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Tribunale federale 
Tribunal federal 
 
{T 0/2} 
1A.144/2005 /col 
 
Arrêt du 15 juillet 2005 
Ire Cour de droit public 
 
Composition 
MM. les Juges Féraud, Président, 
Reeb et Eusebio. 
Greffier: M. Zimmermann. 
 
Parties 
la société B.________, 
recourante, représentée par Me Alain Bruno Lévy 
et Me Martine Gruaz, avocats, 
 
contre 
 
Ministère public de la Confédération, 
Taubenstrasse 16, 3003 Berne. 
 
Objet 
Entraide judiciaire internationale en matière pénale avec la France, 
 
recours de droit administratif contre l'ordonnance du Ministère public de la Confédération du 25 avril 2005. 
 
Faits: 
A. 
Le 10 novembre 2004, le Procureur général de la Cour d'appel de Paris a adressé à l'Office fédéral de la justice (ci-après: l'Office fédéral) une demande d'entraide fondée sur la Convention européenne d'entraide judiciaire en matière pénale (CEEJ; RS 0.351.1), entrée en vigueur pour la Suisse le 20 mars 1967 et le 21 août 1981 pour la France, ainsi que sur l'accord bilatéral complétant cette Convention, entré en vigueur le 1er mai 2000 (ci-après: l'Accord complémentaire; RS 0.351.934.92). La demande était présentée pour les besoins de l'enquête conduite contre inconnu par Renaud van Ruymbeke, Premier Juge d'instruction auprès de la Cour d'appel de Paris, pour des faits de blanchiment. 
Selon l'exposé des faits, daté du 2 novembre 2004, la demande s'inscrit dans le sillage de celles présentées en mars 2002, et concerne les activités de blanchiment, en lien avec des délits terroristes, commis dans la gestion de la société C.________, dirigée par le ressortissant saoudien et suisse Yeslam Ben Laden (ou Bin Ladin), demi-frère d'Oussama Ben Laden, chef de l'organisation terroriste Al Qaida. La demande tendait notamment à la remise de la documentation relative aux comptes ouverts auprès de la la banque X.________ à Genève au nom d'une société dénommée B.________. 
Le 19 novembre 2004, l'Office fédéral a délégué l'exécution de la demande au Ministère public de la Confédération. 
Celui-ci a, le 7 décembre 2004, rendu une décision d'entrée en matière par laquelle il a enjoint notamment la la banque X.________ à lui remettre les documents requis. 
Le 23 décembre 2004, la banque a communiqué notamment la docu-mentation concernant les comptes n°yyy et zzz, dont la société B.________ est la titulaire. 
Le 24 janvier 2005, le Ministère public a rendu une décision d'entrée en matière complémentaire, autorisant les représentants de l'Etat requérant à participer à l'exécution de la demande. Il a notifié cette décision notamment à B.________, en y joignant la décision d'entrée en matière du 7 décembre 2004, sous une forme expurgée. 
Le 25 février 2005, B.________ s'est opposée à la remise simplifiée, au sens de l'art. 80c de la loi fédérale sur l'entraide internationale en matière pénale, du 20 mars 1981 (EIMP; RS 351.1), de la documentation concernant ses comptes. 
Le 25 avril 2005, le Ministère public a rendu une décision de clôture partielle de la procédure d'entraide, portant sur la remise de la documentation relative aux comptes n°yyy et zzz. 
B. 
Agissant par la voie du recours de droit administratif, B.________ demande au Tribunal fédéral d'annuler les décisions des 7 décembre 2004 et 25 avril 2005, et de déclarer la demande irrecevable. Elle invoque les art. 29 al. 2 Cst., 14 CEEJ et 28 EIMP, ainsi que les principes de la spécialité et de la proportionnalité. 
L'Office fédéral et le Ministère public concluent au rejet du recours dans la mesure de sa recevabilité. 
 
Le Tribunal fédéral considère en droit: 
1. 
La matière est régie par la CEEJ et l'Accord complémentaire, dont les dispositions l'emportent sur l'EIMP et son ordonnance d'exécution (OEIMP; RS 351.11). Celles-ci restent toutefois applicables aux questions non réglées, explicitement ou implicitement, par les traités, et lorsqu'elles sont plus favorables à l'entraide qu'eux (ATF 123 II 134 consid. 1a p. 136; 122 II 140 consid. 2 p. 142; 120 Ib 120 consid. 1a p. 122/123, et les arrêts cités). 
La voie du recours de droit administratif est ouverte contre la décision confirmant la transmission de la documentation bancaire à l'Etat requérant (cf. art. 25 al. 1 EIMP). Elle est aussi ouverte, simultanément avec le recours dirigé contre la décision de clôture (art. 80d EIMP), contre les décisions incidentes antérieures (art. 80e EIMP), soit notamment la décision d'entrée en matière (ATF 125 II 356 consid. 5c p. 363). Les conclusions qui vont au-delà de l'annulation de la décision sont recevables (art. 25 al. 6 EIMP; art. 114 OJ; ATF 122 II 373 consid. 1c p. 375; 118 Ib 269 consid. 2e p. 275; 117 Ib 51 consid. 1b p. 56, et les arrêts cités). Dans les domaines, comme la coopération judiciaire en matière pénale, relevant de la juridiction administrative fédérale, le recours de droit administratif permet aussi de soulever le grief de la violation des droits constitutionnels, en relation avec l'application du droit fédéral (ATF 124 II 132 consid. 2a p. 137, et les arrêts cités). 
2. 
La recourante critique le fait de n'avoir reçu qu'une version expurgée de la demande d'entraide. Elle y voit une violation de son droit d'être entendue. 
2.1 Les parties ont le droit de s'expliquer avant qu'une décision ne soit prise à leur détriment, de fournir des preuves quant aux faits de nature à influer sur la décision, d'avoir accès au dossier, de participer à l'administration des preuves, d'en prendre connaissance et de se déterminer à leur propos (art. 29 al. 2 Cst.; ATF 129 I 85 consid. 4.1 p. 88/89; 129 II 497 consid. 2.2 p. 504/505; 127 I 54 consid. 2b p. 56, et les arrêts cités). L'accès au dossier peut être supprimé ou limité dans la mesure où l'intérêt public ou l'intérêt prépondérant de tiers, voire du requérant lui-même, exigent que tout ou partie des documents soient tenus secrets (ATF 126 I 7 consid. 2b p. 10; 122 I 153 consid. 6a p. 161, et les arrêts cités). Dans cette hypothèse, conformément au principe de la proportionnalité, l'autorité doit autoriser l'accès aux pièces dont la consultation ne compromet pas les intérêts en cause (ATF 126 I 7 consid. 2b p. 10/11; 122 I 153 consid. 6a p. 161, et les arrêts cités); elle doit aussi communiquer à l'intéressé la teneur essentielle des documents secrets sur lesquels se fonde son prononcé (ATF 115 Ia 293 consid. 5c p. 304; voir aussi ATF 119 Ib 12 consid. 6b p. 20; 112 Ia 97 consid. 5b p. 101; cf. art. 26-28 PA). 
Dans le domaine de la coopération internationale en matière pénale, ces principes sont mis en oeuvre par l'art. 80b EIMP, aux termes duquel les ayants droit peuvent consulter le dossier, si la sauvegarde de leurs intérêts l'exige (al. 1). Ce droit peut être restreint, aux termes de l'al. 2 de la même disposition, que si cela est imposé par l'intérêt de la procédure conduite à l'étranger (let. a); la protection d'un intérêt juridique important, si l'Etat requérant le demande (let. b); la nature ou l'urgence des mesures à prendre (let. c); la protection d'intérêts privés importants (let. d) ou l'intérêt d'une procédure conduite en Suisse (let. e). Le refus d'autoriser la consultation du dossier ne s'étend qu'aux actes qu'il y a lieu de garder secrets (al. 3). Les parties ont en principe le droit de consulter la demande et ses annexes. Cela n'exclut pas que certains passages de ces pièces soient cachés, afin de protéger les intérêts mentionnés à l'art. 80b al. 2 EIMP. Encore faut-il que l'ayant droit soit en mesure, sur la base des indications données, de saisir l'objet et le but de la demande, de manière à pouvoir faire valoir efficacement ses droits, notamment pour ce qui concerne la condition de la double incrimination et le respect du principe de la proportionnalité (cf. arrêts 1A.131/2001 du 2 octobre 2001, consid. 2b; 1A.146/ 1999 du 7 septembre 1999, consid. 2a; 1A.50/1993 du 6 mai 1993 consid. 3b). 
2.2 L'exposé des faits joints à la demande comprend quatre pages. Il rappelle le contexte d'une enquête ouverte le 5 décembre 2001, et ses principales étapes, s'agissant notamment de l'identification des liens qui rattacheraient Yeslam Bin Ladin à Al Qaida. Pour ce qui concerne la recourante, la demande contient un passage topique comportant douze lignes (troisième page de l'exposé des faits, cinquième page de la demande). A comparer à la version intégrale, celle remise à la recourante le 24 janvier 2005 est réduite à sa plus simple expression. Elle comprend, en tout et pour tout, le paragraphe introductif de la demande, la désignation de la recourante, ainsi que la partie conclusive décrivant les mesures requises à son égard. Le solde, soit toutes les indications permettant de rattacher les comptes de la recourante à la procédure ouverte en France, a été effacé. Cela a eu pour effet d'empêcher la recourante de saisir - même de manière minimale - les tenants et aboutissants de la demande, son objet et de vérifier le respect des conditions de l'entraide. Son droit d'être entendue a été violé. 
2.3 Dans sa réponse du 23 juin 2005, le Ministère public fait valoir que la version de la demande remise à la recourante a été caviardée pour protéger les intérêts de Yeslam Bin Ladin. Il se prévaut ainsi, de manière implicite, de l'art. 80b al. 2 let. d EIMP. A tort, cependant. En effet, la mention des sociétés gérées par Yeslam Bin Ladin dans les procédures ouvertes notamment aux Etats-Unis d'Amérique en relation avec Al Qaida, est notoire. Ce lien présumé avec l'organisation terroriste dirigée par Oussama Ben Laden, a nourri la presse suisse et internationale depuis des mois. L'intérêt supposé de Yeslam Bin Ladin de ne pas apparaître dans la demande, lié à la protection de sa sphère privée, n'est ainsi pas de nature à restreindre le droit d'être entendu de la recourante. Pour le surplus, le Ministère public ne fait état d'aucun intérêt, visé à l'art. 80b al. 2 EIMP, qui justifierait de tenir la demande secrète, en tout ou partie. En particulier, il n'allègue pas que les autorités françaises auraient requis la confidentialité à ce propos. Enfin, en tout état de cause, le Ministère public a omis de communiquer à la recourante la teneur essentielle des passages caviardés de la demande. 
2.4 Dans la même réponse, le Ministère public a proposé de remédier à ce défaut, en résumant la partie de la demande qui n'a pas été communiquée à la recourante. Le Tribunal fédéral a renoncé à inviter la recourante à se déterminer sur ce point, car une éventuelle guérison, dans le cadre de la procédure du recours de droit administratif, de la violation du droit d'être entendu de la recourante paraît de toute manière exclue. En effet, même à supposer que le résumé proposé soit suffisant, il n'appartient pas au Tribunal fédéral de vérifier s'il existe des intérêts (au sens de l'art. 80b al. 2 EIMP) justifiant de ne pas remettre à la recourante la version intégrale de la demande. En outre, il n'est pas certain que le résumé, tel que proposé, permette à la recourante de vérifier en connaissance de cause le respect notamment de la condition de la double incrimination et du principe de la proportionnalité. 
2.5 Rien ne laisse à penser que la recourante aurait eu connaissance de la demande par un autre canal - celui de son ayant droit ou de son mandataire, par exemple - ni dans le cadre de l'exécution d'une demande antérieure ou connexe. 
3. 
Le recours doit ainsi être admis sous l'angle du droit d'être entendu, et la décision de clôture du 25 avril 2005 annulée, sans qu'il soit nécessaire d'examiner les autres griefs de la recourante. Le recours étant admis pour un motif formel, il n'y a pas lieu d'annuler la décision d'entrée en matière du 7 décembre 2004. Celle-ci doit être maintenue au moins jusqu'au prononcé d'une nouvelle décision de clôture, dans le cadre de laquelle le défaut lié à la consultation du dossier devra être redressé. La cause est renvoyée à cette fin au Ministère public. Il est statué sans frais (art. 156 OJ). Le Ministère public versera à la recourante une indemnité pour ses dépens (art. 159 OJ). 
 
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce: 
1. 
Le recours est admis et la décision du 25 avril 2005 annulée. 
2. 
La cause est renvoyée au Ministère public pour nouvelle décision. 
3. 
Il est statué sans frais. Le Ministère public de la Confédération versera à la recourante une indemnité de 2000 fr. à titre de dépens. 
4. 
Le présent arrêt est communiqué en copie au mandataire de la recourante et au Ministère public de la Confédération, ainsi qu'à l'Office fédéral de la justice (B 129629/01). 
Lausanne, le 15 juillet 2005 
Au nom de la Ire Cour de droit public 
du Tribunal fédéral suisse 
Le président: Le greffier: