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Urteilskopf

145 I 297


19. Extrait de l'arrêt de la Ire Cour de droit civil dans la cause A. contre B. SA (recours constitutionnel subsidiaire)
4D_65/2018 du 15 juillet 2019

Regeste

Art. 17 Abs. 2 KV/FR; Art. 129 ZPO; Verfahrenssprache.
Wie im Verwaltungsgerichtsverfahren (vgl. BGE 136 I 149) erlaubt Art. 17 Abs. 2 der Verfassung des Kantons Freiburg dem Rechtsuchenden auch in einem Zivilprozess, sich in der Amtssprache seiner Wahl an das Kantonsgericht zu wenden (E. 2).

Sachverhalt ab Seite 298

BGE 145 I 297 S. 298

A. A. (ci-après: le demandeur ou recourant) est locataire d'un appartement de 3 pièces et demie sis à Fribourg dont le loyer mensuel s'élève à 993 fr. La bailleresse de cet appartement est la société B. SA ayant son siège à Lausanne.

B.

B.a Par demande en justice du 19 septembre 2017, le demandeur a requis la réduction du loyer mensuel de son appartement de 993 fr. à 963 fr. 25 dès le 1er octobre 2017 et le remboursement d'un montant de 4'727 fr. 60. Cette demande a été rédigée en allemand. Aucun accord relatif à l'utilisation de la langue allemande n'ayant été conclu entre les parties et la défenderesse ayant refusé d'accepter le mémoire en allemand, le demandeur a été prié de déposer sa demande en français, ce qu'il a fait le 6 décembre 2017.
Par décision du 31 août 2018, le Tribunal des baux de l'arrondissement de la Sarine a partiellement admis la demande, fixé le loyer à 990 fr. dès le 1er octobre 2017 et à 963 fr. 25 dès le 1er octobre 2018 et pris acte de l'acquiescement de la défenderesse de rembourser au demandeur les montants de 1'704 fr. 25 et de 238 fr. 50.

B.b Par mémoire du 4 octobre 2018, le demandeur a interjeté recours au Tribunal cantonal de l'Etat de Fribourg contre la décision du Tribunal des baux du 31 août 2018 en concluant à la réduction du loyer de 993 fr. à 963 fr. 25 dès le 1er octobre 2017. Le demandeur a rédigé son recours en langue allemande.
Invitée à se déterminer sur l'usage de l'allemand pour le mémoire de recours, l'intimée a exposé par courrier du 25 octobre 2018 que ses organes ne maîtrisent pas cette langue et a prié la Cour d'inviter le recourant à déposer son mémoire en français. Par courrier du 26 octobre 2018, la juge déléguée a renvoyé le mémoire de recours au demandeur et l'a invité à procéder en français, précisant que s'il ne le faisait pas dans le délai fixé, la Cour n'entrerait pas en matière. Par acte du 12 novembre 2018, le recourant s'est refusé à procéder à la traduction demandée.
Par arrêt du 28 novembre 2018, le Tribunal cantonal n'est pas entré en matière sur le recours du demandeur au motif que celui-ci était rédigé en langue allemande.

C. Le recourant a formé un recours constitutionnel subsidiaire au Tribunal fédéral. Ce recours, rédigé en langue allemande, tend à ce que l'arrêt du 28 novembre 2018 soit annulé et à ce qu'il soit ordonné au
BGE 145 I 297 S. 299
Tribunal cantonal d'entrer en matière sur le recours du 19 septembre 2018. Il déduit de l'art. 17 al. 2 de la Constitution du canton de Fribourg du 16 mai 2004 (Cst./FR; RSF 10.1) et de l'art. 18 Cst. un droit à déposer son recours en allemand devant le Tribunal cantonal fribourgeois et estime que les conditions d'une restriction de ce droit fondamental ne sont pas réunies en l'espèce. (...)
Le Tribunal fédéral a admis le recours, annulé l'arrêt attaqué et renvoyé la cause à la cour cantonale pour suite de la procédure dans le sens des considérants.
(extrait)

Erwägungen

Extrait des considérants:

2. La question litigieuse en l'espèce est de savoir si le Tribunal cantonal de l'Etat de Fribourg peut exiger d'une partie qu'elle traduise une écriture rédigée dans la langue officielle du canton qui n'est pas la langue de la procédure.

2.1

2.1.1 L'usage de la langue dans le canton de Fribourg s'articule autour de deux dispositions distinctes de la Constitution fribourgeoise. L'art. 6 Cst./FR est une disposition générale sur la question de la langue, consacrant notamment le principe de territorialité:
1 Le français et l'allemand sont les langues officielles du canton.
2 Leur utilisation est réglée dans le respect du principe de territorialité: l'Etat et les communes veillent à la répartition territoriale traditionnelle des langues et prennent en considération les minorités linguistiques autochtones.
3 La langue officielle des communes est le français ou l'allemand. Dans les communes comprenant une minorité linguistique autochtone importante, le français et l'allemand peuvent être les langues officielles.
4 L'Etat favorise la compréhension, la bonne entente et les échanges entre les communautés linguistiques cantonales. Il encourage le bilinguisme.
5 Le canton favorise les relations entre les communautés linguistiques nationales.
L'art. 17 Cst./FR garantit pour sa part la liberté de la langue:
1 La liberté de la langue est garantie.
2 Celui qui s'adresse à une autorité dont la compétence s'étend à l'ensemble du canton peut le faire dans la langue officielle de son choix.

2.1.2 Selon l'art. 129 CPC (RS 272), la procédure civile est conduite dans la langue officielle du canton dans lequel l'affaire est jugée.
BGE 145 I 297 S. 300
Les cantons qui reconnaissent plusieurs langues officielles règlent leur utilisation dans la procédure.
La loi sur la justice du canton de Fribourg du 31 mai 2010 (LJ/FR; RSF 130.1), ayant notamment pour objet l'organisation de la juridiction civile et l'application du CPC dans le canton de Fribourg (cf. art. 1 LJ/FR), contient les articles suivants:
Art. 115 Langue de la procédure - En général
1 La procédure a lieu en français ou en allemand.
2 La procédure a lieu:
a) dans les arrondissements de la Sarine, de la Gruyère, de la Glâne, de la Broye et de la Veveyse en français;
b) dans l'arrondissement de la Singine en allemand;
c) dans l'arrondissement du Lac en français ou en allemand, en procédure pénale selon la langue officielle du ou de la prévenu-e et en procédure civile selon la langue officielle de la partie défenderesse.
3 Devant les autorités dont la compétence n'est pas liée à un arrondissement, la langue est celle qu'utiliserait le tribunal d'arrondissement compétent.
4 En seconde instance, la procédure a lieu dans la langue de la décision attaquée.
Art. 116 Langue de la procédure - Cas particuliers pour la procédure civile
1 En matière civile, dans les arrondissements de la Sarine et du Lac et devant le Tribunal cantonal en instance unique, les parties peuvent convenir d'une des deux langues officielles comme langue de la procédure.
2 Il en va de même dans l'arrondissement de la Gruyère si l'une des parties a son domicile ou son siège à Jaun et que les parties choisissent d'un commun accord l'allemand comme langue de la procédure.
Art. 118 Langue de la procédure - Dérogations
1 Les autorités dont la compétence s'étend à l'ensemble du canton peuvent déroger aux règles des articles 115 al. 2 à 4 et 117 s'il n'en résulte aucun inconvénient grave pour les parties et si, dans une procédure pénale, le ou la prévenu-e donne son accord.
2 [...]
Art. 119 Langue de la procédure - Traduction
1 La personne qui dirige la procédure renvoie, en principe, les écrits d'une partie qui ne sont pas rédigés dans la langue de la procédure, en invitant leur auteur-e à procéder dans cette langue et en l'avertissant que, s'il ou si elle ne le fait pas dans le délai fixé, l'autorité n'entrera pas en matière.
2 Elle peut aussi exiger de la partie qu'elle fournisse une traduction des pièces qui servent de moyens de preuve et qui ne sont pas rédigées dans la langue de la procédure.
BGE 145 I 297 S. 301
3 Si nécessaire et dans la mesure où elle ne peut pas remplir elle-même cette tâche, l'autorité fait appel, lors d'auditions, à un ou une interprète.
4 La personne qui dirige la procédure peut autoriser l'usage d'une langue autre que celle de la procédure, à la condition que toutes les personnes qui participent à la procédure la maîtrisent.

2.2 Amené à se prononcer sur la portée de l'art. 17 al. 2 Cst./FR dans le cadre d'une procédure administrative, le Tribunal fédéral a estimé que cette disposition autorisait un justiciable à déposer son mémoire de recours devant le Tribunal cantonal dans la langue officielle de son choix, sans égard à la langue de la procédure. Il a relevé que cette norme constituait une exception expresse au principe général de la territorialité défini à l'art. 6 al. 2 Cst./FR, exception s'appliquant notamment aux procédures devant le Tribunal cantonal fribourgeois (ATF 136 I 149 consid. 6). Il a souligné que la Constituante fribourgeoise avait clairement exprimé sa volonté d'ériger le libre choix de la langue officielle dans les rapports avec les autorités cantonales en un principe général et indifférencié et non pas comme un principe à géométrie variable (ATF 136 I 149 consid. 7.3). Le Tribunal fédéral a évoqué l'existence d'un conflit entre la norme constitutionnelle susmentionnée et la loi cantonale régissant la procédure administrative. Cette loi prévoyait en effet que l'autorité n'entendant pas accorder une dérogation à la règle selon laquelle les procédures de deuxième instance se déroulent dans la langue de la décision contestée devait retourner une requête non rédigée dans la langue de la procédure à son auteur en l'invitant à procéder dans la langue de la procédure dans le délai fixé en l'avertissant qu'un défaut de sa part aurait pour conséquence une décision de non-entrée en matière. Se référant aux principes selon lesquels une disposition de rang constitutionnel l'emporte en principe sur une norme législative ("lex superior derogat legi inferiori") et la règle de droit la plus récente l'emporte sur la plus ancienne ("lex posterior derogat legi priori"), le Tribunal fédéral a estimé que les normes cantonales de procédure qui entreraient en contradiction avec l'art. 17 al. 2 Cst./FR ne pouvaient que céder le pas à cette norme constitutionnelle plus récente. Il n'a ainsi pas jugé nécessaire d'examiner si les conditions d'une restriction d'un droit fondamental au sens de l'art. 38 Cst./FR étaient remplies en l'espèce (ATF 136 I 149 consid. 7.4).

2.3 Dans l'arrêt entrepris, la juridiction précédente s'est référée à cette jurisprudence fédérale. Soulignant que celle-ci avait été rendue en relation avec une procédure administrative, la Cour a jugé opportun
BGE 145 I 297 S. 302
d'examiner dans quelle mesure elle devait également trouver application dans le cadre d'un recours en matière civile.
Citant l'art. 115 al. 4 LJ/FR, aux termes duquel la procédure de seconde instance a lieu dans la langue de la décision attaquée, le Tribunal cantonal a tout d'abord souligné que le législateur fribourgeois n'avait pas voulu que les recourants puissent choisir la langue de rédaction de leurs mémoires, ceci afin d'éviter "que l'ensemble des écritures d'une procédure de recours soient déposées dans une langue alors que le jugement serait rendu dans l'autre langue" et "que la partie qui succombe dans un procès civil doive supporter les frais d'une traduction imposée par le Tribunal cantonal". Evoquant ensuite l'art. 119 LJ/FR susmentionné, le Tribunal cantonal a notamment précisé que le législateur cantonal avait refusé de soustraire le Tribunal cantonal à l'application de son al. 1 et - message du Conseil d'Etat à l'appui - que l'utilisation de la possibilité conférée par l'art. 119 al. 4 LJ/FR d'autoriser l'usage d'une langue autre que celle de la procédure devait rester exceptionnelle et ne modifiait pas la langue de la procédure.
Précisant que les art. 115 al. 4 et 119 LJ/FR devaient "être lus en lien avec l'art. 38 Cst./FR", le Tribunal cantonal s'est interrogé sur la possibilité de restreindre le droit fondamental du recourant conformément à cette dernière disposition. Evoquant une différence fondamentale entre la procédure administrative et la procédure civile, il a estimé que, s'il peut être attendu d'une autorité d'un canton bilingue qu'elle maîtrise les deux langues officielles et qu'elle accepte par conséquent les écritures rédigées dans la langue officielle qui n'est pas la langue de la procédure, il en va autrement d'une partie à une procédure civile. Selon la Cour, le conflit entre la liberté des langues des deux justiciables doit être résolu en faveur de la partie intimée. La protection de son droit fondamental justifierait ainsi une restriction au droit fondamental conféré au recourant par l'art. 17 al. 2 Cst./ FR.

2.4

2.4.1 La juridiction précédente a reconnu au recourant un droit fondamental conféré par l'art. 17 al. 2 Cst./FR à déposer son mémoire de recours en allemand. Elle a estimé que ce droit pouvait néanmoins être restreint en raison de l'existence d'une base légale et d'un droit fondamental de l'intimée justifiant cette restriction sans examiner les autres conditions nécessaires à la restriction d'un droit fondamental.
BGE 145 I 297 S. 303
A tort. Selon l'art. 38 Cst./FR, qui reprend les conditions de l'art. 36 Cst., toute restriction d'un droit fondamental ou social doit être - hors cas de danger, sérieux, direct et imminent - fondée sur une base légale (al. 1), être justifiée par un intérêt public ou la protection d'un droit fondamental ou social d'autrui (al. 2), être proportionnée au but visé (al. 3) et ne pas violer l'essence du droit fondamental ou social en question (al. 4).

2.4.2 L'existence d'une base légale n'est pas litigieuse en l'espèce. Les dispositions précitées de la LJ/FR prévoient en effet - sous réserve d'une dérogation (art. 118 al. 1 LJ/FR) - qu'en deuxième instance, la procédure a lieu dans la langue de la décision attaquée (art. 115 al. 4 LJ/FR), soit le français dans le cas présent (art. 115 al. 2 let. a LJ/FR). Il y est également stipulé que, en principe, la direction de la procédure renvoie les écrits d'une partie n'étant pas rédigés dans la langue de la procédure, en invitant leur auteur-e à procéder dans cette langue et en l'avertissant que, s'il ou si elle ne le fait pas dans le délai fixé, l'autorité n'entrera pas en matière (art. 119 al. 1 LJ/FR).

2.4.3 Les autres conditions nécessaires à la restriction d'un droit fondamental sont autrement plus problématiques. S'il est en effet déjà douteux que le droit fondamental à la liberté de la langue garantisse à une partie à une procédure civile ayant pu s'exprimer dans sa langue à tous les stades de la procédure le droit de ne pas être confronté à une écriture rédigée dans l'autre langue officielle du canton (cf. arrêt 6B_591/2015 du 24 septembre 2015 consid. 6.5.3), la restriction du droit fondamental prononcée ne répond en tout cas pas à l'exigence de la proportionnalité.

2.4.3.1 Le principe de la proportionnalité exige qu'une mesure restrictive soit apte à produire les résultats escomptés (règle de l'aptitude) et que ceux-ci ne puissent être atteints par une mesure moins incisive (règle de la nécessité). En outre, il interdit toute limitation allant au-delà du but visé et exige un rapport raisonnable entre celui-ci et les intérêts publics ou privés compromis (principe de la proportionnalité au sens étroit, impliquant une pesée des intérêts (ATF 143 I 403 consid. 5.6.3 et les arrêts cités).

2.4.3.2 Même s'il ne traite pas de ces aspects expressément sous l'angle du principe de la proportionnalité, le Tribunal cantonal fait état des inconvénients que causerait le dépôt par le recourant de son mémoire de recours en allemand. Il se rallie à l'argumentaire de
BGE 145 I 297 S. 304
l'intimée selon lequel, les organes de celle-ci ne maîtrisant pas l'allemand et son mandataire ne procédant pas dans cette langue, l'emploi de la langue allemande par le recourant aurait pour conséquence de contraindre l'intimée de se constituer un nouveau mandataire bilingue qui devrait lui traduire les actes déposés dans cette langue. On ne sait si cet argumentaire du mandataire de l'intimée, avocat au barreau du canton de Fribourg, relève d'un procédé tactique visant à ce que le recours soit déclaré irrecevable ou constitue un véritable aveu d'ignorance qui interpelle dans un pays où la majorité des décisions de l'autorité judiciaire suprême sont rendues dans une autre langue que le français. Quoi qu'il en soit, la légèreté avec laquelle le Tribunal cantonal l'accueille a de quoi surprendre. Quand elle estime que le dépôt d'actes en allemand dans le cadre de la procédure de recours aurait pour conséquence de contraindre l'intimée à "se constituer un nouveau mandataire bilingue", la juridiction précédente méconnaît en effet que la seule connaissance supplémentaire que le dépôt d'une écriture en allemand requiert du mandataire de l'intimée est la compréhension passive de cette langue. Le fait qu'un avocat francophone ne procède pas en allemand en raison des difficultés posées par la rédaction d'écritures dans cette langue ne signifie pas que le dépôt par la partie adverse d'un acte en allemand nécessite un changement de mandataire.
L'utilisation par une partie, en deuxième instance, de la langue officielle qui n'est pas la langue de la procédure est susceptible de constituer un désagrément pour l'autre partie, particulièrement lorsque celle-ci n'est pas assistée d'un avocat. Ceci ne saurait toutefois être considéré comme déterminant dans le cadre de la pesée des intérêts commandée par le principe de la proportionnalité. Il ne faut en effet pas perdre de vue que cette autre partie pourra continuer à s'exprimer dans sa langue et que les autorités continueront à conduire la procédure dans cette langue. Tel ne serait en revanche pas le cas de la partie dont le droit fondamental à s'adresser au Tribunal cantonal dans la langue officielle de son choix serait restreint, une telle restriction revenant en effet à la contraindre à s'exprimer dans une langue autre que sa langue maternelle devant une autorité dont la compétence s'étend à l'ensemble du canton.
Le bon fonctionnement de la justice dans un canton bilingue commande aux justiciables de s'accommoder de désagréments tels que celui imposé à une partie à la procédure civile par l'usage par l'autre partie de la langue de son choix devant le Tribunal cantonal. On
BGE 145 I 297 S. 305
fera remarquer à cet égard que selon les dispositions de la loi cantonale précitées, l'importante minorité germanophone du district de la Sarine doit - sous réserve d'un accord des parties (art. 116 al. 1 LJ/FR) ou d'une dérogation (art. 119 al. 4 LJ/FR) - procéder intégralement en français en première instance (cf. sur ce point l'ATF 106 IA 299). Ainsi, le recourant, au demeurant partie faible dans le procès l'opposant à sa bailleresse, s'est vu empêcher dans la présente affaire de déposer sa demande dans sa langue maternelle devant le Tribunal des baux de l'arrondissement de la Sarine. Il n'en va pas autrement des parties appartenant à une minorité linguistique dans les arrondissements de la Gruyère, de la Glâne, de la Broye, de la Veveyse et de la Singine ainsi que de la partie demanderesse dans l'arrondissement du Lac lorsque la langue officielle de la partie défenderesse n'est pas la même que la sienne. Les conséquences pour ces parties en procédure civile, à savoir en première ligne la rédaction d'écritures dans une langue autre que leur langue maternelle, sont autrement plus lourdes que celles découlant de l'utilisation par l'une des parties de la langue officielle qui n'est pas la langue de la procédure conformément à l'art. 17 al. 2 Cst./FR, cette disposition ne faisant qu'imposer à l'autre partie, en deuxième instance, la compréhension passive de l'autre langue officielle du canton. Ainsi, il est étonnant qu'une partie de la doctrine juge les conséquences du droit conféré par cette disposition inacceptables du point de vue de l'égalité des parties et de l'accès à la justice (PAPAUX, La langue de la justice civile et pénale en droit suisse et comparé, 2012, p. 322) sans se soucier des concessions qu'impose la loi fribourgeoise aux minorités linguistiques.

2.4.3.3 Il résulte de la pesée des intérêts en présence que la restriction du droit fondamental conféré au recourant par l'art. 17 al. 2 Cst./ FR n'est pas proportionnée. Inutile dès lors de se prononcer sur le respect du noyau intangible de cet article (cf. sur ce point PREVITALI, Quelques réflexions de nature constitutionnelle relatives à l'influence de l'art. 17 al. 2 de la Constitution fribourgeoise sur la langue de la procédure cantonale, Revue fribourgeoise de jurisprudence [RFJ], Numéro spécial 2010, p. 209, qui note que restreindre la possibilité de s'adresser à une autorité cantonale dans la langue officielle de son choix signifierait nier l'existence de cet article et en accepter de facto l'annulation). Les conditions de l'art. 38 Cst./FR n'étant pas remplies en l'espèce, le droit fondamental du recourant ne peut être restreint.
On précisera encore que, comme le démontre notamment l'expérience faite au niveau fédéral et dans d'autres cantons bilingues (cf.
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consid. 3.4 non publié), aucun intérêt public ne justifie d'interdire aux justiciables l'utilisation de leur langue maternelle devant l'autorité judiciaire supérieure du canton. C'est à tort qu'un des auteurs précités estime que, outre les intérêts de l'autre partie à la procédure, l'unité et la sécurité linguistique commandent une telle restriction (PAPAUX, La langue de la procédure civile et pénale devant le Tribunal cantonal fribourgeois - Commentaire des art. 115 al. 3 et 4, 116 al. 1 et 118 de la loi du 31 mai 2010 sur la justice et de l' ATF 136 I 149, Revue fribourgeoise de jurisprudence [RFJ], Numéro spécial 2010, p. 200). On ne voit pas à quel intérêt public prépondérant répondrait une exigence visant à ce que l'ensemble des écritures d'une procédure soient déposées dans la même langue que celle du jugement. On notera à cet égard que la Constitution fribourgeoise prévoit que l'Etat favorise la compréhension, la bonne entente et les échanges entre les communautés linguistiques cantonales et encourage le bilinguisme (art. 6 al. 4 Cst./FR). La coexistence des deux langues officielles du canton dans une procédure correspond au nouvel esprit de dialogue et de coopération que les constituants fribourgeois voulaient insuffler, le bilinguisme ne devant plus être considéré comme une menace ou un handicap, mais bien comme une chance et un atout (MACHERET, Le droit des langues, in La nouvelle Constitution fribourgeoise, Revue fribourgeoise de jurisprudence [RFJ], Numéro spécial 2005, p. 104). Enfin, et contrairement à ce que soutient PAPAUX, un ralentissement de la procédure en raison d'une mauvaise compréhension linguistique de certains magistrats n'est pas à craindre (PAPAUX, La langue de la justice civile et pénale en droit suisse et comparé, 2012, p. 322). Il peut être attendu des juges cantonaux fribourgeois, dont on se contentera de rappeler qu'ils sont les magistrats de la Cour suprême d'un canton bilingue, qu'ils possèdent les connaissances passives nécessaires à la compréhension d'actes dans l'autre langue officielle du canton.

2.5 A la suite de l' ATF 136 I 149, une partie de la doctrine a suggéré que cet arrêt était dénué de pertinence en matière civile et pénale, estimant que le droit fédéral commandait au travers des art. 129 CPC et 67 CPP que les procédures de première et deuxième instances soient impérativement menées dans la même langue, la langue du mémoire de recours et celle de la procédure devant en outre nécessairement être identiques (JEANNERAT, Note sur l'ATF 136 I 149, RDAF 2011 I p. 373). En matière civile, certains commentateurs sont d'avis que la procédure ne peut se dérouler qu'en une seule langue, estimant par exemple
BGE 145 I 297 S. 307
impossible qu'une partie plaide en français et l'autre en allemand (STAEHELIN, in Kommentar zur Schweizerischen Zivilprozessordnung [ZPO], 3 e éd. 2016, n° 7 ad art. 129 CPC; FREI, in Berner Kommentar, Schweizerische Zivilprozessordnung, 2012, n° 4 ad art. 129 CPC).
Ces auteurs ne peuvent être suivis. Premièrement, aucun élément d'interprétation ne permet d'affirmer que l'art. 129 CPC impose aux cantons bilingues des contraintes particulières au sujet de l'utilisation de leurs langues officielles devant les autorités judiciaires cantonales. Bien au contraire, selon la lettre claire de cet article, les cantons qui reconnaissent plusieurs langues officielles sont libres de régler leur utilisation dans la procédure. Deuxièmement, comme le Tribunal fédéral l'a déjà souligné (ATF 136 I 149 consid. 6.2), il est parfaitement possible de dissocier la langue de la procédure de celle de certains actes des parties. La LTF en livre un exemple parlant. Alors que l'art. 54 LTF règle la question de la langue de la procédure, l'art. 42 al. 1 LTF prévoit que les mémoires des parties peuvent être rédigés dans une des langues officielles. Ainsi, le présent arrêt est rédigé en français, langue de la décision attaquée (art. 54 al. 1 LTF), alors que le recours en matière civile a été déposé par le recourant en langue allemande. De manière similaire, l'art. 36 de la loi fédérale du 20 mars 2009 sur le Tribunal fédéral des brevets (LTFB; RS 173.41) prévoit que le tribunal désigne une des langues officielles comme langue de la procédure (art. 36 al. 1 LTFB) tout en statuant que chaque partie reste libre d'utiliser une langue officielle autre que celle de la procédure pour les actes de procédure et lors des débats (art. 36 al. 3 LTFB). On ne voit pas en quoi les cantons qui - comme la Confédération - connaissent plusieurs langues officielles ne pourraient pas autoriser l'utilisation d'une langue officielle autre que celle de la procédure pour certains actes, comme par exemple la rédaction d'un appel ou recours à l'autorité judiciaire supérieure du canton. Le CPC ne s'oppose pas à de telles règles, dont on notera pour le surplus qu'elles existent également dans les cantons de Berne (art. 6 al. 5 de la Constitution du canton de Berne du 6 juin 1993 [Cst./BE; RS 131. 212]), du Valais (art. 7 al. 1 de la loi d'application du code de procédure civile suisse du 11 février 2009 [LACPC/VS; RS 270.1]) et des Grisons (art. 8 al. 1 Sprachengesetz des Kantons Graubünden du 19 octobre 2006 [SpG/GR; BR 492.100]).

2.6 En procédure civile, comme en procédure administrative (ATF 136 I 149), l'art. 17 al. 2 Cst./FR autorise un justiciable à déposer son mémoire de recours devant le Tribunal cantonal dans la langue
BGE 145 I 297 S. 308
officielle de son choix, sans égard à la langue de la procédure. Le recours doit par conséquent être admis, le jugement entrepris annulé et la cause renvoyée au Tribunal cantonal de l'Etat de Fribourg pour qu'il entre en matière sur le recours du recourant.

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Sachverhalt

Erwägungen 2

Referenzen

BGE: 136 I 149, 143 I 403, 106 IA 299

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