Bundesgericht
Tribunal fédéral
Tribunale federale
Tribunal federal
1C_238/2017
Arrêt du 24 mai 2018
Ire Cour de droit public
Composition
MM. les Juges fédéraux Merkli, Président,
Karlen, Fonjallaz, Eusebio et Chaix.
Greffière : Mme Arn.
Participants à la procédure
1. A.A.________ et B.A.________,
2. C.C.________ et D.C.________,
3. E.E.________ et F.E.________,
tous représentés par Me Jacques Fournier, avocat,
recourants,
contre
1. G.________,
2. H.________,
tous les deux représentés par Me François Mudry, avocat,
intimés,
Commune d'Ayent, route d'Anzère 1, 1966 Ayent,
Conseil d'Etat du canton du Valais, place de la Planta, Palais du Gouvernement, 1950 Sion,
Objet
permis de construire,
recours contre l'arrêt du Tribunal cantonal du canton
du Valais, Cour de droit public, du 10 mars 2017
(A1 16 237).
Faits :
A.
G.________, ressortissant danois, et H.________, ressortissant britannique, sont propriétaires de la parcelle n° 8494 du cadastre de la commune d'Ayent. D'une surface de 999 m
2, cette parcelle, située dans la station d'Anzères, est colloquée en zone d'hôtel et d'habitat collectif. Sur le bien-fonds n° 317, situé en limite sud-ouest, est érigé un ancien hôtel servant de colonie de vacances.
Une demande d'autorisation de construire un immeuble résidentiel de huit appartements avec parking souterrain sur la parcelle n° 8494 a été déposée auprès de la Commune le 11 mai 2009. Mis à l'enquête publique le 15 mai 2009, le projet a suscité les oppositions de plusieurs propriétaires voisins. Après avoir recueilli les prises de position des organes cantonaux consultés, la Commune d'Ayent a délivré le permis de construire sollicité et a écarté les oppositions par décision du 2 juin 2010.
Par décision du 19 juin 2013, le Conseil d'Etat a rejeté le recours déposé par certains opposants; il a par ailleurs astreint les constructeurs, qui avaient proposé quelques modifications du projet en cours de procédure, à déposer des plans complémentaires relatifs à ces modifications (sorties de secours; installations de ventilations et d'évacuation d'air du garage souterrain), lesquels devaient être approuvés par la Commune avant la délivrance du permis d'habiter.
Le 6 février 2014, la Cour de droit public du Tribunal cantonal valaisan (ci-après: le Tribunal cantonal) a rejeté le recours déposé contre l'arrêt du Conseil d'Etat par des propriétaires voisins dont A.A.________ et B.A.________, C.C.________ et D.C.________, ainsi que E.E.________ et F.E.________. Il a notamment considéré que l'art. 75b Cst., limitant la construction de résidences secondaires, n'était pas applicable au projet litigieux, qui avait été autorisé avant l'entrée en vigueur de cette norme constitutionnelle et qui n'avait pas subi de modifications essentielles après cette date. Par arrêt du 14 janvier 2015, le Tribunal fédéral a déclaré irrecevable le recours interjeté par les voisins contre cet arrêt, déniant à celui-ci les caractéristiques d'une décision finale ou partielle.
B.
Le 29 mai 2015, G.________ et H.________ ont déposé des plans complémentaires relatifs aux sorties de secours et installations de ventilation et d'évacuation d'air (exutoires de fumée, sauts de loup) du garage souterrain, ainsi qu'à l'espace communautaire extérieur, couvrant 150 m
2 sur la partie sud de la parcelle, et à la circulation le long de l'accès projeté; ils ont demandé formellement la délivrance d'une autorisation de construire complémentaire à celle de 2010.
Le 10 décembre 2015, le conseil communal a, après avoir recueilli les préavis positifs de l'Office cantonal du feu et du Service cantonal de la protection de l'environnement, approuvé les plans complémentaires déposés et a délivré l'autorisation de construire, écartant l'opposition des voisins dont A.A.________ et B.A.________, C.C.________ et D.C.________, ainsi que E.E.________ et F.E.________ (ci-après: A.A.________ et consorts).
C.
Le 24 août 2016, le Conseil d'Etat a rejeté le recours déposé contre la décision communale.
Par arrêt du 10 mars 2017, le Tribunal cantonal a rejeté le recours déposé par A.A.________ et consorts. Il a notamment considéré que le projet litigieux n'était pas soumis à la nouvelle réglementation limitant les résidences secondaires. Il a renvoyé aux considérant de son arrêt du 6 février 2014 s'agissant des griefs qu'il avait déjà traités.
D.
A.A.________ et consorts forment un recours en matière de droit public contre l'arrêt du Tribunal cantonal. Ils se plaignent notamment d'une violation de la loi fédérale sur les résidences secondaires (LRS, RS 702), de la loi fédérale du 20 mars 2015 sur l'acquisition d'immeubles par des personnes à l'étranger (LFAIE, RS 211.412.41), du principe de coordination, ainsi que de différentes violations de la législation cantonale en matière de droit de la construction.
Par ordonnance du 23 mai 2017, le Président de la Ire Cour de droit public a accordé l'effet suspensif au recours.
Le Tribunal cantonal et le Conseil d'Etat renoncent à se déterminer. La Commune et les intimés concluent au rejet du recours, aux termes de leurs observations. Enfin, pour l'Office fédéral du développement territorial (OFDT), l'appréciation de l'instance précédente est contraire à l'art. 25 LRS, de sorte que le permis de construire doit être levé et la demande d'autorisation renvoyée pour examen à la lumière des dispositions du droit fédéral sur les résidences secondaires.
Considérant en droit :
1.
Dirigé contre une décision prise en dernière instance cantonale rendue dans le domaine du droit public des constructions, le recours est recevable comme recours en matière de droit public conformément aux art. 82 ss LTF, aucune des exceptions prévues à l'art. 83 LTF n'étant réalisée. Les recourants ont pris part à la procédure de recours devant le Tribunal cantonal. En tant que propriétaires de parcelles construites directement voisines du projet litigieux - qu'ils tiennent entre autres pour contraire à la législation limitant les résidences secondaires -, les époux C.________ sont particulièrement touchés par l'arrêt attaqué et peuvent ainsi se prévaloir d'un intérêt digne de protection à son annulation. Ils ont donc qualité pour recourir au sens de l'art. 89 al. 1 LTF. La qualité pour agir des autres recourants peut dès lors rester indécise. Les autres conditions de recevabilité étant au surplus réunies, il y a lieu d'entrer en matière sur le fond.
2.
Les recourants invoquent une violation de l'art. 25 LRS. L'instance précédente aurait violé le droit fédéral en s'écartant du texte clair de l'alinéa 1 de cette disposition. Ils insistent sur le fait que les constructeurs ne bénéficient d'aucune autorisation de construire, même partielle, entrée en force.
2.1.
2.1.1. L'art. 75b Cst. - qui interdit toute construction de résidences secondaires dans les communes où la proportion de 20% est déjà atteinte - est entré en vigueur le 11 mars 2012, le jour de son acceptation en votation populaire (RO 2012 3627 s.).
Dans deux arrêts de principe du 22 mai 2013 concernant le champ d'application temporel de l'art. 75b Cst., le Tribunal fédéral a rappelé que la légalité d'un acte administratif (y compris une autorisation de construire) doit en principe être examinée en fonction de l'état de droit prévalant au moment de son prononcé, sous réserve de l'existence de dispositions transitoires; en conséquence, l'autorité de recours applique le droit en vigueur au jour où l'autorité administrative a statué (cf. ATF 139 II 243 consid. 11.1 p. 259; 139 II 263 consid. 6 p. 267 et les références citées). Le Tribunal fédéral a donc jugé que cette disposition constitutionnelle limitant les résidences secondaires s'appliquait à toutes les autorisations de construire délivrées en première instance après le 11 mars 2012 (ATF 139 II 243 consid. 11.1 p. 260; 139 II 263 consid. 7 p. 268). Elle était également applicable aux permis de construire qui, après le 11 mars 2012, étaient modifiés dans une mesure importante dans le cadre d'une procédure de recours (ATF 139 II 263 consid. 7 p. 268). En revanche, le nouveau droit ne s'appliquait pas aux autorisations délivrées avant le 11 mars 2012, lesquelles restaient valables même si, en raison d'une procédure de recours, elles n'entraient en force qu'après cette date (ATF 139 II 243 consid. 11.6 p. 263; 139 II 263 consid. 3 p. 265).
2.1.2. Concrétisant l'art. 75b Cst., la LRS est entrée en vigueur le 1
er janvier 2016. Elle comporte des dispositions transitoires, dont l'art. 25 al. 1 LRS litigieux qui dispose que "la présente loi est applicable aux demandes d'autorisation de construire qui doivent faire l'objet d'une décision de première instance ou qui sont contestées par recours après son entrée en vigueur".
2.2. La loi s'interprète en premier lieu selon sa lettre. Selon la jurisprudence, il n'y a lieu de déroger au sens littéral d'un texte clair par voie d'interprétation que lorsque des raisons objectives permettent de penser que ce texte ne restitue pas le sens véritable de la disposition en cause. De tels motifs peuvent découler des travaux préparatoires (interprétation historique), du but de la règle et de son esprit (interprétation téléologique) ou encore de sa relation avec d'autres dispositions légales (interprétation téléologique), ainsi que de la systématique de la loi (ATF 142 IV 137 consid. 6.2 p. 142 s.; 141 III 53 consid. 5.4.1 p. 59), étant précisé que le Tribunal fédéral ne privilégie aucune méthode d'interprétation (ATF 140 V 227 consid. 3.2 p. 230; 139 IV 270 consid. 2.2 p. 273).
2.3. Dans l'arrêt entrepris, le Tribunal cantonal a tout d'abord relevé que, lorsqu'il a statué sur le fond de la cause en date du 6 février 2014, il a considéré, en se fondant sur la jurisprudence du Tribunal fédéral (cf. ci-dessus consid. 2.1.1), que l'autorisation de construire délivrée aux intimés avant le 11 mars 2012 échappait au régime prévu à l'art. 75b Cst. et que les modifications peu importantes du projet intervenues ultérieurement ne justifiaient pas une autre solution (ACDP A1 13 308 consid. 11.2). Le Tribunal cantonal a considéré que l'application de l'art. 25 al. 1 LRS, conformément à sa lettre, aboutirait en l'espèce à invalider le permis de bâtir contesté, ce qui ne correspondrait pas à la solution de droit transitoire dégagée par le Tribunal fédéral à laquelle le Message du Conseil fédéral du 19 février 2014 concernant la LRS s'est explicitement référé. La volonté du législateur fédéral de s'écarter de la solution de droit transitoire retenue par le Tribunal fédéral ne ressortait ni des travaux préparatoires ni du Message relatifs à la LRS. Par ailleurs, l'invalidation de l'autorisation de construire délivrée contreviendrait aux principes de sécurité du droit et de la bonne foi, étant en particulier relevé que l'on ne pouvait reprocher aux constructeurs d'avoir déposé leur demande (11 mai 2009) à un moment où ils devaient s'attendre à ce que le projet puisse se heurter au régime limitant la construction de résidences secondaires mis en votation en mars 2012.
En revanche, pour l'OFDT, la demande de permis doit être examinée à la lumière des nouvelles dispositions de droit fédéral sur les résidences secondaires. Selon lui, si le législateur entendait faire perdurer la solution transitoire élaborée par le Tribunal fédéral (cf. ATF 139 II 243 et 139 II 263), il n'aurait en aucun cas choisi une formulation explicite et non équivoque contraire à cette solution.
2.4. Selon le texte de l'art. 25 al. 1 LRS, la LRS est applicable aux autorisations de construire qui, au 1
er janvier 2016, sont, comme en l'espèce, contestées par recours, et donc pas encore entrées en force.
Certes, comme relevé par le Tribunal cantonal, le Message du Conseil fédéral précise que cette disposition de la LRS correspond aux principes de droit transitoire que le Tribunal fédéral a rappelés dans ses arrêts publiés du 22 mais 2013 (FF 2014 2238 ad art. 26 du projet LRS). Le Tribunal fédéral y avait notamment indiqué qu'un permis délivré avant l'entrée en vigueur de l'art. 75b Cst. restait valable, même si, en raison d'une procédure de recours, il n'entrait en force qu'après cette date. Toutefois, le Message précise ensuite expressément que "le nouveau droit des résidences secondaires s'applique aux demandes d'autorisation de construire non encore délivrées", à savoir aux demandes d'autorisation de construire qui n'ont pas encore fait l'objet d'une décision entrée en force, comme cela ressort plus précisément des versions allemande et italienne du Message (cf. FF 2014 2238; BBl 2014 2315: "auf noch nicht rechtskräftig bewilligte Baugesuche Anwendung"; FF 2014 2093: "alle domande di costruzione per le quali è stata rilasciata un'autorizzazione non ancora passata in giudicato").
Dans le même esprit, l'art. 10 LRS définit le "logement créé selon l'ancien droit" - dont le mode d'habitation est libre, sous réserve de restrictions d'utilisation de droit cantonal ou communal - comme un logement qui a été créé de manière conforme au droit en vigueur avant le 11 mars 2012 ou était au bénéfice d'une autorisation définitive à cette date. Lors de la consultation concernant les projets de la loi et de l'ordonnance sur les résidences secondaires, plusieurs cantons, communes et entités avaient demandé que les "logements créés selon l'ancien droit soient définis comme les logements qui, le 11 mars 2012, existaient légalement ou bénéficiaient d'une autorisation délivrée en première instance" (cf. rapport du 19 février 2014 sur les résultats de la consultation concernant les projets de la loi et de l'ordonnance sur les résidences secondaires, pt. 8.1.2 p. 17). Le législateur n'a cependant pas repris cette proposition et a maintenu sa définition selon laquelle un logement créé selon l'ancien droit est celui qui bénéficie d'une autorisation définitive au 11 mars 2012 (cf. art. 10 LRS, art. 12 al. 1 du projet de la LRS).
Aussi, contrairement à l'opinion des juges précédents, l'art. 25 al. 1 LRS exprime clairement la volonté du législateur d'appliquer le nouveau droit aux demandes qui ne font pas l'objet d'une autorisation de construire entrée en force au 1er janvier 2016. Certes, cette solution - qui s'écarte de celle développée par le Tribunal fédéral jusqu'à l'entrée en vigueur de la LRS (cf. consid. 2.1.1 ci-dessus) - est critiquée par la doctrine (cf. ARON PFAMMATTER, in Stephan Wolf/Aron Pfammatter (éd.), Zweitwohnungsgesetz (ZWG) - unter Einbezug der Zweitwohnungs-verordnung (ZWV), 2017, n. 5 ad art. 10 LRS; JONAS ALIG, Das Zweitwohnungsgesetz, in ZBl 2016 p. 227, spéc. p. 245 note de bas de page n. 86; ALAIN GRIFFEL, Die Umsetzung der Zweitwohnungsinitiative - eine Zwischenbilanz, in ZBl 2014 p. 59 ss, spéc. p. 79 note de bas de page n. 85; cf. FABIAN MÖSCHING, Massnahmen zur Beschränkung von Zweitwohnungen, 2014, p. 206, lequel précise que la définition de logement existant présente l'inconvénient que les propriétaires dépendent de l'introduction ou non d'une opposition au permis délivré, pouvant en outre conduire à un résultat choquant si l'opposition se révèle a posteriori infondée). Il n'en demeure cependant pas moins que ce choix a été voulu par le législateur fédéral. La demande de permis de construire doit donc, conformément à l'art. 25 al. 1 LRS, être examinée également à la lumière des nouvelles dispositions de droit fédéral sur les résidences secondaires entrées en vigueur au 1er janvier 2016.
L'application du nouveau droit limitant les résidences secondaires au permis de construire litigieux apparaît certes sévère, mais elle est conforme à une disposition claire du droit fédéral (art. 190 Cst., ATF 141 II 280 consid. 9.2 p. 295 et la jurisprudence citée).
3.
Le recours doit dès lors être admis, au sens des considérants qui précèdent. Il y a lieu de renvoyer la cause à la cour cantonale à qui il appartiendra de décider si elle entend procéder elle-même à l'examen de la conformité du permis aux dispositions de la LRS ou si elle désire renvoyer la cause à une instance précédente (Commune ou Conseil d'Etat). Conformément aux art. 66 et 68 LTF , les frais judiciaires sont mis à la charge des intimés qui succombent, de même que l'indemnité de dépens allouée aux recourants, qui obtiennent gain de cause avec l'assistance d'un avocat.
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :
1.
Le recours est admis. L'arrêt attaqué est annulé et la cause est renvoyée à la Cour de droit public du Tribunal cantonal du canton du Valais pour nouvelle décision dans le sens des considérants.
2.
Une indemnité de dépens de 3'000 fr. est allouée aux recourants, à la charge solidaire des intimés.
3.
Les frais judiciaires, arrêtés à 2'000 fr., sont mis à la charge des intimés.
4.
Le présent arrêt est communiqué aux mandataires des parties, à la Commune d'Ayent, au Conseil d'Etat du canton du Valais, au Tribunal cantonal du canton du Valais, Cour de droit public, et à l'Office fédéral du développement territorial.
Lausanne, le 24 mai 2018
Au nom de la Ire Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse
Le Président : Merkli
La Greffière : Arn