166 et 325 CP tendent à protéger les créanciers. La recourante a donc bien la qualité de lésée et c'est donc à tort que la cour cantonale ne lui a pas reconnu la qualité pour recourir en ce qui concerne les infractions aux art. 166, 251 et 325 CP. Le recours doit donc être admis sur ce point, l'arrêt attaqué doit être annulé et la cause doit être renvoyée à la cour cantonale pour nouvelle décision. 
 
3.   
Le recours doit être partiellement admis, l'arrêt attaqué annulé et la cause renvoyée à la cour cantonale pour un nouveau jugement en ce qui concerne les infractions aux art. 166, 251 et 325 CP. Pour le surplus, le recours doit être déclaré irrecevable. Il peut être procédé au renvoi sans ordonner préalablement un échange d'écritures. En effet, vu la nature procédurale du vice examiné, le Tribunal fédéral n'a pas traité la cause sur le fond et n'a ainsi pas préjugé de l'issue de la cause (cf. ATF 133 IV 293 consid. 3.4.2 p. 296; arrêt 6B_248/2019 du 29 mars 2019 consid. 3). 
 
La recourante qui obtient gain de cause a droit à des dépens à la charge du canton de Genève (art. 68 al. 1 LTF). Il n'est pas perçu de frais judiciaires (art. 66 al. 4 LTF). 
 
 
 Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :  
 
1.   
Le recours est partiellement admis, l'arrêt attaqué est annulé et la cause est renvoyée à la cour cantonale pour nouveau jugement en ce qui concerne les infractions aux art. 166, 251 et 325 CP. Pour le surplus, le recours est irrecevable. 
 
2.   
Il n'est pas perçu de frais judiciaires. 
 
3.   
Le canton de Genève versera à la recourante une indemnité de 3000 fr. à titre de dépens pour la procédure devant le Tribunal fédéral. 
 
4.   
Le présent arrêt est communiqué aux parties et à la Cour de justice de la République et canton de Genève, Chambre pénale de recours. 
 
 
Lausanne, le 13 janvier 2020 
 
Au nom de la Cour de droit pénal 
du Tribunal fédéral suisse 
 
Le Président : Denys 
 
La Greffière : Kistler Vianin