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Chapeau

148 III 115


16. Extrait de l'arrêt de la Ire Cour de droit civil dans la cause A.A. contre B.A. et C. SA (recours en matière civile)
4A_632/2020 du 24 mars 2022

Regeste

Art. 150 al. 3 CO; compte joint; solidarité active.
Banque refusant d'exécuter l'un ou l'autre de deux ordres de transfert incompatibles passés le même jour par le père, puis le fils, tous deux titulaires d'un compte joint. Action contre la banque ouverte par l'un des titulaires, suivie de poursuites introduites par l'autre titulaire, qui intervient ensuite à titre principal dans le procès en concluant à l'exécution de ses propres instructions (consid. 4).
Type de pluralité de créanciers formée par les titulaires d'un compte joint et effets de la solidarité active (consid. 5). L'art. 150 al. 3 CO s'applique à toute créance solidaire, quelle qu'en soit sa cause (consid. 6.1). Le débiteur dispose du libre choix du créancier jusqu'au moment où il est poursuivi ou actionné en justice par l'un des créanciers solidaires (consid. 6.2). Le premier des créanciers solidaires qui agit par une poursuite ou une action est en mesure d'obtenir la prestation en priorité, tout autre créancier étant empêché d'agir contre le débiteur tant que dure la procédure (consid. 6.3 et 6.4).
Application de ces principes au cas d'espèce (consid. 7).

Faits à partir de page 116

BGE 148 III 115 S. 116

A. A.A. et son fils B.A. ont ouvert auprès de C. SA (ci-après: la banque) une relation bancaire, comprenant un compte joint courant, un compte joint fiduciaire et un compte joint en USD. Ils disposaient chacun d'un pouvoir de signature individuelle. Selon la documentation d'ouverture de compte, père et fils étaient les bénéficiaires effectifs de tous les actifs. En tant que créancier solidaire, chaque titulaire du compte joint était autorisé à disposer individuellement des avoirs, sans restriction, en particulier à gérer, retirer ou encore transférer ceux-ci. Les titulaires bénéficiaient des droits et avantages conférés par l'art. 150 CO.
BGE 148 III 115 S. 117
Au 5 juin 2013, la valeur totale des avoirs détenus dans la relation bancaire s'élevait à 22'123'326.99 EUR, dont 1'340'951.14 EUR sur le compte courant et 17'501'875 EUR en dépôts fiduciaires auprès d'une banque étrangère.
Dans la matinée du 5 juin 2013, A.A. a donné l'instruction à la banque de transférer immédiatement 18'000'000 EUR du compte joint courant et du compte joint fiduciaire sur le compte dont il était titulaire avec son épouse auprès d'une autre banque.
Le gestionnaire en charge de la relation bancaire a alors contacté B.A. pour l'informer de l'ordre de transfert donné par son père. La banque n'a pas immédiatement exécuté l'ordre. Les fonds disponibles sur les comptes n'étant pas suffisants, les dépôts fiduciaires devaient être liquidés auprès d'une banque étrangère.
Par télécopies adressées à la banque le même jour à 13h09 et à 13h19, B.A. a ordonné le transfert des avoirs disponibles du compte joint courant, puis de la relation bancaire in integro, sur le compte dont il était seul titulaire auprès de la même banque. Par télécopie envoyée à 13h21, A.A. a confirmé son propre ordre de transfert.
Plus tard dans la même journée, la banque a fait savoir à A.A. et B.A. qu'elle refusait d'exécuter les ordres de transfert contradictoires qu'ils lui avaient transmis; à défaut d'instruction commune, claire et signée par les deux titulaires, elle n'exécuterait aucun transfert.

B.

B.a Par acte déposé en vue de conciliation le 6 juin 2013, B.A. (le demandeur) a formé une demande à l'encontre de la banque (la défenderesse) tendant à sa condamnation à exécuter, sous la menace des peines d'amende prévues à l'art. 292 CP, son ordre du 5 juin 2013 de transférer l'ensemble des avoirs détenus dans la relation bancaire sur son compte auprès du même établissement.

B.b Le 2 juillet 2013, A.A. a requis la poursuite de la banque pour le montant de 22'265'999 fr.70, soit la contre-valeur de 18'000'000 EUR. La banque a formé opposition au commandement de payer.

B.c A la suite de l'échec de la conciliation, B.A. a introduit la demande le 23 janvier 2014 devant le Tribunal de première instance du canton de Genève.
La banque a conclu au déboutement du demandeur de toutes ses conclusions et a sollicité la dénonciation de l'instance à A.A. dès lors
BGE 148 III 115 S. 118
que la contestation s'inscrivait dans un contexte de conflit entre père et fils.
Le tribunal a dénoncé l'instance à A.A., qui a formé une demande d'intervention accessoire, déclarée recevable par jugement du 29 janvier 2015. A.A. concluait au déboutement de B.A. de toutes ses conclusions. Il alléguait que les avoirs litigieux lui appartenaient à titre exclusif; il avait d'ailleurs initié une procédure pénale à l'encontre de son fils qui tenterait de s'approprier ses actifs.

B.d Par acte du 13 avril 2016, A.A. (l'intervenant) a formé une demande en intervention principale, par laquelle il a conclu à l'exécution immédiate par la banque, sous la menace des peines d'amende prévues à l'art. 292 CP, de son ordre du 5 juin 2013 visant au transfert de 18'000'000 EUR sur un compte qu'il détenait avec son épouse auprès d'un établissement tiers, ainsi qu'au déboutement de B.A. et de la banque de toutes leurs conclusions.
Par jugement du 18 mai 2017, la demande en intervention principale a été déclarée recevable et les causes ont été jointes.

B.e Par jugement du 6 septembre 2019, le Tribunal de première instance a condamné la banque à exécuter, en premier lieu et sans délai, l'ordre donné par A.A. le 5 juin 2013 visant au transfert de 18'000'000 EUR des comptes joints courant et fiduciaire sur le compte dont A.A. et son épouse étaient titulaires auprès d'une banque tierce puis, en second lieu et sans délai, l'ordre donné par B.A. à la même date visant au transfert du solde des avoirs disponibles dans la relation bancaire sur le compte dont B.A. était titulaire auprès du même établissement.
Statuant le 6 octobre 2020 sur appel de B.A., la Cour de justice du canton de Genève a annulé le jugement entrepris, puis a condamné la banque à exécuter sans délai l'ordre donné par B.A. le 5 juin 2013 et a débouté les parties de toutes autres conclusions.

C. A.A. a formé un recours en matière civile, concluant à la condamnation de la banque à exécuter sans délai, sous la menace des peines d'amende prévues par l'art. 292 CP, l'ordre de transfert qu'il lui a donné le 5 juin 2013.
Le Tribunal fédéral a rejeté le recours.
(résumé)

Considérants

BGE 148 III 115 S. 119
Extrait des considérants:
I. Recours de A.A. (4A_632/2020)

4. Le litige porte sur l'obligation de la banque d'exécuter les ordres que lui ont successivement passés le même jour A.A. et B.A. au débit de comptes joints dont père et fils étaient titulaires.
Le premier a ordonné à la banque de transférer 18'000'000 EUR - correspondant à environ 4/5èmes des avoirs - sur un compte dont il était titulaire avec son épouse auprès d'une autre banque. Puis le second l'a enjointe de transférer l'ensemble des avoirs disponibles sur un compte dont il était seul titulaire dans le même établissement. Constatant qu'elle ne pouvait exécuter ces deux ordres contradictoires, la banque n'a donné suite à aucun d'entre eux et a renvoyé les prénommés à lui communiquer des instructions communes et claires.
B.A. a alors ouvert action contre la banque en exécution de son ordre de transfert. Plus tard, A.A. a introduit une poursuite contre la banque, avant d'intervenir au procès qui oppose son fils à la banque en concluant au déboutement du demandeur (intervention accessoire), puis en ouvrant également action en exécution de son propre ordre de transfert (intervention principale).

4.1 Contrairement au Tribunal de première instance, la Cour de justice a jugé que l'art. 150 al. 3 CO, auquel les parties n'avaient pas dérogé, était applicable à la créance solidaire résultant du contrat de compte joint. En présence de deux instructions successives et contradictoires émanant des titulaires du compte joint, la banque avait la possibilité d'exécuter son obligation en mains du créancier de son choix avec effet libératoire, conformément à l'art. 150 al. 3 CO (première partie). Elle pouvait ainsi décider de suivre ou non le premier ordre reçu, sans engager pour autant sa responsabilité envers l'autre créancier solidaire. La banque disposait de cette option aussi longtemps qu'une poursuite ou une action judiciaire n'avait pas été initiée à son encontre par l'un des titulaires, ce qui ressortait de la seconde partie de l'art. 150 al. 3 CO. Dès ce moment-là, elle devait s'exécuter en mains du cotitulaire qui en avait pris l'initiative. Dans le cas présent, la banque n'avait donné suite à aucun des deux ordres de transfert contradictoires et exécutables émis le même jour lorsqu'elle a été informée du dépôt, par B.A., de la requête en conciliation tendant à l'exécution de l'ordre transmis la veille. C'est donc cet ordre-ci, visant le transfert de la totalité des avoirs des comptes joints,
BGE 148 III 115 S. 120
qu'elle devait être condamnée à exécuter, avec pour conséquence la libération de ses obligations envers les deux titulaires créanciers.

4.2 Selon le recourant, la cour cantonale a violé les art. 75, 150 et 475 CO en retenant que le critère utile pour départager deux ordres de transfert contradictoires tenait à la date de l'introduction de l'action en justice (ou de poursuites) plutôt qu'à la date de réception des ordres litigieux par la banque.
D'une part, le recourant fait valoir que le contrat de compte joint bancaire relève principalement du contrat de dépôt au sens des art. 472 ss CO. Or, l'art. 475 al. 1 CO prévoit que le déposant peut réclamer en tout temps la chose déposée. Cette disposition prévaudrait, à titre de lex specialis, sur la norme générale de l'art. 150 al. 3 in initio CO, qui ouvre au débiteur le choix de payer à l'un ou l'autre de ses créanciers solidaires. Ainsi, dès que l'un ou l'autre des cotitulaires du compte joint lui communique un ordre de virement ou de retrait, la banque serait privée de la liberté de choix et devrait s'acquitter en mains du premier créancier qui en fait la demande.
D'autre part, le recourant soutient que l'art. 150 al. 3 in fine CO n'a pas pour vocation d'instituer un critère de priorité entre créanciers solidaires. A le suivre, cette perspective aboutirait à une impasse puisque le juge de la poursuite ou du fond n'aurait qu'à contrôler la date à laquelle les poursuites ou le procès ont été initiés sans égard à l'ordre dans lequel des ordres de transfert contradictoires ont été passés; elle induirait donc une course préjudiciable aux tribunaux. La disposition en question viserait bien plutôt à paralyser temporairement les droits des autres créanciers solidaires à l'exécution de leur ordre jusqu'à droit connu sur l'action du premier cotitulaire ayant engagé une poursuite ou déposé une action en justice. En d'autres termes, l'art. 150 al. 3 CO instituerait une priorisation de la procédure initiée en premier, mais n'emporterait aucune conséquence sur le fond.
Saisi d'une demande, le juge devrait ainsi analyser à qui la banque doit payer et donner la préséance aux premières instructions valables qu'elle a reçues.

5. Il convient de rappeler quelles sont les caractéristiques du compte joint (Gemeinschaftskonto, gemeinsames Bankkonto).
De manière générale, le contrat de compte joint se définit comme un contrat conclu par plusieurs personnes avec une banque, présentant un caractère mixte en ce sens qu'il mêle des éléments du dépôt (art. 472 ss CO) et du mandat (art. 394 ss CO) (cf. ATF 94 II 167
BGE 148 III 115 S. 121
consid. 2, ATF 94 II 313 consid. 2; arrêt 4C.114/2006 du 30 août 2006 consid. 5; GUGGENHEIM/GUGGENHEIM, Les contrats de la pratique bancaire suisse, 5e éd. 2014, p. 529).
Lorsqu'il y a pluralité de créanciers dans un rapport d'obligation, trois modalités sont envisageables. Les créanciers collectifs (gemeinschaftliche Gläubigerschaft) sont titulaires de la créance dans sa totalité de telle sorte qu'ils doivent la faire valoir ensemble, et le débiteur ne peut se libérer qu'en fournissant la prestation à tous les créanciers conjointement. Lorsque la qualité de créancier est partielle (Teilgläubigerschaft), plusieurs personnes sont autorisées à faire valoir indépendamment une quote-part d'une créance divisible, de telle sorte que la prestation ne doit être fournie qu'une fois dans sa totalité. Enfin, lorsque la qualité de créancier est individuelle (Einzelgläubigerschaft), chaque créancier peut réclamer, sans le concours des autres, la totalité de la prestation et le débiteur se libère envers tous les créanciers en fournissant à un seul la prestation entière. La solidarité active (Solidargläubigerschaft ), définie à l'art. 150 al. 1 et 2 CO, est l'exemple le plus important de cette forme de pluralité de créanciers (ATF 140 III 150 consid. 2.2, 2.2.1, 2.2.2 et 2.2.3).
Le compte joint constitue le cas d'application principal de la solidarité active (ATF 140 III 150 consid. 2.2.1; ATF 112 III 90 consid. 5; ATF 110 III 24 consid. 3; ATF 101 II 117 consid. 5; ATF 94 II 167 consid. 3, ATF 94 II 313 consid. 4). Selon la conception du compte joint admise en droit suisse, les cotitulaires sont considérés en effet comme possédant des droits égaux sur toutes les valeurs qui existent au crédit du compte: chaque titulaire est autorisé à disposer seul de la totalité de l'avoir en compte (art. 150 al. 1 CO) et la banque est libérée envers tous les titulaires du compte joint lorsqu'elle remet l'avoir à un seul titulaire (art. 150 al. 2 CO) (cf. CHRISTOPH K. GRABER, in Basler Kommentar, Obligationenrecht, vol. I, 7e éd. 2020, n° 5 ad art. 150 CO;GAUCH/SCHLUEP/EMMENEGGER, Schweizerisches Obligationenrecht, Allgemeiner Teil, 11e éd. 2020, tome II, n. 3666; SIMON ROTH, BGer 5A_1041/2017: Die Verarrestierung und Pfändung eines Gemeinschaftskontos, PJA 2019 p. 578; BRIGITTA KRATZ, Berner Kommentar, 2015, nos 65 s ad art. 150 CO; MARCO FRIGERIO, La convenzione di conto congiunto solidale e i diritti degli eredi del titolare defunto, RGP 1994 p. 175; RENÉ BRON, Le compte joint en droit suisse, 1958, p. 16; GEORGES LAMBELET, Les comptes-joints en droit suisse, 1917, p. 21).
Le rapport juridique qui lie les titulaires du compte joint à la banque (rapports externes) doit être distingué des relations qui unissent
BGE 148 III 115 S. 122
les cotitulaires entre eux (rapports internes). L'existence d'un compte joint ne permet pas d'inférer des rapports juridiques entre les titulaires (contrat individuel ou de société, mariage), ni du type de propriété (copropriété, propriété commune, propriété individuelle) sur les valeurs déposées (ATF 110 III 24 consid. 3; ATF 94 II 317 consid. 4b; arrêts 5A_667/2020 du 28 avril 2021 consid. 4.3; 5A_1041/2017 du 4 février 2019 consid. 3.3.1).

6. Selon l'art. 150 al. 3 CO, le débiteur a le choix de payer à l'un ou à l'autre des créanciers solidaires, tant qu'il n'a pas été prévenu par les poursuites de l'un d'eux.

6.1 Le recourant conteste l'application au compte joint de cette disposition.
Le Tribunal fédéral a déjà eu l'occasion de préciser que l'art. 150 al. 3 CO s'appliquait à toute créance solidaire, quelle qu'en soit sa cause, donc y compris à celle issue des rapports juridiques entre la banque et les titulaires d'un compte joint (ATF 94 II 313 consid. 6).
L'art. 150 al. 3 CO réglemente le point de savoir en mains de quel créancier solidaire le débiteur s'exécute avec effet libératoire. Pour qu'un tel effet puisse se produire, encore faut-il que la dette soit exécutable (GAUCH/SCHLUEP/EMMENEGGER, op. cit., n. 3663; KRATZ, op. cit., n° 127 ad art. 150 CO; cf. également PIERRE ENGEL, Traité des obligations en droit suisse, 2e éd. 1997, p. 833). Dans le compte joint, tel est le cas lorsque plusieurs titulaires donnent à la banque des instructions incompatibles.
Ainsi, conformément au principe de solidarité (art. 150 al. 1 CO), si l'un des titulaires du compte joint ordonne de virer un montant sur son propre compte, la banque ne peut pas s'opposer à cette instruction (cf. GAUCH/SCHLUEP/EMMENEGGER, op. cit., n. 3666). Mais si, avant l'exécution, un autre titulaire fait également valoir sa prétention à l'avoir en compte d'une manière incompatible avec la première instruction, la banque pourra se libérer en exécutant l'un ou l'autre ordre aussi longtemps qu'elle n'est pas prévenue par les "poursuites" de l'un des créanciers solidaires, selon les termes de l'art. 150 al. 3 CO. Il est à noter que, cette disposition étant de caractère dispositif, les parties au contrat bancaire peuvent supprimer le libre choix offert au débiteur en prévoyant que la banque doit s'exécuter envers le premier titulaire qui dispose de l'avoir en compte (ROTH, op. cit., note de pied 11, p. 578; KRATZ, op. cit., n° 7 ad art. 150 CO).
BGE 148 III 115 S. 123

6.2 Jusqu'à quand le débiteur dispose-t-il du libre choix du créancier?
Le terme "poursuites" utilisé à l'art. 150 al. 3 CO ne doit pas être interprété de manière restrictive, comme les versions allemande et italienne de cette disposition l'indiquent clairement ("Der Schuldner hat die Wahl, an welchen Solidargläubiger er bezahlen will, solange er nicht von einem rechtlich belangt worden ist."; "Il debitore, finché non sia stato giudizialmente convenuto da uno dei creditori solidali, può a sua scelta pagare a chiunque di essi."): il recouvre aussi bien la poursuite au sens de la LP que l'action en justice (GRABER, op. cit., n° 8 ad art. 150 CO; SCHWENZER/FOUNTOULAKIS, Schweizerisches Obligationenrecht, Allgemeiner Teil, 8e éd. 2020, n. 89.12 p. 630; FRIGERIO, op. cit., p. 177; HANNES BAUMGARTNER, Depot- und Compte-joint, Schriften zum Bankenwesen, 1977, p. 18; VON TUHR/ESCHER, Allgemeiner Teil des Schweizerischen Obligationenrechts, tome II, 1974, p. 324; JAN RUSKA, Gemeinschaftsabrede bei Bankverträgen, 1973, p. 66; BRON, op. cit., p. 38). En revanche, une simple sommation verbale ou sous seing privé de la part d'un créancier ne suffit pas du point de vue de l'art. 150 al. 3 CO (ATF 94 II 313 consid. 6).
Pour la banque débitrice, la perte du libre choix au sens de l'art. 150 al. 3 CO signifie ainsi qu'elle ne peut dorénavant se libérer qu'en s'exécutant en mains du titulaire du compte joint qui la poursuit ou l'actionne en justice.

6.3 Si l'un des titulaires du compte joint agit par une poursuite ou une action, un autre créancier peut-il lui aussi agir contre la banque et faire valoir son droit sur les avoirs en compte? La réponse dépend de l'interprétation de l'art. 150 al. 3 CO.
Cette disposition a une teneur identique à l'art. 170 al. 2 du Code fédéral des obligations du 14 juin 1881, dont la version en français reprend quasi mot pour mot l'art. 1198 al. 1 du Code Napoléon (Code civil français du 21 mars 1804). Les règles de solidarité du droit français trouvent elles-mêmes leur source en droit romain (cf. KRATZ, op. cit., nos 187 ss des remarques préliminaires aux art. 143-150 CO).
Comme on l'a vu, chaque créancier, dans la solidarité active, est autorisé à faire valoir la créance de manière intégrale et indépendante. Le système du droit romain repris à l'art. 150 al. 3 CO implique que, dès qu'un créancier introduit une action pour cette créance et aussi
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longtemps que le procès est pendant, tout autre créancier solidaire est empêché de faire valoir la prétention en procédure; ce n'est que si le premier créancier solidaire n'obtient pas gain de cause qu'un autre créancier pourra alors agir en justice contre le débiteur (VON TUHR/ESCHER, op. cit., p. 324). Par conséquent, un créancier solidaire ne peut pas faire trancher dans le procès contre le débiteur la question de savoir à qui revient finalement la prestation selon les rapports internes. Dans la solidarité active, le droit d'agir contre le débiteur ne dépend que des rapports externes. En introduisant une poursuite ou en ouvrant action, un créancier solidaire peut ainsi "infirmer les droits" des autres créanciers, selon la formulation utilisée dans l' ATF 94 II 313 déjà cité (consid. 6). Cette solution diverge de celle retenue en droit allemand, dans lequel le débiteur peut payer un créancier solidaire avec effet libératoire ou être actionné en justice alors qu'un premier créancier a déjà engagé une procédure. Elle paraît plus simple et plus pratique (VON TUHR/ESCHER, op. cit., note de pied 22 p. 324 et la référence), ce qui est particulièrement mis en évidence dans le compte joint.
Dans ce système, la banque n'a en effet pas à se préoccuper des rapports internes, qui constituent pour elle une res inter alios acta et qu'elle pourrait d'ailleurs avoir grande difficulté à apprécier (ATF 94 II 167 consid. 4b; cf. CARLO LOMBARDINI, Droit bancaire suisse, 2e éd. 2008, n. 59 et n. 63; ENGEL, op. cit., p. 835). Saisi d'une demande en paiement de l'un des cotitulaires contre la banque, le juge n'a pas à établir si les sommes réclamées proviennent du patrimoine de l'un ou de l'autre ou si elles ont fait l'objet d'une donation. L'action peut d'ailleurs opposer uniquement l'un des titulaires à la banque (comme dans l'affaire ayant fait l'objet de l' ATF 94 II 313 déjà cité), sans impliquer nécessairement le ou les autres créanciers, de sorte que ces éléments, souvent inconnus de la banque, ne sauraient conditionner l'issue du litige.

6.4 Il résulte dès lors de l'interprétation historique de l'art. 150 al. 3 CO que le premier des créanciers solidaires qui agit par une réquisition de poursuite ou une action en justice est en mesure d'obtenir la prestation en priorité, conformément à l'adage "premier arrivé, premier servi". Le cas échéant, il appartiendra aux autres créanciers d'agir contre le créancier solidaire qui a obtenu gain de cause pour faire valoir les droits résultant des rapports internes.
La doctrine majoritaire est également d'avis que le débiteur doit payer au premier créancier solidaire qui agit par une réquisition de
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poursuites ou une action en justice (dans ce sens, ISABELLE ROMY, in Commentaire romand, Code des obligations, vol. I, 3e éd. 2021, n° 7 ad art. 150 CO;GAUCH/SCHLUEP/EMMENEGGER, op. cit., n. 3663;GRABER, op. cit., n° 8 ad art. 150 CO; SCHWENZER/FOUNTOULAKIS, op. cit., n.89. 12;ROTH, op. cit., p. 577/578; ROCHAT/FISCHER, successio 2012, p. 241; KRATZ, op. cit., nos 128 et 133 ad art. 150 CO; GUGGENHEIM/GUGGENHEIM, op. cit., n. 1703; RUSKA, op. cit., p. 67; BRON, op. cit., p. 70; LAMBELET, op. cit., p. 114 in fine et 115).
Minoritaires sont les auteurs qui professent une autre opinion, sans compter que les motifs qu'ils avancent ne sont pas convaincants (FRÉDÉRIC KRAUSKOPF, Zürcher Kommentar, 3e éd. 2016, nos 63-65 ad art. 150 CO, selon lequel l'art. 150 al. 3 CO doit être interprété dans le sens du droit allemand déjà cité; également d'un avis divergent mais non motivé, FRIGERIO, op. cit., p. 177 in fine, selon lequel la banque ne pourrait se libérer qu'en mains de tous les titulaires; ENGEL, op. cit., p. 836, selon lequel la poursuite ou l'action d'un cotitulaire fondée sur l'art. 150 al. 3 CO n'a pas pour effet de procurer satisfaction prioritaire au poursuivant (ou à l'instant), mais de différer et d'assurer la libération selon droit connu ou accord entre les ayants droit).

7. Ces principes dictent la solution suivante dans le cas présent.
Le recourant - en tant qu'intervenant principal - et son fils - en tant que demandeur - ont chacun ouvert action contre la banque en exécution de leurs ordres de transfert respectifs émis le 5 juin 2013 à quelques heures d'intervalle. Le juge est ainsi appelé à dire envers quel titulaire du compte joint la banque doit s'exécuter.
Les instructions adressées à la banque sont incompatibles entre elles puisque chaque titulaire réclame pour lui la totalité ou la quasi-totalité des avoirs disponibles de la relation bancaire. La dette de la banque est donc exécutable envers plusieurs titulaires du compte joint de sorte que l'art. 150 al. 3 CO - auquel les parties n'ont pas dérogé - est applicable.
La banque a refusé d'exécuter les ordres de transfert litigieux, invitant les intéressés à lui adresser des instructions communes et claires. A ce stade, elle disposait du libre choix du créancier et n'était ainsi pas obligée d'exécuter le premier ordre de transfert, celui émis par le recourant.
La situation en était là lorsque le fils du recourant a ouvert action contre la banque, par acte déposé en vue de conciliation le 6 juin
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2013 - ce qui a créé la litispendance (art. 62 CPC) - et introduit au fond le 23 janvier 2014. Dans un deuxième temps seulement, à savoir le 2 juillet 2013, le recourant a engagé des poursuites contre la banque. Dès l'ouverture de l'action le 6 juin 2013, la banque a perdu le libre choix du créancier: elle ne pouvait s'exécuter avec effet libératoire qu'envers le demandeur, qui bénéficie de l'effet de priorité institué par l'art. 150 al. 3 CO. Quant au recourant, son droit d'agir contre la banque était suspendu tant que le procès introduit par son fils était pendant.
Comme la cour cantonale l'a constaté, la banque n'a invoqué aucune objection ou exception qui s'opposerait au droit du demandeur. C'est dès lors à bon droit que la Cour de justice a condamné la banque à exécuter sans délai l'ordre de transfert donné par le fils du recourant le 5 juin 2013 et qu'elle a rejeté les conclusions du recourant.
Ce dernier ne disposait pas de la qualité pour agir contre la banque lorsqu'il est intervenu à titre principal dans le procès. Comme le demandeur a obtenu à présent satisfaction, il appartiendra au recourant d'ouvrir action contre son fils pour faire valoir ses droits résultant de leurs rapports internes.
Sur le vu de ce qui précède, le recours de A.A. doit être rejeté.

contenu

document entier
regeste: allemand français italien

Etat de fait

Considérants 4 5 6 7

références

ATF: 94 II 313, 94 II 167, 140 III 150, 110 III 24 suite...

Article: Art. 150 al. 3 CO, art. 150 CO, art. 292 CP, art. 472 ss CO suite...