Urteilskopf
122 I 57
11. Extrait de l'arrêt de la Ire Cour de droit public du 22 mars 1996 dans la cause Groupement pour la protection de l'environnement, section de Lausanne contre Municipalité de Lausanne, B. et consorts et Tribunal administratif du canton de Vaud (recours de droit public).
Regeste
Änderung der Rechtsprechung, Gebot der rechtsgleichen Behandlung, Treu und Glauben;
Art. 4 BV.
Voraussetzungen für eine Änderung der Rechtsprechung, im besonderen wenn sie sich auf die Eintretensvoraussetzungen einer Beschwerde bezieht (E. 3c).
Der Grundsatz von Treu und Glauben verbietet es, dem Beschwerdeführer Verfahrens- und Parteikosten aufzuerlegen, wenn seine Anträge infolge einer Praxisänderung als unzulässig erklärt wurden (E. 3d).
La municipalité de Lausanne a délivré, en avril 1995, une autorisation de construire une maison d'habitation sur une parcelle appartenant à B., dans la zone à bâtir. En accordant ce permis, l'autorité communale a écarté une opposition formée lors de l'enquête publique par le Groupement pour la Protection de l'Environnement, section de Lausanne (ci-après: le GPE/Lausanne). Cette organisation s'est pourvue devant le Tribunal administratif du canton de Vaud, en demandant l'annulation de la décision municipale. Le 7 septembre 1995, la juridiction cantonale a déclaré le recours irrecevable, au motif que le GPE/Lausanne n'avait pas qualité pour recourir; les frais de justice ainsi que des dépens, à payer à B., ont été mis à la charge de cette organisation. Le GPE/Lausanne a alors formé un recours de droit public, en demandant au Tribunal fédéral d'annuler l'arrêt rendu par le Tribunal administratif. Il a fait valoir en substance que, contre les décisions communales relatives aux permis de construire, la qualité pour recourir lui avait jusqu'ici été reconnue et que le changement de jurisprudence sur ce point ne respectait pas les exigences du droit constitutionnel.
En statuant sur ce recours, le Tribunal fédéral a d'abord considéré qu'il n'était pas arbitraire de qualifier le GPE/Lausanne de parti politique. Or il n'était pas contesté que la disposition cantonale définissant la qualité pour recourir devant le Tribunal administratif (art. 37 de la loi cantonale sur la juridiction et la procédure administratives - LJPA) avait été interprétée de manière constante dans ce sens qu'elle n'accordait pas de droit de recours aux partis politiques dans le domaine de l'aménagement du territoire et des constructions; en revanche, la jurisprudence cantonale a admis la recevabilité des recours formés par des associations de protection de la nature ou des sites. Cela étant, les autorités cantonales de recours avaient, jusqu'à l'arrêt attaqué, assimilé le GPE/Lausanne (ou d'autres sections de cette organisation) à une organisation de protection de la nature, en dépit de ses activités politiques: c'est sur ce point précis qu'un changement de jurisprudence est intervenu. Le Tribunal fédéral s'est prononcé à ce propos et il a partiellement admis le recours de droit public.
Extrait des considérants:
3. c) L'association recourante qualifie ce changement de jurisprudence d'arbitraire et elle se plaint d'un déni de justice, en faisant valoir que le Tribunal administratif aurait dû l'en avertir préalablement, conformément aux principes qu'il avait exposés dans l'arrêt du 3 septembre 1992 précité.
aa) L'autorité qui modifie sa jurisprudence tombe dans une contradiction; or une décision peut violer l'
art. 4 Cst. et le droit à l'égalité si elle est en contradiction avec une autre et que toutes deux émanent de la même autorité. Toutefois, le juge ne peut pas être contraint de maintenir une solution qui, à un moment donné, lui paraît moins satisfaisante qu'une autre. Dès lors, un revirement de jurisprudence ne transgresse pas l'
art. 4 Cst. s'il s'appuie sur des raisons objectives telles qu'une connaissance plus exacte de l'intention du législateur, la modification des circonstances extérieures, un changement de conception juridique ou l'évolution des moeurs. Cependant, plus la jurisprudence est constante, plus le juge sera exigeant quant à la valeur des motifs invoqués (cf.
ATF 120 II 137 consid. 3f,
ATF 117 Ia 135 consid. 2c, 111 Ia 161 consid. 1a,
ATF 105 Ib 49 consid. 5a et les arrêts cités; cf. ANDRÉ GRISEL, Traité de droit administratif, vol. I, Neuchâtel 1984, p. 362).
Selon l'arrêt attaqué, la vocation actuelle du GPE justifie la nouvelle solution jurisprudentielle, qui garantit un traitement identique de toutes les formations politiques. Ces deux motifs - l'évolution des activités de l'association recourante, d'une part, et l'égalité entre les partis politiques, d'autre part - suffisent à justifier la nouvelle interprétation, sur ce point particulier, de l'art. 37 al. 1 LJPA. L'association recourante se borne, à cet égard, à arguer de sa spécificité, en raison de ses buts statutaires, et à invoquer la nature peu politique, selon elle, de la procédure d'autorisation de construire. Le premier point n'est pas décisif, l'association recourante pouvant être qualifiée de parti politique sur la base de ses statuts. Quant au second argument, il est mal fondé: la municipalité de la commune intimée, qui a délivré le permis de construire, est une autorité politique, qui compte du reste parmi ses membres un représentant de l'association recourante. Pour le reste, celle-ci ne se prévaut pas d'autres motifs objectifs qui s'opposeraient au changement de jurisprudence.
bb) En principe, la nouvelle jurisprudence doit s'appliquer immédiatement et aux affaires pendantes au moment où elle est adoptée (cf.
ATF 111 V 161 consid. 5b; cf. PIERRE MOOR, Droit administratif, vol. I, 2e éd. Berne 1994 p. 74). Le droit à la protection de la bonne foi, qui découle de l'
art. 4 Cst., doit néanmoins être pris en considération, à certaines conditions. D'une manière générale du reste, l'autorité doit attirer en principe l'attention des parties sur l'application peu prévisible d'une norme (cf. JEAN-FRANÇOIS EGLI, La protection de la bonne foi dans le procès, in Juridiction constitutionnelle et juridiction administrative, Zurich 1992, p. 230).
Le Tribunal fédéral a précisé, à ce propos, que la modification d'une jurisprudence relative à la computation des délais de recours ne pouvait pas intervenir sans avertissement, si elle provoque la péremption d'un droit (ATF
ATF 94 I 15 consid. 1). Il a ensuite rappelé, dans d'autres arrêts, l'exigence de l'avertissement préalable en cas de risque de péremption d'un droit, en se référant plus largement aux "questions de recevabilité d'un recours ou d'une action" et en mentionnant à titre d'exemple les règles sur la computation des délais ou d'autres prescriptions formelles (cf.
ATF 117 Ia 119 consid. 2, 113 III 23 consid. 5,
ATF 104 Ia 1 consid. 4,
ATF 103 Ib 197 consid. 4,
ATF 101 Ia 369 consid. 2). On peut en effet concevoir qu'en rendant plus strictes les exigences de présentation ou de motivation d'un recours - par exemple en abandonnant une pratique admettant le dépôt de mémoires au moyen d'un télécopieur (cf.
ATF 121 II 252) -, ou en abrégeant le délai pour le déposer (cf. ATF du 12 septembre 1985 reproduit in SJ 1985 p. 625), l'autorité empêche en définitive le justiciable de faire valoir ses droits, alors qu'il eût été en mesure de les invoquer en temps utile s'il avait connu la nouvelle jurisprudence. Néanmoins, la formulation selon laquelle l'avertissement est nécessaire chaque fois que le changement de jurisprudence porte sur des questions de recevabilité d'un recours, est trop imprécise et partant peu satisfaisante (cf. RENÉ A. RHINOW/BEAT KRÄHENMANN, Schweizerische Verwaltungsrechtsprechung, Ergänzungsband, Bâle 1990 p. 224). En effet, le Tribunal fédéral a déjà considéré que l'avis préalable n'était nécessaire que dans les cas où, informé à temps, le justiciable aurait pu agir de telle sorte que sa démarche fût recevable; tel n'est pas le cas lorsque la qualité pour recourir est en cause (arrêt non publié du 23 mars 1994, H. & consort c. commune de Lutry, consid. 3). Dans un autre arrêt, le Tribunal fédéral a modifié sa jurisprudence quant à la recevabilité du recours de droit administratif dirigé contre une mesure disciplinaire frappant l'avocat d'un requérant dans une procédure d'asile: il a considéré que, désormais, une telle décision ne pouvait pas être attaquée par la voie des
art. 97 ss OJ et il a déclaré le recours irrecevable sans avertir préalablement l'intéressé (
ATF 119 Ib 412). Le principe de la bonne foi n'est alors pas violé car le changement de jurisprudence n'entraîne pas une modification des conditions d'exercice d'un droit de recours; le tribunal se borne en effet à constater que, sur la base d'une nouvelle interprétation de la loi, ce droit de recours n'existe pas.
En l'occurrence, l'organisation recourante défendait l'intérêt général en s'opposant au projet de construction des intimés et elle ne se prévalait,
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pour le reste, d'aucun droit. Le Tribunal administratif a refusé de lui reconnaître la qualité pour recourir; elle ne pouvait donc pas faire en sorte que son recours soit recevable. Or l'application du principe de la bonne foi ne saurait créer un recours qui n'existe pas (cf.
ATF 117 Ia 297 consid. 2): un avis préalable relatif au changement de jurisprudence n'aurait été, dans ces conditions, qu'une vaine formalité. Aussi la cour cantonale était-elle fondée à rendre d'emblée une décision d'irrecevabilité.
d) Le principe de la bonne foi, dont la recourante se prévaut en invoquant les conditions auxquelles sont soumis les revirements de jurisprudence, commandait néanmoins au Tribunal administratif de renoncer à mettre à sa charge un émolument judiciaire ainsi que des dépens. Si la recourante avait connu la nouvelle jurisprudence, elle aurait sans doute renoncé à se pourvoir contre la décision communale et à encourir des frais. Dans ces circonstances particulières, la décision d'irrecevabilité résultant d'un changement de jurisprudence ne doit pas causer de préjudice à cette association (cf.
ATF 119 Ib 412 consid. 3; cf. BEATRICE WEBER-DÜRLER, Vertrauensschutz im öffentlichen Recht, Bâle 1983 p. 250). Le recours doit être partiellement admis et l'arrêt attaqué doit être annulé dans la mesure où il condamne le GPE/Lausanne à payer les frais et dépens. Cela étant, la recourante n'avait pas mandaté d'avocat pour la procédure devant le Tribunal administratif et elle ne prétend pas qu'elle aurait engagé d'autres frais pour ses démarches devant l'autorité cantonale de recours.